L. 105.  >
À Claude II Belin,
le 9 juin 1644

Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à vos deux dernières. Le Gazetier [2] ne pouvait pas se contenir dans la médecine, qu’il n’a jamais exercée, ayant toujours tâché de faire quelque autre métier pour gagner sa vie, comme de maître d’école, d’écrivain, de pédant, de surveillant dans le huguenotisme, [1][3] de gazetier, d’usurier, de chimiste, [2][4] etc. Le métier qu’il a le moins fait est la médecine, qu’il ne sut jamais. C’est un fanfaron et un ardelio[3] duquel le caquet a été rabaissé par cet arrêt, [5] que nous n’avons pas tant obtenu par notre puissance que par la justice et bonté de notre cause, laquelle était fondée sur une police nécessaire en une si grande ville contre l’irruption de tant de barbares qui eussent ici exercé l’écorcherie au lieu d’y faire la médecine. [4] Notre apothicaire n’a pas encore ouï parler de M. Bareton. [5][6] Ce petit garçon-là n’a guère soin de ses affaires ni de son honneur. Si cela se peut faire aisément, vous m’obligerez d’en dire encore quelque mot, à la charge qu’une autre fois je serai plus sage et que je pratiquerai plus exactement ce bon mot de l’Apocalypse, Qui sordescit sordescat adhuc[6][7] Il a été bien et fidèlement servi, il s’en devrait souvenir. Vous m’avez fort obligé de distribuer mes thèses, [8] dont on me demande si grande quantité de toutes parts que j’en ai donné plus de 500 depuis un mois ; si en désirez d’autres, vous n’en manquerez pas. [7] Il y a longtemps que je n’ai pas vu monsieur votre fils, [9] je ne sais à quel jeu j’ai perdu ses bonnes grâces ; il ne doit pas s’étranger de moi, [8] vu le dessein et l’envie que j’ai de le servir. M. le duc d’Orléans [10] est devant Gravelines. [9][11][12] Le roi [13] et la reine [14] sont à Rueil [15] pour y prendre l’air, où, après avoir été quelque temps, ils iront à Fontainebleau. [10][16] Mme la comtesse de Soissons [17][18][19][20] est ici fort malade. [11] Il n’y a rien de nouveau en notre Faculté. Nous avons dessein de faire imprimer quelque chose dont je vous ferai part en son temps et qui fera secouer les oreilles à quelqu’un. [12] Pour les loyolites, [21] pestem hanc longe lateque serpentem, etiam invitis Diis, a finibus vestris procul arceat Deus Optimus maximus[13] Je vous baise très humblement les mains et à tous nos amis de delà, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 9e de juin 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 86 ; Triaire no cviii (pages 399‑400) ; Reveillé-Parise, no lxxii (tome i, pages 112‑113).

1.

« Ceux de la Religion prétendue réformée appellent leurs ministres surveillants » (ibid.).

2.

Tandis qu’il végétait à Loudun en attendant la pleine puissance de Richelieu, son bienfaiteur, Théophraste Renaudot (v. note [6], lettre 57), avait mis au point et prôné une panacée :

Description d’un médicament appelé polychreston, {a} dispensé publiquement par Jacques Boisse, maître apothicaire en la ville de Loudun, le 4 décembre 1619. Avec la harangue faite sur ce sujet par Théophraste Renaudot, docteur en médecine, conseiller et médecin du roi, devant Messieurs les députés des Églises réformées de ce royaume, assemblés à Loudun par permission de Sa Majesté. Dédié à Messieurs de l’Assemblée. {b}


  1. Ce polychreston mêlait 83 extraits d’origine végétale ou animale. Espèce de thériaque (v. note [9], lettre 5) du pauvre, sans opium ni chair de vipère, c’était un plagiat manifeste du polychreste que Jean Pidoux, médecin de Poitiers, avait décrit en 1605 (v. note [32] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…).

  2. Loudun, Quentin Maréchal, 1619, in‑4o.

Plus tard, quand son Bureau d’adresse prit de l’ampleur, Renaudot y adjoignit un laboratoire de chimie, où il fabriquait les médicaments qu’il vendait ou donnait, et initiait les étudiants en médecine dans l’art que la Faculté, de l’autre côté du petit bras de la Seine, sur la rive gauche, refusait obstinément de leur enseigner. Louis xiii le lui avait très officiellement autorisé par ses Lettres patentes en faveur des pauvres, et particulièrement des malades datées du 25 septembre 1640 (v. note [7], lettre 57).

3.

Ardelio, agité, homme qui fait l’empressé, bateleur, en latin, a donné ardélion en français : « homme qui fait le bon valet et qui a plus de paroles que d’effet » (Académie), hâbleur, fanfaron.

