À Claude II Belin, le 2 janvier 1641

Note [6]

Jules Mazarin (Giulio Mazzarino ou Mazzarini, 14 juillet 1602-Vincennes 8 mars 1661) était natif de Pescina, petite ville des Abruzzes, où sa mère, Hortensia, née Bufalini, était allée s’abriter des rigueurs estivales de Rome. Il était le fils aîné de Pietro Mazzarino, cameriere (intendant) du grand connétable Filippo Colonna (v. note [2], lettre 47), petit-fils du vainqueur de la bataille de Lépante (1571).

Pietro avait certes des origine en Sicile (où il possédait quelques terres), mais n’était pas, comme on s’est complu à l’écrire pour médire, un marchand de Palerme qui aurait dû fuir à Rome à la suite d’une banqueroute sordide. Le frère aîné de Pietro, lui aussi prénommé Giulio, était jésuite et illustre prédicateur italien (v. note [26] du Naudæna 3d). Le jeune Giulio avait passé sa jeunesse dans la capitale des États pontificaux sous l’ombre protectrice des Colonna : chez les jésuites, au Collegio Romano, il avait été compagnon de Girolamo Colonna (1604-1666), fils du grand connétable ; vers 1619, tous deux étaient partis étudier deux ans le droit et apprendre la langue castillane à l’Université espagnole d’Alcala de Henares (Madrid) ; Giulio avait achevé ses études en 1628 avec le titre de docteur en droits (civil et canonique) de l’Université la Sapienza de Rome.

De son côté, Girolamo Colonna, sans être prêtre, avait été nommé cardinal en 1627. Le jeune et fringant Mazarin avait été introduit à la cour papale, d’abord comme capitaine dans l’armée pontificale (1625-1627), où il montra bien plus d’habileté à négocier qu’à combattre. On l’avait ensuite attaché au nonce du pape à Milan (territoire espagnol), Giulio Cesare Sacchetti (v. note [29], lettre 395). Rappelé à Rome par la maladie de son frère, le nonce avait confié à Mazarin l’intérim de sa charge, entièrement dévolue à la diplomatie dans cette région qu’agitaient de forts enjeux politiques (succession de Mantoue et du Monferrat, contrôle de la Valteline) entre l’Espagne, la France, l’Empire, et la Savoie. Les pourparlers incessants, où Giulio brillait de tous ses feux, l’avaient mené à une première rencontre avec Richelieu (Lyon, 28 janvier 1630), qui avait jeté les bases d’une confiance et d’une estime mutuelles.

Le 26 octobre 1630, l’armée française renforcée par Schomberg (v. note [10], lettre 209) s’apprêtait à lancer l’assaut de la forteresse de Casal (v. note [20], lettre 39), tenue par les Espagnols, qu’elle assiégeait depuis deux ans. Mazarin, ayant obtenu in extremis le principe d’une trêve, se lança seul à cheval entre les deux armées qui allaient ouvrir le feu, agitant une écharpe blanche et criant Pace ! Pace ! La bataille ne s’engagea pas et l’affaire de Mantoue finit par se régler autrement. Cet acte de bravoure inouïe avait eu un immense éclat dans toute la chrétienté, et valut à son auteur d’entrer enfin dans les bonnes grâces du pape Urbain viii (Maffeo Barberini, v. note [19], lettre 34) et d’être confirmé dans celles de Richelieu (v. note [43] du Naudæana 4).

Au début de 1631, Mazarin avait séjourné pour la première fois à Paris durant un mois pour préparer les traités de paix entre la France et la Savoie, et consolider sa francophilie, ainsi que ses connivences avec Richelieu et la cour de Louis xiii, jusqu’à être désiré pour la nonciature de Paris ; mais en vain, à cause d’un veto espagnol obstiné. Il y était revenu d’avril à juin 1632 comme envoyé du pape, avec l’impossible mission de convaincre la France d’annexer le pays de Genève (protestant) à la Savoie (catholique). Sa première entrevue avec Anne d’Autriche, sa future protectrice, avait probablement eu lieu à cette époque.

