Un exemplaire armorié du De Homine de Descartes (1677)

Notre collègue Ludovic Berthe a remonté des magasins de la bibliothèque un objet qui nous a surpris, et qui intéressera peut-être certains lecteurs.

Il s’agit d’une reliure du XVIIe siècle, portant sur les deux plats de larges  rondelles de papier fort, de couleur beige rosé, qui dissimulent les armes d’un ancien possesseur. Le livre est un exemplaire du Tractatus de homine et de formatione foetus (Amsterdam: D. Elzevier, 1677), de Descartes.

Descartes. De homine (1677). Plat supérieur, éclairage vertical.
Descartes. De homine (1677). Plat supérieur, éclairage vertical. (BIU Santé. Licence ouverte. Photo: Elise Porez, BIU Santé.)

Non content d’avoir déniché ce livre, qu’une erreur de cote dans notre catalogue rendait difficilement trouvable, Ludovic Berthe est parvenu à identifier ces armes pourtant bien dissimulées. Comme le démontrent les images publiées dans ce billet, les deux plats portent le fer n° 1 du prieuré de Saint-Martin-des-champs, tel qu’il est décrit dans la base Bibale de l’IRHT et dans le Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises d’Olivier, Hermal et Roton (n° 2303). La bibliothèque de Saint-Martin-des-champs était considérable à la fin du XVIIIe siècle (au moins 40 000 volumes, d’après Alfred Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris : églises, monastères, colléges, etc., 1867). Elle fut confisquée à la Révolution.

Descartes. De homine (1677). Plat inférieur, éclairage en haut à gauche.
Descartes. De homine (1677). Plat inférieur, éclairage en haut à gauche. (BIU Santé. Licence ouverte. Photo: Elise Porez, BIU Santé.)
"Reliure aux armes du prieuré Saint-Martin-des-Champs (Paris) OHR 2303 fer no. 1" dans la base Bibale-IRHT/CNRS (permalink : http://bibale.irht.cnrs.fr/34102). Consultation du 23/10/2020.
« Reliure aux armes du prieuré Saint-Martin-des-Champs (Paris) OHR 2303 fer no. 1 » dans la base Bibale-IRHT/CNRS (permalink : http://bibale.irht.cnrs.fr/34102). Consultation du 23/10/2020.

Ce n’est pourtant pas juste après la Révolution que le livre est entré dans le  fonds de la bibliothèque de l’École de santé. Cela aurait pu être, puisque beaucoup de livres confisqués à des maisons religieuses ont été récupérés par nos premiers bibliothécaires dans les « dépôts littéraires » de Paris. Ce livre est entré  beaucoup plus tard, si on en croit sa cote, 48138: dans le registre d’entrée-inventaire, elle correspond à une entrée en 1893 seulement. Bien qu’à cette époque le registre d’entrée-inventaire ne différencie malheureusement pas les entrées par acquisition onéreuse et les entrées par don, on peut penser qu’il s’agit d’un don: la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris n’aurait sans doute pas acheté une édition de Descartes du XVIIe siècle en 1893 (ni une édition plus récente d’ailleurs, probablement).

Pourquoi ces rondelles de papier sur les armes ? S’est-il agi, pour un vendeur, de rendre l’ouvrage plus facile à commercialiser, en masquant sa provenance? Ce serait curieux, puisque ces rondelles avivent la curiosité plutôt qu’elles ne l’évitent. Elles dévalorisent aussi un assez joli volume, car le fer utilisé est décoratif et prestigieux. Faut-il plutôt imaginer une pratique qui se rapprocherait du vandalisme révolutionnaire, qui a conduit à marteler tant de marques héraldiques sur les bâtiments?

Cet exemplaire, avec sa particularité intrigante, fait partie d’un ensemble conséquent d’éditions anciennes de Descartes dans la collection de la BIU Santé. Pour le seul traité de l’homme, on y trouve les éditions latine (1 exemplaire) et française (2 exemplaires) de 1664, les éditions latine et française de 1677 (2 exemplaires de chacune), l’édition française de 1729, l’édition des Oeuvres de Descartes de 1842 (Charpentier). Les bibliothécaires médecins avaient une vision large de ce qui pouvait trouver place dans une bibliothèque médicale. Nous avons souvent l’occasion de nous réjouir de cette variété.

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