L. latine reçue 34.  >
De Hermann Conring,
le 14 mai 1666

Bibliothèque universitaire de Bâle, cote G2 I 16:186 | LAT

De Hermann Conring à Guy Patin.

Très vénérable, distingué, entreprenant et honoré ami, [a][1][2]

Voici déjà longtemps que vous et votre fils [3] avez acquis la faveur du prince sérénissime, [4] le plus sage Nestor de notre siècle ; [5] votre présent lui fut en effet extrêmement agréable et a été aussitôt rangé à l’endroit qu’il méritait dans la Bibliotheca Augusta[1][6] Soyez assuré que cet excellent monarque ne laissera passer aucune occasion de vous bien considérer, vous et les vôtres. Moi aussi, je vous dois et exprime des remerciements. J’ai été séduit par la richesse et la nouveauté des enseignements que contient l’autre livre que vous m’avez envoyé. L’avis que vous m’en avez transmis me paraît hautement probable ; j’en suis encore à examiner de près la question, mais à la fin, je me rangerai entièrement à votre sentence. Quand une étude plus approfondie m’aura tout à fait convaincu, je n’hésiterai pas à proclamer publiquement à quel point le monde médical vous est redevable d’avoir éclairci cette énigme. [2][7][8] Dieu fasse que vous jouissiez d’une douce vieillesse, afin de continuer à mériter la profonde reconnaissance de la postérité et de tout le genre humain, comme vous avez fait jusqu’ici. Pour ma part, depuis quelque temps, je n’ai rien publié de médical ; je revois maintenant pour la troisième fois ce que j’ai jadis mis au jour de causis antiqui et novi Germanicorum corporum habitus[3][9] Vous l’aurez dès sa parution ; mais ce ne sera pas en simple cadeau, fuerit plus quam Diomedis et Glauci permutatio[4][10][11][12][13] car votre jugement critique sur mon livre en sera le prix.

Votre très attentionné Hermann Conring.

D’Helmstedt, le 14e de mai 1666.


a.

Copie manuscrite d’une lettre de Hermann Conring conservée par l’Universitätsbibliothek Basel (cote G2 I 16:186, non disponible en ligne), avec cette mention : Ex apographo quod in scriniis Caroli Patini delituit [D’après une copie conservée dans les archives de Charles Patin].

1.

Par sa lettre datée du 24 septembre 1663, Hermann Conring avait remercié et félicité Guy et Charles Patin pour le livre des Familiæ Romanæ [Familles romaines] de Charles (Paris, 1663, v. note [11], lettre 736), envoyé à Auguste de Brunswick-Wolfenbüttel, dit le Jeune (qui allait mourir le 17 septembre 1666, âgé de 87 ans, v. note [1], lettre 428).

V. note [2] de cette lettre de Conring, pour la Bibliotheca Augusta [Bibliothèque du duc Auguste] de Wolfenbüttel.

2.

À la fin de sa lettre du 1er août 1664, Guy Patin avait confié à Johann Georg Volckamer son intention d’envoyer à Hermann Conring, dès qu’il aurait paru, le Satyricon de Pétrone que Pierre Petit et Jacques Mentel avaient chacun édité et enrichi du fragment inédit trouvé en Dalmatie (Padoue et Paris, 1664, v. note [11], lettre 792). Très sceptique sur son authenticité, Patin avait fait part de ses doutes à Conring, lui répétant sans doute que longe enim aliter olent catuli quam sues [chiens et porcs n’ont pas du tout la même odeur] (Plaute, v. note [8], lettre latine 341).

Conring, quant à lui, réservait habilement son jugement sur cette découverte ; mais « le monde médical », orbis medicus, semble ici incongru, et pourrait être une erreur de copie, pour orbis litteratus, « le monde lettré » (savant). Les lettres contenues dans notre édition ne permettent pas de connaître la conclusion de Conring sur la question (s’il s’agissait bien de celle qu’il évoquait ici, mais je n’ai pas su y trouver de meilleure explication).

3.

