L. 205.  >
À Charles Spon,
le 5 novembre 1649

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière j’ai appris que M. Veslingius [2] est mort à Padoue le dernier d’août, comme il s’apprêtait à écrire contre M. Riolan ; [3] que là même un certain Rhodius, [4] qui est en réputation de savant, y fait imprimer le Scribonius Largus[1][5] Il est ici mort un ancien avocat fort savant nommé M. Hérauld, [6] qui était en querelle avec M. de Saumaise [7] qui avait écrit contre lui Observationes ad ius Atticum et Romanum, il y a environ quatre ans. M. Hérauld, qui se trouvait offensé de ce livre, y faisait une réponse in‑fo ; mais la mort l’ayant surpris, je pense qu’il faudra le vendre tel qu’il est et faire une fin où l’auteur a trouvé la sienne. Il paraissait âgé de 70 ans. C’est celui qui a travaillé autrefois sur l’Arnobe [8] et sur l’Apologétique de Tertullien. [9] Il avait la réputation d’un homme fort savant, tant en droit que dans les belles-lettres et écrivait fort facilement sur telle matière qu’il voulait. [2]

On est ici après le choix de quelque habile homme, savant dans les affaires, que l’on puisse faire surintendant des finances. Les uns disent que l’on y mettra M. d’Émery [10] qui est celui qui a commencé à tout gâter, et l’élection duquel fera encore merveilleusement murmurer le peuple, [3] les malcontents de la cour et des provinces qui ne sont que trop désolées. Il y a pourtant ici beaucoup de personnes qui souhaitent que ce soit lui : les uns allèguent que s’il a gâté les affaires, il saura mieux qu’un autre comment il faudra les réformer ; d’autres, qui ont prêté au roi, [11] désirent que ce soit lui, espérant qu’il les fera rembourser, mais la plupart de ceux-ci sont des parents et amis. D’autres nomment pour cette charge le président de Maisons [12] qui est un animal mazarinique : homme dangereux, fin et rusé, mais fort incommodé et qui par ce moyen, tâcherait de s’acquitter et de payer ses dettes. D’autres y nomment M. d’Avaux [13] qui était par ci-devant plénipotentiaire à Münster [14] et qui est frère du président de Mesmes. [15] Celui-là est un fort habile homme et aimé, mais un plus habile que lui aura encore bien de la peine dans le mauvais état de nos affaires. On avait arrêté que ce serait le marquis de La Vieuville, [16][17] mais les partisans lui ont donné l’exclusion, protestant tout haut à la reine [18] qu’ils ne traiteraient jamais aucune affaire avec lui. Si bien qu’il faut attendre que le Conseil d’en haut, [4][19] composé de la reine, du duc d’Orléans [20] et du prince de Condé, [21] en ait délibéré. [5]

Vous m’avez ci-devant envoyé un livre intitulé Heteroclita pietatis du P. Théophile Raynaud. [6][22] Ce livre est assez étrange, aussi bien que l’esprit de son auteur ; mais à quoi s’occupe-t-il présentement ? Je crois qu’il a beaucoup de traités prêts à mettre sous la presse ; mais entre autres, je voudrais qu’il mît en lumière un ouvrage qu’il a déjà cité et promis deux ou trois fois, De iusta Confectione librorum, dans lequel il promet de dépeindre de toutes leurs couleurs certains écrivains qui lui déplaisent ; il le promet entre autres de Pomponace [23] qui a été un terrible galant du temps de Léon x[7][24]

Je ne vous ai rien écrit ni assuré de M. de Saumaise que lui-même ne me l’ait mandé dans sa lettre. Vous dites qu’après cela, vous ne lui conseilleriez pas de se mettre sur mer de peur qu’il ne tombe entre les mains des Anglais. Et néanmoins, un Suédois, étudiant en médecine, me dit hier céans que la reine de Suède [25] avait demandé M. de Saumaise et qu’il se préparait pour y aller faire un voyage ; mais je ne vous oserais assurer s’il est bien véritable, car je ne vois point de gens, après les L… [8] de Paris et les moines [26][27] lorsqu’ils parlent de la vie éternelle et de l’autre monde où ils ne furent jamais, et où jamais ils n’iront, qui mentent si fort et si rudement que ces étrangers, particulièrement en faveur de leur nation. Pour moi, je suis de votre avis et je ne conseillerais point à M. de Saumaise de s’en aller en Suède, de peur qu’il ne meure en ce pays si froid et de peur aussi que quelque tempête ne le fasse aborder en Angleterre où apparemment, il ne serait pas bien traité après avoir écrit contre eux pour avoir coupé la tête de leur roi. [9][28] S’ils ont si mal et si rudement traité leur maître, que ne feront-ils pas à leur ennemi ?

L’évêque de Riez [29][30] se réduit à ne faire que la vie des cardinaux qui ont vécu avec quelque opinion de sainteté, et ce qu’il a fait imprimer du cardinal de Bérulle [31] n’est qu’un extrait de son livre. [10] Je ne sais s’il mettra parmi ces gens-là le cardinal Duperron [32] qui était un grand fourbe et que je sais de bonne part être mort de la vérole. [11][33] Pour le cardinal de Richelieu, [34] c’était une bonne bête et un franc tyran ; et pour marque de sa sainteté, sanctus olim dicebatur qui abstinebat ab omni venere illicita[12] Je me souviens de ce qu’un courtisan me conta l’autre jour, que ce cardinal, deux ans avant que de mourir, avait encore trois maîtresses qu’il entretenait, dont la première était sa nièce, Marie de Vignerod, autrement Mme de Combalet et aujourd’hui Mme la duchesse d’Aiguillon. [35] Son père [36] était un des espions du marquis d’Ancre [37] à mille livres par an, [13] et son grand-père était notaire à Bressuire, village de Poitou. [14][38] La seconde était la Picarde, savoir la femme [39] de M. le maréchal de Chaulnes [40][41] (frère du connétable de Luynes), [42] lequel est mort ici depuis quatre jours, quelques jours après avoir été taillé de la pierre en la vessie. [15][43] La troisième était une certaine belle fille parisienne nommée Marion Delorme [44] que M. de Cinq-Mars, [45] qui fut exécuté à Lyon l’an 1642 avec M. de Thou, [46] avait entretenue, comme a fait aussi M. le maréchal de La Meilleraye, [47] et plusieurs autres. [16] Elle est encore en crédit, elle est même dans l’histoire pour sa beauté car Vittorio Siri [48] a parlé d’elle dans son Mercure[17] Tant y a que ces Messieurs les bonnets rouges sont de bonnes bêtes ; vere cardinales isti sunt carnales[18] Je suis tout à vous, etc.

De Paris, ce 5e de novembre 1649.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 novembre 1649

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(Consulté le 02/12/2024)

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