L. latine 128.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 3 octobre 1659

[Ms BIU Santé no 2007, fo 82 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, à Leyde.

Très éminent Monsieur, [a][1]

Je peine à exprimer à quel point je suis votre débiteur, tant est vaste votre affection pour moi, tant sont grandes votre munificence et votre générosité. Aujourd’hui, 3e d’octobre, de très bon matin, M. Ledenam m’a remis votre paquet. [2] J’y ai trouvé l’India de Piso, [3] le Gronovius de Sesterciis[4] les cinq livres d’Isaac Vossius et Georg Horn de ætate mundi[5][6][7] le Quadripartitum de Simon Pauli et les Theses theologicæ de Gerardus Johannes Vossius ; ce que je pense être tous les ouvrages que vous m’aviez promis. [1][8][9] Dieu veuille que je puisse vous rendre la pareille. On achèvera bientôt l’édition des Opuscula medica de Jean Des Gorris ; [2][10] une fois l’ouvrage terminé, je préparerai un paquet de quelques livres que j’ai ici, dont je vous enverrai la liste dans ma prochaine lettre. Je remettrai ce colis au commis de M. Elsevier ; il est ici présent et se tient prêt à exposer les nombreux livres qu’il a apportés ici de votre pays. Dans le même envoi, vous trouverez un exemplaire des Opuscula de Des Gorris pour M. van Horne, que je salue obligeamment, [11] et un autre pour M. Utenbogard, à qui vous voudrez bien l’envoyer. [12] Si vous avez reçu de M. Gronovius en personne son livre de Sesterciis, pour me le remettre, je vous prie de le remercier de ma part ; dans le cas contraire, voilà qui me rappellerait que je vous dois beaucoup d’argent pour ce très beau livre. Nous avons ici un de nos anciens, nommé Jean Merlet, presque octogénaire, remarquable praticien, docteur de notre Compagnie depuis 50 ans, fort expérimenté et tout à fait rompu aux opérations du métier, qui a achevé un Commentarium in historias Epidemicas Hippocratis, et qui a dessein de le faire imprimer dans quelques mois. [3][13][14] Quant à vous, excellent Monsieur, ne songez-vous pas à une nouvelle édition de vos de Scriptis medicis ? [15] N’est-on pas en train d’imprimer les œuvres de Johann Wier, ce livre sera-t-il in‑fo ? [4][16] Est-il vrai, comme j’ai ouï dire, qu’on prépare chez vous une nouvelle édition des œuvres en français d’un certain sannio, ou plutôt du Démocrite ou du Lucien de Samosate français, qui porte le nom de François Rabelais ? [5][17][18][19] Si elle est soignée et parfaitement corrigée, on l’estimera extrêmement ici et elle se vendra à merveille. Comment vos Meletemata avancent-ils ? [6][20] Depuis quelque temps déjà, les ministres d’État, le Français et l’Espagnol, se rencontrent à la frontière des deux royaumes pour parler à la fois de la paix universelle et du mariage de notre roi avec l’infante espagnole. Ils n’ont pas encore mis fin à leurs entretiens. [7][21][22][23][24][25][26] En attendant, notre roi a jusqu’ici séjourné à Bordeaux ; mais puisque cette affaire traîne en longueur, il voyagera à Toulouse et Marseille, jusqu’à ce que l’ambassadeur que nous avons envoyé en Espagne, M. de Gramont, en soit revenu. [27] Ensuite, le roi reviendra à Paris, peut-être, dit-on, avant le mois de mai ; et tout cela aux plus grands ennui et préjudice de nos marchands qui vivent et tirent de l’argent du luxe immodéré de notre très fastueuse cour. [8] Ne reverrons-nous jamais votre Athenæ Batavæ et qui donc est celui qui les prépare ou dispose pour une nouvelle édition ? [9][28] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, ce vendredi 3e d’octobre 1659.

Votre Guy Patin de tout cœur.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 82 vo.

1.

V. notes :

2.

V. note [11], lettre 453, pour les quatre « Opuscules médicaux » de Jean iii Des Gorris (Paris, 1660).

3.

Ce « Commentaire sur les Épidémies d’Hippocrate » de Jean Merlet n’a pas été imprimé.

4.

V. note [29], lettre 925, pour la 3e édition des De Scriptis medicis libri duo… [Deux livres sur les écrits médicaux] de Johannes Antonides Vander Linden (Amsterdam, 1662), et [5], lettre 574, pour les Opera omnia [Œuvres complètes] de Johann Wier (Amsterdam, 1660).

5.

Le mot latin sannio, bouffon, venu du grec σαννιων, imbécile, sot, que Guy Patin a utilisé pour qualifier Rabelais, semble péjoratif pour un auteur qu’il admirait sans retenue ; sans doute vaut-il mieux le traduire par satiriste ou comique (« tout ce qui est plaisant, récréatif » [Furetière]).

V. notes [14], lettre 41, pour Lucien de Samosate, [9], lettre 455, pour Démocrite, et [4], lettre 574, pour l’édition des Œuvres de M. François Rabelais qu’on allait alors entreprendre à Amsterdam (1663, 2 volumes in‑12).

