L. 302.  >
À Charles Spon,
le 31 janvier 1653

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi, 28e de janvier par la voie de M. Gras, [2] que je crois qu’il vous aura fait rendre. Comme je délivrais cette lettre à mon valet pour la porter à un homme qui écrivait au même M. Gras et à qui j’avais promis de l’envoyer, M. Lorin, [3] jadis votre procureur du roi à Lyon, qui avait entendu ma commission, prit ma lettre et s’en chargea presque malgré moi, disant et m’assurant qu’il la ferait rendre en main propre au dit sieur Gras ; ce que je vous écris exprès afin que, si vous ne l’avez pas encore reçue, que vous la fassiez demander au dit sieur Gras ou chez M. Lorin qui m’a fait l’honneur de me venir voir céans en vertu de l’ancienne connaissance.

J’apprends qu’à Orange [4] il y a un certain professeur nommé Rodonis [5] qui a fait imprimer quelque chose. Je vous prie de vous enquérir s’il n’y a point à Lyon quelque libraire qui trafique là et de tâcher de recouvrer pour moi tout ce qu’a fait cet auteur, que l’on dit être un homme d’un admirable esprit. Emptorum librorum totum pretium refundam[1] et de grand cœur ; on m’apprend qu’il a écrit en latin et en français.

On dit ici que le Mazarin [6] ne reviendra point, mais la reine [7] a dit hier qu’il serait ici le 3e de février prochain.

Les lettres de Turin [8] portent que l’on y a vu en l’air par plusieurs fois des chariots, des hommes à cheval et des armées. Il y en a ici qui en ont peur. Pour moi, je me tiens à celui qui nous a enseignés a signis cœli nolite metuere[2][9]

Il y avait un Lyonnais nommé Burin, [10] riche commis de la Poste, qui, revenant de sa maison des champs, fut enlevé par cinq cavaliers. On ne sait encore où ils peuvent l’avoir emmené, on en attend des nouvelles à toute heure. On croit qu’ils ne l’ont pris que pour en tirer quelque bonne rançon. Personne ne le regrette ici d’autant qu’il était méchant et dangereux, grand chicaneur et grand mazarin, ennemi juré de l’Université, qui les ruinait en frais de procès pour leurs messageries, et qui rendit de mauvais services au Parlement et à la Ville de Paris l’an 1649 durant le blocus. [3] On doute ici fort si le roi [11] sortira de Paris le mois de mars prochain et en ce cas-là, où il ira : le prince de Condé, [12] pour des raisons, le retient de deçà ; et [ceux de] Bordeaux, [13] pour d’autres, semblent l’attirer en Guyenne [14] pour empêcher que les Espagnols ne s’en rendent les maîtres. Nous sommes mal s’il s’éloigne de Paris.

J’ai consulté [15][16] ce matin avec M. Moreau [17] pour un paralytique. Il vous baise les mains, il vous a écrit pour deux livrets de P. Théoph. Raynaud, [18] dont l’un s’appelle de Terminalibus vitæ[4] Si tous les deux se rencontrent à Lyon, faites-moi la faveur de me les acheter comme pour lui, et de les mettre avec les autres pour m’être envoyés quand celui de M. Huguetan [19] sera fait, de bonis et malis libris[5] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi, dernier de janvier 1653.

