À Charles Spon, le 16 novembre 1645, note 19.
Note [19]

Siméon (ou Simon) Courtaud (ou Cortaud, Montpellier 1583-ibid. 30 décembre 1664) était fils de Pierre Courtaud, capitaine de santé à Montpellier, et de Marguerite Héroard, sœur de Jean Héroard (v. note [30], lettre 117), premier médecin de Louis xiii. Courtaud avait été reçu docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1611, puis était monté à Paris pour devenir, par la protection de son oncle, médecin par quartier du roi. La chaire de médecine de Jacques Pradilles vaquant, en 1619 à Montpellier, Courtaud l’obtint en 1620. En 1632, il fut le maître et devint l’ami de Charles Spon, avec qui il échangea par la suite une abondante correspondance. Le ms BIU Santé no 2190 conserve les copies manuscrites de 59 lettres que Courtaud a adressées à Spon, datées du 3 novembre 1636 au 29 octobre 1662. Courtaud était doyen de l’Université de médecine de Montpellier depuis 1637, titre qui, contrairement à celui de la Faculté de Paris, n’était pas électif, mais simplement lié au fait d’être le plus ancien gradué dans l’Assemblée des professeurs. Il mourut dans la religion catholique sans qu’on sache à quelle date il renia le protestantisme. Son frère aîné, Jacques, secrétaire du roi (v. note [11], lettre 360), vivait à Paris ; il s’engagea aux côtés de son cadet dans les polémiques, mais il est difficile d’y attribuer exactement la part qui revient à chacun dans ce qu’en a dit Guy Patin, l’un de leurs ennemis jurés (Monfalcon in Panckoucke, Dulieu, Jestaz et Litaudon).

Siméon Courtaud devait sa célébrité d’alors à son :

Monspeliensis Medicorum Universitas. Oratio pronunciata die vigesima prima mensis Octobris, anni m. dc. xliv. A S. Curtaudo dictæ Universitas Decano et Professore Regio. Pro studiorum renovatione.

[Université de médecine de Montpellier. Discours prononcé le 21 octobre 1644 par S. Courtaud, doyen et professeur royal de ladite Université, pour l’inauguration des études]. {a}


  1. Montpellier, Pierre du Buisson, 1645, in‑4o ; ouvrage dédié Gastoni Aurelianensium Duci, Francorum Chirstianissimi Regis Patruo [au duc Gaston d’Orléans, oncle du roi très-chrétien des Français], avec cette citation en exergue du titre :

    Initium sapientiæ timor Domini. Psalm. v. cx 10. via veritas et vita.

    [La crainte du Seigneur est le début de la sagesse (Psaume 110:10). voie, vérité et vie].


Rédigée dans un style qui surprend encore de nos jours, l’Oratio est une riposte directe aux arguments que la Faculté parisienne venait d’employer pour emporter sa victoire contre Théophraste Renaudot le 1er mars 1644, devant le Parlement de Paris. Son argumentaire se fonde notamment sur les mémoires établis par le doyen Michel i de La Vigne et par Omer Talon, avocat de la Faculté. Le nom de Guy Patin, sans doute tenu pour un second couteau, n’y apparaît pas. Renaudot n’est nommément cité que deux fois (pages 23 et 49) : ce n’est pas lui que Courtaud défend d’abord, mais l’Université de médecine de Montpellier d’où Renaudot était issu. Parmi les rares docteurs parisiens que Courtaud attaque nommément, le plus maltraité est Jean ii Riolan dans un paragraphe visant à prouver l’immémoriale ancienneté et l’insigne renom de l’École de Montpellier, qui contraignent celle de Paris à s’incliner humblement devant elle, au lieu d’attaquer furieusement ses éminents docteurs (page 14) :

