L. 27.  >
À Claude II Belin,
le 3 mars 1636

Monsieur, [a][1]

Ce mot servira de réponse à votre dernière, laquelle j’ai reçue longtemps après la date. Je ne me mêlerai point de vous consoler de la mort de votre enfant, tant à cause que je sais bien que vous avez en vous-même la source des vraies consolations, que pour ce que je crains que ne me reprochiez ce que Tibère [2] fit à ces ambassadeurs grecs qui le venaient consoler de la mort de son fils, trois ans après qu’elle fut arrivée. [1][3] Je souhaite seulement que Dieu vous envoie la consolation nécessaire à tant de malheurs arrivés coup à coup en votre famille. J’ai eu le bonheur de voir céans monsieur votre frère, le chanoine, [4] mais il survint un tiers qui nous empêcha, et n’ai pu recouvrer le temps de l’aller voir chez lui comme je le désirais fort, à cause du peu de jours qu’il a ici séjourné. Je crois qu’il vous aura fait tenir le petit paquet que j’avais délivré à monsieur votre jeune frère [5] avant sa maladie ; [2] mais je ne l’ai point vu depuis qu’il amena céans M. le chanoine. Je ne sais s’il s’en est retourné avec lui, mais au moins sais-je bien qu’il n’est pas logé en son même logis. Les Espagnols font mine de vouloir entrer en Picardie ; [3] on y a envoyé d’ici plusieurs compagnies. L’archevêque de Reims [6][7][8] a reçu commandement du roi [9] de se retirer en son archevêché, pour les diverses et infâmes débauches qu’il faisait de deçà[4] On a mis aussi dans la Bastille [10] deux des officiers de Monsieur, [11] dont l’un était son premier aumônier, nommé de La Rivière. [5][12][13] Le duc de Parme [14] est ici, qui s’en retourne dans peu de jours. [6] Le cardinal de La Valette [15] y est arrivé, qui vient s’y rafraîchir et qui est suivi du duc Bernard de Weimar, [7][16] qui est demeuré à Lagny, [8][17] pour venir ici quand le duc de Parme en sera parti. Je vous baise bien humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 5e de mars 1636.

On dit ici que 8 000 chevaux ont passé la Meuse et qu’ils sont entrés en Champagne.


a.

Ms BnF no 9358, fo 33 ; Triaire no xxvii (pages 98‑100).

1.

Avec Tibère et ses ambassadeurs, Guy Patin, radoteur à ses heures, resservait ici à Claude ii Belin son couplet de condoléances pour le deuil de sa première épouse, deux ans auparavant (v. note [3], lettre 17). Leur enfant mort, mentionné ici, n’a pas été identifié. Un précédent deuil familial, dont l’objet précis n’est pas connu, a été signalé juste un an auparavant (lettre du 3 mars 1635, v. note [1], lettre 21).

2.

Rayé de la plume de Guy Patin mais encore lisible : « durant laquelle je lui prêtai 24 livres qu’il me demanda ».

3.

Les Espagnols de Philippe iv, menés par Jean de Werth (v. note [5], lettre 38) et Piccolomini (v. note [12], lettre 418), allaient faire mieux que mine d’entrer en Picardie : ils allaient prendre Corbie le 15 août suivant pour menacer directement Paris (v. note [2], lettre 30).

4.

Henri ii de Lorraine (Blois 1614-Paris 2 juin 1664), duc de Guise et prince de Joinville, petit-fils du Balafré, Henri ier (v. note [1], lettre 463), était l’un des fils du duc Charles de Guise et de Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Montpensier ; son frère cadet était le chevalier de Guise, Roger de Lorraine. Henri avait été nommé archevêque de Reims à 14 ans. Possesseur de nombreux bénéfices ecclésiastiques, il renonça à la prélature lorsque les morts successives de son frère aîné (1639) et de son père (1640) l’eurent mis en possession du titre de duc de Guise. Engagé dans le parti du comte de Soissons en faveur des Impériaux, il avait dû s’exiler à Bruxelles pour échapper à une condamnation capitale (G.D.U. xixe s.).

