L. latine 388.  >
À Heinrich Meibomius,
le 14 janvier 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 203 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Heinrich Meibomius, à Helmstedt.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai enfin reçu le paquet que vous aviez envoyé pour moi à Francfort ; enfin, dis-je, mais après bien des mois, par la paresse des libraires à qui on avait confié cette expédition. [1][2] Je crois qu’il eût été plus rapide et plus sûr de passer par M. Bec, [3] qui est ici le substitut de votre sérénissime prince Auguste, [4] à qui Dieu veuille bien accorder sa protection. Tout ce que vous lui enverrez me sera remis et tout ce que je lui aurai confié vous sera aussitôt délivré, comme il m’en a lui-même assuré. Voilà pourquoi je vous prépare un paquet où vous trouverez certaines nouveautés, excellentes et curieuses. Si vous aussi voulez choisir et effectivement emprunter cette voie pour les thèses et opuscules que votre imprimeur Henning Müller [5][6] a publiés, suivant la liste que je vous ai précédemment envoyée, [2] je vous en réglerai de bon cœur le prix que vous aurez établi et fixé, et le rembourserai comptant au dit M. Bec, lequel reçoit chez vous l’argent qu’on lui doit. Si cette voie vous désagrée, choisissez celle que vous voudrez, en particulier celle de notre ami Sebastian Scheffer, [7] médecin à Francfort, homme honnête et de toute confiance ; il vous remettra sur-le-champ, en or sonnant et trébuchant, la somme dont vous serez convenu. Je vous remercie beaucoup pour ce dernier paquet que je viens de recevoir et souhaite pouvoir un jour vous rendre la pareille. Quand donc verrons-nous cette Historia Medicorum veterum que votre très distingué père a écrite, et son traité encore inédit de Cervisia ? [3][8][9] Dans mon prochain envoi, vous aurez l’Hortus regius Parisiensis, in‑fo[10][11] une Oraison funèbre en français pour Philippe iv, roi d’Espagne mort il y a peu, [12][13] Fr. Blondel, Doctoris Medici Parisiensis, Epistola de natura Carcinomatis, et ejus curatione, in‑4o[14] etc. [4] Je salue le très distingué M. Hermann Conring, [15] ainsi que Julius Hacberg, [16] s’il est revenu chez vous de la Marche de Brandebourg. [17] La reine mère est toujours en vie, [18] se languissant d’une tumeur dite squirreuse et scrofuleuse dans le sein gauche, [19][20] mais qui ne serait en aucune façon carcinomateuse ou atrabilaire. [5][21] Vous vous rappelez le vœu répugnant de votre Mæcenas dans Sénèque : [22][23] Debilem facito manu, debilem pede, coxa, etc. Vita dum superest, bene est[6] surtout pour les princes. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce jeudi 14e de janvier 1666.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Heinrich Meibomius, ms BIU Santé no 2007, fo 203 ro.

1.

Retracé au fil des lettres latines, le périple de ce colis est exemplaire des aléas auxquels les transports internationaux privés étaient sujets à l’époque de Guy Patin.

2.

Cette nouvelle commande d’opuscules que Guy Patin avait repérés dans les catalogues de Henning Müller, libraire d’Hemlstedt (v. note [2], lettre latine 311), n’a pas laissé de trace dans ses lettres.

3.

V. notes :

4.
V. notes :

5.

Comme dans la précédente lettre latine (6 janvier 1666, v. sa note [3]), j’ai traduit le propos de Guy Patin au conditionnel (mais sans tordre sa syntaxe qui, cette fois, n’utilise pas de verbe), considérant qu’il entendait brocarder les euphémismes diagnostiques dont se servaient les médecins de la cour.

Hippocrate, Galien et leurs disciples établissaient un lien entre les cancers et l’atrabile (mélancolie) : v. note [6], lettre latine 354, pour le nom de « tumeur atrabilaire » (atrabilarius tumor) que Patin a donné au cancer mammaire d’Anne d’Autriche.

6.