Mazarin se refusa toujours à devenir prêtre, ou même à prendre les ordres mineurs, se contentant de la tonsure qu’il avait reçue le 18 juin 1632 à Sainte-Menehould (v. note [60], lettre 297) de la main du nonce Bichi (v. note [27], lettre 332). Elle faisait de lui un simple clerc, mais chose non négligeable, habilité à recevoir des bénéfices ecclésiastiques. Revenu à Rome, Mazarin avait été récompensé de ses services diplomatiques par le canonicat de Saint-Jean-de-Latran (v. note [9], lettre 399), agrémenté de premiers mais fort appréciables revenus, mais l’obligeant, avec de bienveillants indults (privilèges exonérants) pontificaux, à porter la tonsure apparente et la soutane (habito longo), en assistant avec assiduité à tous les offices du rituel. Sa soutane devint vite violette, avec la dignité et le titre de protonotaire apostolique (v. note [19] du Patiniana I‑3), c’est-à-dire le rang d’évêque (Monsignore), sans en avoir les obligations pastorales.

Le nouveau prélat intégra bientôt le proche entourage du pape au rang de référendaire, avec le bénéfice d’un prieuré du diocèse de Modène ; il put marier ses deux sœurs en les dotant fort généreusement. Auditeur du cardinal Antoine Barberini (v. note [4], lettre 130), neveu d’Urbain viii, pour la légation d’Avignon, il en était devenu vice-légat en 1634 (sans y résider).

En novembre 1634, Mazarin était arrivé à Paris pour la troisième fois de sa carrière en tant que nonce extraordinaire, chargé au nom du pape d’accommoder les affaires entre les Habsbourg et la France, ainsi qu’entre Louis xiii et Gaston d’Orléans, son frère désobéissant ; mais sans parvenir à éviter l’entrée en guerre de la France (26 mars 1635). En janvier 1636, le pape avait intimé à Mazarin l’ordre de quitter Paris pour Avignon, où il demeura en pénitence, jusqu’à regagner Rome en novembre de la même année ; mais ce fut pour y ronger encore son frein durant trois ans, tiraillé entre le parti espagnol qui voulait le faire oublier, et la France qui le réclamait à hauts cris : comme nonce, puis comme cardinal de Couronne (c’est-à-dire nommé par le roi très-chrétien). Lassé de tant d’atermoiements, Mazarin avait obtenu ses « lettres de naturalité » française en 1639 (enregistrées en juin par la Chambre des comptes) ; ce qui n’équivalait pas exactement à ce qu’on appelle aujourd’hui une naturalisation, mais plutôt à l’obtention d’une double nationalité. Le 13 décembre 1639, il avait définitivement quitté Rome pour la France, sur l’invitation de Louis xiii.

Arrivé à Paris en janvier 1640, il s’y était mis au service de Richelieu, prenant en quelque sorte la place du P. Joseph, l’Éminence grise, mort en 1638 (v. note [8], lettre 19). Cédant, de guerre lasse, aux requêtes du roi de France et de son principal ministre, Urbain viii mit Mazarin parmi les 12 cardinaux qu’il créa au consistoire du 16 décembre 1641 (et non 13 comme annonçait ici Guy Patin). Fontenay-Mareuil, nouvellement nommé ambassadeur de France à Rome, put alors dire à Richelieu : « Vous l’avez aujourd’hui plus fait cardinal que le pape même » (Goubert).

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 288) :

« J’ai ouï dire à Lyonne que la première fois que le cardinal de Richelieu présenta Mazarin à la reine {a} (c’était après le traité de Casal), il lui dit : “ Madame, vous l’aimerez bien, il a de l’air de Bouquinquant. ” » {b}


  1. Anne d’Autriche.

  2. Buckingham, favori de Charles ier d’Angleterre et ancien soupirant d’Anne d’Autriche (v. note [21], lettre 403).

Les morts de Richelieu (décembre 1642) puis de Louis xiii (mai 1643) allaient donner son impulsion définitive à l’ascension politique de Mazarin en France.

Dès cette première mention du personnage, perce déjà, dans l’emploi par Guy Patin de l’article défini, le Mazarin, une nuance de méfiance, qui n’a fait que croître au fil des lettres pour se transformer en véritable exécration. À ce stade, l’explication la plus plausible en est l’origine italienne d’un homme dont l’influence ne cessait de monter à la cour de France.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 2 janvier 1641, note 6.

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(Consulté le 19/04/2024)

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