L. 555.  >
À Claude II Belin,
le 7 février 1659

De Paris, ce 7e de février 1659.

Monsieur, [a][1]

Je suis bien aise d’avoir eu des nouvelles de votre santé, mais j’ai regret à la mort de feu monsieur votre frère. [2][3]

Omnia transibunt, nos ibimus, ibitis, ibunt,
Ignari, gnari, conditione pari
[1]

Pour le Tribunal Medicum[4] je l’ai céans. C’est un Espagnol morgant et barbare [5] eo solo laudandus quod amet Hippocratem[2] mais son langage me dégoûte, et sa pratique arabesque. [6] Je l’ai acheté 6 livres en blanc. Le Chronicum ostentorum per Lycosthenem [7] est un livre chétif et menteur, mais curieux ; c’est un livre d’humanités et n’en avez que faire. [3] Le roi [8] et toute la cour sont ici. Son Éminence [9] est en colère contre le comte d’Harcourt [10] pour quelques paroles qui lui ont été reportées. L’évêque de Bayeux est mort, [11][12] il était frère de M. de Servien, [13] surintendant des finances. [4] Il est allé marquer les logis en l’autre monde, où l’on ne voit plus goutte, pour ce cher frère que l’on dit qu’il mourra bientôt. [5] On dit ici que le roi de Suède [14] a déclaré la guerre aux Hollandais et que les Anglais, pour s’obliger de faire l’été prochain la guerre en Flandres [15] avec nous aux Espagnols, nous demandent trois villes d’assurance, savoir Le Havre-de-Grâce, Calais et Gravelines[16][17][18] N’êtes-vous point d’avis qu’on leur donne ? j’aimerais bien mieux une bonne paix par le mariage du roi avec l’infante d’Espagne, [19] ce nous serait une reine de paix, [20] fiat, fiat[6] Nous attendons ici de Hollande le nouveau Eusebius Scaligeri[21] Il en est venu depuis huit jours un Primerosius [22] de Febribus in‑4o qui ne vaut pas le Sennertus[7][23] Nous aurons ici bientôt le deuxième tome des Lettres de M. Costar [24] dédié à M. de Lamoignon, premier président[25] et une nouvelle édition du Lucrèce de M. de Marolles, [26] qui sera gros et fort augmenté, dédié au même. J’ai céans le Gassendi[27] en six volumes in‑fo. Il viendra bientôt de Genève un fort bon livre, combien que huguenot, [28] savoir un recueil de thèses latines de théologie de quatre ministres, qui seront P. Du Moulin, [29] Rambour, [30] Cappel [31] et Beaulieu, [32] in‑4o[8] On imprime en Italie un beau Cornel. Celsus [33] in‑4o fort corrigé, avec beaucoup de notes critiques faites par Io. Rhodius [34] Danus[9] qui en a fureté toutes les bibliothèques d’Italie.

On imprime en Angleterre une Bible latine diversorum [10][35] en sept volumes in‑fo, dont tous les commentaires ne seront tirés que des écrivains et auteurs protestants. J’attends de Hollande Historia medica et naturalis Indiæ, Brasiliæ, etc[11][36] Le P. Briet [37] s’en va faire imprimer son Asie et par après, l’Afrique [38] et l’Amérique[39] en trois tomes in‑4o, comme il nous a donné son Europe ; il est bon et savant homme, sed eius opera sunt centones Loyolitici[12] M. le maréchal de Turenne [40] est ici. Je vous baise les mains, et à monsieur votre fils, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

Huit vaisseaux hollandais chargés de marchandises sont péris sur mer par les vents et la tempête. [41] Voilà une grande perte dont je suis bien marri, il y avait aussi des livres, et même il y en avait un petit paquet pour moi ; mais je voudrais bien qu’il n’y eût que cela de perdu, personne n’en ferait banqueroute. Entre autres, il y avait un in‑4o latin de Samuel Maresius, [42] intitulé Ioanna Papissa restituta[13][43]

Ce 8e de février 1659.

Je baise les mains à MM. de Courberon, Allen, Sorel, Maillet et Barat, et à madame votre femme.


a.

Ms BnF no 9358, fos 173‑173 bis, « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ le père, Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxli (tome i, pages 237‑239).

1.

« Toutes choses trépassent, nous passerons, vous passerez, ils passeront,
Inconnus, célébrités, tous égaux de condition » (v. note [3], lettre 140).

Les condoléances de Guy Patin concernaient le chanoine Nicolas Belin, frère de Claude ii.

2.

« dont tout le mérite est d’aimer Hippocrate ».

V. note [41], lettre 549, pour le Tribunal médical de Gaspar Caldera de Heredia (Leyde, 1658).

3.

