Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 5 manuscrit, note 18.
Note [18]

« “ Egnatius, tout ce que tu as de bien est ta barbe épaisse et cette denture, que tu frottes d’urine ibérique : quand bien même tu serais Romain, ou Sabin, ou Tiburtin, ou Transpadan, ou enfin d’un pays, quel qu’il soit, où on se lave les dents proprement, je ne te permettrai toujours pas de rire à tout propos, car rien n’est plus sot qu’un sot rire, etc. ” Page 28, in‑8o. {a} Voyez Caspar Scioppius dans les Elementa philosophiæ stoicæ moralis, page 155. » {b}


  1. Le Catulle (v. note [8], lettre 52) in‑8o est l’édition donnée par Joseph Scaliger (Anvers, 1582, v. note [2], lettre latine 426). Cette citation mélange les vers de deux poèmes qui s’y trouvent aux pages 20‑21. Je les donne ici dans la transcription latine établie par Scaliger et en mettant en exergue les emprunts du Borboniana.

    1. Deux des quatre derniers vers du poème xxvii, parlant des habitués d’un bordel :

      Tu præter omnis une de capillatis
      Cuniculosæ Celtiberiæ fili

      Egnati, opaca quem facit bonum barba,
      Et dens Hibera defricatus urina.

      [Toi, Egnatius, fils de la Celtibérie, {i} où pullulent les lapins, seul entre tous les hirsutes, tout ce que tu as de bien est ta barbe épaisse et cette denture, que tu frottes d’urine ibérique].

    2. Six vers épars du poème xxix, Contre Egnatius, (où j’ai remplacé dentis [« dent » au cas génitif singulier] par dentes [« dents » à l’accusatif pluriel]) :

      Egnatius, quod candidos habet dentes,
      Renidet usquequaque : eu ad rei venium est
      Subsellium, quum orator excitat fletum,
      Renidet ille : seu pii ad rogum filii
      Lugetur, orba quum flet unicum mater,
      Renidet ille : quicquid est, ubicumque est,
      Quodcumque agit, renidet. Hunc habet morbum
      Neque elegantem, ut arbitror, neque urbanum.
      Quare monendus es mihi. Bone Egnati,
      Si urbanus esses, aut Sabinus, aut Tiburs,
      Aut porcus Vmber, aut obesus Hetruscus,
      Aut Lanuvinus ater, atque dentatus,
      Aut Transpadanus, ut meos quoque attingam,
      Aut quilibet, qui puriter lavit dentis :
      Tamen renidere usquequaque te nollem.
      Nam risu inepto res ineptior nulla est.
      Nunc Celtiber in Celtiberia terra
      Quod quisque minxit, hoc solet sibi mane
      Dentem, atque russam defricare gingivam,
      Ut quo iste vester expolitior dens est,
      Hoc te amplius bibisse prædicet lotii
      .

      [Egnatius, parce qu’il a les dents blanches, rit en toute occasion. Vient-on au banc d’un accusé, au moment où l’avocat fait verser des larmes, Egnatius rit ! Gémit-on près du bûcher d’un bon fils, d’un fils unique que pleure une mère désolée, il rit encore ! En toute occasion, en quelque lieu qu’il soit, quoi qu’il fasse, il rit ! C’est là sa manie, mais elle n’est, à mon sens, ni de bon goût ni polie. Je dois donc t’avertir, mon bon Egnatius, que quand bien même tu serais Romain, ou Sabin, ou Tiburtin, ou un porc d’Ombrie, ou un Étrusque obèse, ou un brun Lavinien aux dents bien plantées, ou, pour dire aussi un mot de nos compatriotes, Transpadan, {ii} ou enfin d’un pays, quel qu’il soit, où on se lave les dents proprement, je ne te permettrais toujours pas de rire à tout propos, car rien n’est plus sot qu’un sot rire. Mais tu es Celtibérien et, en Celtibérie, {i} chacun a coutume, le matin, de se frotter les dents et les rouges gencives avec ce qu’il a pissé ; si bien que plus tes dents ont d’éclat, plus elles proclament que tu as bu d’urine].

