L. latine 176.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 8 février 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 132 ro | LAT | IMG]

Très distingué Monsieur, [a][1]

On ne trouve nulle part le Theatrum medicum de Locatelli : [1][2][3][4][5] aucun de nos libraires n’a vu ce livre, ni n’en a jamais entendu parler. M. de La Noüe, prêtre de notre voisinage, [2][6] n’en a possédé aucun exemplaire et n’en aura jamais car il s’en est récemment allé dans l’au-delà : une apoplexie a emporté le bonhomme en cinq heures, quoiqu’un homme, pour ne pas dire un vaurien chimique, lui ait fait boire du vin d’antimoine et l’ait empoisonné. [7][8][9] Voilà des marches qui conduisent au repos éternel. {Je n’ai ni reçu ni vu votre portrait : [10] j’en ai écrit à M. Piètre [11] dont je n’ai pas encore reçu réponse ; en effet, il n’était pas alors à Amiens ; [12] comme il était sur le chemin du retour, on l’a renvoyé à Bruxelles ; on a dit qu’il était venu à Paris et qu’il s’y était arrêté trois jours pour régler une affaire avec M. le prince de Turenne, [13] mais je n’ai pas alors su qu’il y était passé.} [3] Nous attendons encore le Galien de Chartier et je ne sais combien de temps nous l’attendrons de ces braillards, presque mendiants. [4][14][15] Le malheur de notre peuple est tel qu’un procès entrepris dure trente ans si le décès des plaidants n’y a pas mis fin. J’espère pourtant que la mort d’un d’eux permettra que toute l’affaire soit conclue avant un an. [5][16] On n’a jusqu’ici pu trouver chez aucun libraire les Œuvres de Planis Campy, qui sont in‑fo ; [6][17] si j’en découvre un exemplaire, je vous l’enverrai. J’ai jadis connu cet homme en cette ville ; c’était un chimiste ignorant et insolent, un malheureux chirurgien qui eût voulu qu’on le prît pour un médecin ; il n’avait à la bouche que sa chimie et ses expériences, et même ses secrets contre la vérole. [18] Il est mort pauvre et encore jeune. Un des fils qu’il a laissés a été assassin : il a été roué pour un larcin remarquable et un très cruel homicide qu’il avait commis dans le palais d’Orléans en l’an 1647. [19][20] J’ai enfin reçu votre portrait par les soins et la peine de M. Piètre, trésorier à Amiens, et vous en remercie tant que je puis. Ne pourrais-je pas avoir cette thèse de Hydrope que Joannes de Cocq a disputée dans votre pays voici quelques mois ? [7][21][22][23] Je salue les très distingués MM. Vorst, van Horne et Gronovius, [24][25][26] ainsi que nos autres amis, mais en particulier MM. Rompf et Stevartus. [27][28] J’espère que votre paquet partira sous peu pour la Hollande, afin de vous y être remis par un ami marchand. Nous n’avons ici aucune nouvelle politique, hormis une rumeur sur la mort du roi d’Espagne, mais elle est encore incertaine. [29]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 132 vo | LAT | IMG] Notre surintendant des finances destitué et emprisonné depuis le 5e de septembre est encore enfermé sous bonne garde dans la forteresse royale de Vincennes. [30][31] Ses amis redoutent le pire pour lui ; c’est Nicolas Fouquet, homme extrêmement corrompu et défenseur des loyolites, qui disent pourtant aujourd’hui beaucoup de mal de lui, étant donné le renversement de sa fortune et de ses affaires. [32] La nouvelle Chambre de justice que le roi a créée et installée contre les partisans est déjà instaurée mais n’avance pas. Je dirai, comme Cicéron, Teucris illa lentum negotium[8][33][34] Que pensez-vous du grand Etymologicon de Johannes Gerardus Vossius, son édition sera-t-elle bientôt achevée ? J’ai entendu dire qu’elle porterait le titre d’Originationes linguæ Latinæ Vossii[9][35] Les imprimeurs de Rotterdam ne font-ils pas avancer leur Érasme ? [36] N’ont-ils pas quelque nouveau dessein pour le Primerose ? [10][37] Que Dieu vous conserve, très distingué Monsieur. Il semble que, par la singulière bienveillance du Seigneur, ma santé soit entièrement rétablie. [38] Vous prendrez soin, s’il vous plaît, de faire suivre la lettre ci-incluse à notre ami Utenbogard. [11][39] Vale, vous qui êtes le meilleur des hommes, et aimez-moi.

