L. 544.  >
À Hugues II de Salins,
le 29 octobre 1658

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 29 octobre 1658

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(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Pour votre dernière, que votre cher cousin M. de Condaut [2] a pris la peine de m’apporter, je vous dirai que le vin émétique [3] est encore plus décrié que jamais à Paris. M. de Grandmont, [1][4] conseiller de la Cour, en mourut il n’y a que 15 jours ; [5] et mardi dernier, M. le procureur général et surintendant des finances, [6] en perdit son fils aîné ; [7] c’est Guénault [8] qui lui en fit prendre deux fois ; il n’y a que deux ans qu’il en perdit encore un autre plus âgé. [2] Ce même Guénault en a fait prendre au président Le Coigneux, [9] qui est un président au mortier, qui se portait mieux avant que d’en prendre. Il est fort malade, en a un grand mal d’estomac et un méchant flux de ventre. [10] Metuendum est ne degenereat istud alvi profluvium in κακωσιν, ea quin gangrænosim aut ατονιαν hepatis[3]

Le sirop de noirprun, [11] de spina nigra, spina cervina, de rhamno solutivus[4] est un fort méchant sirop, fort âcre, fort amer et fort désagréable. Habet aliquid horribile : [5] il ne purge [12] que par sa grande acrimonie, non purgat elective[6] il purge en fondant, par colliquation, [7][13] et ne vide que des eaux en desséchant le foie et affaiblissant extrêmement la chaleur naturelle ; [14] d’où s’ensuit l’hydropisie, [15] que ce sirop ni aucun autre remède ne peut guérir. Talis enim hydrops fit per exsiccationem et tabem viscerum a depopulatione humidi primigenii, quod a Lud. Dureto dicitur nectar vivificum ; apud quem lege quæ scripsit vir nunquam satis laudatus, de hydrope[8][16][17][18] Si Bauderon [19] l’a loué, ne vous en étonnez point, tous les médicaments sont très loués dans les antidotaires ; [20] aussi est-ce l’endroit où sont pris les dupes et c’est ce qui a fait tant d’empiriques. [21] Je vous assure que les médecins ne s’en servent ici que fort peu, et les bons, point du tout. Je n’en ai jamais vu ordonner qu’une fois : ce fut feu M. Riolan [22] qui le proposa chez un hydropique, en présence de feu M. Moreau [23] qui n’en était guère d’avis ; le malade s’en trouva plus mal et s’en plaignit, et mourut huit jours après. Acria medicamenta sunt ignea et κακεργα, non supsectæ, sed certæ malignitatis plenissima[9] Bauderon même était un chétif praticien. Je ne doute point que les pharmaciens n’en disent du bien, ut vento novitatis, quæ miseris ac ignaris ægris est gratissima, possunt aliquem inescare ac decipere ut faciant rem, si non rem, quocumque modo rem[10][24] Quelques médecins l’appellent syrupus domesticus, vel de spina infectoria[11] Moquez-vous-en hardiment, ne vous en servez jamais et ne vous y fiez point, non plus qu’à ceux qui le louent tant.

Pour les topinambours, [25][26] c’est une plante qui vient de l’Amérique, [27] de laquelle il n’y a nul usage à Paris ni ailleurs, que j’aie ouï dire. [12] Autrefois les jardiniers en vendaient ici la racine, qui est bulbeuse et tuberculeuse, mais on n’en a pas tenu compte. Erant isti bulbi aquei saporis, vel potius insipidi[13] Il y fallait beaucoup de sel, de poivre et de beurre, [28] qui sont trois méchantes choses, irritamenta gulæ : [14] le sel dessèche, le poivre échauffe trop, le beurre ne fait que de la bile. [29] Omnia aromatica visceribus nostris sunt inimica : adeo verum illud amici nostri Casp. Hofmanni, Aromata nos perdunt[15][30][31] Feu M. Moreau appelait cette plante tubera Canadensia[16] Les capucins [32] et autres moines, qui avaient voyagé et qui autrefois les ont cultivés, les appelaient artichauts du Canada. Feu M. Piètre [33] s’en moquait et disait que cela ne valait rien. Caspar Bauhin, [34] in Pinace suo, l’appelle Chrysanthemum maius folio profundius laciniato, flore magno[17] Il est appelé Chrysanthemum luteum par l’auteur qui a décrit Hortum Eystettensem[18][35] Pour ce qu’on vous a dit qu’elle fait rendre l’eau des hydropiques, cela est faux car elle n’approche en rien de cette vertu. Multa fabulosa vulgo circumferruntur de admirandis herbarum virtutibus, a pharmacopæis, ut incautos decipiant[19][36]