6.

V. note [16], lettre 557, pour les Meletemata [Exercices pratiques (de médecine hippocratique)] de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1660).

7.

V. note [17], lettre 573, pour l’île des Faisans, sur la Bidassoa, où Mazarin et don Luis de Haro avaient entamé le 13 août 1659 les pourparlers qui menèrent à la paix des Pyrénées, conclue entre les deux royaumes le 7 novembre et suivie, en juin 1660, par le mariage de Louis xiv avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne (que Guy Patin a d’abord qualifiée de vierge [virgo], avant de se reprendre pour écrire infante [infans]).

8.

Partis de Fontainebleau le 28 juillet 1659, le roi et la cour avaient entamé un long périple prénuptial, passant par Bordeaux (19 août), Toulouse (14 octobre), Montpellier (9 janvier 1660), Aix-en-Provence (17 janvier), Toulon (7 février), Marseille (2 mars), Montpellier de nouveau (2 avril), Bayonne (1er mai) et enfin Saint-Jean-de-Luz (8 mai), sans être repassés par Paris (Levantal). Cette absence prolongée de la cour privait les marchands parisiens de leurs plus opulents clients.

V. note [14], lettre 39, pour le maréchal-duc Antoine de Gramont.

9.

V. note [9], lettre 443, pour l’« Athènes batave » de Jan van Meurs (Leyde, 1625), répertoire illustré des brillants enseignants de l’Université de Leyde, qui n’a été ni mis à jour, ni réédité.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 82 vo.

Clariss. viro D. Io. Ant. Vander Linden, Leidam.

Quam multa Tibi debeam, vir præstant. vix possum exprimere, tantus
est amor in me tuus, tanta est munificentia et liberalitas. Hodie 3. Oct. mane
quamprimum accepi per D. Ledenam fasciculum tuum in quo deprehendi Pisonis
Indiam, Gronovium de Sestercijs, Is. Vossij et G. Hornij scripta quinque de ætate
mundi, Sim. Paulli Quadripartitum, et Ger. Io. Vossij Theses Theologicas
 : quæ
quidem omnia esse puto quæ promiseras. Utinam possim retaliare : proximè tendi-
mus ad finem editionis Opusculorum Medicorum Io. Gorræi : peracto opere, conficia[m]
fasciculum quorundam quæ hîc habeo, et quorum Indicem primis meis ad Te mitta[m :]
illúmq. tradam famulo D. Elseverij, qui hîc adest, séq. accingit ad expositionem
multorum librorum quos huc advexit à de vestra regione. In eodem fasciculo inv[e-]
nies unum exemplar 2 Gorræi 1 Opusculorum pro D. Van-Horne, quem
officiosè saluto : alterum pro D. Utenbogardo, ad quem mittes, si
placet. Si librum D. Gronovij de Sestercis, ab ipso Auctore acceperis
ut mihi traderetur, age illi quæso gratias meo nomine : sinminus, est
quod recorder me magis esse in ære tuo, pro libro pulcherrimo. Hîc habem[us]
Seniorem quendam à nostris, dictum Io. Merlet, prope octogenarium,
Practicum eximium, ab annis 50. in ordine nostro Doctorem peritissimum,
et in Operibus artis consummatissimum, qui confectum habet Commen-
tarium in historias Epidemicas Hipp.
et cujus editionem intra paucos
menses meditatur. Tu v. vir optime, cogitásne de nova editione
tui Libri de Scriptis Medicis ? curruntne sub prælo Io. Wieri Opera ?
eritne iste liber in folio ? estne verum quod audivi, nempe apud vos
adornari novam quandam editionem Operum Gallicorum sannionis cujus-
dam, vel potius Democriti aut Luciani Gallici, qui proprio nomine nun-
cupatur François Rabelais ? si fuerit accurata et emendatissima
ejus editio, supra modum hîc æstimabitur, et pulchrè distrahetur.
Meletemata tua quô procedunt ? Ministri politici tam Gallus quàm Hispanus
jamdudum in utriusque regni finibus, inter se agunt, tam de pace universali, quàm de
Regis nostri conjugo cum Virgine Infante Hispana : necdum finem imposuerunt suis
Colloquijs : interea Rex noster hactenus vixit Burdigalæ : verùm quia res ipsa in
longum protrahitur, quousque Legatus noster Dominus de Gramont in Hispa-
niam missus, inde revertatur, Rex noster Tolosam et Massiliam iturus est :
unde Parisios, vix reversurus dicitur ante Maijum, summo mercatorum nostrorum
qui ex magnificentissimæ aulæ immodico luxu vivunt et rem faciunt, tædio
ac incommodo. Athenas vestras Batavas numquámne videbimus ? quis
eas adornat vel apparat ad novam editionem ? Vale, vir Clar. et me
quod facis amare perge.

Parisijs, Die Veneris,
3. Oct. 1659.

Tuus ex animo Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 3 octobre 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1161

(Consulté le 26/04/2024)

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