L. 252.  >
À Charles Spon,
le 6 décembre 1650

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 6 décembre 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0252

(Consulté le 25/04/2024)

 

< Monsieur, > [a][1]

Je vous envoyai ma dernière, laquelle n’était que d’une bonne page, le vendredi 18e de novembre par la voie de M. Falconet, [2] avec une lettre pour M. Meyssonnier [3] et un catalogue de nos docteurs [4] que j’ai fait faire selon la coutume depuis que je suis doyen. [5] Le samedi 19e de novembre, nous avons perdu ici un excellent homme nommé M. d’Avaux, [6] frère de M. le président de Mesmes. [1][7] Il était revenu de Fontainebleau malade d’une fièvre continue [8] avec une fluxion sur le poumon. Notre compagnon M. Piètre [9] le traitait, où furent appelés en consultation M. Seguin, [10][11] médecin de la reine, et M. Brayer. [12] Tous trois avaient bonne espérance de sa guérison. Quelque parent y amena M. Vautier, [13] lequel promit de le guérir d’un breuvage qu’il lui donnerait. Et avec le consentement de ceux qui y étaient présents, uno Pietro intercedente, sed frustra nitente[2] le pauvre homme avala l’antimoine [14] sur la bonne foi et la qualité de M. Vautier. Une heure après, il commença à crier qu’il brûlait et qu’il voyait bien qu’il était empoisonné, qu’il avait grand regret qu’on eût permis qu’il eût pris ce dangereux remède, comme aussi de n’avoir point fait un testament. Après que ce poison lui eut bien remué les entrailles, il mourut en vomissant, trois heures après l’avoir pris. Il est fort regretté par la ville, où on dit tout haut qu’il a été empoisonné par ordre de Mazarin [15] qui le haïssait depuis la commission qu’il avait eue de plénipotentiaire à Münster ; [16] joint qu’il le craignait aussi à cause qu’étant du Conseil d’en haut [17] où il opinait généreusement, il résistait fortement au Mazarin ; en quoi il était ordinairement suivi du duc d’Orléans [18] qui le chérissait fort et lui donnait grand crédit par les caresses qu’il lui faisait. Le roi [19] sachant sa mort en a pleuré, je pense qu’en récompense le Mazarin en a été bien aise. M. le président de Maisons, [20] surintendant des finances, étant le lendemain visité par M. Vautier, lui dit : Voilà deux surintendants des finances que l’antimoine a tués cette année ; Monsieur, je vous prie que je ne fasse point le troisième ; [21] il entendait MM. d’Émery [22] et d’Avaux. Ce dernier ne fut jamais marié et n’a jamais accepté aucun bénéfice, combien qu’il fût fort dévot. Il ne laisse point tant de bien que l’on pensait et de fait, il était fort libéral. Il avait été conseiller au Grand Conseil, ambassadeur à Venise, extraordinaire à Rome, en Allemagne, l’an 1637, où il demeurait ordinairement à Hambourg ; [23] puis fut envoyé en Pologne où il fit la paix avec les Suédois, revint en Danemark où la paix était faite par son industrie si le Mazarin, qui veut pêcher en eau trouble, ne l’en eût empêché et n’en eût rompu le traité qui était prêt d’être signé. Il est ici merveilleusement regretté de tout le monde, et l’antimoine aussi bien que ceux qui le baillent sont l’abomination du public.

Le Mazarin, qui veut avoir la réputation de grand capitaine, faisait courir le bruit qu’il partirait aujourd’hui avec 50 000 pistoles pour s’en aller commander l’armée de Champagne et reprendre Rethel ; [24] mais le voyage est différé à cause d’une indisposition qui est survenue à la reine. [25] Le duc d’Orléans grondait et faisait le mauvais de ce qu’on avait ôté les princes [26][27][28] de Marcoussis [29] et < les avait > emmenés au Havre ; [30] sed hæc certamina tanta, pulveris exigui iactu compressa quiescent[3][31] on lui a tant donné d’argent qu’il en est apaisé, après avoir bien marchandé, et la coupe de quelques bois dont il tirera encore quelque chose de bon. Le Mazarin est ici en colère contre deux personnes, savoir M. de Beaufort [32] et Mme de Montbazon. [4][33] Le coadjuteur [34] a fait sa paix. On a mandé au comte d’Alais [35] en Provence, [36] pour la dernière fois, qu’il obéisse et qu’il vienne en cour ou qu’autrement, les communes lui courront sus[5]

La reine se porte mieux, mais le voyage est rompu que le cardinal se promettait de faire en Champagne pour Rethel. Le compagnon sent bien que s’il s’éloigne et quitte son fort, c’est chose certaine qu’il serait en grand danger, tant pour ce qu’il est fort haï que d’autant plus il doit craindre du côté des princes. Mme la Princesse douairière [37] est fort malade à Châtillon-sur-Loing ; [38] on dit que son médecin, Guénault [39] (qui est un grand empoisonneur chimique), lui a fait prendre trois fois de l’antimoine ; mais je ne la tiens point encore échappée pour cela, je sais bien qu’il est hardi joueur et téméraire entrepreneur.

