Note [49] | |
Étonnant novateur du xvie s., Michel Servet (Miguel Servet ou Serveto, alias Michel de Villanueva ; Villanueva de Sigena en Aragon 1509 ou 1511-Genève 1553) avait consacré sa jeunesse à l’étude des langues anciennes, de la théologie et du droit, en Espagne puis à Toulouse. Entré au service du dominicain Juan de Quintana (mort en 1534), confesseur de Charles Quint, il voyagea en Allemagne et en Italie ; mais les fastes de l’Église romaine attirèrent bientôt le jeune érudit vers la Réforme protestante. Il publia alors son premier livre de théologie qui niait les doctrines de la Trinité, du péché originel et de la justification, et qui menèrent catholiques comme protestants à le tenir pour hérétique : De Trinitatis erroribus libri septem [Sept livres sur les erreurs de la Trinité] (Haguenau, J. Setzer, 1531, in‑8o), dont il reprit et développa les préceptes dans plusieurs autres traités, jusqu’à la Christianismi restitutio : totius Ecclesiæ apostolicæ est ad sua limina vocatio, in integrum restituta cognitione Dei, fidei Christi, justificationis nostræ regenerationis baptismi et coenæ Domini manducationis, restituto denique nobis regno cœlesti, Babylonis impiæ captivitate soluta, et Antichristo cum suis penitus destructo… [Rétablissement du christianisme : la vocation de l’Église apostolique tout entière réside dans ses propres limites, dans la connaissance de Dieu intégralement rétablie, dans la foi du Christ, dans la justification de notre propre régénération par le baptême et par l’eucharistie, et enfin dans le règne céleste qui a été rétabli pour nous après que la captivité dissolue de Babylone, l’impie, et que l’Antéchrist, accompagné de ses adeptes, l’eurent complètement détruit…] (Vienne en Dauphiné, B. Arnollat, 1553, in‑8o). Vers 1537, Servet s’était rendu à Paris pour étudier la médecine auprès de maîtres tels que Sylvius (Jacques Dubois) et Jean Fernel ; mais aussi pour s’attirer d’autres ennuis en publiant Syruporum universa Ratio, ad Galeni censuram diligenter expolita. Cui, post integram de concoctione disceptationem, præscripta est vera purgandi methodus, cum expositione aphorismi : Concoctu medicari [Explication universelle des sirops, soigneusement polie en conformité avec le jugement de Galien ; où, après une discussion complète sur la concoction, est prescrite la véritable méthode pour purger, avec l’explication de l’aphorisme : Soigner par concoction] (Paris, Simon Coliné, 1537, in‑8o). Les principes trop libres que Servet y exposait et, plus encore, les raisons qu’il alléguait en faveur de l’astrologie lui suscitèrent la haine et la persécution de la Faculté : elle condamna cet ouvrage à la destruction et il est en effet à peu près impossible de le trouver aujourd’hui. Servet porta ses plaintes au Parlement, gagna le procès et la Faculté, outre une réprimande sévère, reçut l’ordre de le traiter désormais avec plus de ménagement et d’humanité. Après avoir reçu le bonnet de docteur en médecine à Montpellier en 1539, il alla exercer la médecine à Charlieu (Loire), puis à Vienne (Isère) où il gagna l’amitié et la protection de Pierre Palmier, archevêque de Vienne (de 1528 à 1554). Depuis longtemps, Calvin, fondateur de l’Église réformée, avait voué une grande animosité contre Servet en raison des offenses personnelles qu’il avait reçues de lui. La parution de la Christianismi Resolutio fournit à Calvin l’occasion de se venger : il dénonça l’hérétique à l’évêque catholique qui fit emprisonner Servet ; parvenu à s’échapper, il alla se jeter dans les griffes de son ennemi à Genève ; traité en criminel, il périt sur le bûcher le 25 octobre 1553. Servet fut aussi et peut-être surtout celui qui posa un jalon de première importance dans la compréhension de la circulation du sang (v. note [12], lettre 177) ; Sprengel (tome iv, pages 34‑35) :
Le saisissant paragraphe médical de Servet se trouve à la page 170 de sa Christianismi restitutio, dans le De Trinitate divina liber quintus, in quo agitur de Spiritu Sancto [De la Trinité divine, livre v, où il est question de l’Esprit Saint]. Il y développe l’idée que l’esprit vital de l’homme, son âme [anima], non principaliter esse in parietibus cordis, aut in corpore ipso cerebri, aut hepatis, sed in sanguine [n’est pas principalement situé dans les parois du cœur ou dans la substance même du cerveau ou du foie, mais dans le sang] :
Certains historiens pensent (comme Chéreau) que Servet n’aurait eu que la chance d’être le premier à faire imprimer en 1553 ce qu’il avait appris en suivant les cours de Realdo Colombo (v. supra notule {d}) lors d’un séjour à Padoue (probablement vers 1540). Collègue et rival de Vésale, Colombo lui-même n’a publié la petite circulation qu’en 1559, en termes tout aussi clairs que ceux de Servet, au livre vii, De corde et arteriis [Du cœur et des artères] de ses De Re anatomica libri xv [Quinze livres d’Anatomie] qui parurent juste après sa mort (Venise, Nicolaus Bevilacqua, in‑4o). V. note [55], lettre 97, pour la contribution plus tardive (1571) d’Andrea Cesalpino à ce chapitre majeur de l’anatomie. En 1924, le médecin égyptien Muhyo Al-Deen Al-tatawi a mis au jour un commentaire manuscrit du Canon d’Avicenne conservé par la Staatsbibliothek de Berlin, écrit en 1242 par le médecin arabe Ibn Nafis (Damas vers 1210-Le Caire 1288), qui contient la plus ancienne description connue de la petite circulation. Colombo, dit-on, en aurait eu connaissance en lisant les Principis Avic. Libri Canonis necnon de Medicinis cordialibus et Cantica… [Livres du Canon du prince Avicenne et sur les Médicaments cordiaux, ainsi que ses Cantiques…] (Venise, Lucantonio Giunta, 1527, in‑fo, pour la première de nombreuses rééditions au xvie s.) traduits par le médecin et diplomate arabisant Andrea Alpago (mort à Padoue en 1521) ; mais ce livre ne contient pas la découverte d’Ibn Nafis. On ne peut cependant écarter entièrement la possibilité qu’Alpago l’ait sue et en ait parlé à ses collègues de Padoue, desquels Colombo (né vers 1510) l’aurait apprise quelques années plus tard. Dans son article intitulé Ibn an-Nafîs, premier découvreur de la circulation pulmonaire (La Revue du Praticien, 2007, vol. 57, pages 110‑113), Danielle Jacquart a fourni une traduction du fragment le plus significatif de son manuscrit, qui ressemble fort à ce qu’a écrit Servet en 1553 :
On ignore toujours qui, de Colombo ou Servet, a transmis la petite circulation à l’autre ; et, comme c’est plausible pour Servet, s’ils ont eu connaissance de ce qu’Ibn Nafis avait écrit au xiiie s. sur le sujet. |
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Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
Annexe : Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin en juillet 1653. Note 49
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