Prodigiorum ac ostentorum Chronicon, quæ, præter naturæ ordinem, motum, et operationem, et in superioribus et his inferioribus mundi regionibus, ab exordio mundi usque ad hæc nostra tempora acciderunt. Quos portentorum genus non temere evenire solet, sed humano generi exhibitum, severitatem iramque Dei adversus scelera, atque magnas in mundo vicissitudines portendit. Partim ex probatis fideique dignis authoribus Græcis, atque Latinis : partim etiam ex multorum annorum propria observatione, summa fide, studio ac sedulitate, adiectis etiam rerum omnium veris imaginibus, conscriptum per Conradum Lycosthenem Rubeaquensem.

[Chronique des prodiges et des miracles, qui, contre l’ordre, le mouvement et l’opération de la nature, se sont produits dans les régions supérieures comme inférieures du monde, depuis le commencement du monde jusqu’à notre temps. Elle annonce sérieusement ce dont ce genre de merveilles prédit ordinairement la survenue, ainsi que la sévérité et la colère de Dieu contre les crimes et les grandes vicissitudes qui ont lieu en ce monde. Conrad Lycosthenes, natif de Rouffach, {a} l’a écrite, en la tirant en partie d’auteurs grecs et latin reconnus, et dignes de foi, et en partie des observations personnelles qu’il a menées durant de nombreuses années, avec extrêmes fidélité, assiduité et diligence, en l’illustrant de figures représentant tous les phénomènes]. {b}


  1. L’érudit allemand Conrad Wolffhart (Rouffach, Alsace 1518-1561), dit Lycosthenes, dont les noms allemand et grec signifient « loup vigoureux », professa la grammaire et la dialectique à Bâle et devint diacre de Saint-Léonard (G.D.U. xixe s.).

    V. notes [34], lettre 297, et [36], lettre 155, pour les deux éditions de son Theatrum vitæ humanæ [Amphithéâtre de la vie humaine] (Bâle 1565, et Cologne, 1631), qui ont été complétées et publiées après sa mort.

  2. Bâle, Henricus Petrus, 1557, in‑fo richement illustré de 670 pages.

4.

V. note [45], lettre 155, pour l’évêque de Bayeux, François Servien, frère aîné d’Abel, surintendant des finances.

5.

« Le maréchal des logis est un officier chez le roi, qui a soin de marquer [réquisitionner] les logis pour la suite de la cour quand le roi fait voyage. […] On dit proverbialement, quand quelqu’un d’une compagnie prend le devant, qu’il s’en va marquer les logis » (Furetière). Abel Servien mourut le 18 février 1659.

6.

« advienne que pourra. »

7.

V. note [23], lettre 535, pour l’Eusèbe de Joseph Scaliger (Amsterdam, 1658).

Guy Patin préférait les De Febribus Libri quatuor de Daniel Sennert {a} aux :

Jacobi Primerosii Doctoris Medici de Febribus Libri quatuor. In quibus plurimi veterum, et recentiorum errores declarantur et refelluntur. Plurima nova et paradoxa continentur.

[Quatre livres de James Primerose {b} sur les Fièvres, où plusieurs erreurs des anciens et des modernes sont mises au jour et réfutées, avec de nombreuses nouveautés contraires aux dogmes établis]. {c}


  1. V. note [16], lettre 239.

  2. V. note [41], lettre 104.

  3. Rotterdam, Arnoldus Leers, 1658, in‑4o de 439 pages.

8.

V. notes :

9.

« le Danois Johannes Rhodius » n’a pas donné d’édition complète de la Médecine de Celse (v. note [2], lettre latine 127), mais on trouve la trace de son travail dans plusieurs éditions de l’ouvrage parues au xviiie s., comme auteur d’une Vie de cet auteur latin.

10.

« de divers auteurs » :

Critici sacri, sive doctissimorum virorum in SS. Biblia Annotationes et Tractatus. Opus summa cura recognitum, et in novem Tomos divisum.

[Les Critiques sacrés, ou Traités et Annotations des hommes les plus savants sur la très Sainte Bible. Ouvrage revu avec le plus grand soin et divisé en neuf tomes]. {a}


  1. Londres, Jacobus Flesher, 1660, in‑fo de 1 380 colonnes, pour le premier (contenant le Pentateuque) de neuf tomes parus en 1660 et 1661. Cet ouvrage monumental, dédié au roi Charles ii, est uniquement composé d’exégèses sur les textes hébreux (Ancien testament) et grecs (Nouveau testament), qui n’ne sont pas intégralement transcrits en regard ; elles ont été rédigées par des théologiens protestants, dont le Catalogus occupe quatre pages.

11.

« Histoire médicale et naturelle de l’Inde, du Brésil, etc. » : ouvrage de Willem Piso, Amsterdam, 1658, v. note [6], lettre 543.

12.

« mais ses œuvres sont des centons loyolitiques » ; de nouveau (v. note [6], lettre 148), Guy Patin espérait en vain l’Asie du P. Philippe Briet.

13.

V. note [15], lettre 546, pour « La papesse Jeanne restaurée » de Samuel Desmarets (Groningue, 1658).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 7 février 1659

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(Consulté le 24/04/2024)

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