L. 356.  >
À Charles Spon,
le 16 juin 1654

Monsieur, [a][1]

Il y a ici grosse guerre entre les jésuites [2] et le curé de Saint-Paul, [3][4] contre lequel ils ont fait un libelle diffamatoire qui court ici en cachette et que je n’ai encore pu voir, où ce pauvre curé est rudement accommodé. J’apprends que sa vie y est bien épluchée, et lui fort maltraité : il fait le petit prélat, il a carrosse, maison aux champs où il traite les dames à quatre services ; il a un alcôve, [1] tapisserie de haute lice ; il reçoit des dames dans sa chambre à onze heures du soir lorsqu’il est couché. [2] Vos ministres n’en sauraient tant faire car le plus riche d’entre eux n’a pas 15 000 livres de rente comme ce curé ; aussi n’avez-vous point de purgatoire [5] qui brûle toujours. Et voilà le malheur de vos ministres qui ont abandonné le nombre d’or pour la lettre dominicale. [3][6][7]

Le livre de M. Merlet [8] contre le Gazetier [9] s’achève, on commence celui de M. Perreau. [4][10][11] L’antimoine est de deçà tellement morfondu et décrié que l’on n’en parle plus qu’avec exécration, et nos antimoniaux sont fort étourdis du bateau et voudraient bien que ce fût à recommencer. M. Riolan [12] n’a fait que traîner depuis trois mois, il est maintenant au lit d’une méchante ophtalmie [13] qui l’empêche de lire et d’écrire. Il a néanmoins grande espérance de guérir et dit qu’il aurait grand regret de mourir qu’il n’ait auparavant répondu à l’apologie de Montpellier, [14] où il traitera le doyen en chien courtaud. [5][15] Cet homme a réveillé une querelle qu’il devait laisser assoupir et par sa médisance, il a irrité des gens qui ne lui pardonneront pas. Il fallait se taire ou mieux faire. Au lieu de raisons, il n’a dit que des injures fort impertinentes. Je pense pourtant qu’il n’y a pas travaillé tout seul et qu’il a été aidé par quelques-uns de deçà de la secte meurtrière, j’entends de l’antimoniale, enragés de ce que leur brigue est décousue et qu’ils n’osent plus étaler ce diable de poison pour les meurtres qu’ils ont commis. Mais de grâce, quand vous écrirez à ce M. Courtaud, demandez-lui, je vous prie, pourquoi il m’en veut tant, pourquoi il en a tant dit contre moi, pourquoi même quelquefois il s’est retenu et n’en a pas dit davantage puisqu’il était si en train et que les injures coûtent si peu à telles gens que lui ; j’entends à des ignorants qui, faute de raison, ne peuvent rien dire de bon. Pour moi, je ne me sens nullement touché de ses injures parce que je n’y reconnais rien qui m’appartienne. Vous savez bien ce beau passage de Tacite [16] que Courtaud n’a jamais lu : Convicia si irascare, agnita, spreta exolescunt[6] Pour les autres professeurs de Montpellier, je ne les soupçonne point d’y avoir contribué : Rivière [17] aime mieux aller piper quelque pistole en Dauphiné ou en Provence ; et même ce n’est point son fait d’écrire de cette manière, non plus que Soliniac. [18]

J’ai ce matin entretenu un homme de cour qui sait bien des choses. Il m’a dit qu’à la vérité, Mazarin [19] a eu des douleurs néphrétiques [20] avec vomissements et nausées, et qu’à la fin il a vidé une pierre, si ce n’est la pierre philosophale [21] par le moyen de laquelle il amasse merveilleusement de grands trésors. On dit qu’il ne se soucie plus guère de marier ses deux nièces [22] à MM. de Candale [23] et au grand maître de l’Artillerie, [24][25] vu que pour de l’argent dont il a grande provision, il espère d’en donner une au duc de Savoie [26][27] et l’autre à quelque prince d’Italie. [7] Voilà comment la Fortune [28] triomphe quand elle est accompagnée de plusieurs sacs de pistoles. Bon temps pour lui, pourvu qu’il dure. Vale.

De Paris, ce 16e de juin 1654.


a.

Cette lettre imprimée (dont le manuscrit n’a pas été conservé) est destinée à Charles Spon par Du Four (édition princeps, 1683, no l, pages 169‑172) et Bulderen, (no lxxxvii, i, pages 237‑240), mais à André Falconet par Reveillé‑Parise (no ccccxxiv, iii, pages 34‑36). Même si elle ne se trouve pas dans l’édition de L. Jestaz, il convient de la destiner à Spon parce que Guy Patin la mentionne au début de sa lettre suivante à Spon, en précisant qu’il a chargé Falconet de la remettre à son autre ami lyonnais.

1.

« Service, se dit aussi des plats qu’on sert sur la table tout à la fois pour la couvrir. On a traité cet ambassadeur à quatre ou cinq services, chaque service était de tant de plats et d’assiettes, sans les hors-d’œuvre » (Furetière).

Alcôve : « les architectes le font masculin, mais dans l’usage ordinaire il est féminin. C’est la partie d’une chambre qui est séparée par une estrade et quelques colonnes ou ornements d’architecture, où on place d’ordinaire le lit ou des sièges pour recevoir une compagnie » (ibid.).

2.

