< L. 513.
> À Charles Spon, le 18 janvier 1658 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 18 janvier 1658
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Ce 29e de décembre. Je portai hier une lettre de quatre pages chez M. Alleaume [2] pour vous afin qu’il la mît dans son paquet. Je crois que l’avez reçue car j’ai depuis vu M. Robert [3] qui m’en a assuré. Le bruit qui a ici couru de la révolte de Naples [4] passe dorénavant pour une fourberie inventée par le Mazarin [5] pour faire partir la reine de Suède ; [1][6] mais elle n’en veut rien faire, elle veut venir à Paris y passer l’hiver ou demeurer à Fontainebleau ; [7] et d’autant que l’on ne veut point cela, elle a ici envoyé un cahier de frais par lequel elle demande beaucoup d’argent pour être remboursée de beaucoup de dépenses qu’elle a faites en notre considération. Il y avait ici auprès du roi [8] un jeune seigneur nommé Marcillac, [9][10] fils de M. de La Rochefoucauld, [11] de Poitou, que le roi voyait de fort bon œil et qu’il appelait quelquefois son petit favori. [2] Le Mazarin en est entré en soupçon et l’a fait envoyer en Poitou. Un des neveux du Mazarin, [12] nommé Mancini, [13] écolier aux jésuites, y fut blessé à la tête le jour de Noël ; il en a été trépané et est en grand danger. Le Mazarin en est fort affligé. On dit que c’étaient quatre écoliers des jésuites qui le bernaient, dont deux le laissèrent choir exprès afin qu’il fût blessé. Ce petit est le troisième frère, le deuxième est à la cour, [14] le premier [15] est celui qui mourut à Saint-Denis, [16] l’an 1652, d’un coup de mousquet qu’il reçut à la porte de Saint-Antoine. [3][17] Un seigneur anglais, gouverneur de Mardyck, [18] s’en retournant en Angleterre avec 16 officiers de ladite garnison, a été, lui et tous ses compagnons, noyé par un grand malheur dans la Tamise. [4] Le petit Mancini, neveu du Mazarin, a été emporté des jésuites chez le cardinal son oncle, où il a été trépané ; et depuis ce temps-là, il a eu trois convulsions, [19] qui est un très mauvais signe en une tête cassée. On en parle ici tout publiquement et comme avec joie ; et néanmoins, l’événement en est encore incertain. Ce 3e de janvier 1658. Dieu soit loué, voilà la chère vôtre que je reçois, datée du 28e de décembre. Je suis bien aise que votre néphrétique [20] n’ait guère duré, mais je vous supplie de vous faire saigner au plus tôt des deux bras, avec quelques lavements ; [21] et par après, de vous purger [22] plusieurs fois, metu recidivæ. Plura non adferam, ne noctuas Athenas, [5] mais je vous prie de vous en souvenir. Je prends part à votre joie de la naissance d’une si belle fille [23] et de l’heureuse délivrance de mademoiselle votre femme. [24] Je m’en vais en boire à leurs santés, et à la vôtre pareillement, en bonne compagnie de nos voisins avec du vin d’Aï [25] dont un financier m’a donné un quartaut pour l’avoir assuré qu’il n’avait point de pierre en la vessie. C’est de < sic > ce même vin que Dominicus Baudius [26] appelait chez M. de Thou [27] vinum Dei. [6] Il y a trois jours que M. Boulanger [28] d’Amiens [29] soupa céans. Il n’est pas en peine de venir à bout de Dourlens : [30] il dit qu’ils le ruineront et le feront sortir de la ville ; et qu’il ne se soucie non plus de Vallot [31] que d’un magister de village. Ils veulent laisser là Dourlens, ne lui rien dire, ne point consulter avec lui, [32] ne voir aucun des malades qu’il aura vus, et le veulent rendre demandeur. Sans doute qu’ils l’embarrasseront fort car ils sont tout à fait maîtres des chirurgiens et des apothicaires d’Amiens, ce qui ne se peut faire à Paris ni dans les autres grandes villes ; joint que ce petit Dourlens est un jeune homme qui ne sait rien et qui perdra plus de réputation qu’il n’eut jamais en la première disgrâce qui lui arrivera. M. Boulanger dit que Dourlens n’a pas de quoi plaider, mais que leur Collège a de quoi pour vingt ans. Vous m’avez averti de la mort du P. Voisin, [33] jadis jésuite et qui a fait bien du bruit