Permettez-moi de vous témoigner la joie que j’ai de votre convalescence, je prie Dieu qu’il vous rende bientôt une santé parfaite. On parle ici d’une chose qui me semble bien étrange, c’est de remettre sus le procès de M. Fouquet [2] et de le faire revenir de deçà pour le juger de nouveau sur des lettres que l’on a recouvrées. Je ne sais si cela s’est jamais fait ; il est vrai qu’un huguenot [3] a autrefois fait un livre intitulé Révision du concile de Trente. [1][4] On dit que le roi [5] va demeurer à Saint-Germain-en-Laye [6] pour un mois, c’est-à-dire jusqu’à ce que le gros pavillon des Tuileries soit achevé, auquel on travaille jour et nuit, fêtes et dimanches. [7] On parle ici d’une forêt qui brûle depuis trois semaines près de Bellême-au-Perche, [8] et personne ne peut deviner d’où vient ce feu. [9] Le roi n’a point encore pourvu à la charge de lieutenant civil. Il y a apparence que ce sera M. d’Ormesson, [10] maître des requêtes, fils du défunt. [11] D’autres la donnent à un parent de M. Colbert. [12] Mais qui que ce soit qui l’ait, je crois qu’on ne la donnera jamais avec tant d’autorité qu’elle en a eue jusqu’à présent, car on parle d’établir une Chambre de police à laquelle présideront plusieurs maîtres des requêtes. [2] On parle aussi d’ôter toutes les fontaines des particuliers et de faire établir une si bonne garde toute la nuit par toutes les rues qu’il ne s’y fasse plus de vols ni de massacres. J’ai vu aujourd’hui une maladie qui est assez commune dans les hôpitaux mais qui est bien rare chez les bourgeois, c’est le scorbut, [13] duquel tant d’Allemands ont écrit : Eugalenus, [14] Ronsseus, [15] Horstius, [16] Sennertus, [17] Salomon Albertus, [18] etc. [3] Celle-ci n’en échappera non plus que les autres : morbus est a tota substantia, et vere immedicabilis propter vitium impressum variis partibus ; [4] mais tous les scorbutiques ne sont pas si malades. Quand ils sont confirmés par beaucoup de temps et que le corps en est abattu, je les tiens incurables. [5] Je vous supplie que l’incluse soit au plus tôt et sûrement rendue à M. Anisson. J’attends impatiemment des nouvelles de votre bonne santé et parfaite convalescence. Utinam hoc ipsum optatissimum, cito et per te, propriaque tua manu resciam. [6] Je salue toute votre famille et tous nos amis, principalement M. Spon, notre bon ami, et M. Garnier, et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 18e d’octobre 1666.
Bulderen, no ccccxxi (tome iii, pages 190‑192), datée du 28 octobre ; Reveillé-Parise, no dccxxiv (tome iii, pages 617‑618), du 18 octobre.
- V. note [4], lettre 430.
Ce livre anonyme, immédiatement interdit par Henri iv, a pour auteur Guillaume Ranchin (1559-1605), professeur de droit à Montpellier, érudit calviniste et gallican. Je ne lui ai pas trouvé de liens familiaux avec ses deux compatriotes dénommés François Ranchin, le médecin (v. note [5], lettre 13) et l’avocat (v. note [23], lettre 117).
- Sans lieu ni nom, 1600, in‑8o de 409 pages.
Le procès de Nicolas Fouquet ne fut jamais repris.
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (v. note [18], lettre 735), qui avait été rapporteur au procès de Nicolas Fouquet, était fils d’André, conseiller au Parlement de Paris, mort en 1665 (v. note [6], lettre 811). Comme le supputait Guy Patin, Simon Dreux d’Aubray n’eut pas de successeur, car l’office de lieutenant civil du Châtelet de Paris (v. note [6], lettre 21) allait être scindé en deux charges :
V. note [8], lettre 427, pour ces médecins, presque tous allemands, qui avaient écrit sur le scorbut.
« c’est une maladie qui provient de la substance tout entière, et vraiment incurable parce que le mal est imprimé à diverses parties ».
Il est tout de même surprenant que Guy Patin, si attaché au « bon régime de vivre », n’ait pas empiriquement observé qu’une saine alimentation prévient et guérit radicalement le scorbut. La forme confirmée et mortelle dont il parlait ici pouvait ne pas être la carence en acide ascorbique (vitamine C) à laquelle on réserve aujourd’hui strictement le nom de scorbut. Ses manifestations hémorragiques pouvaient le faire confondre avec certaines maladies du sang (leucémies, etc.).
Patin connaissait pourtant le livre d’André Falconet sur la question (Lyon, 1642, v. note [18], lettre 80), où il approuvait les vertus curatives du jus d’orange (v. note [4], lettre 981). Falconet dut en être fort marri.
« Dieu fasse que je découvre ce que je souhaite très ardemment, vite et par vous, et de votre propre main. »