Medica a 20 ans : naissance et croissance d’une bibliothèque numérique au début du XXIe siècle 3/3

 Voici le troisième et dernier billet d’une série de 3 sur l’histoire de Medica – rédigé par Lou Delaveau, conservatrice-stagiaire Enssib, à l’occasion des 20 ans de la bibliothèque numérique Medica. Retrouvez le premier billet ici  et le second là 

III. Vers une Galaxie Medica

Medic@ dans le paysage des bibliothèques numériques

Les différents états de la politique documentaire de Medic@ soulignent que la bibliothèque numérique est « complémentaire des autres produits élaborés par le Service d’histoire de la santé (base bio-bibliographique des médecins, pharmaciens et autres professionnels de santé, expositions virtuelles, renseignements à distance…) » [1]. Un même thème pourra ainsi être décliné via les divers outils mis en place par la bibliothèque. À titre d’exemple, un corpus sur Etienne-Jules Marey, réalisé en collaboration avec le Collège de France et l’Académie nationale de Médecine, est versé dans Medica en 2006 et accompagne la mise en ligne d’une exposition virtuelle[2]. C’est ce type de projet « à forte valeur ajoutée » qui est privilégié par l’équipe pour définir le positionnement de Medic@ dans un contexte de concurrence croissante et d’essor de géants numériques – on pense notamment au développement de Google print, puis Google Book, à partir de 2004. Quelle place pour Medic@, que certains interviewés décrivent comme une « PME », voire une « épicerie fine » ? Une note de service, qui témoigne du lancement d’une importante campagne de numérisation par la Wellcome Library, invite à réfléchir à la place qu’occupent les ressources de la BIUM dans le panorama des bibliothèques numériques, et s’inquiète même de l’avenir des collections papier dans les bibliothèques en général[3]. D’autres archives attestent d’un souhait d’initier une coopération nationale pour la numérisation du patrimoine médical imprimé[4].

Dans ces circonstances, l’articulation des différents services développés par la BIUM ne peut qu’être un atout. Un outil tient une place toute particulière dans ce réseau documentaire : il s’agit de la Banque d’images et de portraits , dont nous avons déjà parlé. Sous la responsabilité d’Estelle Lambert, la Banque d’images s’est en effet progressivement étoffée grâce aux illustrations signalées lors de l’indexation des pages numérisées pour alimenter Medica : elle comporte aujourd’hui 264 000 images. La base biographique est une autre ressource essentielle du Service d’histoire de la santé qui permet notamment de relier les différents contenus grâce à des notices d’autorités. De la sorte, Medica prend la forme d’un réseau interconnecté de bases : elle déborde même des contours de la BIU Santé puisqu’outre les numérisations de ses fonds et d’exemplaires d’institutions partenaires, elle agrège aussi plus de 100 000 notices d’autres bibliothèques, via le protocole OAI-PMH.

Les années 2010 : plusieurs changements marquants.

L’accueil de Medica au 7/11/2011 et au 3/03/2016 , avec respectivement une mention du pôle Pharmacie et le logo de la nouvelle BIU Santé (Internet Archive Wayback Machine).

En 2011, la BIUM change de nom, fusionne avec la BIUP (Bibliothèque interuniversitaire de Pharmacie) et devient la BIU Santé. C’est tout un nouveau champ disciplinaire qui s’ouvre alors pour Medic@, dont témoignent des réalisations telles que la reconstitution virtuelle de la bibliothèque du Collège de Pharmacie. Puisque le pôle Pharmacie ne dispose pas d’un scanner équivalent à celui du pôle Médecine, des concertations fréquentes sont organisées entre les deux équipes, quoique – de l’aveu de Catherine Blum, conservatrice arrivée à la BIU Santé Pharmacie en 2016 – l’éloignement des deux sites ne facilite pas le transport et la numérisation des formats les plus volumineux ! Les liens noués par la BIU Pharmacie avec différents organismes spécialisés dans le domaine des sciences pharmaceutiques et de la cosmétologie renforcent aussi le caractère incontournable de la BIU Santé dans le paysage de la recherche en histoire des sciences.

Deux exemples curieux de documents conservés au pôle Pharmacie : Au Chat des Alpes. Froid humidité : ennemis de santé : 1940-1941, Voiron, Isère : Au Chat des Alpes, 1940. BIU Santé Pharmacie 69321.
Pharmacie Chaumel. Le Baume Oco : Souvenir de l’expo 1889. [Paris] : [s.n.], 1889.BIU Santé Pharmacie RES 69389.

                        

 

Cette place prépondérante est confortée par une stratégie d’ouverture des données : en 2013, la BIU Santé adopte la “Licence Ouverte” pour ses documents du domaine public et encourage ses partenaires à faire de même. Les images des collections, tirées de Medic@ ou de la Banque d’images et de portraits, circulent donc activement sur le Net. Ce succès inspire à la BIU Santé un partenariat avec l’association Wikimédia France pour verser dans la médiathèque Wikimédia Commons les clichés en haute définition de certains corpus tout en menant un travail d’alignement et de référencement des métadonnées associées. Après une première phase menée à bien en 2017, un deuxième chapitre s’ouvre en 2020. Cette politique de collaboration passe également par un travail conjoint avec des bibliothèques-sœurs de par le monde : en 2017, Medica intègre le consortium Medical Heritage Library sous l’action de Solenne Coutagne. La Medical Heritage Library   qui fête également un anniversaire en 2020 – ses dix ans ! –  offre, ainsi que le rappellent Véronique Boudon-Millot et Jean-François Vincent dans un article récent[5], de nouvelles fonctionnalités aux lecteurs consultant les collections de la BIU Santé par cette porte d’entrée : notamment un OCR performant et une interface de visualisation plus ergonomique sur Internet Archive.  Un dernier changement marque enfin cette décennie :  le nom même de Medica s’offre une nouvelle jeunesse et se voit amputé de son vilain « @ » !