      1. La péninsule ibérique, alors peuplée par des Celtes.

      2. Tous ces habitants sont dans l’ordre : ceux de Rome (Urbs) ; de la région de Rome (Sabins) ; de Tibur (Tivoli, faubourg de Rome, v. note [17], lettre 75) ; d’Ombrie (région de Pérouse, au nord de Rome) ; d’Étrurie (actuelle Toscane) ; de Lavinium (Pomezia, au sud de Rome) ; du Transpadum (pays situé au nord du Pô), car Catulle était originaire de Vérone ou de Sirmione, sur le lac de Garde.

  2. Casp. Scioppii Elementa philosophiæ stoicæ moralis. Quæ in Senecam, Ciceronem, aliosque Scriptores, Commentarii loco esse possint,

    [Éléments de philosophie stoïque morale de Caspar Scioppius. {i} Ils pourraient tenir lieu de commentaire sur Sénèque, Cicéron et autres écrivains] ; {ii}

    Conclusio, page 155 ro et vo) :

    Scit nimirum Sapientiam non renunciare munditiæ, et si cuiquam, Philosopho certe convenire nihil in se sordidum sinere ; nihil uspiam corporis apertum, immundum pati ac fætulentum, præsertim os, cuius in propatulo et conspicuo usus homini creberrimus, sive ille cum quiquam sermocinetur, sive in auditorio disertet, sive in templo preces alleget. Omnem quippe hominis actum sermo præit, qui, ut ait poeta præcipuus, e dentium muro proficiscitur : ita ut nonnullos de mundulis istis Palatinis illuviei suæ merito pudere debeat, qui si scirent, quantam alieno naso molestiam exhibeant, ieiunam et hircosam ac contaminatam suam animam, vel Mephitin verius exhalando, vomitumque iis, quibus cum consistunt aut fabulantur, excutiendo, næ illi faxo in Stoici alicuius disciplinam traditi, exotico etiam pulvere dentes emundare, animæque vitium emendare discerent, nisi quidem malint Iberorum ritu, sua sibi urina,

    Dentem atque russam pumicare gingivam.

    Neque vero ad hæc modo levicula et minima nihil ab Aulicorum moribus demutabit Sapiens, etiam libris nonnunquam de manu depositis (quamvis se beatos multi reputent, si possint iis perpetuo affixi.

    [Fuge magna, licet] sub paupere tecto
    Regei et regum vita præcurrere amicos.)

    [Le philosophe sait assurément que la sagesse ne fait pas renoncer à la propreté ; et contrairement à certains, il lui sied bien sûr de ne rien tolérer de crasseux sur sa personne : ne rien souffrir, n’importe où sur son corps, qui soit ostentatoire, immonde et puant ; « en particulier la bouche que l’homme emploie à tout instant, en public et au grand jour, soit pour discourir devant un auditoire, soit pour prier au temple, car tout acte de l’homme est précédé de la parole, qui, comme dit le plus grand des poètes, sort de derrière le rempart des dents. » {iii} Aussi doit-il, pour leur saleté, couvrir de honte certains de ces élégants courtisans. S’ils savaient comme ils incommodent le nez des autres, comme leur haleine vile, impure et sentant le bouc ou, pour le dire plus véritablement, leur exhalaison méphitique, {iv} donne envie de vomir à ceux qui sont assis près d’eux ou causent avec eux, je leur apprendrais, sans parler de les initier à la discipline de quelque stoïque, à corriger le vice de leur souffle, et même à se nettoyer les dents avec une poudre exotique ; {v} à moins qu’ils ne préfèrent la coutume des Espagnols et, < ut ait Catullus, > sua sibi urina,

    Dentem atque russam pumicare gingivam. {vi}

    Dans la mesure où cela est futile et sans importance, le sage ne changera rien aux mœurs des courtisans, car les livres leur tombent fort souvent des mains (beaucoup s’estimeraient pourtant heureux d’avoir en permanence ces vers sous les yeux :

    < Fuge magna, licet > sub paupere tecto
    Regei et regum vita præcurrere amicos
    )]. {vii}

    1. V. note [14], lettre 79.

    2. Mayence, Ioannes Albinus, 1606, in‑8o de 336 pages ; le titre est suivi de deux citations :

      • S. Hieron. in x. Isaiæ.
        Stoici nostro dogmati in plerisque concordant.

