L. 144.  >
À Claude II Belin,
le 24 avril 1647

Monsieur, [a][1]

Gardez le livre de M. de Saumaise [2] tant qu’il vous plaira ; et même, si vous l’avez agréable, gardez-le pour toujours. Ce me sera honneur si vous le voulez mettre dans votre bibliothèque ; sinon, faites-en tout à loisir et vous me le renverrez quand il vous plaira, pourvu qu’il soit bien enveloppé et par voie sûre. [1] Pour votre rhumatisme, [3] nous allons entrer dans une saison qui en dissipera les restes, Dieu aidant ; à quoi ma thèse est bien propre, vu que l’eau fait à ce mal tout autrement que le vin. [2][4][5] Je sais bien que M. Mégard [6] est mort. Je vous félicite [pour] la charge d’ancien de votre Collège [7] et souhaite que vous y soyez aussi longtemps que M. Seguin [8] a été ici, qui a aujourd’hui 82 ans et qui est notre ancien [9] il y a 15 ans. Dieu veuille bien délivrer Mme Belin [10] de sa jaunisse, [11] à laquelle, post saltem semel missum sanguinem, ex basilica dextra[3][12] je ne sais pas de meilleur remède que le séné [13] et le sirop de roses pâles, [14] in decocto rad. taraxac. cichorii syla. graminis, ea lege ut subinde repetatur[4][15][16] Mais j’ai tort de me mêler de vous indiquer des remèdes, je me rends semblable à celui qui Noctuas Athenas ; dicam tamen hoc unum : [5] la rhubarbe [17] m’y semble trop chaude. M. le président de Courberon [18] vous peut assurer du favorable jugement que j’obtins [19] le 15e de mars contre les apothicaires [20] au parquet de Messieurs les Gens du roi, où les compagnons furent étrillés tout du long. [6] Tout le Palais les bafoua et se moqua d’eux. Ils prétendaient des réparations contre moi pour ce que j’avais dit de leurs boîtes, de leur thériaque, [21] et confection d’alkermès, [22] quam Campegius dœmoniacam nuncupavit, Rondeletius perniciosam et venenatam[7][23][24] Leur bézoard [25] y fut si bien secoué qu’il ne demeura que poudre et cendre, comme l’a dit M. Hofmann in suis Paralipom., cap. 36[8][26][27] Je ne pris point d’avocat, je me défendis moi-même, fort au gré de mes juges aussi bien que de mes auditeurs. Dimissi et reiecti fuere tanquam ignari nebulones, boni illi viri pharmacopœi Parisienses[9] Ce procès ne m’a fait qu’honneur et a fait connaître ma thèse, que tout le monde demande. Ces coyons d’apothicaires ont trop pris de pouvoir sur l’honneur de la médecine, il est grand temps de les rabattre, ou jamais on n’en viendra à bout. Je vous baise les mains, à monsieur votre fils, à Messieurs vos frères, à M. Sorel, et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 24e d’avril 1647.


a.

Ms BnF no 9358, fo 110, « À Monsieur/ Monsieur Belin/ docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no lxxxvii (tome i, 135‑136) ; Triaire no cxlvii (pages 528‑530).

1.

Enfin en possession des livres de Primatu Papæ [de la Primauté du pape] de Claude i Saumaise (Leyde, 1645, v. note [6], lettre 62), Guy Patin l’avait envoyé à Claude ii Belin au début de mars. Sa magnanimité visait à dissiper la brouille que ses attaques contre Montpellier avaient fait naître entre les deux amis. Le rhumatisme de Belin avait aussi contribué à son silence.

2.

Guy Patin renvoyait Claude ii Belin à cet autre passage de sa sur la sobriété (1647, v. note [6], lettre 143), au début du 4e article :

Vis mento et corpore acutius cernere, vis sapere omnemque stutitiæ mixturam effugere, bibas aquam, Sapientiæ fomitem : nutrit illa, coctionem juvat, vividos facit sensus, acre iudicium, limpidum et studiis aptum ingenium, adeoque ut animantibus, imo et viventibus omnibus, sic ciuslibet ætatis, sexus, et temperamenti hominibus αριστευει.

[Tu veux être plus disposé de corps et d’esprit, tu veux garder raison et échapper à toute immixtion de folie, alors bois de l’eau, c’est l’aliment de la sagesse : elle nourrit, elle aide la digestion, elle vivifie les sens, aiguise le jugement, clarifie l’esprit et le dispose à l’étude, de sorte qu’elle est ce qu’il y a de meilleur pour les animaux, et même pour tous les êtres vivants, y compris pour les humains de quelque âge, sexe ou tempérament que ce soit]. {a}


  1. V. la 2e citation de la note [16], lettre 342, pour la suite de cet article concernant le vin.

3.

« après l’avoir saignée au moins une fois, par la veine basilique droite ».

