Ce traité n’allait paraître que vingt ans plus tard :
Claudii Salmasii de manna et saccharo Commentarius.
[Commentaire de Claude i Saumaise sur la manne et le sucre]. {a}
- Paris, Charles Du Mesnil, 1663, in‑4o ; réédité à Utrecht en 1689 (v. note [5] de la biographie de Claude ii Saumaise, sieur de Saint-Loup) ; ouvrage posthume dédié par le libraire amplissimo, doctissimo et saluberrimo medicorum Lutetiæ Parisiorum Ordini [à la très considérable, très savante et très salutaire Compagnie des médecins de Paris].
V. notes [14], lettre latine 170, et [5], lettre latine 254, pour les contributions de Jean-Baptiste Lantin et de Guy Patin à sa parution.
Le traité De Manna occupe les 75 premières pages, et le De Saccharo, les 20 dernières, mais il est incomplet, se terminant sur Cetera deerant in MS [Le reste manquait dans le manuscrit] et on n’y trouve aucune mention du sucre de Nabeth.
Furetière :
« Drogue médicinale, la manne est un suc ou une liqueur blanche, douce, qui découle d’elle-même ou par incision des branches et des feuilles mêmes des frênes, tant ordinaires que sauvages, pendant la canicule [v. note [8], lettre 1019], et un peu auparavant. On ne la trouve que sur ces arbres, encore n’est-ce pas sur tous, mais principalement en Calabre et aux environs de Briançon. […] La manne est une médecine qui purge fort doucement et qu’on prend dans des bouillons. »
Guy Patin a plusieurs fois parlé des divers types de manne dans sa correspondance, comme dans sa leçon du Collège de France sur le sujet, mettant beaucoup de soin à bien les distinguer les uns des autres. Il s’inspirait largement, me semble-t-il, des sept premiers articles du chapitre xxiii du premier des deux livres de Caspar Hofmann de Medicamentis officinalibus [des Médicaments officinaux] (Paris, 1647, v. note [7], lettre 134). Traduits et annotés, ils permettent de ne pas se méprendre sur ce qu’était le médicament compliqué qu’on appelait la manne au xviie s.
- To Manna Græcum an Hebraicum sit iam non inquiro. Apud Græcos frequens est η μαννα η το μαννιον του λεβανου, quod nihil aliud est quam Thuris micæ, concussione in vectura elisæ, de quibus iam non agimus. Apud Arabas et practicos vulgares est Manna cum additione loci natalis, Orientalis, Europæa, Calabrina, etc.
[Je ne cherche pas ici à savoir si le mot manne vient du grec ou de l’hébreu. La manne ou poudre du Liban est courante chez les Grecs ; ce n’est rien d’autre que des miettes d’encens qu’on a écrasé dans un moulin, et nous n’en parlerons pas ici. {a} Chez les Arabes et dans la pratique courante, le mot manne s’emploie en ajoutant son lieu d’origine : Orientale, Européenne, Calabraise, etc.]
- Orientalis iterum duplex est, Liquida, quæ melli similis est : Concreta, quæ in exiguis granis, masticis instar. Hæc iterum duplex est. Quæ enim recens est, a similitudine Mastichina dicitur : quæ iam in maiores grumos concrevit, et exalbuit, a similitudine bombycis Bombycina appellatur.
[Il existe deux sortes de manne d’Orient. La liquide est semblable au miel. La solide est formée de menus grains ; ressemblant au mastic, {b} elle se présente sous deux formes, auxquelles, par similitude, on donne les noms de masticine, pour celle qui est fraîche, et de bombycine, pour celle qui s’est agrégée en gros grumeaux et qui a blanchi, prenant l’aspect du bombyx]. {c}
- Europæa multiplex est. Est enim Italica, seu Calabrina. Est Gallica seu Briansonensis. Est Rhetica seu Germanica, seu Brigantina. Celeberrima, et per totam fere Europam usurpata est Calabrina illa.
[Il existe de nombreuses sortes de manne d’Europe : italienne ou calabraise ; française ou briançonnaise ; rhétique ou germanique, ou brigantine. {d} La plus célèbre, utilisée dans presque toute l’Europe, est celle de Calabre].
- Tam Orientalem quam Europeæam speciem esse Mellis roridi volunt quidam : quidam de Orientali tantum concedunt. Mihi videtur, utraque eiusdem esse generis : sed neutra Melleum quid. Censeo autem succum seu liquorem esse arboreum, quem aliquis vel gummi, vel resinam appellarit, cum neutrum sit. De Calabrina tam pulcre, tam solide probat Altimarus in Tract. singulari, ut nihil possit addi. De Gallica concedit id Pena : de Germanica Costœus. De Orientali scribit Garzias in Histor. Arom. compertum sibi, esse gummi vel resinam arboris Persicæ, dictæ Quæst. Rauwolfius pingit spinam, Agul, Algul, Alhagi Arabibus vocatam, super quam cadat. Ego vero dico, esse spinæ illius succum. Cur enim non cadit super vicinas quoque plantas ?
