L. latine 127.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 1er septembre 1659

[Ms BIU Santé no 2007, fo 82 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très éminent Monsieur, [a][1]

Je reste dans l’incertitude du lieu où vous êtes, c’est la principale raison pour laquelle je vous écris, afin de savoir enfin comment vous vous portez et où vous séjournez donc. [1] N’avoir eu aucune nouvelle de vous depuis longtemps accroît mon inquiétude ; mais où que vous soyez, je vous suis certainement redevable à bien des égards, pour tant de bienfaits et de services que vous m’avez si généreusement et sincèrement procurés, sans que je les mérite en aucune façon. Je pense que vous n’ignorez pas la mort de Johannes Rhodius, excellent et très savant Danois, survenue à Padoue il y a six mois, vers la fin de février. Par son décès, voilà entièrement décapitée l’espérance d’une nouvelle édition de Celse, auteur dont nul n’a à rougir ; c’est essentiellement pourquoi je déplore sa mort, bien qu’elle n’ait pas du tout été prématurée. [2][2][3][4] J’apprends qu’on imprime en Allemagne des Epistolæ, critiques et savantes, de Thomas Reinesius à Caspar Hofmann, et le Speculum medico-practicum de Melchior Sebizius. [3][5][6][7] Je suis très impatient de voir ces deux livres et souhaite les serrer sur mon sein ; je les attends pourtant patiemment après la foire d’automne qui va bientôt se tenir à Francfort. [8] Avez-vous jamais vu le petit livre de ce Thomas Reinesius, où il a trouvé légitime et parfaitement convenable qu’en cas de pressante nécessité, les médecins se réservent certains remèdes secrets à partager avec les malades, mais jamais avec les pharmaciens ? [4][9][10]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 82 vo | LAT | IMG] Qui est ce Christoph Adam Rupertus dont j’ai le Mercurius epistolaris qui a été récemment publié ? N’avait-il pas quelque degré de parenté avec feu notre ami Caspar Hofmann ou avec sa femme ? [5][11] J’ai ici un livre in‑4o qui a été publié dans votre pays sous le titre d’Amœnitates historicæ[6][12] Puisse Dieu avoir voulu que vos Endter aient dépensé leurs soins et leur papier à imprimer les Chrestomathiæ de Caspar Hofmann dont j’ai ici les manuscrits. [7][13][14] Je désespère d’en promouvoir la publication, sinon après cette paix universelle qu’il est maintenant fortement question d’établir et de confirmer rapidement entre les deux rois. [15][16][17] Je salue les incomparables MM. Werner Rolfinck, Conring, Nicolaï, [18][19][20] et vous en tout premier, très éminent Monsieur, à qui j’avoue volontiers devoir quantité de choses.

De Paris, le 1er de septembre 1659.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 82 ro et vo.

1.

Au début de sa lettre du 10 janvier précédent à Johann Georg Volckamer, Guy Patin a dit avoir appris de lui qu’il s’apprêtait à voyager en Italie à l’automne 1658, expédition dont Patin redoutait toujours les dangers potentiels (selon l’idée qu’il se faisait des mœurs de ce pays, richement développée dans ses ana).

2.

Né à Copenhague en 1587, Johannes Rhodius (v. note [1], lettre 205) était décédé à Padoue le 14 février 1659, dans sa 72e année (soit l’âge auquel Guy Patin allait lui-même mourir). Son Celse n’allait jamais être publié. Thomas Bartholin le récupéra et l’augmenta, mais en a relaté le triste sort dans la Thomæ Bartholini de Bibliothecæ Incendio Dissertatio ad Filios [Dissertation de Thomas Bartholin sur l’incendie de sa bibliothèque, adressée à ses fils] (Copenhague, Matthias Godicchenicius, 1670, in‑8o), en le décrivant comme le premier des ouvrages qu’il y a perdus (§ i, pages 56‑58) :

Celsus de Medicina Notis Variis Medicis, Philologicis et Antiquariis a me illustratus, cum Variis Lectionibus et Lexico Cl. V. Joh. Rhodii.

