L. latine 344.  >
À Sebastian Scheffer,
le 6 mars 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 186 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai envoyé à M. Horst [2] un petit paquet où se trouvent trois traités manuscrits du très distingué M. Caspar Hofmann, de Calido innato, de Humoribus et de Partibus similaribus[3] Je vous les confie afin que, pour le plus grand profit de la médecine, vous favorisiez leur édition aussi vite que vous le pourrez. Je n’ai pas pu l’obtenir ici en raison de la pauvreté extrême et presque ostentatoire de nos imprimeurs, [4] qui sévit outrageusement par toute la France ; quelle honte ! etc. [1][5] Après que vous vous serez mis d’accord sur l’imprimeur, nous nous occuperons de préparer la première page du livre, ou frontispice de tout l’ouvrage, ainsi que de l’épître dédicatoire, savoir à qui et quand l’écrire. [2][6][7] Aujourd’hui même, j’ai pris l’avis d’un marchand de Metz pour ce miroir que vous attendez ; nous avons même demandé à un voiturier s’il pouvait le transporter jusqu’à vous ; il nous a répondu qu’il ne veut pas s’y oser, et que jamais il ne s’y osera, parce que la glace se brisera sans doute ; que s’il songeait à assurer cette expédition, il ne demanderait pas moins de 27 livres tournois, soit neuf écus ; [3][8] somme qui égalerait, voire dépasserait la moitié du prix de votre cadeau. Tandis que j’examinais attentivement tout cela, j’ai aussi pris l’avis du très distingué M. Du Clos, [9] médecin de Metz (qui est ici depuis plus de deux mois, pour les affaires politiques de sa cité) : [10] fort de sa propre expérience, il dit qu’il est impossible de trouver un charretier ou un cocher qui entreprenne une telle tâche ; il affirme même hardiment que les miroirs ne manquent pas à Francfort, de la taille qu’on voudra, si bien qu’il est inutile d’en faire venir un de Paris dans votre pays. Voyez donc ce que vous voulez que je décide, ou dites-moi quoi faire de l’argent que vous m’aviez confié pour cet achat. Que doit-on finalement espérer de votre graveur et de la dixième partie de ses portraits ? [4] Nous n’avons ici rien de plus nouveau que ce que je vous ai déjà écrit dans ma lettre du 29e de janvier 1665{. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi, le 6e de mars 1665} ; sinon seulement que M. le cardinal de Retz [11] arriva hier à Paris, qui, peu de jours après avoir vu le roi, partira d’ici pour s’en aller à Rome, y être notre ambassadeur extraordinaire[5][12] Le très distingué Heinrich Meibomius, professeur à Helmstedt, [13] vient de m’écrire qu’il enverra bientôt chez vous un paquet de thèses et d’opuscules à me faire parvenir. [14] Quand vous l’aurez reçu, envoyez-le, je vous prie, à Metz, avec cette inscription :

À Monsieur M. Du Clos, docteur en médecine à Metz,
pour être envoyé à M. Guy Patin, docteur en médecine
et professeur du roi, à Paris
.

Je vous rembourserai de bon cœur ce que vous aurez dépensé pour le transport. Il est ici sérieusement question que le roi établisse un commerce avec les Indes, beaucoup de gens le suivent ; [15] Dieu fasse qu’il y rencontre, ainsi que toute la France, un heureux succès. Je salue votre très chère épouse et souhaite qu’elle accouche facilement et heureusement, et pulchra faciat Te prole parentem[6][16] Je salue le très distingué M. Horst, qui m’a tout récemment écrit à votre sujet et à celui de votre père, [17] avec beaucoup d’affection et de bienveillance. Faites que votre amour pour moi fleurisse, se fortifie et croisse de jour en jour à cause de moi. Je salue aussi le noble, savant et insigne M. Pentz von Pentzenau. [18] Vale, etc.

De Paris, le 6e de mars 1665.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 186 vo.

1.

Semblant avoir changé d’avis sur l’intermédiaire à employer, Guy Patin a remanié le début de sa lettre en y barrant et remplaçant deux passages qui faisaient intervenir Sebastian Switzer dans le port du précieux colis qu’il destinait à Johann Daniel Horst (v. note [4] de la lettre latine précédente) : il expédiait à Francfort ses trois traités manuscrits posthumes de Caspar Hofmann, « de la Chaleur innée », « des Parties similaires » (du corps humain, v. note [7], lettre 270) et « des Humeurs », dont, après bien des promesses déçues, il voulait absolument obtenir la publication avec l’aide de Sebastian Scheffer. Toutefois, au début de sa lettre latine suivante, le 9 mars, Patin allait écrire à Horst que Switzer fut bien celui à qui il confia son colis. Peut-être Patin avait-il une raison de ne pas vouloir parler de Switzer à Scheffer.

