L. 218.  >
À André Falconet,
le 28 février 1650

Monsieur, [a][1]

Je crois que vous aurez reçu celle que je vous écrivais il y a environ un mois par M. Spon, [2] notre bon ami. Maintenant je lui écris par vous et vous prie de lui faire rendre l’incluse. [1] Si l’affaire de vôtre hôpital dort, [2] je n’en suis point marri : c’est autant de repos que vous aurez dans l’esprit, qui est le fondement d’une vie agréable telle que je vous souhaite. Pour M. Meyssonnier, [3] puisse-t-il bien réussir son livre de privilegiis medicorum[3] J’ai céans un petit paquet commencé que je n’enverrai à Lyon qu’environ Pâques et que j’adresserai à M. Spon ; il y aura quelque chose pour vous. Si le livre du P. Caussin [4] est achevé alors, je vous l’enverrai aussi, mais de bon cœur, comme je vous le dois il y a longtemps. [4] Ce père est fort vieux et ne veut point être pressé d’épreuves, et d’ailleurs nos libraires sont si morfondus qu’ils n’ont pas le moyen d’aller vite.

Les trois princes [5][6][7] sont étroitement gardés dans le Bois de Vincennes. [8] Le prince de Condé avait été averti qu’il serait arrêté s’il n’y donnait ordre ; ce malheureux prince, au lieu de l’empêcher, s’amusa à aller au Palais chicaner MM. de Beaufort [9] et le coadjuteur, [10] et fut pris le soir comme la souris. [5] Il dit tous les jours qu’il sortira au mois d’avril, mais j’en doute fort. On n’a rien fait qui vaille sur cette prison et de peur qu’il ne s’en fît beaucoup de mauvais, un arrêt de la Cour est intervenu qui l’a défendu. S’il < s’ >en fait quelque chose de bon, je ne vous oublierai pas. [6] Le nombre des malades est ici fort diminué depuis Noël, mais j’ai eu beaucoup d’emploi depuis ce temps-là pour des consultations [11][12] étrangères qui m’ont été envoyées de diverses provinces. Depuis quinze jours, il fait ici fort beau et peut-être trop pour les biens de la terre qui poussent trop vite.

Le roi [13] et la reine [14] sont revenus de Normandie où ils ont établi par commission M. le comte d’Harcourt [15] pour gouverneur[7] M. de Vendôme [16] est aussi en Bourgogne. [8] Maintenant on parle d’un voyage de Champagne pour s’aller opposer au maréchal de Turenne [17] à qui Lamboy [18] a amené 4 000 hommes ; outre qu’on dit qu’il a Brisach [19] en sa puissance, qu’il veut épouser la fille du défunt Erlach [20] et que Mme la landgrave de Hesse [21] lui envoie aussi des troupes ; [9] tout cela fait contre le cardinal Mazarin [22] qui est menacé du dehors et du dedans, outre qu’il y a ici des honnêtes gens, qu’on appelle des frondeurs, qui sont conduits par MM. de Beaufort, le coadjuteur, Mme de Chevreuse [23] et autres, qui poussent contre lui tant qu’ils peuvent chez M. le duc d’Orléans [24] qui est aujourd’hui le seul arbitre de cette importante querelle. On m’a dit de bonne part que le Mazarin songe tout de bon à se retirer. Quoi qu’il en soit, il se défie de sa fortune et je m’estime mille fois plus heureux que lui, étant enfermé en bonne compagnie avec mes maîtres muets, [10] tandis que j’entends les danses et les violons chez nos voisins qui se réjouissent du carnaval et qui ne croiraient pas que le carême [25][26] fût venu s’ils n’avaient fait les fous tous ces jours gras.

J’avais eu dessein de vous envoyer, et à notre bon ami M. Spon, les Mémoires de M. de Sully [27] qu’on a imprimés en deux volumes in‑fo, mais j’en ai sursis l’exécution sur ce que j’ai appris que cette dernière édition avait été fort châtrée [28] par ordre de M. le Prince qui en a donné 200 écus afin qu’on en ôtât ce qui y était contre la naissance de feu Monsieur son père ; [11][29] ce que je vous dis, non pas pour vous en faire fête, mais afin de vous faire connaître que je pense quelquefois à vous et de diminuer aussi tant d’obligation que je vous ai. Il y a un in‑fo nouveau, intitulé Histoire du ministère du cardinal de Richelieu, qui contient environ dix années à commencer en 1624, mais ce ne sont que de malheureux mémoires, mal digérés et à mauvaises intentions. [12] Ils ne contiennent autre chose que l’apologie des voleries du cardinal de Richelieu. [30] Quand il viendra quelque chose de bon de cette sorte ou d’autre, je vous le ferai savoir ; et en attendant cette occasion, je vous prie de m’aimer toujours et de croire que je serai toute ma vie votre, etc.


a.

Bulderen, no xxxiv (tome i, pages 103‑106) ; Reveillé-Parise, no cclxxvi (tome ii, pages 544‑546).

1.