Opus diu orbi erudito desideratum, quod annis abhinc xxx. promisit beatus Rhodius, sed nunquam serio manum admovit. Varias tantum Lectiones magna cura congessit ex Codicibus mstis Florentino, Vaticano, Veneto, Mediolanensis, aliisque, omnibusque libris editis, quæ sine ulla censura ad manus meas pervenerunt beneficio beati Collegæ nostri D. Thomæ Bangii, ad quem reculæ posthumæ Rhodianæ hereditate conjugis pertinebant. Emendationes promiserat, quas nunquam mancisci potui. Lexicon denique composuit, in quo maximam tot annorum partem comsumpsit. Ego vero notis Medicis et Philologicis universum Autorem illustrare in me suscepi, jamque ad finem quinti libri me perduxerat ordo, addita ubique επικρισει ad varias lectiones tam a Rhodio collectas, quam per me superadditas. Cæterum frustraneus omnis noster labor. Intercedit jam multorum annorum meditatum opus, nec spes est damnum resarciri posse. Abiit enim Celsus noster ad excelsos, sui omnibus eruditis desiderio relicto.

[Le Celse de la Médecine que j’avais enrichi de multiples notes, médicales, philologiques et archéologiques, avec les annotations variées et le lexique du très distingué M. Johannes Rhodius.

C’est l’ouvrage que le monde savant a longtemps désiré : feu M. Rhodius l’avait promis depuis 30 ans, mais ne l’a jamais entièrement achevé. Il avait seulement amassé avec grand soin divers passages tirés tant des manuscrits conservés à Florence, au Vatican, à Venise, à Milan et en d’autres endroits, que de toutes les éditions imprimées. Cela m’avait été intégralement remis grâce à notre feu collègue Thomas Bangius, {a} à qui revenaient, par l’héritage de sa femme, les menues reliques posthumes de Rhodius, qui avait promis des corrections du texte, mais que je n’ai jamais pu trouver. Finalement, il avait composé un lexique, auquel il avait consacré la plus grande partie de toutes ces années. Pour moi, j’avais entrepris d’enrichir tout le Celse de notes médicales et philologiques, et j’étais déjà parvenu à la fin du cinquième livre, {b} en y ayant partout ajouté mon jugement sur de nombreux passages, tant colligés par Rhodius que choisis par moi ; mais nous avons accompli tout ce travail pour rien : l’ouvrage que j’avais projeté depuis déjà nombre d’années est détruit, il est condamné à l’oubli sans aucun espoir de pouvoir le récupérer. Voilà notre Celse parti dans les cieux, laissant derrière lui le désir qu’en avaient tous les savants]. {c}


  1. Thomas Bangius (v. note [13], lettre de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662) avait hérité de la bibliothèque et des papiers de Rhodius (mort sans descendance), qui furent vendus à Copenhague en 1662.

  2. La Medicina de Celse est composée de huit livres (v. note [13], lettre 99).

  3. « De tous les travaux de J. Rhodius sur ce sujet, la seule partie que l’on ait pu arracher aux flammes est la Vie de Celse, qui se trouve à la tête de la plupart des bonnes éditions que nous avons citées » (Éloge de Celse, prononcé le 19 avril 1838 ; par M. H. Kühnholtz, bibliothécaire et professeur agrégé de la Faculté de médecine de Montpellier…, Montpellier, Louis Castel, et Paris, Germer-Baillière, 1838, in‑4o, page 70).

3.

V. notes [4], lettre 557, pour les « Lettres de Thomas Reinesius à Caspar Hofmann et Christoph Adam Rupertus… » (Leipzig, 1660), et [9], lettre 557, pour le « Miroir pratique de médecine » de Melchior Sebizius en deux tomes (Strasbourg, 1659 et 1661).

4.

Ce « petit livre » [libellus] est intitulé :

Chimiatria, hoc est Medicina, nobili et necessaria sui parte, Chimia, instructa et exornata, in theatrum illustris ad εlistrum Ruthεnεi sermone panegyrico producta a Thoma Reinesio, Thur. Philos. et Med. D. t.t. Physico Rutheno-Gerano, postea vero Archiatro Saxo, Altenburgico, Medico, Critico, ac Polyhistore famigeratissimo….