Si sapis, ignotum noli præponere notis,
Cognita iudicio constant, incognita casu
[20]

Pour mon âge, je vous dirai que je suis né l’an 1601, un vendredi, dernier jour d’août, et fus baptisé le lendemain, 1er de septembre ; si bien que j’ai 57 ans et trois mois. [21] L’an prochain, je pourrai bien avoir mon portrait [37] en taille-douce car j’ai ici un de mes bons amis, riche et puissant, qui veut faire la dépense de me faire graver.

In morbis renum non est secanda saphena ; [22][38][39] pour les bras, il ne les faut point épargner, et ne faut qu’à peine venir au pied lorsque les grands vaisseaux sont fort désemplis.

Pour les poumons, il faut y saigner hardiment quand l’inflammation [40] y est, mais principalement du côté de ladite inflammation. En ce cas-là, Hippocrate [41][42] dit qu’il faut y saigner donec æger exsanguis factus sit ; [23] et faut saigner des deux côtés.

Si le médicament un peu trop fort a échauffé le malade, il est permis de le saigner ne intemperies adaugetur ; [24] mais du bras voire des deux, et jamais des pieds nam saphenæ sectio est remedium particulare quod maiora vasa non exhaurit[25]

Numquam licet febrem excitare, nec accendere, nec si licet [facere] facile istud esset. Nugantur qui confectionem anacardinam in id obtinendum commemorant[26][43]

In quibusdam morbis chronicis, præsertim in statu convalescentiæ, quibusdam medicis, ut pharmacopolis gratificarentur, placuit tres syrupos catharticos semel commiscere : v. gramma syr. de rosis solut. de floribus malis persicæ, et de cichorio compos. cum rheo ; ter illi syrupi simul commisti æquis partibus, reciduntur in phiala vitrea, et servantur ad usum. Et hoc est quod vocatur syrupus magistralis[27][44][45] On leur conseille d’en prendre deux grandes cuillerées à jeun, de quatre en quatre ou de six en six jours. Cette invention n’est pas un grand secret, est dumtaxat immutata denominatio medicamenti purgantis, ut ægri facilius decipiantur[28]

Ad firmam valetudinem tuendam cæna debet semper esse parcior, et prandium largius. Ut sis nocte lenis, sit cibi cæna brevis. Vide librum v Instit. Hofmanni, qui totus est diæteticus, et omnigenæ doctrinæ plenissimus[29]

Le nœud d’aiguillette [46] n’est qu’une badinerie, cela est faux. Super istis nugis insaniebat Fernelius, more Platonicorum : nil enim aliud est magia, quam humani ingenii ludibrium, ut dixit Quintus Curtius, et artium nugacissima, mendacissima, fraudulentissima, ut ait Plinius, in Hist. naturali[30][47][48][49][50][51] M. de Montaigne [52] s’est fort bien moqué de ces noueurs d’aiguillettes ; [31] c’est un fort bon livre qu’il faut lire tout entier. Ne lisez point Delrio, [53] delirat iste sociennus[32] et tout ce livre de disquisitions magiques n’est tissu que de contes de vieilles qu’il a ramassés de toutes parts, ad componendum suum centonem Loyoliticum[33]