Les deux premiers de ces traités allaient paraître dans les Opuscula medica d’Hofmann (Francfort, 1667, v. note [14], lettre 150) ; le troisième n’a jamais vu le jour.

2.

Composés des deux livres « des Médicaments officinaux », du traité « de la Chaleur innée et des Esprits » et du traité « des Parties similaires », les Opuscula medica de Caspar Hofmann (Franfort, 1667, v. supra note [1]) ne furent pas ornés d’un frontispice et de dédicaces bien remarquables, et durent décevoir les espérances de Guy Patin.

Chacune des trois parties s’y ouvre sur une page de titre ornée du même médaillon, que Thomas Matthias Götze, libraire de Francfort, avait choisi pour emblème : Fortune (v. note [9], lettre 138) nue ouvre les bras pour retenir derrière elle sa tunique gonflée par la brise ; debout sur un petit globe ailé, elle surmonte une mer calme et semée de quelques voiles ; un petit Mercure se tient à sa droite, brandissant son caducée (v. note [7], lettre latine 255) ; la gravure, de facture assez grossière, est encerclée par une couronne de palmes tressées où s’enlace cette devise de la déesse, Fortassis tentare licebit [Peut-être sera-t-il permis d’essayer].

Les dédicaces (déjà en partie commentées dans la note [14] de la lettre 150) sont :

  1. pour les « Médicaments officinaux », celle qu’Hofmann avait écrite d’Altdorf pour Guy Patin en mars 1646 (v. note [7], lettre 134), précédée par ces mots de Götze, Viro perillustri et excellentissimo Domino Guidoni Patino, Bellovaco, Doctori Medico Parisiensi et Professori Regio philologo et polyhistori celeberrimo hoc Opus ab Auctore antehac consecratum denuo editum [L’auteur a précédemment dédié cet ouvrage, aujourd’hui réédité, au très illustre et excellent M. Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et professeur royal, très célèbre philologue et érudit] ;

  2. pour la « Chaleur innée… », ces mots de Sebastian Scheffer, Viro nobilissimo atque excellentissimo Domini Carolo Patino, Doctori Medico Parisiensi et Professori Regio Guidonis Patris candorem ac integritatem imitanti adæquantique [Au très noble et excellent M. Charles Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal < sic >, qui imite et égale la candeur et l’intégrité de son père Guy] ;

  3. pour les « Parties similaires », l’épître qu’Hofmann avait écrite d’Altdorf, le 31 décembre 1634, à Johann Heinrich Colhans et David Gödelman, juristes de Gotha en Thuringe, ville natale d’Hofmann.

En regard de la dédicace des « Médicaments officinaux », le plus bel hommage rendu à Guy Patin est son portrait, surmonté de sa devise, Felix qui potuit [Heureux qui a pu] (Virgile, v. note [6], lettre 438), avec cette légende :

Guido Patin Bellovacus Doctor Med: et Prof: Reg: Paris:

Immortale decus peperit nomenq. perenne
Æmula Galeni mens Tua, Magne Patin:
Nec modo Te Magnum Gallus miratur et Anglus,
Sed quo Germanus Te quoq. laudet, habet.

Sebastian Schefferus scr.
J. Phil. Thelott sculpsit
.

[Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris et professeur royal.

Ô grand Patin, ton esprit, qui cherche à égaler Galien, t’a procuré une gloire immortelle et un renom durable. C’est pourquoi, non seulement le Français et l’Anglais t’admirent, mais l’Allemand te tient aussi pour grand et chante ta louange.

Sebastian Scheffer l’a écrit.
J. Phil. Thelott l’a gravé]. {a}


  1. Johann Philipp Thelott (Thelot ou Delot), graveur de Francfort, est mort en 1671. Il a dessiné le profil de Patin à partir de celui qui figure sur son jeton décanal (v. note [42], lettre 288).

3.

L’italique est en français dans le manuscrit ; v. note [2], lettre latine 296, pour ce fastidieux achat de miroir destiné à l’épouse de Scheffer.

4.

Guy Patin ne se résignait pas à l’idée que parte en fumée son vaniteux espoir de voir un jour figurer son portrait dans la Bibliotheca chalcographica [Bibliothèque gravée], qui n’eut jamais de 10e partie (v. note [1], lettre latine 308).

5.

L’italique est en français dans le manuscrit.

J’ai maintenu {en les mettant entre accolades} la souscription et la date que Guy Patin a barrées, décidant de ne pas arrêter là sa lettre ; sans doute était-ce pour éviter que sa morosité à propos du miroir et des portraits gravés ne mécontente Sebastian Scheffer, l’ami qui représentait son dernier espoir de faire publier ses très chers manuscrits hofmanniens. Son ton, on va le voir, allait beaucoup s’emmieller.