Vôtre de tout cœur.

De Paris, ce 8e de février 1662.


a.

Brouillon manuscrit, ms BIU Santé no 2007, fo 132 ro et vo : Guy Patin a omis d’écrire le nom du destinataire, mais le contenu de la lettre l’identifie comme étant Johannes Antonides Vander Linden. Seuls les deux premiers tiers de la première page et quelques corrections sont autographes ; Patin, toujours souffrant (v. note [1], lettre 717), a dicté le reste.

1.

Theatro d’Arcani del Medico Lodovico Locatelli da Bergamo ; nel quale si tratta dell’Arte Chimica, et suoi Arcani, con gli Afforismi d’Ippocrate Commentati da Paracelso, e l’espositione d’alcune Cifre, et Caratteri oscuri de Filosophi, con due tavole, una de Capitoli, et l’altra delle cose piu notabili.

[Théâtre des secrets de Lodovico Locatelli, {a} médecin natif de Bergame : où il est question de l’art chimique et de ses ses secret, avec les Commentaires de Paracelse sur les Aphorismes d’Hippocrate, {b} et l’explication de certains chiffres et symboles obscurs des philosophes ; avec deux tables, l’une des chapitres et l’autre des choses les plus mémorables].


  1. Lodovico Locatelli, écrit Éloy, « s’acquit beaucoup de réputation à Milan dans le xviie siècle. Il inventa plusieurs nouveaux remèdes, et il y a apparence que le baume qui porte encore son nom dans nos dispensaires est de ce nombre. On l’appela à Gênes pendant le règne d’une maladie contagieuse qu’il traita avec assez de succès ; mais il y succomba lui-même en 1637, dans un âge peu avancé. »

    Ce baume de Locatelli est (Encyclopédie méthodique…, 1792) :

    « un médicament topique qui a été autrefois en grande recommandation pour la guérison et la consolidation des plaies et des ulcères ; c’est un mélange de cire, d’huile et de térébenthine, avec une petite proportion de baume du Pérou et du sang-dragon ; {i} il peut quelquefois être employé utilement, mais il est bien loin de mériter tous les éloges qu’on lui a donnés. »

    1. Le sang-dragon est une résine astringente et hémostatique, provenant du palmier dénommé calamus draco ; v. notule {b}, note [4], lettre latine 404, pour le baume du Pérou.

  2. Pages 308‑402 : aphorismes en latin et commentaires de Paracelse (v. note [7], lettre 7) traduits en italien.

  3. Milan, Gio. Pietro Ramelatti, 1644, in‑8o, avec frontispice représentant Hermès Trismégiste (v. note [9], lettre de Thomas Bartholin datée du 18 octobre 1662) et Paracelse surmontant sa devise, Alterius non sit qui suus esse potest [Celui qui peut être lui-même se garde d’appartenir à un autre].

    Ce livre a été réédité en italien à Venise (1667) et traduit en latin : Theatrum arcanorum chymicorum, sive de Arte chemico-medicâ tractatus exquisitissimus [L’Amphithéâtre des arcanes chimiques, ou traité très raffiné sur l’art médico-chimique] (Francfort, 1656, in‑8o).