en sa vie avant que de mourir. [7] Je m’en vais vous raconter une chose qui est ici arrivée depuis six jours, qui a bien étonné du monde et qui est bien vraie. Un homme nommé Boquet, [34] natif de Noyon, [35] de bonne famille, après avoir été dans les armées et soldat et capitaine, s’est rendu chartreux à Paris. [36] Après son noviciat, y est fait profès ; un an après sa profession, il fait connaissance avec un orfèvre qui lui a apporté des bagues et des diamants de diverses façons, dont il témoigne être curieux, lui disant qu’il veut les faire acheter à un sien frère qui est fort riche et qui va se marier. Le pauvre orfèvre croit ce que lui dit ce moine et lui laisse ses bijoux. Dès le lendemain, tandis que l’on disait vêpres, le galant de moine s’enfuit, et ne sait-on ce qu’il est devenu. Le pauvre orfèvre peste bien contre le moine et ne sait à qui s’en prendre. On ne sait qu’une chose de lui, c’est qu’il a été chercher M. Drelincourt [37] en sa maison, où il l’a entretenu de faire son abjuration à Charenton. [8][38] Il lui a conseillé d’aller faire son abjuration plus loin, sans pourtant savoir que ce fût un voleur qui pouvait être attrapé par l’orfèvre. Ce voleur est neveu du prieur des chartreux de Noyon. Il sortit durant vêpres avec d’autres qui lui avaient amené un carrosse à la porte des Chartreux, dans lequel il se mit, apparemment avec quelque habit que ces gens-là lui avaient apporté, car il a laissé dans sa cellule son habit de moine. On dit que ce qu’il a emporté à divers marchands vaut plus de 12 000 livres. Ce 6e de janvier. M. le maréchal de Turenne [39] est ici depuis trois jours arrivé de Mardyck [40] après avoir donné ordre à son armée. M. de Longueville [41] est parti d’ici pour s’en aller à Rouen y faire vérifier l’édit de la révocation des nobles depuis l’an 1610, dont on croit qu’il y aura bien du bruit dans la province, d’autant que les autres nobles, qui auront acheté des lettres de noblesse sous les autres rois précédents, savoir Henri iv, Henri iii, Charles ix, Henri ii et François ier, pourront aussi bien par après être révoqués pour la décharge de la province, laquelle est merveilleusement chargée de tailles, [42] encore plus que les autres, et fort pleine de tels nobles qui n’en ont acheté les lettres que pour s’exempter desdites tailles. Quand M. Fourmy [43] vous parlera de son Erastus, [44][45] tâchez bien de lui donner bon courage pour le débit : je le recommanderai à tant de monde que j’en veux moi seul avancer et procurer le débit ; même, j’en achèterai bon nombre que je lui paierai argent comptant. On me vient de dire que le petit Mancini, neveu de Son Éminence, est mort de ses convulsions, avec sa tête cassée, hier à six heures du soir ; le trépan n’a de rien servi et n’a rien tiré. Le Mazarin en a gourmandé Vallot et le chirurgien qui l’a appliqué. [9][46] On dit que le Mazarin est tout épouvanté de cette mort. Cela fit résoudre le roi avec Son Éminence de s’en aller crier Le roi boit ! [10] au Bois de Vincennes [47] pour consoler ce grand génie d’une perte si sensible. Nempe omnis ordo exercet histrioniam, Vænalium grex, Rex, Sacerdos, Plebs, Eques. [11] On dit que le Mazarin avait envie de faire venir un chapeau de cardinal pour ce petit neveu, de Rome, et qu’il avait envie de lui donner des abbayes pour un million de revenu ; ce qu’un petit Italien eût dévoré tout seul pourra servir à dix Français tant bons que mauvais. On dit même qu’il le destinait à être son successeur au ministère, mais la corde en est rompue, sic fuit in fatis. [12] Les Italiens viennent ici gueux et maigres pour s’engraisser. Du temps de la reine Catherine de Médicis, [48] il vint à Paris un certain Italien nommé Sardini [49] qui y devint, par daces et impôts, [50] fort gras et fort riche. [13] M. le chancelier de L’Hospital [51] voyant cette belle fortune, fit ces deux vers sur ce Sardini, dont j’ai connu le fils en cette ville, il demeurait en l’hôtel de Soissons, en faisant allusion aux sardines qui sont de petits poissons :