Eram ergo antequam esses, o Parisina Venerabilis, et de sanguine meo creata es : mater ego tua sum, tu sanguis meus. Eram ante te, tuique patres noverunt et senserunt manus meas auxiliares in imbecillitate sua, antequam de vestri generationis voluptate cogitarent. Errabatis per compita civitatis saltitantes sine tecto, dum nostra vigebat, Magnatumque beneficiis profunde quieta, salutis publicæ curam gerebat. Nostrum enim Alcanthoum in struendis muris nostris adiuvit Apollo. Quod si me vel ob annos et rugas haud agnoscas, vel despicias ob humilitatem, non ideo perit cum tua memoria et gratitudine ius meum prioritatis. Qui nomen maternum excutit, matrem percutit ; et negare necareque matrem, proximo charactere differunt. Neque vestram novit Carolus Magnus, quamvis iactet et genus et nomen inutile. Non erant enim Medici quatuor Angli Doctores discipuli Bedæ venerabilis, quorum suasu, iacta sunt Universitatis Parisinæ fundamenta. Facultates Artium et Theologiæ cum Iure Canonico Universitatem constituebant. Et quomodo te nosset, cum nondum esses ? quomodo fuisses, cum Medicos suos hinc assumeret supremus hic imperator ? quomodo non hinc, cum non aliunde liceret ? Quid quod Riolanus vester in schedula supplicationis pro horto regio construendo, non eam ante quadrigentos, aut ad summum quingentos annos, extitisse fatetur ? Gaudeto, nobilis facultas, Medici vestri solertia iuventuti suum restituit Iolaum, et plusquam ducentorum annorum spolium senectutis ademit vestræ societati. Gaudete, sed ne vos nimium pote de fonte iuventæ, cavete : Est enim proxima senili delirio repuerascentia.

[J’existais donc avant toi, ô vénérable Parisienne, et tu es née de mon sang : je suis donc ta mère, et tu viens de mon sang. J’existais avant toi, et tes pères ont connu et senti mes mains venir au secours de leur impuissance, avant qu’ils n’eussent songé à la volupté de t’engendrer. {a} Vous erriez sans toit, dansant avec ardeur par les carrefours de la cité, pendant que la nôtre fleurissait et que, profondément apaisée par les bienfaits des grands, elle prenait soin du salut public. Apollon en effet a aidé notre Alcathoüs à édifier nos murs. {b} Tu peux bien ne pas me reconnaître en raison de mes ans et de mes rides, ou m’ignorer en raison de mon humilité, mais ta mémoire défaillante et ton gratitude ne m’ôtent pas le droit de priorité. Secouer le nom maternel c’est gifler sa mère ; et il n’y a que la différence d’une lettre entre negare sa mère et la necare {c}. Charlemagne n’a pas connu la vôtre, bien qu’elle jette inutilement son génie et son renom à la face du monde. De fait, les quatre docteurs anglais, disciples de Bède le Vénérable, à l’instigation desquels ont été jetées les fondations de l’Université parisienne, n’étaient pas médecins : elle était composée de la Faculté des arts, associée à celles de théologie et de droit canon. {d} Et comment le saurais-tu, puisque tu n’existais pas encore ? Et comment aurais-tu existé, puisque ce tout-puissant empereur créait alors lui-même ses médecins sans permettre qu’il en vînt d’ailleurs ? Comment votre Riolan peut-il proclamer, dans sa requête pour l’établissement d’un Jardin royal des plantes, qu’il n’en a pas été prononcée de telle depuis quarante, ou tout au plus cinquante ans ? {e} Réjouis-toi, noble Faculté, l’habileté de votre médecin a rajeuni son Iolaus, et a enlevé à votre Compagnie la dépouille d’une vieillesse qui dépasse les deux cents années. Réjouissez-vous, mais gardez-vous de trop boire à la fontaine de jouvence, car le retour à l’enfance est tout proche du délire sénile]. {f}


  1. Irrévérence gaillarde touchant l’assistance manuelle que Montpellier, la fringante, aurait dû fournir aux vieux maîtres parisiens pour parvenir à engendrer leur École médicale.

  2. Alcathoüs, fils de Pélops, est le fondateur de Mégare (v. notule {a}, note [5], lettre latine 264), ville de Grèce dont les habitants prétendaient qu’Apollon l’avait construite. v. note [8], lettre 997, pour Apollon.
  3. Entre « renier » et « tuer ».