Enfin, à force d’en parler, le Mazarin est parti jeudi matin, 1er de décembre, bien accompagné. Il nous obligerait fort s’il pouvait ne point revenir. Le vendredi, à la mercuriale [40] du Parlement, on a présenté à la Cour une nouvelle requête pour les princes, de la part et au nom de Mme la Princesse la jeune, [41] et de son fils le duc d’Enghien ; [42] et a été ordonné qu’elle serait communiquée à Messieurs les Gens du roi afin d’en rapporter les conclusions à la Cour mercredi prochain, 7e de ce mois. [6] Voilà de la besogne délicate pour le nouveau procureur général que nous avons, qui est M. Fouquet, [43][44] par ci-devant maître des requêtes[7] Ce même jour, vendredi 2d de décembre, mourut, après avoir quatre fois pris de l’antimoine de la main de Guénault, Mme la Princesse douairière, à Châtillon-sur-Loing, âgée de 55 ans. [8] Il n’y a que douze jours qu’il écrivait à M. Vautier qu’il fallait avouer que l’antimoine est un grand secret pour les grandes maladies et le vrai remède des princes ; plût à Dieu que tous les princes qui font mal en eussent pris autant qu’elle. On parle ici de quelques dispositions qu’elle a faites avant sa mort : qu’elle fait M. le président de Nesmond [45] son exécuteur de testament ; qu’elle donne à Guénault, qui l’a empoisonnée d’antimoine (mais la pauvre femme ne le savait point), mille écus ; qu’elle a fait présent à Mme de Châtillon, [46] chez qui elle est morte, de 15 000 livres de rente ; etc. Je ne doute pas que ce testament-là ne s’imprime quelque jour, comme dorénavant l’on imprime tout. [9] Je n’attends plus de livres de Lyon que l’Histoire de Bresse[10][47] de laquelle vous me donnerez, s’il vous plaît, quelque nouvelle par vos premières. La princesse d’Orange, [48] peu de jours après la mort de son mari, [49] a accouché d’un fils [50] à qui les Hollandais ont donné et conféré la charge de leur général afin d’empêcher toute autre brigue[11][51]

Je viens de lire votre épître pour le Feyneus [52] à M. Moreau. [53] Faites-moi le bien de m’apprendre pourquoi en la deuxième page vous mettez ces deux mots ensemble : Phœbo Apollini[12][54] N’est-ce point tout un, quelle nécessité y a-t-il de les mettre tous deux ensemble ? Eiusdem Epist., [13] page 5, le passage d’italique qui commence par Plures, de quel auteur est-il ? S’il est de Feyneus, la citation marginale est donc fausse. À mon premier loisir, j’examinerai ce livre, en lirai tout exprès cinq ou six des plus grandes maladies. Le samedi 3e de décembre furent rompus ici, à l’Apport de Paris, [14][55] deux autres voleurs de la troupe de ceux qui attaquèrent le carrosse de M. de Beaufort et qui le voulaient tuer : en voilà déjà cinq, sans ceux qui par ci-après seront attrapés et que l’on cherche partout avec beaucoup de diligence[15][56] Les chimistes [57] antimoniaux [58] de la cour ont ici tué depuis huit jours, ou au moins depuis la mort de M. d’Avaux, une Mme de Gillier, [59] femme d’un maître d’hôtel de chez le roi ; une Mme Gazeau, [60] fille d’un maître des comptes, elle était âgée de 30 ans et grosse, l’antimoine que lui donna des Fougerais la fit accoucher d’un enfant de cinq mois et mourir peu d’heures après, et fœtum ; [16] un M. Mirepoix [61] que M. Riolan et M. Maurin [62] traitaient au grand vitupère de ce poison. [17] M. Riolan a dessein de mettre bientôt sur la presse un traité qu’il achève de usu emeticorum[18] où il parlera contre l’antimoine. [63] Il s’en va aussi faire imprimer un livre français, lequel sera intitulé Curieuses recherches de l’Université de Paris, de son antiquité et de ses privilèges[64] où il y aura quelque chose de particulier touchant notre Faculté ; [19] quand ce bonhomme parle de ce sien livret, il en paraît tout réjoui. Depuis huit jours, on m’a envoyé un paquet où il y avait une épigramme contre l’antimoine et contre trois hommes qui en abusent, dont deux sont de notre Faculté ; le troisième n’en est point. Je m’étonne comment on n’y a pas aussi compris le sieur Béda des Fougerais [65] qui est, lui tout seul, presque aussi méchant que les trois autres, combien que Guénault soit nequissimus[20] Peut-être que le poète l’a épargné à dessein (non pas qu’il s’amende, car il est méchant perverti) en intention de le traiter une autre fois tout seul selon son mérite. Il y en a encore dans le paquet que l’on m’a laissé céans douze exemplaires. Je vous en envoie une ; je ne sais qui en est l’auteur, mais d’autres et plusieurs en nombre en ont par la ville à ce que j’apprends. Je vous donne avis que le 3e de ce mois, M. Jost, [66] le libraire, m’a rendu tout ce que vous lui aviez envoyé pour moi le mois passé, savoir I.H. Alstedii Scientiarum omnium Encyclopædiæ, etc. ; [67] je me souviens de l’avoir mis ci-dessus. [21] J’ai ouï dire déjà plusieurs fois de deçà ce que vous me mandez du nouveau livre de M. Harvæus, [68] cet œuvre sera curieux. Ah ! qu’un habile homme comme MM. Riolan, Moreau ou Piètre en ferait bien ici un très beau et très aisément ex tam frequenti sectione cadaverum[22][69] Je vous remercie de tout ce qui est contenu en votre lettre et vous prie de continuer à m’aimer. J’ai ce matin consulté [70][71] avec M. Moreau pour le fils aîné du premier président de la Chambre des comptes. [23][72][73] Il m’a chargé de vous faire ses baisemains et vous prie d’assurer M. Huguetan [74] qu’il a reçu le Feyneus qu’il lui a envoyé, et qu’il l’en remercie. Je lui écris un mot de ma part pour le même dessein, que vous m’obligerez de lui faire tenir, comme aussi à vos deux collègues, à l’un desquels je dois remerciement et à l’autre réponse. [24] Excusez de tant de peines que je vous donne, je vous salue de toute mon affection et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce 6e de décembre 1650.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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