« Frappez mes mains de paralysie, rendez mes pieds faibles et boiteux, etc. Si la vie me reste, tout ira bien » ; Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius (épître ci, § 10‑11), sur l’épouvante de la mort :

Inde illud Mæcenatis turpissimum votum quo et debilitatem non recusat et deformitatem et novissime acutam crucem, dummodo inter hæc mala spiritus prorogettur :

Debilem facito manu,
debilem pede coxo,
tuber adstrue gibberum,
lubricos quate dentes :
vita dum superest, benest ;
hanc mihi, vel acuta
si sedeam cruce, sustine
.

[De là ce vœu répugnant de Mécène, {a} où il ne refuse ni les mutilations, ni les difformités, ni finalement le supplice du poteau, {b} pourvu qu’au milieu de tant de maux, la vie lui soit conservée.

« Frappez mes mains de paralysie, rendez mes pieds faibles et boiteux ; faites-moi pousser une énorme bosse sur le dos ; déchaussez-moi toutes les dents : si la vie me reste, tout ira bien. Quand même je serais attaché sur la croix du supplice, conservez-moi la vie. »]


  1. V. note [14], lettre 760, pour le Mæcenas (Leyde, 1653) de Johann Heinrich Meibomius, père d’Heinrich. Dans son brouillon manuscrit, Guy Patin a remplacé dicti tui Mæcenatis [les paroles de ton Mécène] par voti vestri Mæcenatis [le vœu de votre Mécène], passant du Mécène d’Heinrich à celui des Meibomius (père et fils).

  2. En latin, l’acuta crux ne désignait pas la croix formée de deux poutres perpendiculaires, mais un simple poteau auquel on attachait le supplicié les bras en l’air et les pieds à distance du sol, pour provoquer sa lente mais sûre asphyxie.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 203 ro.

Clarissimo viro, D. Henr. Meibomio, Helmstadium.

Accepi tandem fasciculum à Te mihi destinatum, Vir Cl. quem miseras Francofurtum,
accepi inquam, sed post multos menses, per ignaviam quorundam Bibliopolarum, quib.
istud negotium fuerat commissum : tutiorem et breviorem putarem illam viam, per D. Bec,
Serenissimi vestri Principis Augusti, quem Deus servet, in his partibus vicarium : quidquid ad
eum miseris, tutò mihi reddetur : quidquid ad Te misero, Tibi statim tradetur, ut ab
ipso audio : qua de causa Tibi reddendum adorno fasciculum, in quo reperies quædam
nova, optima et curiosa. Si velis eam viam eligere, imò sequi, pro Thesibus et
Libellis
antehac excusis à vestro Typographo, Henningo Mullero, secundum Indicem
que antehac ad Te misi, definitum et constitutum à Te pretium æquo animo reddam
atque persolvam nummis præsentibus, dicto Domino Bec : qui pecuniam habet apud
vos accipiendam, sibi debitam. Quod viam illam non probaveris, elige qualem
volueris, præsertim elige Amicum nostrum, Seb. Schefferum, Med. Francof. virum
bonum, ac certe fidei, qui statim summam à Te definitam, aura præsentaneo
restituet. Quod spectat ad postremum fasciculum, nuper à Te acceptum, gratias
ago Tibi singulares, et utinam aliquando possim referre : sed quandonam videbimus Histo-
riam illam Medicorum veterum, Cl. viri Parentis tui :
ut et Tractatum novum de
Cervisia ?
In primo fasciculo quem ad Te mittam, habebis Hortum regium Paris. fol.
Orationem quandam funebrem Gallicam, pro Philippo 4. Hisp. rege nuper demortuo : Fr.
Blondel, Doct. Med. Paris. Epistolam de natura Carcinomatis, et ejus curatione.
4. etc. Cl.
virum saluto, D. Herm. Conringium, ut et Iulium Hacberg, si ex Marchia
Brandeburgensi ad vos reversus fuerit. Regina Parens vivit et languet cum
tumore scirrhoso et scrophuloso in mamma sinistra : sed nullatenus carcinoma-
toso nec atrabilario. Meministi dicti tui voti improbi vestri Mæcenatis apud Senecam : Debilem
facito manu, debilem pede, coxa, etc. Vita dum superest, bene est :
præsertim in
viris Principibus. Vale Vir Cl. et me ama. Parisijs, die Iovis, 14. Ianu. 1666.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Heinrich Meibomius, le 14 janvier 1666

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(Consulté le 10/05/2024)

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