La Lettre d’un paroissien de Saint-Paul à Monsieur le curé (sans lieu, ni nom, 1654, in‑4o), contre l’abbé Nicolas Mazure (v. note [1], lettre 348), est signée Jean de l’Espine, « votre très humble serviteur et affectionné paroissien », et datée « De la Place Royale, ce 5e juillet 1654 ». Un prétendu paroissien sermonne son curé pour les méchancetés qu’il a débitées dans une lettre contre de bons pères jésuites qu’il a chassés de sa chaire et de l’enseignement du catéchisme aux enfants, les PP. de Lingendes et Lambert (page 3) :

« Quoi qu’il en soit de l’auteur de la lettre, on dit partout, pour la bien louer, qu’elle ne vaut rien et qu’elle vous fait plus de tort qu’elle ne sert à vous justifier ; car outre que tous ceux qui la lisent, voyant tout le contraire de ce qui s’est passé et dont eux-mêmes ont été les témoins oculaires, ils disent que l’auteur de ce passe-volant ne peut être qu’un menteur ou un imposteur gagé du Port-Royal. Elle offense encore et outrage Messieurs nos marguilliers, {a} quantité d’honnêtes personnes de la paroisse que l’on fait passer pour partisans, et surtout les dames de haute condition et de mérite que l’on compare à des chevaux qui jettent la bave et l’écume par la bouche. »


  1. V. note [59], lettre 229.

Pour ce qu’en disait ici Guy Patin, on y lit en effet (pages 6‑7) quelques piques bien senties contre l’opulence du curé :

« Pour moi, je vous monterai quand il vous plaira qu’autrefois on ne prenait pas les dix et vingt louis d’or, {a} comme vous faites, quand on se mariait, mais qu’on se contentait d’un bel écu ; {b} et aujourd’hui vous renvoyez les dix pistoles {c} comme une trop petite récompense de la peine que vous prenez à assister à un mariage ; je ne m’étonne pas si votre cure est de si bon revenu, et si vous avez trouvé de quoi marier si avantageusement Mademoiselle de Saint-Paul, votre nièce, et acheter une maison de plaisance à Villiers ; mais nous sommes nous autres de bonnes gens, quand j’y pense, de nous laisser ainsi tondre la laine sur le dos et couper nos bourses. Pour moi, je ne vous le nie pas, je suis bien résolu de rappeler l’ancienne façon ; et quand je marierai ma fille, je vous enverrai un bel écu blanc selon qu’il est taxé par l’arrêt de la Cour de Parlement, ou tout au plus, parce que tout est renchéri à présent, je vous ferai donner un beau louis d’or ; et pour aller au-devant des respects humains et du que-dira-t-on du monde, ou qu’on ne croie pas que c’est par avarice ou par épargne, je donnerai en même temps charge que l’on distribue les autres neuf louis d’or aux pauvres honteux de la paroisse ou à vos prêtres malades que vous laissez mourir à l’hôpital sans assistance ; et j’espère que mon exemple en attirera beaucoup d’autres après moi et que les pauvres m’en sauront gré. »


  1. 55 et 110 livres tournois.

  2. 3 livres.

  3. 110 livres.

Plus loin (page 8) :

« Si le P. Lambert était de cette opinion qu’il ne faut point faire pénitence en ce monde, comment est-ce, je vous prie, qu’il aurait embrassé le genre de vie très fâcheux à la nature auquel il s’est obligé ? Que ne demeurait-il au monde à passer doucement son temps avec ses amis, à jouïr des plaisirs et des contentements que sa condition et ses biens lui pouvaient fournir honnêtement ? Il eût eu moyen possible d’avoir comme vous, Monsieur le curé, un bon carrosse pour rouler à son aise dans Paris ; il n’eût pas manqué non plus que vous de maisons aux champs et à la ville pour y bien passer son temps. Qu’avait-il donc à faire de renoncer à toutes ces commodités, et de prendre encore tout nouvellement un emploi si pénible et ennuyeux comme est celui d’instruire les enfants et les pauvres, s’il croyait qu’il n’est point nécessaire de faire pénitence en ce monde ? » {a}


  1. Les détails scabreux sur la vie amoureuse du curé ne se lisent pas dans le libelle ; Guy Patin a dû les tirer d’une autre source ou les inventer.

3.

V. note [9], lettre 77, pour cette manière de dire que les pasteurs ont choisi de prêcher humblement le dimanche plutôt que se servir de la religion pour amasser fortune.

4.

V. notes [3], lettre 346, pour les Remarques… de Jean Merlet, et [3], lettre 380, pour le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau (ouvrages qui ont tous deux paru à Paris en 1654).

5.

V. note [12], lettre 354, pour cette allusion à Siméon Courtaud, doyen de Montpellier, et instigateur présumé de La Seconde Apologie… (Paris, 1653)

6.

« Se mettre en colère contre les libelles injurieux, c’est en reconnaître la justesse ; mais dédaignés, ils se fanent » (Tacite, v. note [5], lettre 350). V. note [57], lettre 348, pour le mal qui était dit de Guy Patin dans la Seconde Apologie…

7.

Les épousailles des nièces de Mazarin, dont la donne changeait sans cesse, occupaient alors fort les conversations. Guy Patin faisait ici une nouvelle allusion aux mariages : d’Hortense Mancini (sans doute) avec le comte de Candale (qui mourut célibataire) ; d’Olympe Mancini avec le grand maître de l’Artillerie, Armand-Charles de La Meilleraye, qui n’eut pas lieu (v. note [24], lettre 311) car ce fut finalement Hortense qu’il épousa en 1661 ; de Marie Mancini avec le duc Charles-Emmanuel ii de Savoie, qui n’eut pas lieu (v. note [10], lettre 354). Quant au prince d’Italie, il pouvait s’agir du connétable Colonna, Lorenzo Onofrio, duc de Taglicoli, prince de Palliano et de Castiglione, grand connétable du royaume de Naples, futur époux de Marie (1661).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 juin 1654

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0356

(Consulté le 25/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.