  4. Le rôle des disciples de Bède le Vénérable (v. notule {b}, note [16], lettre 73) dans la fondation de l’Université de Paris au viiie s. n’est pas des mieux établis. On considère ordinairement qu’elle a été créée au tout début du xiiie s. : v. note [8], lettre 679.

  5. V. notes [7], lettre 51, pour Jean ii Riolan et sa Requête au roi pour l’établissement d’un jardin des plantes (Paris, 1618), et [3] et [4], lettre 60, pour sa contribution à la création du Jardin du roi, avec Guy de La Brosse en 1635. Il avait succédé au Jardin royal des plantes médicinales, dont Jean Héroard avait été nommé intendant en 1625.

  6. Ma traduction respecte strictement la syntaxe latine, mais le propos de Courtaud est incertain.

    Dans le mythe grec, le héros thébain Ioalus (Iolas ou Iolaos), fils d’Iphiclus neveu d’Hercule et compagnon de ses travaux, lui servit de cocher dans le combat contre l’hydre de Lerne [v. notule {a}, note [4], triade 2 du Borboniana manuscrit], et brûlait les têtes de l’hydre à mesure qu’Hercule les coupait. […] Parvenu à une extrême vieillesse, lorsqu’il commandait l’armée des Athéniens contre Eurysthée [roi de Mycènes], deux astres s’arrêtèrent sur son char et l’enveloppèrent d’un nuage épais : c’étaient Hercule et son épouse Hébé. Iolas en sort sous la forme d’un jeune homme plein de vigueur et de feu » (Fr. Noël).

    Iolaus est à prendre, me semble-t-il, pour un quasi-anagramme de Riolanus, Jean iiRiolan, alors âgé de 64 ou 67 ans, que Courtaud (qui en avait 61) tenait pour un grand vieillard, perdu dans l’exactitude des dates et des faits, et proche de la démence.

  7. Sans répondre à Courtaud sur le Jardin royal, les Curieuses recherches sur les écoles en médecine de Paris et de Montpellier… (Paris, 1651, v. note [13], lettre 177) ont rudement dénigré sa carrière parisienne (page 14) :

    « Si ce Courtaut eût eu de l’esprit et de la conduite dans la médecine, son oncle maternel, le sieur Héroard, premier médecin du roi Louis xiii, eût tâché de l’installer en la cour, pour être son successeur en sa charge ; mais lui faisant honte, a été contraint de le renvoyer à Montpellier, sa ville natale, et le bannir de la cour pour jamais ; lui faisant vendre sa charge de médecin par quartier, qu’il lui avait donnée, afin de lui ôter l’occasion de revenir à Paris ; et pour l’obliger de demeurer à Montpellier avec quelque honneur, lui fit avoir la lecture [professorat] en médecine qu’il possède, bien qu’il en fût indigne et incapable. »

Près de la moitié du livre (pages 52‑93) reproduit les textes de quelques privilèges apostoliques et royaux détenus par l’Université de Montpellier. Maladroit dans la forme comme dans le fond (v. note [3], lettre 131, pour deux autres extraits visant Guy Patin), le virulent ouvrage de Courtaud ne manqua pas sa cible. Un copieux échange d’écrits anonymes s’en ensuivit ; ce furent le Navicula Solis (Guy Patin ou Jean Bérault, sans date, v. note [56], lettre 348), les Curieuses recherches… (Riolan et Patin, v. supra notule {f}), la Seconde Apologie… (Isaac Cattier, 1653, v. note [54], lettre 348), etc. Entremêlée avec celle de l’antimoine qui l’avivait, la venimeuse querelle finit par s’éteindre sur un dernier coup de griffe, le Genius Pantoulidamas… (1654, attribué à Siméon Courtaud et Antoine Madelain, v. note [35], lettre 399).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 novembre 1645, note 19.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0128&cln=19

(Consulté le 09/12/2024)

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