Hermanni Conringii de Habitus corporum Germanicorum antiqui ac novi causis Liber singularis. Editio tertia prioribus multum auctior [Livre unique d’Hermann Conring sur les raisons de la conformation ancienne et présente du corps chez les Allemands. Troisième édition fort augmentée par rapport aux deux précédentes] (Helmstedt, Henning Müller, 1666, in‑4o).

Datée d’Helmstedt le 6 juin 1666 et adressée Ioanni Capelano Christianissimo regi a sanctioribus consiliis [à Jean Chapelain (v. note [15], lettre 349), conseiller du roi très-chrétien], l’épître dédicatoire commence par ces trois phrases :

Offero, Vir illustris, libri de Germanicorum corporum habitu, intra viginti unumque annos tertiam, et ætate jam in senium vergente, suprema manu emendatam atque auctam editionem ; adeoque totum tui unius nomini jam ultimo quasi elogio volumen illud consecro. Argumentum fateor ex artis Medicæ Naturalisque Philosophiæ penu tantum non omne depromptum est, ac proinde tibi non satis conveniens, si dignitatem videam et amplissimum illud munus quo in republica fungeris. Cumque non omnino sit novus liber, possit videri tantum in partem te venire consecrationis.

[Ayant atteint un âge qui frise la vieillesse, {a} je vous présente, illustre Monsieur, la troisième édition en 21 années de mon livre sur la conformation du corps chez les Allemands, augmentée et corrigée avec le plus grand soin ; {b} et qui plus est, en ultime éloge, c’est à vous seul que je dédie maintenant ce volume entier. {c} Sa matière, je l’avoue, provient presque tout entière de l’art médical et de la philosophie naturelle, et ne vous sied guère tout à fait, si je considère votre haut rang et cette très éminente charge que vous occupez en la république des lettres ; {d} mon livre n’étant en outre pas entièrement nouveau, il pourrait paraître n’honorer qu’en partie votre mérite]. {e}


  1. Né le 9 novembre 1606, Conring était dans sa 60e année d’âge ; Jean Chapelain en était à sa 71e.

  2. V. note [13], lettre latine 37, pour les deux précédentes éditions (Helmstedt, 1645 et 1652). Une quatrième édition a paru à Francfort en 1727.

  3. Membre de l’Académie française dès sa fondation en 1634, Chapelain n’était ni médecin ni naturaliste, mais poète et critique littéraire.

  4. Conring avait dédié la première édition (1645) à Ulrich, comte et seigneur de Frise orientale (1605-1648), et la deuxième (1652), à ses trois fils, Enno Ludwig (1632-1660), Georg Christian (1634-1665) et Edward Ferdinand (1636-1668), seigneurs qui avaient été les généreux mécènes de Conring.

  5. En 1662, Jean-Baptiste Colbert avait chargé Chapelain de dresser une liste des écrivains et des savants, français et étrangers, dignes d’être récompensés par le roi de France. À ce titre, Conring jouissait depuis 1664 d’une rente annuelle de mille livres (Éloy, et Paul Pellisson-Fontanet, Histoire de l’Académie française, 1743, tome second, pages 152‑153). La suite de l’épître exprime la vive gratitude de l’auteur à l’égard de l’académicien et de Louis xiv. Thomas Reinesius fut aussi gratifié de la sorte pour ses mérites littéraires (v. note [1], lettre latine 459).

4.

« ce sera plus que le troc de Diomède et Glaucos », Diomedis et Glauci permutatio est un adage qu’Érasme a longuement commenté (no 101) :

Quæ refertur apud Homerum Diomedis, et Glauci permutatio, in proverbium abijt, quoties inæqualem commutationem significamus, hoc est, deteriora pro melioribus reddita, χρυσεα χαλκειων, id est aurea pro æreis.

[Ce qu’Homère a appelé le troc de Diomède et Glaucos est passé en proverbe, quand nous voulons dénoncer une transaction inégale, c’est-à-dire échanger un bien de vil prix contre un autre qui vaut bien plus, comme du bronze pour de l’or].