    Ce titre ne figurait pas dans la 2e édition des deux livres de Scriptis medicis [des Écrits médicaux] de Johannes Antonides Vander Linden (Amsterdam, 1651, v. note [3], lettre latine 26), mais il est apparu dans la 3e (ibid. 1662, v. note [29], lettre 925), sous le nom de Ludovicus Locabellus (page 450).


2.

Pour que Guy Patin en parle à Johannes Antonides Vander Linden, cet abbé bibliophile devait jouir d’une bonne notoriété : ce pouvait être Pierre de La Noüe, auteur des Synonyma et æquivoca Gallica phrasibus sententiisque Proverbialibus illustrata. In usum linguæ Gallicæ studiosorum digesta. Et Latina eorum interpretatione donata [Synonymes et homonymes français expliqués par des citations et des proverbes. Pour l’usage de ceux qui étudient la langue française. Avec leur traduction en latin] (Châlons-en-Champagne, Guillaume Du Bois, 1643, in‑12).

3.

Guy Patin a barré tout ce passage entre accolades : peut-être craignait-il les indiscrétions de la censure, car il semblait attribuer des activités politico-diplomatiques à Julien Piètre (v. note [1], lettre latine 173). Quelques lignes plus bas dans sa lettre, Patin est néanmoins revenu sur la bonne livraison du portrait de Johannes Antonides Vander Linden (v. note [10], lettre latine 99) par Piètre (mais sans parler du reste).

Comme l’établit sa correspondance (Collection des lettres et mémoires trouvés dans les porte-feuilles du maréchal de Turenne…, Paris, tome premier, 1782, in‑fo, pages 342 et suivantes), Turenne négociait alors un traité d’alliance entre la France et les Provinces-Unies (aux dépens des Britanniques).

4.

Les héritiers de René Chartier qui se déchiraient dans un interminable procès.

V. note [4], lettre latine 138, pour les tomes vii et xi des œuvres d’Hippocrate et Galien éditées par Chartier (Paris, 1649), que Johannes Vander Linden voulait acheter à la veuve de l’auteur, mais s’impatientait d’attendre.

5.

Jean Chartier, fils aîné du premier lit de René et l’un des plus acharnés quérulents contre sa belle-mère, allait mourir le 7 juillet 1662.

6.

Les Œuvres de David de Planis Campy, {a} conseiller et chirurgien ordinaire du roi. Contenant les plus beaux traités de la médecine chimique que les anciens auteurs ont enseignée. Œuvre nécessaire à tous médecins, chirurgiens, artistes, arboristes, distillateurs, et autres qui désirent se perfectionner en cet art. Revues et corrigées par l’auteur avant son décès et augmentées de plusieurs traités non imprimés. {b}


  1. David de Planis Campy (1589-1644).

  2. Paris, Denis Moreau et Étienne Danguy, 1646, in‑4o (erreur de Guy Patin sur le format), v. note [2], lettre latine 188, pour Denis Moreau.

Ce volumineux ouvrage réunit :

7.

Joannes de Cocq (1639-1721) : Disputatio medica inauguralis de hydrope… [Thèse médicale inaugurale sur l’hydropisie…] (Leyde, Salamo Wagenaer, 1661).

8.

« Cette Troyenne traîne en affaire » (v. note [3], lettre 48).

9.

V. note [20], lettre 352, pour l’Etymologicon (« Origines de la langue latine ») de Johannes Gerardus Vossius.

10.

V. note [4], lettre latine 166, pour le projet de publier à Rotterdam les œuvres complètes d’Érasme.

Pour Jacques Primerose, il s’agissait probablement de la réédition de ses De vulgi Erroribus in medicina libri iv [Quatre livres sur les erreurs du peuple en médecine] (v. note [41], lettre 104), mais elle ne parut qu’en 1668 (Rotterdam, Arnold Leers, in‑12).

11.

Lettre française 723.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 132 ro.

Vir Cl.

