Note [43] | |
Les lettres numérales étaient « les lettres majuscules qui servent à marquer le nombre dans le chiffre romain » (Furetière). L’ordre des lettres de l’alphabet grec a aussi servi à la numérotation des séries (v. le dernier paragraphe de la présente note). Les Oracles ou Livres sibyllins formaient initialement un recueil de prophéties écrites sous la forme de courts poèmes en vers grecs, ayant la forme d’acrostiches (v. note [32], lettre 398, pour celui que, dans un tout autre esprit, Guy Patin avait forgé sur le nom de Renaudot). Les anciens Romains accordaient très grand crédit à ces textes divinatoires qui faisaient partie de leurs rites sacrés. Détruits puis reconstitués, on les conservait précieusement. La tradition disait que le roi Tarquin le Superbe (v. note [11] du Naudæana 2) les avait achetés à une devineresse au vie s. av. J.‑C. Après l’avènement du christianisme, cette collection fut réécrite en changeant entièrement de contenu et de signification, comme l’explique cet extrait du long article que L’Encyclopédie a consacré au sujet : « L’ouvrage moderne qui nous est parvenu sous ce nom, est une compilation informe de prophéties différentes, supposées la plupart, vers le premier ou le second siècle du christianisme, par quelques-uns de ces hommes qui, joignant la fourberie au fanatisme, ne font point scrupule d’appeler le mensonge et l’imposture au secours de la vérité. V. note [2], lettre 164, pour les sibylles et pour le livre que David Blondel leur a consacré, intitulé Des Sibylles célébrées tant par l’Antiquité païenne que par les Saints Pères… (Charenton, 1649). Blondel s’y attache notamment à dénoncer l’imposture des Livres sibyllins. Le chapitre xii, Éclaircissement du sentiment de Cicéron touchant l’acrostiche attribué à la Sibylle, du livre premier décrit comment les premiers chrétiens ont cherché à détourner de prétendus oracles anciens au bénéfice de leur foi, en prenant l’exemple du plus célèbre de ces oracles (pages 54‑56) : « Mais je passe plus outre, et dis que quand Cicéron aurait pu se persuader que les pièces gardées à Rome par les quindécimvirs {a} étaient divines, il n’aurait jamais fait ce jugement ni des 8 livres que nous avons aujourd’hui, ni des 33 vers que Constantin {b} a extraits du 8e. Il ne l’aurait pas fait de tout le corps de 8 livres, car tous les Oracles sibyllins étaient (à peu près comme les Centuries de Nostradamus) {c} des petits poèmes écrits à la suite les uns des autres, mais séparés tant à l’égard de la forme que de la matière, et disposés par acrostiches ; à cause de quoi Denys d’Halicarnasse {d} écrivait sous Auguste, et peu d’années après la mort de Cicéron, {e} “ les vers supposés à la Sibylle se découvrent par les acrostiches ” ; et Cicéron lui-même, qui avait parlé d’acrostiche au singulier, montre que l’artifice était commun à tous les carmes {f} sibyllins. “ Aux livres sibyllins, dit-il, du premier vers de chaque sentence est fait le devant et la tissure de tout le carme, par les premières lettres de cette sentence-là : cela est d’une personne qui écrit, et non d’un furieux, d’un qui apporte de la diligence, non d’un insensé. ” {g} Tellement que ces pièces n’étaient pas d’un simple, mais d’un double artifice, où le premier vers était écrit en tête et à côté, comme faisant l’entrée du poème, et contenant par ordre les premières lettres de chacun des vers suivants. […] Et de là appert que quand l’acrostiche des 33 ou 34 vers copié par Constantin et par saint Augustin {h} aurait été vraiment sibyllin, le reste des 8 livres, selon la présupposition de Cicéron et de Denys, ne l’aurait pu être, vu qu’il n’a aucune trace d’acrostiche ; mais que ces 33 vers, dont les lettres capitales expriment le nom du Sauveur, n’aient pas été ni pu être tels que les anciens chrétiens les ont crus, appert derechef parce {i} que le premier ne contient pas l’acrostiche de toute la suite et n’exprime nullement l’artifice des vers sibyllins remarqué par Cicéron. D’où s’ensuit nécessairement : 1. que celui qui a supposé tant cette partie du 8e livre que tout le reste, soit de ce livre, soit des autres, que plusieurs nous veulent aussi mal à propos faire passer pour oracles divins, avait tellement ouï parler de l’acrostiche mentionné dans Cicéron qu’il ne l’avait pas entendu ; 2. qu’à plus forte raison, jamais il n’avait eu la vue ni l’intelligence des livres sibyllins célébrés par les anciens païens ; 3. que le grand Constantin et les Pères postérieurs à Justin Martyr, comme Tertullien ou Optat, {j} éblouis par le faux lustre d’une imposture qui avait quelque apparence de piété, ont été trompés, non seulement quand ils ont reçu à bras ouvert comme divin et prophétique ce qui ne l’était pas ; mais aussi quand (y cherchant du mystère, et s’efforçant d’enchérir par-dessus l’acrostiche qu’il ont admiré sans sujet), ils ont rassemblé les lettres capitales de ces cinq mots grecs Ιησους, Χρειστος, Θεου, Υιος, Σωτηρ, pour en composer le mot ιχθυς, {k} et recueillir de là que le Sauveur est le seul poisson solitaire, et que les chrétiens sont pisciculi, les petits poissons qu’il vivifie en la piscine de son baptême ; car, encore qu’il soit très vrai que le baptême est le lavement de la régénération, et que le Seigneur (qui a été l’auteur et le consécrateur) est la source de notre vie spirituelle, le fonds d’où l’on a pensé puiser cette vérité a été très faux ; et je le remarque, non pour accuser les saints hommes qui y ont eu recours (car qui n’est sujet à surprise ?), mais pour les plaindre de ce que leur bonne foi a été si indignement pipée, et leur pitié si insolemment traduite par des effrontés qui (sans aucune honte ni conscience) ont entrepris de loger leurs songes aux places plus honorables du sanctuaire de Dieu : tantôt comme oracles prophétiques, prononcés immédiatement après le Déluge ; tantôt comme prédications apostoliques ajoutées quelque 2 400 ans après, pour les confirmer et rendre plus vénérables. » Quant aux empereurs romains, le Grotiana faisait allusion à un autre oracle sibyllin chrétien apocryphe, ainsi commenté par L’Encyclopédie : « Quoique les morceaux qui forment ce recueil puissent avoir été composés en différents temps, celui auquel on a mis la dernière main à la compilation se trouve clairement indiqué dans le cinquième et dans le huitième livre. On fait dire à la sibylle que l’Empire romain aura quinze rois : les quatorze premiers sont désignés par la valeur numérale de la première lettre de leur nom dans l’alphabet grec ; elle ajoute que le quinzième, qui sera, dit-on, un homme à tête blanche, portera le nom d’une mer voisine de Rome. Le quinzième des empereurs romains est Hadrien, et le golfe adriatique est la mer dont il porte le nom. De ce prince, continue la sibylle, il en sortira trois autres qui régiront l’empire en même temps ; mais à la fin, un seul d’entre eux en restera possesseur. Ces trois rejetons, κλαδοι, comme la sibylle les appelle, sont Antonin, Marc-Aurèle et Lucius Verus, et elle fait allusion aux adoptions et aux associations qui les unirent. Marc-Aurèle se trouva seul maître de l’Empire à la mort de Lucius Verus, arrivée au commencement de l’an 169, et il le gouverna sans collègue jusqu’à l’an 177, qu’il s’associa son fils Commode. Comme il n’y a rien qui puisse avoir quelque rapport avec ce nouveau collègue de Marc-Aurèle, il est visible que la compilation doit avoir été faite entre les années 169 et 177 de Jésus-Christ. » |
Imprimer cette note |
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
Autres écrits : Ana de Guy Patin : Grotiana 2, note 43. Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8201&cln=43 (Consulté le 11/10/2024) |