Vous me ferez la faveur, s’il vous plaît, de dire à MM. Huguetan et Ravaud [20] que je suis leur très humble serviteur, que s’ils réimpriment les œuvres de M. Rivière [21] de Montpellier, que cela devrait être tout en un volume in‑4o ou in‑fo, je pense que cela sera bon. [6] Je voudrais bien avoir la liste des livres qu’ils ont à m’envoyer, selon que je leur écrivis le mois passé, et qu’ils me promettent pour dans peu de temps. Tâchez de la tirer de M. Ravaud et de l’assurer que je suis son très humble serviteur, et que je le prie aussi d’avoir soin d’un petit paquet de livres que M. Alcide Musnier, [22] médecin de Gênes, [23] se promet de lui envoyer bientôt, c’est-à-dire de lui adresser afin par après de me le faire tenir. Je lui ai déjà d’autres obligations et en différentes façons, mais j’ai bonne envie de m’acquitter du tout et j’espère que quelque bonne occasion s’en présentera quelque jour. Il m’avait autrefois promis de me faire avoir les deux tomes Rerum Germanicarum Lotichii in‑fo ; [7][24] s’il les a et qu’il me les veuille envoyer, je suis tout prêt de les recevoir et de m’en acquitter envers lui. Vale et me ama[8]


a.

Ms BnF Baluze no 148, fo 59, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 84 (tome ii, pages 1026‑1028). Note de Charles Spon au revers de l’enveloppe : « 1653/ Paris 31 janvier/ Lyon, adi 7 févr./ Rispost./ 11 dud. »

1.

« Je rembourserai entièrement le prix de tous les livres achetés ».

Élevé dans le calvinisme, David Derodon (Die, Dauphiné vers 1600-Genève 1664), s’était, une fois adulte, converti au catholicisme, ce qu’il avait justifié par un livre intitulé Quatre raisons pour lesquelles on doit quitter la Religion prétendue réformée, et se ranger à l’Église catholique, apostolique, romaine… (Paris, N. Rousset, 1631, in‑12). Toutefois, bientôt revenu au protestantisme, il se distingua par l’ardeur de ses attaques contre l’Église romaine. Tour à tour professeur de philosophie à Orange et à Nîmes, il s’acquit une grande réputation de dialecticien. Ses livres provoquèrent un scandale après l’autre et lui valurent une condamnation au bannissement qui l’obligea à s’exiler à Genève. Ses principaux ouvrages alors publiés étaient :

2.

« n’ayez pas peur des signes du ciel » (Jérémie, 10:2).

Ces deux phrases sur les phénomènes célestes de Turin se trouvent à l’identique dans une lettre factice datée du 26 août 1654, destinée à Charles Spon dans Du Four (édition princeps, 1683, no lii, pages 174‑175) et Bulderen (no lxxxix, tome i, pages 241‑242), mais à André Falconet dans l’édition Reveillé-Parise (no ccccxxvi, tome iii, pages 37‑38).

3.

En date du 30 janvier 1649, pendant le siège de Paris, Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 138) notait :

« Les voyages de tous les messagers, courriers, ordinaires < étant > interdits, comme il a été par la cour, on a commis des conseillers de la cour qui tiendront bureau, par le sieur Burin, ancien commis de la poste, pour faire aller courriers en toutes parts, de la manière et adresse qu’ils pourront éviter d’être arrêtés par le parti de la cour. Ceci a été changé ci-après en une chambre des dépêches. »

Selon la minute d’un bail conservée aux Archives nationales (mc/et/xliii/56, datée du 10 novembre 1648), Rolin (ou Rollin) Burin n’était plus simple commis de la Poste (royale), mais déjà « conseiller du roi, maître des courriers des postes et bureaux des provinces de Normandie et de Bretagne, maître des courriers du bureau général des dépêches de la poste de Paris ». L’Arrêt notable du Parlement, rendu en l’audience de la Grand’Chambre, le dixième mars mil six cent cinquante-quatre, contre les maîtres des postes et messagers dénonçait les exactions de Burin (Les Édits et ordonnances des très-chrétiens rois… Sur le fait de la justice et abréviation des procès… par Mes Pierre Neron et Estienne Girars, avocats en Parlement…, Paris, Guillaume de Luyne, 1685, in‑4o), page 343 :