[Certains veulent que tant celle d’Orient que celle d’Europe soient une sorte de miel de rosée ; mais d’autres n’accordent cette qualité qu’à l’Orientale. Il me semble qu’elles sont toutes deux de la même sorte, mais que ni l’une ni l’autre n’a de rapport avec le miel ; je pense néanmoins que la manne est le suc ou la sève d’un arbre, et qu’on l’a appelée gomme ou résine, bien qu’il ne s’agisse ni de l’une ni de l’autre. Dans le traité particulier qu’il a consacré la Calabraise, Altomari {e} procure des arguments si bons et si solides en sa faveur qu’on ne peut rien y ajouter. Pena a fait de même pour la Française, et Costeo pour la Germanique. {f} Dans son Historia Aromatum, Garcia écrit avoir découvert que l’Orientale est la gomme ou la résine d’un arbre de Perse, nommé Quest. {g} Rauwolfius décrit une plante épineuse, que les Arabes appellent Agul, Algul, Alhagi, mais s’arrête là, quand moi je dis que c’est le suc de cette plante < qui m’intéresse >. Pourquoi donc en dit-il moins que pour les plantes qui sont à côté d’elle < dans son livre > ?] {h}
- Quidquid sit, cum certum sit, Europæam esse arboreum quid ; Orientalis autem sit illi per omnia similis : quidni sit ejusdem naturæ ? Nec obstat id, quod Altimarum diu tenuit, Mel roridum esse, quod Orientalis a calido sicco diffluat, Calabrina ab eodem magis induretur. Ita enim Matrix, et alia talia essent roscida, si verum esset axioma, Quidquid a calido sicco difflui, est ros. Sed et falsum est axioma oppositum, Quidquid a calido sicco induratur, est arboreum. Nam et lutum h.m. induratur. Causa discriminis consistit in substantia crassiore vel tenuiore, magis minus terrea.
[Quoi qu’il en soit, il est certain que la manne européenne vient de quelque arbre, et aussi qu’elle est en tous points semblable à celle d’Orient ; mais pourquoi donc ne serait-elle pas de même nature ? Cela ne va pas à l’encontre de ce qu’Altomari a longtemps soutenu, disant qu’il s’agit de miel de rosée, que la chaleur sèche fait s’écouler l’Orientale et qu’elle durcit fort la Calabraise. Sa souche et autres parties seraient couvertes de rosée si cet axiome était vrai : Tout ce qu’une chaleur sèche fait s’écouler a la nature de la rosée. Mais l’axiome inverse est parfaitement faux : Tout ce que la chaleur sèche fait durcir a la nature de l’arbre ; car la boue durcit aussi bel et bien dans ces conditions. La cause de la distinction se trouve dans la substance, selon qu’elle est plus épaisse ou plus lâche, plus ou moins terreuse]. {i}
- Hinc iudicare licet, quid sit dicendum ad quæstionem illam, An hæc manna sit eadem cum Israëlitica in deserto ? Non est. Fuit illa Mel roridum, quia cecidit super omnes plantas, lapides, etc.
[Qu’il me soit alors permis de répondre à cette question : Notre manne est-elle la même que celle des Israélites dans le désert ? {j} Non, il s’agissait de miel de rosée, étant donné qu’elle tombait partout, sur les plantes, les pierres, etc.].
- Vicina huic est alia quæstio, An fuerit Græcis cognita ? Non fuit, excepto solo Act. Id vero, de quo illi scribunt, fuit pariter Mel roridum, indiscriminatim quippe ex pluribus arboribus collegerunt. Sed ut tandem explicatius agamus de Calabrina nostra.
[Une question voisine se pose alors : Notre manne a-t-elle été connue des Grecs ? Non, à la seule exception d’Actuarius. La manne dont ils ont parlé fut également du miel de rosée, qu’ils recueillaient indistinctement de plusieurs arbres. {k} Mais venons-en enfin à notre calabraise.
- V. note [26], lettre latine 351, pour son autre nom de sarcocolle.
- Le mastic (v. note [73], lettre latine 351) est la « résine qui découle d’incisions faites au térébinthe lentisque » (Littré DLF).
- Ver à soie.
- Brigantine vient de Brigantinus lacus, nom latin du lac de Constance (frontalier entre l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche), situé dans la région d’Europe qu’on appelait la Rhétie.