Érasme poursuit en expliquant le passage de L’Iliade avant de citer les auteurs qui s’y sont référés : lors du siège de Troie, le fanfaron Glaucos, capitaine lydien, défie le vaillant Diomède (Tydidès, fils de Tydée, v. note [22], lettre 176), qui lui demande alors s’il est un homme ou un dieu ; Glaucos se lance dans une longue diatribe vantant ses ascendants ; Diomède choisit de le ridiculiser plutôt que le tuer, lui disant que leurs ancêtres respectifs avaient entretenu de cordiales relations ; sa ruse réussit et il convainc Glaucos de renoncer au duel en souvenir de l’amitié qui régnait entre leurs nobles aïeux.

Quibus dictis uterque ex equo desiliit datis dextris ac fide pacta, veluti fœdus quoddam hospitii sanxerunt permutatis armis, sed admodum inæqualibus.

Ενθ’ αυτε Γλαυκω, inquit Homerus, Κρονιδης φρενας εξελετο Ζευς,
Ος προς Τυδειδην Διομεδεα τευχε’ αμειβε,
Χρυσεα χαλκειων, εκατομβοι’ εννεαβοιων, id est
Jupiter hic stupidum spoliavit pectore Glaucum,
Qui cum Tydide mutarit protinus arma et
Aurea donarit sibi reddenti ærea, centum
Bubus emenda daret demens, pro vilibus atque
Quæ vix esse novem dicas redimenda juvencis
.

[À ces mots, chacun descend de cheval et ils se tendent la main droite en gage de confiance, comme si, en échangeant leurs armes, ils scellaient un pacte d’alliance, quoiqu’elles fussent de valeurs fort inégales ; comme dit Homère :

Dépouillant le stupide Glaucos de toute clairvoyance, Jupiter lui fait troquer sans hésiter ses armes en or pour celles du fils de Tydée qui sont en bronze. L’idiot cède la valeur de cent bœufs contre ce qui lui permettra à peine d’enchérir sur neuf méchantes génisses].

s.

Bibliothèque universitaire de Bâle, cote G2 I 16:186, non disponible en ligne.

Ex
apographo
quod in scriniis Caroli Patini
delituit.

Hermanni Conringii
ad
Guidonem Patinum.

Vir plúr. Reverende, Clarissime, atque Experientissime,
Amice honoratissime,

Quúm jam ante múltis nominibús et Tu pariter et Filiús Túús
gratiam Serenissimi Principis, secùli nostri sapientissimi Nestoris
vobis devinxistis, gratissimúm longe fúit múnús túúm, et statim
jústo loco in Augusta Bibliotheca repositúm. Non dúbites aútem,
haúd neglectúm iri ab Optimo Principe, quamvis occasionem benè Tibi
Tuisq. faciendi. Ego verò similiter magnas Tibi gratias debeo pariter et
ago. Liber ipse plurimùm placúit suâ variâ et simúl insperatâ doc-
trina. Sententiam túam jam túm perquam probabilem mihi reddidistis ;
jamq. in eô súm úbi collatione cúm re ipsâ facta, in eam deniq. totús
descendam. Ubi sane nonnihil ab experientia, fuero confirmatior, non
dubitabo publicè profiteri, quantúm Tibi hoc prodito arcano orbis
medicus debeat. Faxit Deús úbi molli úsú senectúte liceat tibi porro
de posteritate et genere omni humano, ceú hactenús, optimè mereri.
Ego aliquandiú medici argúmenti nihil publicavi ; nunc tamen
recenseo tertia vice, quæ jam pridem de caúsis antiqui et novi Ger-
manicorum corporum habitú<s> edidi. Illa habebis simulatq. prodie-
rint, non in
αντιδορον quidem (fuerit enim hæc plus quam Diome-
dis et Glauci commutatio) sed uti censuram Túam exprimam.
Vale decús ævi nostri et favere perge.

Tui observantiss.
Hermann Conringius.

Helmstadii 14. Maij
1666.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Hermann Conring, le 14 mai 1666

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(Consulté le 26/04/2024)

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