V. lettre latine 337, pour les nouvelles que Patin avait écrites à Scheffer le 29 janvier 1665.

V. note [7], lettre 814, pour le témoignage d’Olivier Lefèvre d’Ormesson sur la houleuse négociation qui eut lieu entre le roi et le cardinal de Retz au sujet de l’ambassade extraordinaire à Rome qu’on voulait lui confier. Retz accepta à la fin et arriva dans la Ville éternelle le 14 juin 1665 : « Tout le monde ignorait ce qu’il devait y faire. Même lui » (Bertière, La Vie du cardinal de Retz, page 502).

6.

« et vous rende père d’une belle progéniture » (Virgile, v. note [1], lettre 33).

Un coup d’œil sur la transcription ou, mieux, sur le manuscrit (au bas de la page de gauche) permet de voir que ce qui suit est une seconde louche de miel (v. supra note [5]) que Guy Patin a ajoutée avant la souscription et la date finales.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 186 vo.

Clariss. viro Seb. Scheffero, Med. Doctori, Francofurtum.

Vir Cl. Tradidi Seb. Switzero Misi ad D. Horstium, Vir Cl. per Seb. Switzerum parvum quen-
dam fasciculum, in quo habentur tres Tractatus MS. Viri Cl. Casp. Hofmanni, de Calido innato,
de Humoribus, et de Partibus similaribus,
quos tuæ fidei committo, ut eorum editionem quam citò
poteris, summo Reip. Medicæ commodo promoveas, quod hîc non potui præstare propter summam
ac penè publicam Typographorum nostrorum egestatem, quæ per totam Galliam nimioperè
viget, proh pudor, etc. Posteaquam conveneris de Typographo, agemus ambo de adornanda
prima libri pagina, sive de frontispicio Operis totius, ut et de Epistola dedicatoria, nimirum
et cui et quando. Hodie nunc nunc consului quendam Mercatorem Metensem, pro illo
tuo expectato Speculo : de quo ad Te perferendo etiam egimus cum quodam auriga, qui
retulit se nolle tale quid aggredi, nec unquam aggressurum, propter vitream naturam
quæ haud dubiè frangeretur : quod si cogeretur istud præstare, pro vecturæ pretio
vix nihil minus postularet quàm 27 lt. Turonenses, id est neuf escus : quæ quidem
summa plusquam dimidiam speculi summam superaret, aut saltem æquaret. Quæ quum
singula considero, audito quoque V. Cl. Domino du Clos, Medico Metensi, (qui pro Civitatis
suæ rebus politicis hîc agit à duob. mensibus, et suprà,) qui proprio fretus experimento negat
ullum reperiri posse rhedarium vel aurigam qui suscipiat talem vecturam : imò audacter affirmat
Francofurti non deesse Specula, cujusvis magnitudinis, ideóq. frustra futurum
si Lutetia ad vos transferantur. Vide igitur quid velis me facere, vel decerne de
tua pecunia quam habeo in manibus. Quid tandem nobis sperandum de vestrate
Chalcographo, et decima parte Iconum ejus ? Nihil hîc habemus novi præter
ea quæ scripsi in mea, 29. Ianu. 1665. ^ Vale, et me ama, Vir Cl. 6. Martij, 1665.

^præter hoc unum, que Monsieur le cardinal de Retz arriva hier à Paris, qui, peu
de jours apres avoir veu le Roy, partira d’ici pour s’en aller à Rome, y estre
nostre Ambassadeur extraordinaire. Vir Cl. Henr. Meibomius, Professor Helmes-
tadiensis, nuper scripsit se brevi missurum ad vos, fasciculum quendam Thesium
et Libellorum ad me mittendorum : postquam eum acceperis, mitte quæso
Metas, cum hac inscriptione : à Monsieur Monsieur Patin du Clos, Docteur en Med. à Mets, et
pour estre envoyé à M. Guy Patin, Docteur en Medecine et
Professeur du Roy, à Paris.
Pro pretio vecturæ quidquid impensarum feceris,
libenter refundam. Hîc à Rege, quem multi insequuntur, seriò agitur de
instaurando Commercio Indico : quod utinam ei et ac toti Galliæ feliciter succedat.
Saluto carissimam tuam uxorem, quæ utinam feliciter ac facilè pariat,
et pulchra faciat Te prole parentem. ^ Vale, Vir Cl. Parisijs, 6. Martij, 1665.

^ Cl. Virum D. Horstium saluto, qui de Te Parentéq. tuo Cl. peramanter ac
benevolè admodum nuper ad me scripsit : fac igitur ut amor ille vester vigeat,
et propter me in dies firmetur ad adaugeatur. Saluto quoque nobilem virum
Dom. Pentz de Pentzenau, virum eruditum ac eximium. Vale, etc.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 6 mars 1665

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(Consulté le 26/04/2024)

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