- Antonio Donato da Altomari (v. note [12], lettre 401) : De Mannæ differentiis ac viribus, deque eas cognoscendi via ratione [Des différentes sortes de Manne et de leurs pouvoirs, et du moyen rationnel permettant de les connaître] (Venise, 1562, in‑4o).
- De Pierre Pena, sur la manne, je n’ai rien trouvé d’autre que les quatre pages qui lui sont consacrées (dont seulement une demi-douzaine de lignes sur la manne de Briançon) dans le Stirpium adversaria nova [Nouveau répertoire des plantes] qu’il a signé avec Mathias de Lobel (Anvers, 1576, v. note [3], lettre 42).
Giovanni Costeo, le commentateur d’Avicenne en 1564 (v. note [11], lettre 11), a aussi publié De universali stirpium natura libri duo [Deux livres sur la nature complète des plantes] (Venise, 1580, in‑4o).
- Garcia de Orta (médecin, botaniste et grand voyageur portugais, 1501-1568) : Aromatum et simplicium aliquot medicamentorum apud Indos nascentium historia [Description des aromates et de quelques médicaments simples qui poussent aux Indes] (Anvers, Plantin, 1593, in‑8o, pour la 4e édition). Hofmann se référait à ce passage (page 45) du chapitre xi, De manna du livre i :
Primum genus utribus conservatum, sapore favi mellis, Xirquest, aut Xircast vocatur, id est, Lac ex arbore Quest nuncupata : nam Xir lingua Persica Lac sonat ; nos corrupto nomine Siracost nuncupamus. Est autem ros quidam in eas arbores delabens, aut gummo ex eis destillans.
[Le premier des deux genres qu’on observe a le goût du miel de ruche et porte le nom de Xirquest ou Xircast, c’est-à-dire lait venant de l’arbre appelé Quest, car Xir, en langue persane, signifie lait ; nous lui donnons le nom déformé de Siracost. C’est une sorte de rosée qui coule dans ces arbres, ou de gomme qui en tombe goute à goutte].
- Leonard Rauwolf (vers 1540-1596), médecin et botaniste allemand, a relaté son voyage au Levant dans un livre traduit en latin par Johann Friedrich Gronovius (mort en 1671, v. note [5], lettre 98) sous le titre de Flora Orientalis, sive recensio plantarum quas Botanicorum Coryphæus Leonhardus Rauwolfus, Medicus Augustanus, annis 1573, 1574, et 1575. in Syria, Arabia, Mesopotamia, Babylonia, Assyria, Armenia et Judæa crescentes observavit, et collegit, earumdemque ducenta Specimina, quæ in Bibliotheca publica Lugduno-Batava adservantur, nitidissime exsiccata et chartæ adglutinata in volumen retulit… [La Flore d’Orient, ou le recensement des plantes que le coryphée des botanistes, Leonhard Rauwolf, médecin d’Augsbourg, a vu pousser dans les années 1573 à 1575 en Syrie, Arabie, Mésopotamie, Babylonie, Assyrie, Arménie et Judée ; il les a cueillies et a gardé les spéciments de deux cents d’entre elles, qui sont conservées dans la Bibliothèque publique de Leyde, desséchées collées dans un très splendide herbier…] (Leyde, Wilhelm de Groot, 1755, in‑8o). Je n’ai pas eu accès à l’original en allemand dont disposait Hofmann, mais deux extraits de cette édition latine tardive (avec les savantes additions de Gronovius) me semblent en dire suffisamment à l’article 288 (page 93) sur l’hédysarum ou hédysaron :
Spinosa quædam herba Acatiæ nomine, a Mauris Agul dicta, supra quam Manna Persarum Truncsibal appellata decidens colligitur. […]
Agul et Algul Mauris, in cujus fronde præcipue apud Persas Manna colligitur, quam Trunschibin, Arabes vero Thereniabil et Trungibin appellant.
[C’est une herbe épineuse du nom d’Acatia, que les Maures appellent Agul, sur laquelle on recueille la manne des Perses, appelée Tuncsibal, qui s’en écoule. […]
Agul et Algul pour les Maures, dans le feuillage de laquelle on recueille principalement la manne en Perse, qu’on appelle Trunschibin, mais Thereniabil et Trungibin pour les Arabes].
- J’ai consciencieusement traduit ce paragraphe, mais avoue humblement peiner à en comprendre toutes les subtilités.
- V. note [2], lettre 494.
- V. notes [3], lettre 3, pour Actuarius, médecin grec du Moyen Âge, et [15], lettre latine 109, pour la manne de Galien.
Par extension du sens biblique, au xviie s., manne se disait aussi, « figurément, de toutes sortes de viandes et de fruits, principalement quand ils sont de garde, quand ils peuvent nourrir et faire subsister une maison. C’est une bonne manne, dans un logis, qu’une provision de pois, de fèves, de riz, pour le carême » (Furetière). |