Theatrum Medicum Locatelli nuspiam reperitur Parisijs : eum librum nullus
ex nostris Bibliopolis vidit, nec novit unquam. Dominus de la Noüe, Presbyter in vicinia
nostra, nullum habuit exemplar : nec unquam habebit : nuper enim abijt ad plures,
ex apoplexia quæ rapuit hominem intra quinque horas : quamvis ab homine, ne dicam nebulone
Chymista, fuerit illi propinatum vinum ex Stibio medicatum, et venenatum. His gradib.
itur ad requiem sempiternam. Iconem tuam non accepi, nec vidi : scripsi de illa
ad D. Pietreum, à quo responsum nondum accepi : tunc enim non erat Ambiani :
redebatur iterum fuisse remissus Bruxellas : dictus fuit venisse Parisios,
et hîc hæsisse per triduum, ut geret cum D. Principe Turennio : verùm
tunc nescivi ejus adventum.
De Galeno Charterij adhuc expectamus, nec
scio quamdiu simus expectaturi ab ejusmodi rabulis et propè mendicis :
tanta est gentis nostræ infelicitas, ut lis inchoata duret annos 30. vel
nonnisi litigantium morte terminetur : spero tamen fore ut per unius ex illis
obitum, ante annum tota res concludatur. Opera Planis Campi, quæ sunt
in folio, hactenus non poterunt reperiri, apud ullum Bibliopolam : si aliquod
comperiatur Exemplar, illud ad Te mittam : novi olim istum hominem in hac Urbe :
erat ignarus et superbus Chymista, infelix Chirurgus, qui Medicus voluisset
haberi : nil nisi Chimiam et experimenta sua crepabat, imò et secreta adversus luem
veneream : Obijt nondum senex et pauper : ex Filijs quos reliquit, unus fuit
sicarius, qui pro furto insigni et homicidio durissimo in Palatio Aurelianensi,
anno 1647. rotæ supplicio fuit affectus. Iconem tuam tandem accepi curâ et
studio D. Pietrei, Quæstoris Ambianensis, pro quo tibi gratias ago quam
possum maximas. Thesis illa de hydrope apud vos disputata ante aliquot
menses à Jo. de Cocq, nonne posset haberi ? Cl. Virum D. W
Vorstium
saluto, ut et Van Horne, Gronovium, et alios amicos, præsertim verò
Romphium et Stuartum. In dies spero fasciculum tuum brevi adbiturum
in Hollandiam, ut tibi reddatur per amicum Mercatorem. Nihil hîc habemus
novi de Politicis, præter rumorem quendam de obitu Regis Hispaniæ, sed adhuc incertum.

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 132 vo.

Gazophylax noster exauthoratus, et à 5. Sept. die incarceratus,
adhuc latet et studiose asservatur in arce Regia Vicennarum :
plurimum tamen pro illum illo metuunt ejus amici : est is est
Nic. Fouquet, homo admodum vitiosus, et fautor Loyolitarum
qui tamen hodié
e illi acerrimée maledicunt, ex fortunæ rerumq;
suarum em
conversione. Novum tribunal à Rege int creatum et
institutum adversus publicanos, adhuc viget, sed nihil promovet.
Dicam cum Tullio, Teucris illa lentum negotium. Quid
censes de magno illo Ethim Etymologico Ger. Io. Vossij ? An non
brevi ad umbilicum perducetur ejus editio ? audivi nomen illi
futurum Originationes Linguæ Latinæ Vossij. Pergúnt ne
Roterodamenses Typographi pro Erasmo ? Nihil ne novi moliuntur
ijdem ipsi pro Primerosio ? Deus te servet Vir Cl. Videtur mihi
valetudo mea planè confirmata singulari Dei beneficio.
Hîc inclusam ad Utembogardum nostrum Epistolam perferandam
si placet, curabis. Vale Virorum Optime, et me ama.

Tuus ex animo

Lutetiæ Paris. die 8. febr. 1662.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 8 février 1662

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(Consulté le 07/12/2024)

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