L’accueil de Medica au 17/11/2020, avec le logo d’Université de Paris. On note la disparition du @ de Medica.

Le tournant 2020 : et au-delà ?

Le développement d’une solution « sur mesure » pour Medica dans les années 2000, qui avait l’avantage de permettre une grande réactivité et souplesse, a certes quelques inconvénients. L’équipe souhaiterait implémenter aujourd’hui un affichage mosaïque, la possibilité de faire pivoter et défiler les pages, l’affichage latéral de la table des matières… Autant de petits détails susceptibles de rendre la consultation plus confortable  mais qui se heurtent aux caprices d’un système ayant parfois mal vieilli et peu documenté, ainsi qu’au manque de temps et de main d’œuvre… Le langage Lasso original, désuet, a cependant pu être traduit en PHP par Olivier Ghuzel, ingénieur d’études et informaticien rattaché au Service d’histoire de la santé. Un projet est en cours pour reprendre l’archivage pérenne au CINES des données de la bibliothèque numérique, dont le poids désormais écrasant a dépassé les capacités de l’application qui lui était originellement dédiée, et est désormais stocké dans une base de données MySQL. Dans un constant souci d’améliorer les fonctionnalités de la base et la circulation de l’information, l’équipe s’intéresse aussi aux opportunités du modèle IIIF qui permet de diffuser des images sur le web de manière standardisée et de les rendre consultables, modifiables par d’autres applications extérieures à la bibliothèque. Une telle évolution permettrait, en interne, de simplifier considérablement le traitement des images mais aussi de bénéficier de nouveaux modes de visualisation, de navigation et d’interaction avec les images.

Mais l’avenir de Medica est aussi étroitement lié aux contours administratifs de la nouvelle Université de Paris. Après une première fusion avec le SCD Paris Descartes en octobre 2019, la BIU Santé intègre en effet la Direction générale déléguée aux bibliothèques et musées d’Université de Paris (DGDBM), suite à la fusion des universités Paris Descartes et Paris Diderot en 2020. Dans ce nouveau chapitre de l’histoire de la BIU Santé, Medica semble pouvoir constituer la figure de proue de la valorisation patrimoniale des bibliothèques de l’université fusionnée. L’équipe réfléchit actuellement à la place qu’elle occupera dans ce nouvel univers documentaire : il s’agit à la fois de moderniser les fonctionnalités de la bibliothèque numérique (en cohérence avec les futures autres collections), de les pérenniser mais également de préserver la singularité de cet outil que le contexte sanitaire rend d’autant plus incontournable. Medica est aujourd’hui appréciée par un large public, bien connue de ses lecteurs fidèles mais aussi bien identifiée par les nouveaux chercheurs en histoire des sciences, dont je faisais moi-même partie il n’y a pas si longtemps. Espérons que ce billet de blog aura fait sourire les premiers et intrigué les seconds que nous invitons à cliquer ICI pour entamer leur exploration de la Galaxie Medica : nous leur souhaitons de fructueuses découvertes !

Lou Delaveau, avec l’aide de l’équipe du Service d’histoire de la santé


Sources

-Archives consultées

 Archives du directeur de la BIU Santé relatives au Service d’histoire de la santé : cartons 95, 96, 97, 98, 99, 100, 104, 105.

-Entretiens (par ordre alphabétique)

Catherine Blum : actuelle responsable des collections et fonds patrimoniaux à la BIU Santé Pharmacie, entrée à la BIU Santé en 2016.

Guy Cobolet : directeur de la BIUM/BIU Santé de 2000 à 2018.

Solenne Coutagne : actuelle responsable de Medica, entrée à la BIU Santé en 2014

Olivier Ghuzel : ingénieur d’études, attaché au Service d’histoire de la santé (notamment  en charge de la maintenance de Medica), entré à la BIU Santé en 2013.

Estelle Lambert, actuelle responsable de la Banque d’images et de portraits, entrée à la BIU Santé en 2002.

Henry Ferreira-Lopes : chef du Service d’histoire de la santé de 1999 à 2004

Bernadette Molitor : Bibliothécaire à la BIU Santé de 1974 à 2014, en charge de l’histoire de la médecine et du fonds ancien.

Pierre Morris : photographe dans le service, actuellement en charge de l’indexation de la base biographique, entré à la BIUM en 1983.

Jacques Gana : chef du service informatique de la BIUM / BIU Santé, de 1995 à 2017.

Jean-François Vincent : chef du Service d’histoire de la santé, entré à la BIU Santé en 2004, ci-devant responsable de Medica (2004-2014).


[1] « La politique documentaire de Medic@ », dernière version de mai 2015. https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/assets/pdf/histmed-medica-poldoc-medica-fra-octobre2013.pdf .

[2] Mail du 4/05/2006 (Jean-François Vincent) – Archives, c. 97. L’exposition virtuelle est la suivante : https://www3.biusante.parisdescartes.fr/marey/debut.htm.

[3] « Numérisation de masse et avenir des fonds patrimoniaux : considérations sur le fonds ancien de la BIUM et son avenir proche » c. 104 (non daté, vers 2008 ?)

[4] Divers documents – Archives, c. 104.

[5] Boudon-Millot (Véronique), Vincent (Jean-François), « Medical Heritage Library: La plus grande bibliothèque médicale numérique du monde », dans médecine/sciences, EDP Sciences, 2020, 36 (10), p. 924-928. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02960793

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