[La Chimiatrie, c’est-à-dire la Médecine en sa noble et nécessaire partie qu’est la Chimie, disposée, présentée et exposée en un discours panégyrique dans le très illustre amphithéâtre de Gera par Thomas Reinesius, {a} natif de Thuringe, docteur en médecine, philosophie et histoire naturelle à Gera, puis archiatre de Saxe, très célèbre médecin critique et grand savant d’Altenbourg]. {b}


  1. V. note [10], lettre 117.

  2. Iéna, Johannes Gollnerus, 1678, in‑4o ; première édition, Gera, 1624, in‑4o ; discours daté de Gera (Thuringe), le 14 janvier 1619 dans le calendrier julien (24 janvier grégorien, v. note [12], lettre 440).

Le passage sur la fabrication des médicaments par le médecin se trouve aux pages 44‑46 ; l’esprit peut s’en résumer à ces deux phrases :

Nemo enim dexterius composuerit medicamenta seu vulgaria seu chimica quam Medicus, qui materiam remediorum, in qua maxima differentia est, cognoscit signis suis, et quo pacto utile ab inutili separandum, et quid e quolibet mixto expectari debeat, et cui usui quodvis destinaverit, et laborandum præcipit. Contra, si ministris committantur omnia eorumque arbitrio relinquantur, sæpe fit ut medicamenta præstantissima mutata corrupta aut vitiata autoriatem suam amittant, vel Medici expectationi non respondeant, vel etiam ægro exitium pariant ; ne quid de fraudibus lucripetarum pharmacopœorum conquerar.

[Qu’ils soient communs ou chimiques, nul ne pourrait composer les médicaments avec plus d’habileté que le médecin : il connaît intimement la matière des remèdes, où il existe de grandes variations, sait comment discerner l’utile de l’inutile, ce qu’on doit attendre de quelque mélange que ce soit, et à quel usage il le destinera ; il décide la manière d’élaborer. Au contraire, si tout est confié à des assistants et laissé à leur arbitrage, il arrive souvent que les médicaments les plus éminents, étant transformés, corrompus ou viciés, échappent à l’autorité du médecin ou ne répondent plus à son attente, ou même provoquent la perte du malade ; sans qu’il soit utile de me plaindre des fourberies des pharmaciens avides d’argent].

5.

Christ. Adami Ruperti Mercurius epistolaris, sive Institutio epistolica, varii, neque ignobilis argumenti epistolas, formulas, descriptiones, testimonia, dispositionesque exhibens, juxta indicem quintuplicem. Præmittitur de occasione hujusdem, et nonnullis styli epistolici virtutibus ac vitiis Dialogismus.

[Le Mercure épistolaire de Christoph Adam Rupertus {a} ou l’Institution épistolaire, présentant des lettres, formules, descriptions, témoignages et dispositions portant sur des sujets divers et ne manquant pas de noblesse, avec un quintuple index. Précédé d’un aparté sur l’opportunité, et sur quelques vertus et vices du style épistolaire]. {b}


  1. V. note [15], lettre 656, pour Rupertus, dont je n’ai pas élucidé le lien de parenté avec Caspar Hofmann.

  2. Nuremberg, Johannes Tauberus, 1659, in‑12, pour la première de plusieurs éditions.

6.

Amœnitates historicæ, sive Rerum selectarum Centuriæ duæ, quibus virorum principum, Græcorum præcipue ac Romanorum, res gestæ, bella, fata, virtutes, vitia, tyrannides ; variarum regionum et urbium descriptiones ; populorum mores atque instituta ; imperiorum incrementa et eversiones ; civium seditiones aliaque id generis politices studioso perquam utilia continentur, ex antiqua et probata Historia congestæ, cum duplici indice, altero speciali axiomatum politicorum ; generali altero rerum et verborum omnium : Opera ac studio Gerardi von Stökken Rensburgensis, J.U.L.. {a}

[Agréments historiques, ou deux centuries de narrations choisies, contenant : les vies, guerres, destins, vertus, vices, tyrannies des grands hommes, principalement grecs et romains ; les descriptions des divers pays et villes ; les mœurs et les lois des peuples ; les expansions et les destructions des empires ; les séditions des cités ; et autres faits politiques de cette sorte, fort utiles à celui qui étudie. Tirées de l’histoire antique et approuvée ; avec deux index, l’un particulier pour les mots politiques, l’autre général, pour toutes les matières et tous les mots. Par l’étude et les soins de Gerardus von Stökken, natif de Rendsburg, {b} licencié en l’un et l’autre droits].