Les députés du Parlement continuent de s’assembler trois fois la semaine afin de réformer beaucoup d’abus qui se sont glissés dans le Palais. Cela ira au détriment des conseillers de la Grand’Chambre, de leurs clercs, qui se font appeler leurs secrétaires, des greffiers, qui sont de grands larrons, et des procureurs qui ne valent guère mieux. Tout cela ne se fait qu’en vertu et en conséquence de la remontrance sérieuse et sévère que M. Talon, [52] avocat général, fit à tout le Parlement en sa dernière mercuriale. [53] On dit que tous les articles de réformation seront imprimés dès que tout sera achevé et que cela abrégera fort les procès en ôtant les parlers sommaires [54] et les arrêts sur requêtes, [55] < ce > qui était une tyrannie et le plus grand gain de la plupart des conseillers de la Grand’Chambre qui abusaient par là de leur autorité. On dit ici que le prince de Condé est mieux, [56] et que son médecin et son chirurgien seront de retour à Paris vers le 20e de ce mois de janvier. M. le maréchal de Gramont [57] a écrit à la cour que les électeurs qui avaient promis d’être pour nous en l’élection de l’empereur [58] contre la Maison d’Autriche, avaient changé d’avis et s’étaient défaits de leurs promesses, savoir le duc de Bavière, [59] l’électeur de Mayence [60][61] et celui de Cologne. [62] Le roi de Hongrie les a gagnés vel prolibus, vel pretio, [15] si bien que voilà toutes nos prétentions à vau-l’eau, et toute la dépense que nous en avons faite perdue. Ce 12e de janvier. On parle ici d’une terrible armée navale que l’on apprête pour le royaume de Naples : on dit que le roi de Portugal [63] fournit pour sa part 25 vaisseaux, Cromwell [64] 30 vaisseaux, et nous 20. M. le président de Thou, [65] ambassadeur en Hollande, a ici envoyé exprès à la cour avertir que les Hollandais nous menacent de rompre avec nous et de nous déclarer la guerre si nous ne leur faisons rendre un certain vaisseau de grand prix que refuse de rendre le chevalier Paul ; [66] à quoi faire, par ci-devant, il a été condamné par le Conseil, et ainsi accordé avec eux. Nous avons deux armées alentour de Naples, dont celle de mer sera commandée par M. le duc de Mercœur [67] et celle de terre par M. de Guise. [68] Les électeurs s’en vont dans un mois élire pour empereur le roi de Hongrie, duquel il y a dorénavant grande apparence qu’il ne bougera d’Allemagne, et que le roi d’Espagne, ayant un fils, ne se hâtera pas de lui donner sa fille en mariage, si ce n’est pour ne bouger d’Allemagne. [16] On dit que le roi s’en va envoyer à Brisach [69] le maréchal de Clérambault [70] pour se fortifier contre les troupes d’Allemagne, lesquelles avant qu’il soit deux mois, commenceront à nous chicaner de ce côté-là et tâcheront d’entrer en France, tant par la Bourgogne que par la Champagne. On dit aussi que dans peu de temps, Cromwell sera déclaré et reconnu roi d’Angleterre et que tout le Parlement est disposé pour cela. [17][71] Voilà six vers que je vous envoie, qui courent ici sur la mort du petit Mancini, neveu de Son Éminence, berné chez les Jésuites le jour de Noël : Quand Dieu nous veut faire savoir Si vous les trouvez bons, vous en ferez part s’il vous plaît à nos bons amis MM. Gras, Guillemin et Falconet, auxquels je baise très humblement les mains ; comme aussi à Mlle Spon, de toute mon âme, et pareillement à MM. les deux Huguetan, Ravaud et Fourmy ; mais enfin ce dernier mordra-t-il à l’impression du bon et savant Thomas Erastus ? On dit ici que le pape [72] est fort en colère contre le cardinal Mazarin, de ce qu’il empêche qu’on ne fasse la paix générale, et qu’il a dit au cardinal Antoine [73] qu’il veut qu’il opte, du grand camerlingat ou de la charge de grand aumônier de France ; [18] d’autres y ajoutent l’archevêché de Reims, dont je m’étonne d’autant qu’à Rome même cardinalis est bestia capax et vorax omnium beneficiorum ; [19] d’autres y mettent devant, ces mots : cardinalis est animal rubrum, callidum ac