4.

Écorcherie : « lieu où on écorche les bêtes ; se dit aussi figurément d’une hôtellerie, d’une boutique et de tout autre lieu où on fait payer les choses trop chèrement » (Furetière).

5.

Un fils de Nicolas Bareton, second président en l’élection de Troyes, pouvait être ce fâcheux client de Claude ii Belin. Le soin que d’indélicats copistes des lettres manuscrites ont mis à caviarder son nom (v. notes [1], lettre 112, et [1], lettre 114) plaide en faveur d’une telle notoriété paternelle. Quoi qu’il en soit, ce Bareton avait laissé une note chez un apothicaire de Paris, dont Guy Patin s’était porté garant. L’ayant réglée, Patin essayait d’en obtenir le remboursement ou, à défaut, le remerciement. L’affaire ne fut réglée qu’en mars 1645.

6.

« Que celui qui se souille, se souille encore » : Qui nocet noceat adhuc et qui in sordibus est sordescat adhuc [Que le pécheur pèche encore, et que l’homme souillé se souille encore] (Apocalypse de saint Jean, 22:11) ; il faut croire que Bareton n’en était pas à sa première indélicatesse.

7.

Estne totus homo a natura morbus ? (vUne thèse de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643).

8.

S’étranger : « chasser de quelque lieu, s’en retirer, s’en éloigner. Les mauvais traitements, la mauvaise chère étrangent les honnêtes gens d’une maison. Les écornifleurs, les rats sont des animaux bien difficiles à étranger d’une cuisine, d’un grenier. La fouine a étrangé les pigeons de ce colombier, l’a fait déserter par les pigeons. Les habiles gens s’étrangent d’une assemblée, quand ils voient que les sots s’y mêlent, s’y introduisent » (Furetière).

9.

Le duc d’Orléans avait été investi sur sa demande du commandement de l’armée française de Flandre et venait d’arriver devant Gravelines, ville fortifiée, sur l’Aa, à 24 kilomètres au sud-ouest de Dunkerque. Monsieur allait en faire le siège, de concert avec les Hollandais alors alliés de la France. Il avait sous ses ordres Gassion, La Meilleraye et Rantzau. Après une énergique résistance de deux mois, Gravelines capitula le 28 juillet 1644.

10.

Anne d’Autriche et Louis xiv avaient quitté Paris le 6 juin pour Rueil. Ils revinrent à Paris le 5 juillet. Ensuite, ils séjournèrent à Fontainebleau du 9 septembre au 25 octobre (Levantal).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 191‑192) :

« Le jeudi 23 juin, je fus à Amboile, {a} où le lundi suivant M. de Breteuil me vint voir et me dit qu’il avait été à Rueil où la reine était, à qui l’on faisait entendre toute sorte de musique et qui se divertissait fort ; que la duchesse d’Aiguillon était plus en faveur que jamais, et que le cardinal Mazarin était logé dans la basse-cour et avait obligé Mademoiselle d’en sortir et d’aller dans le bourg ; que la reine avait convié le cardinal Mazarin de s’asseoir auprès d’elle dans son petit chariot, mais que sagement il l’avait refusée, et que la reine avait tant de bonté qu’elle ne voyait pas que les princesses qui étaient auprès d’elle n’avaient autre pensée que d’avoir quelque occasion de trouver à redire à ses actions ; que le cardinal était auprès d’elle à la promenade, couvert, dont tout le monde était étonné. »


  1. Aujourd’hui Ormesson-sur-Marne, Val-de-Marne.

11.

Anne, comtesse de Montafié et de Clermont (1577-17 juin 1644), avait épousé en 1601 Charles de Bourbon, comte de Soissons (1566-1612), fils du second mariage de Louis ier de Bourbon, prince de Condé (v. note [16], lettre 128), avec Françoise d’Orléans Longueville.

Trois de leurs six enfants ont atteint l’âge adulte :

Tallemant de Réaux a consacré une historiette à la comtesse de Soissons (tome i, page 87‑88), disant qu’elle :

« passait pour une des plus belles personnes de la cour ; et en effet, sans {a} qu’elle avait les yeux un peu trop hors de la tête, elle eût été parfaitement belle. Elle en usait comme elle devait. »


  1. Hormis.

12.

Annonce du Nez pourri de Théophraste Renaudot… (v. note [64], lettre 101).

13.

« que Dieu, en sa grande bonté, repousse loin de vos frontières cette peste qui rampe en tous sens, même à l’insu des dieux. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 9 juin 1644

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0105

(Consulté le 26/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.