« Les postes, originairement inconnues en France, ont eu leur première institution pour la nécessité des affaires du roi, et non pour la commodité des particuliers : pour cela, elles ont été seulement disposées sur les routes des généralités ; et par les arrêts de Beauvais et Reims, et du Mans, cette maxime a été confirmée, et les établissements nouveaux que l’on voulait faire ont été condamnés. Ceux qui possèdent des postes et qui en perçoivent un revenu immense, par les exactions qu’ils commettent, ont cru que la meilleure voie pour étouffer les plaintes publique était de réunir à leurs personnes les messageries obligeant par ce moyen les sujets du roi de se servir de leur ministère et de faire porter toutes leurs lettres par la voie de la poste : les messagers, qui sont ou leurs commis ou des personnes affidées, refusant de s’en charger. {a} Ce désordre, dont le public était notablement intéressé, a souvent excité la voix de ceux qui étaient en leurs places ; et sur les plaintes qui en ont été faites, plusieurs arrêts sont intervenus, qui défendent expressément de joindre ces deux qualités, et qui veulent que la poste soit exercée par différentes personnes. Cependant, l’on prétend qu’au mépris de tous les arrêts, le nommé Rolin Burin a voulu non seulement établir la poste dans la ville du Mans, mais encore qu’il en possède les messageries sous des noms supposés, et qu’en effet le titre en est résidant en sa personne ; que les nommés Boré ayant eu plusieurs contestations et obtenu divers arrêts contre lui, qui faisaient défenses d’établir aucun bureau de poste en la ville du Mans, n’étant sous la route d’aucune généralité, il a traité avec eux et acheté sous le nom d’un nommé Bassin, son valet, les messageries du Mans pour une somme immense de soixante mille livres. La preuve de cette vérité résulte des pièces qui sont entre leurs mains. La première est un bail fait de cette messagerie au nommé Couet par Bassin, à la réserve (porte cet acte) des lettres et paquets qui seront portés par la voie de la poste. Il serait difficile de se persuader que si le nommé Bassin n’était ou le commis de Burin, ou une personne par lui supposée, qu’il eût eu ce soin et cette charité d’entrer dans ses intérêts, de stipuler pour lui et de lui réserver le port des lettres, et par là, contrevenir disertement {b} aux arrêts. La seconde est une déclaration faite par Couet à Mantois, par laquelle il déclare qu’il a pris bail du nommé Burin, sous le nom de Bassin, son commmis. »


  1. Initialement réservée au transport des courriers officiels, la Poste royale était un réseau de lieux, dénommés relais de poste, choisis « sur les grands chemins, de distance en distance, où les courriers trouvent des chevaux tout prêts pour courir et faire diligence » (Furetière). Officiers royaux placés sous l’autorité de l’intendant des postes, les maîtres de poste en assuraient le fonctionnement. Indépendamment de la Poste royale, les messageries étaient des services affermés qui assuraient le transport des lettres, paquets et colis des particuliers. Il était tentant pour les maîtres des postes d’être aussi messagers, mais la loi l’interdisait. En 1672, la poste racheta les messageries pour en faire un monopole affermé.
  2. Nettement.


Ses mésaventures et malversations n’ont pas empêché Burin de figurer dans le Dictionnaire de la noblesse… (tome iii, seconde édition, Paris, veuve Duchesne, 1771, in‑4o, pages 367‑368) :

« Châtelain de Brezons, de la Grange et du Milieu, seigneur de Brunoy, d’Hiers {a} et autres lieux, principal bienfaiteur de congrégation des camaldules de France, en la maison de Grosbois, {b} fut reçu conseiller, secrétaire du roi, Maison et Couronne de France, le 11 septembre 1654. Il fut pourvu de l’office de grand audiencier de France le 29 novembre 1658 et épousa Louise de Massieu, qui obtint par faveur ses entrées à la cour. »