Les Lettres de Guy Patin ont évoqué les principaux épisodes de sa vive tumultueuse. Henri ii de Guise n’eut pas d’enfant de ses deux mariages, qui se conclurent tous deux par un divorce : avec Anne de Rethel en 1639, puis avec Honorée de Glimes en 1641.

Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome ii, pages 367‑373) qui commence par ces mots :

« Monsieur de Reims, aujourd’hui M. de Guise, est un des hommes du monde le plus enclin à l’amour. »

5.

Louis Barbier (1593-1670), abbé de La Rivière, était officiellement fils d’Antoine Barbier de La Rivière, commissaire de l’Artillerie en Champagne. Professeur de philosophie au Collège du Plessis (v. note [5], lettre 593), Louis avait débuté dans le monde comme aumônier de l’évêque de Cahors, puis devint aumônier, secrétaire et confident de Gaston, duc d’Orléans, dont il subissait alors la disgrâce. En décembre 1642, jute après la mort de Richelieu, Monsieur lui donna l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire et favorisa tant qu’il put son ascension (G.D.U. xixe s., Triaire et Adam).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 153, février 1644) :

« L’on dit que la reine avait fait grand bruit sur ce que M. Vincent {a} avait dit qu’elle ne pouvait donner en conscience la coadjutorerie de Narbonne à l’abbé de La Rivière, qu’il ne fût prêtre et de meilleures mœurs. L’on faisait courir le bruit qu’elle l’avait disgracié »


  1. Vincent de Paul (v. note [27], lettre 402), principal membre du Conseil de conscience (v. note [3], lettre 686) de la régente, Anne d’Autriche.

Pendant toute la Fronde, l’abbé intrigua aux côtés de Gaston d’Orléans : l’un rêva de devenir régent à la place d’Anne d’Autriche, et l’autre, ministre et cardinal à la place de Mazarin. Quand le vent tourna, La Rivière sut revenir dans les faveurs du cardinal et pour récompense de ses services, il reçut le titre de seigneur de Seinemont, et fut nommé chancelier et garde des sceaux de l’Ordre du Saint-Esprit de 1645 à 1650, puis chancelier de l’Ordre de 1650 à 1654, enfin évêque-duc de Langres (v. note [1], lettre 29) en 1655, et pair de France. Nicolas Boileau-Despréaux a salué son ascension en sa première satire :

« Mais il faut être souple avec la pauvreté.
C’est par là qu’un auteur que presse l’indigence
Peut des astres malins corriger l’influence,
Et que le sort burlesque, en ce siècle de fer,
D’un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair. »

Dans la mazarinade intitulée La Conférence du cardinal Mazarin avec le Gazetier [envoyée de Bruxelles le 7 mai dernier] (Jouxte la copie imprimée à Bruxelles, 1649, in‑4o de 38 pages) se lit un féroce jugement sur l’abbé (page 33, dans la bouche du Gazetier) :

« Cela fait que je change aussi d’avis touchant Monseigneur d’Orléans en la personne de La Rivière ; car vous devez savoir que ce nom de La Rivière n’est pas celui de son père, ni de sa famille. Son père était un gagne-deniers, ou chargeur de bois en Grève, qui s’appelait Barbier, lequel, par raillerie ou mépris, fut nommé La Rivière par ses camarades, comme on nomme un laquais La Vertu, La Fontaine ou La Rose. Sa naissance vile n’a pas été suivie d’une meilleure éducation. Il n’y a point de Collège dans l’Université qui ne retentisse encore de ses friponneries, et toute la cour sait par quels services il a mérité les bonnes grâces de son maître, qui lui ont acquis le titre glorieux d’Aumônier spermatique ; c’est dans ces combats nocturnes et secrets que ce prince a gagné les gouttes qui le mangent maintenant. Ainsi persistant en ce que je disais tantôt, s’il faut conclure pour son regard, c’est de le réduire au métier de son père, ou de le métamorphoser en rivière pour la nourriture des poissons ; en quoi j’estime que vous ferez un plaisir indicible aux Parisiens, qui n’ont pas moins d’aversion pour lui que pour vous. » {a}


  1. V. note [64], lettre 101, pour l’attribution, pour le moins hardie, de cette mazarinade à Guy Patin.

6.