La veine basilique (adjectif qui, étymologiquement, signifie royale) est une veine du bras « qui naît du rameau axillaire, qu’on nomme aussi hépatique ou jécoraire, c’est-à-dire du foie, qui va au milieu du pli du coude et qui a deux rameaux, dont l’un descend le long du grand focile [cubitus ou ulna], et l’autre le long du petit focile [radius], et dont les surgeons [branches] s’étendent jusqu’aux doigts de la main. Il y en a deux, dont l’une s’appelle la superficielle ou sous-cuir, l’autre la profonde » (Furetière).

Nysten (1824) en a parlé un peu autrement :

« C’est une des veines sur lesquelles on pratique la saignée. Elle est située à la partie interne du bras et naît, au pli du coude, de la réunion des veines médiane et cubitale ; elle se termine au creux de l’aisselle en s’ouvrant dans la veine axillaire. […] Les anciens, pensant que la basilique du bras droit avait des rapports avec le foie, et celle du bras gauche avec la rate, nommaient la première veine hépatique et la seconde veine splénique ».

Les subtilités de la saignée ont disparu, mais la basilique est encore très communément piquée pour les prélèvements sanguins aux fins d’analyses biologiques, ou pour les injections de médicaments (perfusions intraveineuses) ou de sang (transfusions).

4.

« dans une décoction de racine de chicorée taraxacée et d’herbe de chervis, pour qu’elle soit immédiatement soulagée par cette ordonnance. »

La chicorée (v. note [12], lettre 312) dont parlait ici Guy Patin est la sorte de chicorée sauvage qui « a la fleur jaune et est nommée par les Latins dens leonis, caput monachi, par les Arabes taraxacon, et par les Français pisse-en-lit » (Furetière).

Taraxacum (du grec taraxis, trouble, et akeomai, je guéris) est le nom scientifique du pissenlit (G.D.U. xixe s.). La racine et les feuilles de la dent-de-lion (Taraxacum minus, Dens leonis latiori folio, etc.) étaient utilisées dans les affections hépatiques (Pharmacopée raisonnée de Schroder, commentée par Michel Etmuller, Lyon, 1698).

La racine de Silarum ou chervis ou carvi (Rapunculus hortensis, Silarum germanorum, panais sauvage, etc.) passait pour diurétique et lithontriptique, c’est-à-dire apte à briser et dissoudre les calculs urinaires. « Sa semence, qui est mise au rang des quatre semences chaudes majeures, est la seule partie dont les médecins se servent. Dioscoride lui donne les mêmes propriétés qu’à l’anis. Elle résout toutes sortes de ventosités et fait uriner » (Thomas Corneille).

Mme Belin devait être atteinte de lithiase biliaire, avec un ictère (jaunisse) dû à un calcul obstruant l’écoulement de la bile dans le canal cholédoque (v. note [16], lettre 391).

5.

« envoie des chouettes à Athènes [v. note [6], lettre 167] ; je dirai pourtant juste ceci ».

6.

V. note [6], lettre 143, pour le procès intenté par les apothicaires de Paris contre Guy Patin à la suite de sa thèse sur la Sobriété. Le président de Courberon, magistrat de Troyes, faisait partie des personnes volontiers saluées par Guy Patin dans ses lettres à Claude ii Belin.

7.

« que Champier a déclarée démoniaque, et Rondelet dangereuse et vénéneuse. »

V. notes [7] et [8] de l’Observation viii contre les apothicaires pour ces deux références à Symphorien Champier (v. note [5], lettre 548) et Guillaume Rondelet (v. note [13], lettre 14) contre la confection d’alkermès.

8.

Les Paralipomena Officinalia [Paralipomènes (Suppléments) officinaux] forment la dernière partie (pages 633‑701) du De Medicamentis officinalibus… de Caspar Hofmann (Paris, 1646 ; v. note [7], lettre 134). Ils comptent 98 chapitres répartis en six sections. Le chapitre 36 appartient à la 3e section (De Excrementis animalium [Les Excréments des animaux]), et porte le titre de De Lapide Bezoar [La Pierre de bézoard] (pages 657‑658) ; c’est une attaque en règle contre ce remède (v. note [9], lettre 5), qui se termine par cette phrase :

Sunt etiam nonnulli quidam impostores, qui perfricta fronte audent mira polliceri de eius facultatibus ad promovendam variolarum expulsionem, et ut Arabice loquuntur ad roborandum cor, adversus tantam malignitatem : sed quæcumque male feriati isti effutiunt, mera sunt ægrorum somnia, et pura puta mendacia : neque enim plus potest iste lapis in talium morborum curatione, quam calx aut cinis.

[Il se trouve même quelques imposteurs qui ont le toupet d’oser promettre merveilles sur ses capacités à purger la variole et, comme on dit en arabe, à fortifier le cœur contre une si grave maladie ; mais quoi que débitent ces esprits agités, ce ne sont que rêves de malades, et purs et simples mensonges ; et cette pierre ne peut en effet faire plus en la guérison de telles maladies que ne font poudre et cendre].

9.

« Ces bons Messieurs les pharmaciens de Paris furent congédiés et rejetés, comme des vauriens ignares » (v. note [6], lettre 143).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 avril 1647

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(Consulté le 26/04/2024)

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