Note [64] | |
Sous le titre de Quatrain xvii, c’est la dernière des trois courtes pièces en vers qui forment un libelle anonyme, attribué à Guy Patin : Le Nez pourri de Théophraste Renaudot, grand Gazetier de France et espion de Mazarin, appelé dans les Chroniques Nebulo hebdomarius, de patria Diabolorum [Vaurien semainier, venu de la patrie des Diables (Loudun)]. Avec sa vie infâme et bouquine, récompensée d’une vérole euripienne, ses usures, la décadence de ses Monts-de-piété, et la ruine de tous ses fourneaux et alambics (excepté celle de sa conférence, rétablie depuis quinze jours) par la perte de son procès contre les docteurs de la Faculté de médecine de Paris (sans lieu, ni nom, ni date [1644], in‑4o de huit pages). Dans ce titre, bouquine veut dire débauchée, et euripienne est un adjectif forgé sur Euripe : « Détroit de mer entre la Béotie et l’île d’Eubée ou Négrepont, où les courants sont si violents qu’on dit que la mer y flue et reflue sept fois par jour » (Furetière) ; une vérole euripienne est à comprendre comme invétérée et rechutant sans cesse. Le quatrain porte le sous-titre d’Extrait de la 22e Centurie de Michel Nostradamus, poète, mathématicien et médecin provençal [v. note [5], lettre 414], prédisant la perte du procès du Gazetier, soi-disant médecin de Montpellier, contre les médecins de Paris, par un arrêt solennel prononcé en robes rouges, après cinq audiences, par Mr Messire Matthieu Molé, premier président, le 1er jour de mars 1644. Les clés en sont ainsi expliquées :
« Le Card. À n’en point mentir, tu as raison de dire que c’est une prophétie ; mais plutôt une énigme, dont un seul Sphinx est capable de découvrir le sens et donner l’interprétation : ne veut-il pas dire que tu deviendras roi de Calicut {a} après avoir triomphé des Amazones ? Gaz. Monseigneur, ne le prenez pas par-là, il n’y a point de quoi rire pour moi, non plus qu’il n’y a rien de plus clair quand vous saurez l’histoire ; et si je croyais que la seconde prophétie {b} dût arriver aussi certainement, je n’attendrais pas qu’on me pendît ; je les préviendrais et me pendrais moi-même afin d’éviter l’infamie que mes enfants appréhendent, et que beaucoup de gens désirent parce que je ne les ai pas traités comme ils méritaient dans mes Gazettes, que je n’ai composées que pour satisfaire aux ministres et aux favoris. Or pour l’intelligence de cette prophétie, V.É. {c} doit savoir que les médecins de Paris m’ont toujours fait la guerre et n’ont jamais voulu souffrir que je fisse la médecine dans la ville, tant à cause que je ne suis pas docteur de leur Faculté, ni capable de l’être, qu’à cause de la profession de gazetier, qui n’est pas plus honorable que celle de courtier d’amour. {d} À cette fin il y eut grand procès entre nous, qui demeura indécis par la faveur de Monseigneur le Cardinal ; {e} car tant qu’il vécut, je pratiquai la médecine, en faisant la nique aux médecins, sous son autorité ; mais il ne fut pas sitôt passé que ces Messieurs reprennent leurs brisées. {f} Il fallut plaider à la Grand’Chambre où, quoi que le sieur Bataille, mon avocat, sût dire en ma faveur, et des services que je rendais au public à l’occasion de mon Bureau de rencontre, M. Talon, avocat général, ne se contenta pas de conclure contre moi en faveur des médecins ; mais encore, remontrant l’impiété de mon mont-de-piété et l’usure abominable que j’exerçais sous le prétexte des prêts et ventes à gage, il demanda que me fût interdit sous de grièves {g} peines de n’en plus user à l’avenir. Et ses conclusions suivies de point en point, je me vis en un moment privé de l’exercice de la médecine, dont je ne me souciais pas beaucoup ; mais encore de celui des prêts sur gage, dont je tirais plus de profit en une semaine que trois courtiers de change en un mois, des inventions dont ils se servent dans leur métier. Or que V.É. {c} voie maintenant si la prophétie n’est pas bien claire, dans laquelle même les avocats qui ont parlé en la cause sont nommés ; et s’il pouvait mieux exprimer la mort de Monsieur le Cardinal que par le premier vers. Car le nommant le grand Pan, il fait allusion au dieu des Faunes et des Satyres, comme son Éminence l’était des maltotiers aussi bien que la vôtre. Au second vers, il me dit venir du côté d’Aquilon, parce que Loudun, lieu de ma naissance, est aquilonaire {h} à l’égard de Marseille où Nostradamus faisait sa demeure ; et pour les autres deux vers, on ne saurait exprimer plus clairement les vains efforts du sieur Bataille contre les médecins, sous le nom d’Esculape, ni la plaie que me fit Monsieur Talon par ses conclusions à la gloire de mes ennemis, et à mon grand dommage et regret tout ensemble. Par-là V.É. {c} peut voir si je n’ai pas sujet d’appréhender le succès de la seconde prophétie par celui de la première. Le Card. À la vérité, elle est plus claire que je la croyais pas. Néanmoins, pour avoir rencontré en l’une, il ne faut se persuader qu’il {i} l’ait fait infailliblement en l’autre : toutes ces sentences sont faites à plaisir, et ce sont plutôt les événements qui font les prophéties, que les prophéties les événements. Voyons encore la seconde et jugeons par l’état présent des choses s’il y a apparence d’en craindre le succès. Gaz. Monseigneur, si j’osais, je supplierais V.É. {c} de me dispenser de la lui dire ; néanmoins, puisqu’elle le désire, la voici avec prière que je fais à Dieu qu’elle se trouve autant fausse pour elle que je souhaite qu’elle le soit pour moi-même. L’Avis au lecteur des premières éditions des Lettres de Patin lui attribue sans ambages la paternité du premier quatrain et par conséquent, celle de tout le libelle. Les deux premiers poèmes du Nez pourri… sont bien plus méchants encore : « Sur le nez pourri de Théophraste Renaudot, alchimiste, charlatan, empirique, usurier comme un Juif, perfide comme un Turc, méchant comme un renégat, grand fourbe, grand usurier, grand Gazetier de France,Rondeau. S’ils sont bien de sa plume, ces deux rondeaux n’ajoutent guère à la gloire de Patin. |
Imprimer cette note |
Citer cette note
x
Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 8 mars 1644. Note 64
|