versutum, malignum, fraudulentum, etc. [20] Quoi qu’il en soit, les cardinaux prétendent être dispensés [21] de leur Saint-Père de tenir et de posséder plusieurs bénéfices, pourvu qu’ils soient bons et gras, tels que sont abbayes, évêchés et archevêchés. Le cardinal de Joyeuse [74] en avait ainsi plusieurs : il était archevêque de Toulouse, [75] de Rouen, etc. ; [22] et comme un jour un moine eût prêché en sa présence contre ceux qui possédaient plusieurs bénéfices, le cardinal l’alla trouver en sa chambre et lui dit Si c’est pour moi que vous avez prêché contre la pluralité des bénéfices, je vous avertis que j’en ai dispense du pape ; le moine lui repartit sur-le-champ À bien faire, il ne faut point de dispense. Voilà un cardinal bien payé d’un moine. Le pape a refusé les bulles [76] de l’évêque de Fréjus pour Ondedei, [77] et n’a pas voulu donner la dispense requise à la sœur du Mazarin [78] pour, de simple qu’elle est religieuse d’Italie, venir en France y être abbesse de Poissy [79] en la place de la tante du cardinal de Retz. [23][80] Ce 16e de janvier. Aujourd’hui au matin a été rendu au Parlement un arrêt de la Cour fort solennel, parties ouïes, à la requête des six corps des marchands, [81] par lequel la loterie [82] a été abattue et renversée. [24] Il est mort aussi un gros et fameux partisan nommé Forcoal, [25][83] qui était un Cévenol qui vint à Paris autrefois avec des sabots, qui depuis fut rat de cave, [26] et enfin partisan, banqueroutier, larron, brigand, etc. L’on a scellé chez lui de la part du Conseil des finances et au nom pareillement d’une infinité de créanciers. On dit que Guénault [84] sera ici de retour la semaine prochaine, et qu’il y a un accord fait entre le prince de Condé et le Mazarin, que ce prince doit revenir en France, qu’on lui rend le gouvernement de Bourgogne, etc. Je ne croirai rien de cet accord que lorsque j’en verrai l’exécution. Ce 17e de janvier. Je viens de rencontrer votre M. Basset, [86] qui m’a dit que son affaire était accordée et qu’il espérait que demain l’arrêt en serait donné, et qu’aussitôt M. Robert, votre député, partirait pour s’en retourner à Lyon. Je l’ai trouvé dans la rue Saint-Antoine [86] avec un sien cousin, ils venaient de chez un conseiller pour cette affaire. Je suis bien aise que cela soit terminé, de peur qu’il n’arrivât pis car l’injustice règne de tous côtés. Il est aussi vrai aujourd’hui que jamais ce qu’a dit autrefois ce bon compagnon de Pétrone : [87] Quid facient leges, ubi sola pecunia regnat ? [27] Quand on est venu pour enterrer dans Saint-Nicolas [88] M. Forcoal, des dames de qualité ont crié dans l’église contre le curé de ce qu’il enterrait en terre sainte un méchant homme, vilain banqueroutier, qui emportait plus de six millions à ses créanciers ; mais on n’a pas laissé de l’enterrer car la terre bénite de nos églises reçoit en son sein tout ce qu’on lui porte, pourvu qu’il y ait à gagner. Je viens d’une consultation avec M. Merlet, [89][90] qui m’a dit que Guénault avait encore été surpris à Anvers [91] d’une suppression d’urine [92] dont il avait pensé mourir et qu’il y avait été confessé. S’il y fût mort, il eût fallu dire de lui, Belle âme devant Dieu, s’il y croyait ! [28] Il court un billet par Paris, par lequel on donne avis que le receveur de la loterie est prêt de rendre de l’argent à tous ceux qui y en ont porté et avancé. On appelle cela la filouterie renversée par un arrêt de la Grand’Chambre. Ce matin a été donné arrêt de la Grand’Chambre contre le secrétaire d’un conseiller nommé Quelin, [29][93] pour une fausseté ; il y en a trois de compris, savoir le secrétaire, le procureur et le greffier qui sont tous trois en fuite. On ne doute pas que Quelin même n’en soit, M. Talon a vivement parlé contre lui, il est en grand danger et fort haï comme un juge très corrompu. Vale et me ama. Tuus aere et libra, [30] G.P. De Paris, ce vendredi 18e de janvier 1658. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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