  1. Juris Utriusque Licentiatus [licencié en l’un et l’autre droits (civil et religieux).

  2. Gerhard von Stökken, natif de Rendsburg (Rendsburg, Schleswig-Holstein 1629-1681), professeur de droit à Strasbourg.

  3. Nuremberg, Wolfgangus Jun. et Johannes Andrea Endter, 1658, in‑4o.

7.

Johann Andreas Endter (1625-1670), libraire-imprimeur de Nuremberg, avait reçu sa formation chez son père, prénommé Wolfgang, et chez les Elsevier. Il avait repris l’officine de son père en association avec son frère aîné, lui aussi prénommé Wolfgang (mort en 1655), puis avec ses fils (ou frères), Paul et Christophe ; on trouve aussi des ouvrages imprimés au xviie s. à Nuremberg par Michael et Johann Friedrich Endter.

V. note [1], lettre 929, pour les Chrestomathies de Caspar Hofmann dont Guy Patin ne parvint à obtenir la publication qu’en 1668 à Lyon.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 82 ro.

Clariss. viro D. Io. Georgio Volcamero, Noribergam.

Vir præstantissime,

Ubinam sis locorum dubius hæreo, ideóq. potissimum
ad Te scribo, ut sciam tandem quî sis valeas, et ubinam degas. Anxietatem
meam auget, quod jamdudum de Te nihil audiverim : sed ubicumque sis, certè
Tuus sum multiplici nomine, propter tot à Te beneficia et officia mihi planè immerenti
tam generosè, ac æquo animo collata. Puto Tibi non ignotam esse mortem viri optimi atque
doctissimi, Ioan. Rhodij, Dani, qui fatalem legem expertus est Patavij,
ante sex menses, circa finem Februarij : et per ecujus obitum planè decollavit
spes illa novæ editionis non pænitendi Authoris, Corn. Celsi : quo potissimum
nomine mortem ejus doleo, quamvis non omnino immaturam. Audio in Germania
typis mandari Epistolas quasdam criticas et eruditas Thomæ Reinesij ad Casp.
Hofmannum
 ; et Melch. Sebizij Speculum Medico-practicum : utrumque
cupidissimè videre aveo, et habere in sinu ; patienter tamen utrumque expecto
post nundinas Francofurtenses autumnales quæ imminent. Vidistine
unquam illius Th. Reinesij libellum, quo probavit Medico fas interdum
esse, ut et convenientissimum, habere sibi secreta quædam remedia, cum
ægris, urgente necessitate, numquam v. cum pharmacopolis communicanda ?

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 82 vo.

Quis est ille Christ. Adamus Rupertus, cujus habeo nuper editum
Mercurium Epistolarem ? nonne aliquo affinitatis gradu contingebat
Amicum eolim nostrum Casp. Hofmannum, vel ejus uxorem ? Hîc
habeo librum apud vos editum in 4. hujus lemnatis, Amœnitates
Historicæ
 : utinam Endteri vestri suam curam, et illam chartam
impendissent in excudendis Chrestomathijs Casp. Hofmanni
quas hîc habeo : et de quarum editione promovenda nihil spero,
nisi post universalem illam Pacem, de qua nunc fortiter agitur, inter
duos Reges, breve constitutam et confirmatam. Viros eximios
saluto, D.D. Guern. Rolfinckium, Conringium, Nicolaüm, Teque
imprimis, vir præstantissime, cui plurima me debere lubens profiteor.

Datum Parisijs, 1. Sept. 1659.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 1er septembre 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1160

(Consulté le 20/04/2024)

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