V. lettre suivante, datée du 1er mars 1650.

2.

Guy Patin avait longuement évoqué cette affaire de préséance des médecins sur les administrateurs des hôpitaux dans sa lettre à André Falconet, datée du 5 novembre 1649.

3.

« sur les privilèges des médecins », ouvrage dont on ne trouve pas trace imprimée.

4.

Domus Dei… et Regnum Dei… du P. Nicolas Caussin, v. note [50], lettre 176.

5.

Condé avait accompagné le duc d’Orléans au Palais le matin du 17 janvier pour la poursuite du procès qu’il avait engagé contre le duc de Beaufort et le coadjuteur. Monsieur se sentant indisposé avait quitté le Parlement avant l’ouverture de la séance et M. le Prince n’était pas non plus resté. Il ne se rendit pas au Palais le lendemain, mais alla impromptu voir Mazarin.

Mme de Motteville (Mémoires, page 325‑326) :

« Le matin de ce jour, le prince de Condé alla voir le cardinal, qu’il trouva occupé à parler à Priolo, {a} domestique du duc de Longueville, à qui le cardinal dit mille douceurs pour son maître, le priant de se trouver après midi au Conseil. M. le Prince entrant dans la chambre du minsitre, lui dit de continuer son discours ; puis, s’approchant du feu, il trouva de Lionne, secrétaire du cardinal, qui écrivait sur une petite table certains ordres nécessaires pour l’exécution de l’affaire du jour. Lionne les cacha soigneusement sous le tapis, faisant ensuite la meilleure mine qui lui fut possible. Cette visite finie, le prince de Condé alla dîner {b} chez Madame sa mère : elle avait eu quelque avis ou quelque pressentiment de sa disgrâce ; si bien qu’après le dîner, ayant tiré à part Messieurs ses enfants, {c} elle dit au prince de Condé de prendre garde à lui et qu’assurément la cour ne lui était point favorable. M. le Prince lui répondit que la reine l’avait encore assuré depuis peu de son amitié, que le cardinal vivait fort bien avec lui, mais que sans doute, le mal venait de La Rivière qui le trahissait et faisait pencher son maître {d} du côté des frondeurs. Puis il dit au prince de Conti, son frère, qu’il voulait ce jour même en sa présence le gourmander {e} comme il le méritait. Le prince de Marcillac, {f} par un esprit de pénétration et d’habileté, avait souvent jugé que les affaires allaient mal pour leur parti et dans cette pensée, il leur recommandait toujours de ne se trouver jamais tous trois au Conseil ; mais l’ordre de Dieu était qu’ils ne profiteraient point de ses avis. Le prince de Condé fut le premier qui alla chez la reine et les deux autres le suivirent bientôt après. »


  1. Benjamin Priolo, v. note [9], lettre 637.

  2. Déjeuner.

  3. Condé (M. le Prince), Conti et leur beau-frère, M. de Longueville.

  4. Gaston d’Orléans.

  5. Réprimander La Rivière.

  6. La Rochefoucauld, v. note [7], lettre 219.

Dans la journée, les gendarmes et chevau-légers du roi étaient allés se poster au Marché aux Chevaux (v. note [2], lettre 920), sous le commandement de Condé lui-même à qui Mazarin avait dit que c’était pour contrer le duc de Beaufort qui avait dessein de faire évader Parrain des Coutures, capitaine de la garde bourgeoise, compromis dans le complot des frondeurs contre Condé, emprisonné à la Tournelle. Ces troupes furent celles qui escortèrent les trois princes à Vincennes après leur arrestation, le même jour à six heures moins le quart (v. note [2], lettre 215).

6.

Il avait paru une Lettre du roi sur la détention des princes de Condé et de Conti, et duc de Longueville. Envoyée au Parlement le 20 janvier 1650 (Paris, Imprimeurs et libraires ordinaires de Sa Majesté, 1650, in‑4o),

Dans son Journal des guerres civiles (tome i, page 207219), Dubuisson-Aubenay a dit de cette Lettre qu’on la croyait :

« avoir été travaillée par M. de Lionne depuis un mois entier et non encore mise au net, quoique depuis six heures du matin {a} ledit sieur du Plessis ait travaillé avec ses commis chez M. le cardinal ; ainsi que les trois autres secrétaires d’État y ont aussi travaillé, pour faire dépêches en leurs provinces, comme elle n’était achevée de transcrire à cause de sa prolixité qui est de neuf feuillets de papier bien pressés et raturés, ledit sieur de Lionne, par ordre exprès de la reine, l’a lue, comme en ayant l’intelligence mieux que ledit sieur du Plessis à qui il touchait {b} d’en faire la lecture. Elle a été ensuite envoyée chez le Gazetier pour être imprimée tout le reste du jour et de la nuit suivante, afin de l’avoir pour le jeudi matin, {c} à dix heures, à lire en Parlement. […]

On travaille {d} à une apologie pour lesdits princes prisonniers. Elle a depuis été secrètement imprimée et distribuée, jusqu’au nombre de 500 copies, portées aux portes des maisons par des gens inconnus sous le titre de Réponse à la lettre écrite au Parlement, sous le nom du roi, sur la détention de M. le Prince. »


  1. Le 19 janvier.

  2. Appartenait.

  3. Le 20 janvier.

  4. Le samedi 5  février.

7.