Édouard (Odoardo) ier Farnèse (1612-12 septembre 1646), cinquième duc de Parme, de Plaisance et de Castro, fils de Ranuce ier (mort en 1622), s’était allié à la France contre l’Espagne en 1633 ; mais n’ayant pas réussi dans ses entreprises sur Valenza et sur Crémone, il aurait vu l’État de Parme tomber aux mains des ennemis, sans l’intervention du pape Urbain viii et du grand-duc de Toscane qui avaient obtenu la paix. Ensuite, pour suffire aux dépenses de la première guerre, Édouard dut engager au mont-de-piété de Rome le duché de Castro et le comté de Ronciglione. Comme il ne payait pas régulièrement les intérêts, Urbain viii lui chercha querelle et envoya une armée pour s’emparer du duché de Castro. Le duc de Parme se signala par sa bravoure dans plusieurs combats, et après être allé attaquer l’ennemi jusque sous les murs de Rome, il signa, en 1644, une paix qui lui rendit ses premières limites (v. note [40] du Naudæana 3).

Édouard avait épousé en 1628 Marguerite de Médicis, fille de Cosme ii, grand-duc de Toscane (v. 4e référence, note [5] du Naudæana 2), laquelle mourut en 1679. En mourant, il laissa quatre fils et deux filles ; son fils Ranuce ii (v. note [11], lettre 650) lui succéda (G.D.U. xixe s.).

7.

Le duc Bernhard de Saxe-Weimar (Weimar 1604-Neubourg 18 juillet 1639), cadet d’une famille princière protestante, la branche albertine de la Maison de Saxe, fut un des plus célèbres capitaines de la guerre de Trente Ans. Dépossédé de tout bien par les premiers succès des Habsboug, il s’était trouvé forcé d’embrasser la carrière des armes en levant son propre régiment, puis sa propre armée de mercenaires, les Weimariens. Après avoir combattu les Impériaux sous divers étendards, il s’était mis en 1629 au service du roi de Suède, Gustave-Adolphe. À Lützen (1632), il avait contribué à transformer en victoire la bataille qui coûta la vie à ce roi. Son aventure suédoise s’était pourtant achevée avec la défaite de Nördlingen (1634).

Par le traité de Saint-Germain, conclu avec lui le 27 octobre 1635, la France se l’était rallié en s’engageant à lui payer un subside annuel de 1 600 000 écus, avec la promesse de conserver, la paix venue, les terres de Haute-Alsace et du Brisgau qu’il aurait conquises sur les Habsbourg. Saxe-Weimar devait de son côté entretenir une armée de 6 000 cavaliers et de 12 000 fantassins. En 1638, il allait, avec l’appui de Turenne, conquérir le Rhin supérieur en s’emparant de Fribourg puis de Brisach, après un siège de six mois. Saxe-Weimar mourut de maladie, sans avoir accompli son projet d’acquérir une terre à gouverner. Pour toute postérité, il laissa ses fougueux Weimariens qui continuèrent à guerroyer sous les ordres de Turenne, son disciple (J. Bérenger, Dictionnaire du Grand Siècle, et G.D.U. xixe s.).

8.

Lagny (aujourd’hui Lagny-sur-Marne, Seine-et-Marne), en Brie, se situe à une trentaine de kilomètres à l’est de Paris. Elle était le siège d’une grosse abbaye dédiée à saint Pierre.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 3 mars 1636

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(Consulté le 14/12/2024)

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