L. 438.  >
À André Falconet,
le 29 mars 1656

Monsieur, [a][1]

Pour répondre à votre dernière que M. Lanchenu [2] m’a rendue, je vous dirai que ledit Monsieur m’est très recommandé, et par son propre mérite et par les obligations que je vous ai en très grand nombre, dont je me ressouviens très bien. Il ne fera ici guère de remèdes, faute de loisir ; j’espère que si peu que nous lui en ferons le disposera fort à recevoir par vos bons conseils la perfection de la guérison. Il se purge [3] quelquefois et use du demi-bain, [4] mais rarement, faute de loisir, il a ici d’autres affaires qui le pressent. Je suis tout ravi que vous aimiez tant notre Fernel [5] (cet homme est un de mes saints, avec Galien [6] et feu M. Piètre). [7] J’ai dit à Mme de Riant, [8] la mère de votre belle religieuse, [1][9] que je tiendrais à plus grande gloire d’être descendu de Fernel que d’être roi d’Écosse ou parent de l’empereur de Constantinople. [10] Fernel a été bon, sage et savant, artemque nostram pene sepultam in lucem, ne dicam ad vitam, revocavit[2] Jamais prince ne fit tant de bien au monde que Fernel y en a fait. Obligez-moi de dire à votre belle religieuse que je me recommande à ses bonnes prières. Si jamais mon fils va à Lyon, il ne manquera pas de vous aller saluer tout le premier, et elle aussi.

N’y a-t-il pas moyen de recouvrer un livre du P. Théophile Raynaud, [11] ou au moins savoir où il a été imprimé, intitulé Iudæ posteri, sive apostatæ a religiosis ordinibus ? [3] Ce livre est un de mes souhaits et je n’en saurais venir à bout.

La fabrique de lis d’or et d’argent est accouchée, [12] on n’en fait plus ; [4] ce qui me fait croire que l’édit en sera révoqué. Je vous rends grâces du quatrain de Nostradamus, [13] je l’avais vu. [5] Il faut prendre ce qui vient et se tenir à ce que l’on tient ; et pour n’être point trompé, il ne faut faire aucun état des visions, des prophéties, des miracles [14] et des mystères nouveaux ; [15] nous en avons assez du temps passé, Felix qui potuit… [6][16][17] Je vous baise mille fois les mains et suis, Monsieur, etc.


a.

Bulderen, no cv (tome i, pages 270‑271) ; Reveillé-Parise, no cccclii (tome iii, pages 58‑59).

1.

V. note [5], lettre 416, pour les dames de Riant mère et fille, apparentées à Jean Fernel et toutes deux prénommées Marie.

2.

« et il a rappelé à la lumière, pour ne pas dire à la vie, notre art, qui était presque enseveli. »

3.

« Les Successeurs de Judas, ou les apostats issus des ordres religieux » : livre du P. Théophile Raynaud, Rome, 1648, v. note [15], lettre 300.

4.

V. note [31], lettre 432, pour la tentative de remplacer les louis par les lis, qui avorta (plutôt qu’elle n’accoucha).

5.

V. note [5], lettre 414.

6.

Felix qui potuit rerum cognoscere causas [Heureux qui a pu connaître les causes des choses] (Virgile, Géorgiques, chant ii, vers 490) : abrégée en Felix qui potuit, c’était la devise que Guy Patin avait apposée sur son jeton décanal en 1652 (v. note [44], lettre 288) et mettait souvent sur ses ex-libris. Dans mes recherches pour cette édition, je l’ai croisée trois fois en exergue d’autres auteurs, v. notes :

Les deux premiers ont clairement mis en doute l’immortalité de l’âme, ce qui pourrait mener à penser que Patin partageait leur scepticisme ; je crois néanmoins qu’il ne faut y voir que son admiration Virgile et pour les merveilles de la Nature dont l’explication est la vaine mais inlassable quête des naturalistes, comme il l’entendait ici.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 mars 1656

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(Consulté le 26/04/2024)

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