Journal de la Fronde (volume i, fos 171 ro et 173 ro) :

« Le comte d’Harcourt était attendu avant-hier {a} à Rouen pour prêter le serment pour le gouvernement de Normandie qu’on lui a donné par commission. Leurs Majestés en doivent partir demain {b} pour revenir à Paris, et cependant [pendant ce temps] on a fait partir 24 compagnies des gardes pour les faire avancer en Bourgogne. […]

Le 16 du courant, {c} le comte d’Harcourt étant arrivé à Rouen, la reine envoya au parlement, qui était assemblé, les lettres patentes qu’elle avait données à ce comte pour le gouvernement de Normandie, mais elles furent refusées tout d’une voix sur ce qu’elles portaient en termes exprès que c’était en considération des services qu’il avait rendus à l’État, et notamment l’année passée pendant les troubles qui étaient excités dans cette province-là, ces Messieurs ayant cru que cette dénomination les rendait criminels pour les désordres passés. Mais le lendemain, les lettres patentes ayant été changées et ces termes ayant été retranchés, le parlement les vérifia conformément aux volontés de Leurs Majestés, quoique l’on remarquât qu’il y eût assez de contestation lorsqu’on opina là-dessus, s’étant trouvé 25 voix qui allaient à ne recevoir ce comte que comme lieutenant de ce gouvernement sous le petit comte de Dunois, {d} lequel en ayant la survivance, l’on considérait qu’il en devait être le maître et qu’on ne le lui pouvait ôter sans lui faire le procès. »


  1. Le 16 février.

  2. Le 19 février.

  3. Mars.

  4. Jean-Louis-Charles, âgé de 4 ans, fils aîné du duc de Longueville.

8.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 221, mardi 8 février 1650) :

« Ce jour, au matin, le duc de Vendôme part en relais pour aller en Bourgogne, d’où les lettres portent que les amis et serviteurs du prince de Condé s’amassent ; que le maréchal de Turenne a écrit au comte de Tavannes et aussi au parlement de Dijon, les exhortant et animant à prendre les armes pour la liberté des princes emprisonnés, et protestant, pour lui, qu’il ne les poserait jamais. Son messager a été emprisonné et les lettres envoyées au roi. »

Journal de la Fronde (volume i, fo 175 ro, 25 février 1650) :

« Hier on eut nouvelle de Bourgogne que le duc de Vendôme était arrivé à Dijon et qu’il y avait été fort bien reçu ; qu’ensuite ayant fait mine de vouloir assiéger le château de cette ville-là, il en avait aussitôt reçu les clefs de la main du sieur Comeau qui y commandait, Bussière n’y étant plus, et qu’il avait reçu pour cet effet dix mille livres ; que ce duc attendait des nouvelles du sieur de Saint-Micaut, qui commande dans Bellegarde, {a} auquel il avait envoyé faire des propositions qu’il avait écoutées, de sorte qu’on espérait qu’il rendrait cette place sans se laisser assiéger. Cependant il exige des contributions dans tous les villages de six lieues à la ronde par le moyen de quatre à cinq cents chevaux qu’il a, lesquels font des courses jusqu’à une lieue de Dijon. M. de Vendôme se dispose pour aller à Auxonne et à Saint-Jean-de-Losne, qui semblent n’être pas entièrement dans l’obéissance du roi. Les comtes de Tavannes, Coligny, Chastelus et Lanques étaient retournés dans la Bourgogne, n’ayant pu passer pour joindre M. de Turenne. Ils ont environ mille chevaux qui font des désordres horribles partout où ils passent. »


  1. Seurre, v. note [7], lettre 221.

Le roi et la reine étaient revenus de Normandie à Paris le 22 février ; ils en partirent le 5 mars pour la Bourgogne.

9.

Amalie Elisabeth von Hanau-Münzenberg (1602-1651), petite-fille de Guillaume le Taciturne (v. notule {d}, note [2], lettre latine 452), était la veuve du landgrave (prince souverain) de Hesse-Cassel, Wilhelm (Guillaume) v (1602-1637), qu’elle avait épousé en 1619. Elle assurait la régence du landgraviat en attendant que leur fils aîné (1629-1663) fût en âge de gouverner sous le nom de Wilhelm vi. Elle reconquit une bonne partie des territoires perdus par son beau-père et son mari.

10.

Mes livres.

11.

V. notes [4], lettre 208, pour les Mémoires de Sully, et [5], lettre 31, pour la prétendue bâtardise de Henri ii de Bourbon, troisième prince de Condé, le père de Louis ii, le Grand Condé.

12.

V. note [24], lettre 220.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 28 février 1650

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(Consulté le 19/04/2024)

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