        [Saint Jérôme sur le 10e livre d’Isaïe.
        Sur bien des points, les stoïques s’accordent avec notre dogme].
      • M.T. Cicero iv. Tuscul.
        Licet insectemur Stoicos, metuo ne soli Philosophi sint.

        [Cicéron, livre v (sic pour iv) des Tusculanes.
        Bien que nous pourchassions les stoïques, j’ai bien peur qu’ils ne soient les seuls philosophes].

    3. Sans le mettre en exergue typographique, Scioppius a pris mot pour mot (quoique non intégralement) tout ce passage latin, ici traduit entre guillemets, au chapitre 7 de l’Apologie d’Apulée (v. note [33], lettre 99).

      Le « plus grand des poètes » est Homère : ερκος οδοντων [erkos odontôn, le rempart des dents] se lit dans L’Odyssée (chant v, vers 22).

    4. Méfitis (ou Méphitis) était la déesse romaine des exhalaisons pestilentielles.

    5. Métonymie désignant les dentifrices en lien avec leur composition, qui utilisait volontiers des substances venues de contrées lointaines (Furetière) :

      « remèdes avec lesquels on se frotte les dents. Il y en a de secs, dont quelques-uns sont en façon d’opiate [v. note [6], lettre 81] ou de poudres sèches grossement pulvérisées, comme coraux, pierre ponce, du sel, de l’alun, coquilles d’œufs, d’escargots et d’écrevisses, corne de cerf, os de seiche, ou de racines cuites avec alun, et séchées au four. D’autres sont humides, tirés par distillation d’herbes desséchantes et de médicaments astringents. On fait des opiates de ces poudres, en y ajoutant du miel. Les Hollandais disent que le meilleur opiate ou dentifrice, qui conserve les dents belles, est de les frotter avec du beurre. Les Espagnols les frottent avec de l’urine. »

      Notre édition cite six substances végétales exotiques (et jadis onéreuses) propres à satisfaire l’antique désir de s’améliorer l’haleine : la myrrhe (v. note [3], lettre 436), le cachou (v. note [6], lettre latine 341), le galanga (v. note [65], lettre latine 351), le lentisque (v. note [73], lettre latine 351), le bétel (v. notule {b}, note [30] de la Leçon sur le laudanum et l’opium), le citron (v. notes [27] et [28] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii).

    6. « [comme dit Catulle], de se frotter les dents et les rouges gencives avec leur propre urine » : nouvel emprunt (mais cette fois non dissimulé) à l’Apologie d’Apulée (chapitre 6) ; la référence à Catulle (omise par Scioppius, et que j’ai ajoutée entre chevrons) porte sur l’antépénultième vers du poème cité dans la notule {a‑2} supra).

    7. « [Fuis les grandeurs : il t’est permis,] sous un humble toit, de vivre plus heureux que les rois et que les favoris des rois » (Horace, Épîtres, livre i, 10, vers 32‑33).

      Ce texte illustre à la fois le latin difficilement intelligible de Scioppius et sa haineuse misanthropie (qui lui a valu quantité d’ennemis), ainsi que l’exécrable façon qu’avaient certains écrivains de faire des centons (ou rhapsodies), c’est-à-dire de coudre ensemble des fragments tirés d’autres auteurs, sans citer leurs sources, et même sans toujours indiquer qu’il s’agissait d’emprunts (v. supra notule {iii}).


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 5 manuscrit, note 18.

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(Consulté le 26/04/2024)

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