M. Lyonnet, [54] médecin du Puy-en-Velay, [55] est fort habile homme. Il a été ici il n’y a que deux ans, il m’est venu voir deux fois, je l’ai trouvé fort savant en humanités et en philosophie, il est aussi bon praticien. De libro de peste, nihil habeo quod dicam, nec enim eum legi[34] Nos pestes [56] sont synochi putres malignæ [35] qu’il faut traiter comme une fièvre continue [57] qui va un peu vite, ad cuius naturam intelligendam lege Hipp. lib. 3 Epid. cum commentariis Galeni et Phrygii[36][58] Ce dernier a utilement commenté les Épidémies d’Hippocrate, [59] c’est un in‑4o qui se vend à Lyon chez M. Huguetan. Le livre de M. Lyonnet de morbis hereditariis est fort bon. [37] Je ne vous puis dire quand sera imprimé le commentaire sur les Aphorismes [60] de M. Ferrant [61] car son libraire Pocquet [62] est mort d’un ulcère de poumon. [63] Je pense qu’il espère de le faire imprimer à Bourges. [38][64]

Nous avons ici un nouveau doyen nommé M. Blondel, [65] qui hait l’antimoine [66] et le diable également, et qui est un des premiers des plus savants de notre Faculté. Toute la troupe stibiale eût bien voulu l’empêcher, mais ils n’ont pu ; ils ne savent plus à quel saint se vouer. [39]

Notre nombre est diminué de deux depuis deux mois, dont l’un est M. Bouvard [67] et l’autre M. Régnier. [68] M. Bouvard avait 83 ans. On dit aussi que M. Mandat [69] est mort, mais il n’est point à Paris, il est en une sienne maison des champs in agro Turonensi[40]

On dit ici que le roi [70] est à Lyon plutôt pour ses affaires d’Italie que pour autre chose. On tient ici le roi de Suède [71] fort mal en ses affaires : il avait assiégé Copenhague, [72] la capitale du Danemark ; l’électeur de Brandebourg [73] est venu par terre pour ce roi assiégé, et les Hollandais par mer, qui ont rudement repoussé et maltraité le roi de Suède, et cuius salute etiam dubitatur [41] car on n’en sait pas encore le dernier fin.

On commence à Lyon l’impression du Cardan [74] en huit tomes in‑fo. On s’en va y faire aussi le Baronius [75] en douze volumes et le Ciaconius de Vitis pontif. Romanorum elogiis omnium cardinalium[42][76] augmenté jusqu’à présent, en quatre tomes.

Les jésuites [77] sont ici fort embarrassés pour leur Apologie des casuistes qui a été censurée en Sorbonne, [78] et depuis l’a encore été par grand nombre d’évêques. On fera un recueil de toutes ces censures, à laquelle on mettra celles de Sorbonne et de Messieurs les grands vicaires, et autres qui viendront, avec de fortes et amples réflexions faites par les curés de Paris. [43] Les 18 Lettres provinciales [79][80] contre ces mêmes bons pères, qui avaient ici été imprimées en français in‑4o, l’ont été en Hollande in‑12, et traduites en latin in‑8o avec de belles notes ; on dit que la traduction en est admirable, elles sont encore rares ici. [44] Messieurs les jansénistes du Port-Royal [81] ont fait une insigne perte par la mort de M. Le Maistre, [82] âgé de 53 ans. C’est ce grand avocat qui s’était retiré chez eux pour y faire pénitence et qui est auteur de ces beaux Plaidoyers qui se débitent tant ici, in‑fo et in‑4o[45] Je vous baise les mains, à madame votre femme, à monsieur votre père, à monsieur votre frère et à tous nos bons amis de delà, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Guy Patin.

De Paris, ce 29e d’octobre 1658.

On ne sait pas encore ici l’arrivée du roi à Lyon et nous n’avons rien de certain des affaires du roi de Suède, hormis que les Hollandais lui en ont fait lever le siège de Copenhague et qu’il y a eu trois vaisseaux de perdus en ce rencontre : voilà ce qu’en disent les dernières nouvelles de Hollande. On dit que le roi n’aura guère d’argent de la Bourgogne et que les députés des états [83] ont fort bien parlé au cardinal Mazarin. [84] On croit que le mariage du roi ne se fera pas avec la sœur du duc de Savoie [85][86] et que tout ce voyage n’est que pour avoir de l’argent. On croit que le roi ira jusqu’à Marseille à cause de la désobéissance des Provençaux. [87] Pour [46] des thèses [88] de l’an dernier, au moins en voilà 40 que je vous envoie.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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