  1. Yerres (Essonne).

  2. Les camaldules sont les religieux de l’Ordre de Camaldoli (près de Poppi dans la province d’Arezzo en Italie). La vie d’un camaldule est bien solitaire et bien austère. Il n’y a qu’un couvent de camaldules en France, il est à quelques lieues de Paris proche de Grosbois (v. note [8], lettre 853). Les camaldules n’ont pas eu ce nom dès le commencement de leur Ordre, ils ne l’ont porté que longtemps après la mort du bénédictin saint Romuald de Ravenne qui le fonda au xe s. : jusqu’à la fin du xie s., on les appelait romualdins ; camaldules était alors un nom particulier à ceux du désert de Camaldoli ; ce nom ne fut pas donné à tout l’Ordre parce que Camaldoli était le premier monastère où l’Ordre eût commencé (car ce fut en Aquitaine), mais parce que la régularité s’y maintint mieux qu’ailleurs (Trévoux).

Dans l’historiette consacrée à Mme de Champré, Tallemant des Réaux (tome ii, page 280) a narré une aventure galante de la femme de Burin : « C’est une impertinente, une folle ; mais elle est obligeante au dernier point. » La note d’Adam (page 1141) explique :

« Ce Burin était {a} premier commis de Jérôme Nouveau, surintendant des Postes. Sur la fin de janvier 1653, il fut enlevé près de Vincennes par un parti de cavaliers du régiment de Persan. {b} Sa femme était présente. Elle poussa de grands cris. Elle en poussa de plus grands lorsqu’ayant été libérée, elle apprit que les cavaliers ne lui rendraient son mari que contre “ une très grande et grosse somme ”. »


  1. Sic pour avait été.

  2. V. note [43], lettre 229.

4.

Vitæ ac mortis humanæ Terminalia a Deo Metatore constituta. Lucubratio R. P. Theophili Raynaudi ex Soc. Iesu.

[Terminalies {a} de la vie et de la mort des hommes établies par Dieu qui mesure. Élucubration {b} du R.P. Théophile Raynaud {c} de la Compagnie de Jésus]. {d}


  1. Fêtes en l’honneur du dieu Terme (Terminus), qui préside aux bornes.

  2. Fruit des veilles studieuses (v. note [2], lettre de François Citois datée du 17 juin 1639).

  3. V. note [8], lettre 71.

  4. Aix, Monerius, 1652, in‑8o ; réédité dans le tome 13 des Opera omnia (Lyon, 1665, pages 195‑289.

V. note [4], lettre 304, pour le second livret du P. Théophile que recherchait René Moreau.

5.

« des bons et mauvais livres » (v. note [7], lettre 205).

6.

Lazari Riverii, consiliarii et medici regii, atque in Monspeliensi Universitate Medicinæ Professoris, et Doctorum Monspeliensium Decani, Praxis Medica. Editio octava. Integra morborum theoria, et quamplurimis remediis selectissimis locupletata.

[Pratique médicale de Lazare Rivière, {a} conseiller et médecin du roi, et professeur de médecine en l’Université de Montpellier, et doyen des docteurs de Montpellier. Septième édition. Enrichie d’une théorie complète des maladies et d’un très grand nombre de remèdes parfaitement choisis]. {b}


  1. V. note [5], lettre 49, pour Lazare Rivière et la première édition de sa Praxis Medica (Paris, 1640).

  2. Lyon, Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1653, in‑8o de 748 pages ; achevé d’imprimé du 4 août 1653. Le portrait de l’auteur en sa 63e année d’âge est agrémenté de ce distique :

    Riverium iures pictum si videris idem
    Hippocrates, librum si mediteris erit
    .

    [Tu jureras que c’est Rivière quand tu vois ce portrait ; mais quand tu méditeras sur son livre, ce même homme sera Hippocrate].


7.

« Histoires allemandes [prémices et début de la guerre de Trente Ans] de [Johann Peter] Lotich », v. note [3], lettre 279.

8.

« Vale et aimez-moi. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 31 janvier 1653

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(Consulté le 28/03/2024)

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