Triades 73‑75.
- « Dans son épître dédicatoire des premiers chants de l’Énéide, Luis de la Cerda {a} rapporte trois faits remarquables au sujet du successeur de Galba, Othon, avant qu’il se fût donné la mort, laissant l’empire à Vitellius. » {b}
- P. Virgilii Maronis priores sex libri Æneidos, Argumentis, explicationibus, notis illustrati. Auctore Ioanne Ludovico de la Cerda Toletano Societatis Iesu, in curia Philippi Regis Hispaniæ Primario Eloquentiæ Professore. Editio quæ non ante lucem vidit. Cum indicibus necessariis.
[Six premiers chants de l’Énéide de Virgile, que Juan Luis de la Cerda, {i} jésuite natif de Tolède, premier professeur d’éloquence à la cour du roi Philippe d’Espagne, a enrichis de discussions, d’explications et de notes. Édition originale, pourvue des index nécessaires]. {ii}
- V. note [12], lettre 224.
- Lyon, Horace Cardon, 1612, in‑fo de 759 pages.
Longue de 19 pages et datée de Madrid, le 1er mai 1610, l’épître dédicatoire est adressée Illustrissimo D.D. Didaco Silvæ ac Mendossæ, Duci Francavillæ, Comiti Salinarum et Ribadei [à l’illustrissime Diego de Silva y Mendoza, duc de Francavilla, comte de Salinas y Ribadeo]. Membre de la haute noblesse espagnole, Silva Mendoza (1565-1630) allait devenir vice-roi du Portugal de 1617 à 1622, par commission du roi Philippe iii d’Espagne.
- La Cerda a consacré le début de son épître à célébrer les ancêtres du dédicataire, dont il rattachait les origines à la famille (gens) romaine Salvia. Son plus illustre représentant avait été l’empereur Othon, éphémère successeur (janvier-avril 69) de Galba. {i} Dans cette période de grande instabilité, Galba s’était emparé de l’empire, mais se suicida trois mois plus tard, en se perçant d’un glaive, après avoir été battu par ses opposants ; leur chef, Vitellius, succéda à Galba et régna d’avril à décembre 69. Le passage sur Othon, auquel se référait la triade 73, est à la page †4 vo :
Multa quoque de illo Plutarchus eximia, sed imprimis tria, quæ te volo discere. Moriturus ita loquitur ad filium fratris : Ne memineris te habuisse patruum Cæsarem. Ne videlicet insolesceret adolescens fortuna patrui. Alterum est, servis ante mortem benigne pecuniam divisisse, ita tamen (quod admiror) ut non pecuniam tanquam alienam profunderet, sed, pro merito cuiusque, modum in dividendo servaret. Tertium est grande quidem scriptoris de Othone elogium hoc : Nullus meo judicio omnis ætatis tyrannorum vel Regum tam ardenti et insano imperandi amore flagravit ; quantum milites parere et obtemperare gestierunt Othoni. Libentissime maioris tui dicta et facta in memoriam Tibi revocavi.
[Plutarque a relaté maints faits remarquables à son sujet, {ii} mais particulièrement trois, que je veux vous apprendre. < Le premier est qu’>avant de mourir, il s’adressa ainsi au fils de son frère : {iii} « Oublie que tu as eu pour oncle un empereur » ; ce qu’il dit afin que la fortune de son oncle ne rende pas ce jeune homme insolent. Le deuxième fait est qu’avant sa mort, il divisa généreusement son argent entre ses esclaves, sans toutefois le prodiguer, comme si c’était celui d’un autre, mais en le répartissant selon le mérite de chacun (et c’est bien ce que j’admire). Le troisième fait est bien sûr ce remarquable éloge que l’auteur a donné d’Othon : « Jamais, à mon avis, aucun tyran ni aucun roi n’a brûlé d’une si dévorante et folle passion de diriger, à tel point que les soldats se démenaient pour se soumettre et pour obéir à Othon. » {iv} C’est avec très grand plaisir que je vous ai remis en mémoire les paroles et les actes de votre ancêtre].
- Galba avait lui-même succédé à Néron, de juin 68-janvier 69, v. note [9], lettre 564.
- Plutarque, Vie d’Othon, chapitres xxi‑xxii.
- Lucius Salvius Otho Cocceius, fils de Lucius Salvius Otho Titianus, consul romain et frère aîné de l’empereur Othon, qui avait désigné Cocceius comme son successeur s’il remportait la victoire.
- Tout cela se lit dans les Vies parallèles de Plutarque, mais l’auteur du Borboniana a préféré se référer à la Cerda parce qu’il en a fait une triade.
- « “ Ces trois maladies ont été particulières au climat d’Égypte : éléphantiasis, {a} eczémas des enfants, {b} et lichens ou mentagre ” {c} (Saumaise, de Annis climatericis, page 728). » {d}
- V. note [28], lettre 402, pour les deux formes d’éléphantiasis décrites au xviie s. : l’une liée à la lèpre ; l’autre, dite des Arabes, aujourd’hui rattachée à une parasitose dénommée filariose de Bancroft, correspondait à celle d’Égypte.
- Autrement nommés achores, qui correspondent à l’impétigo du cuir chevelu (v. note [54] de L’homme n’est que maladie (thèse présidée par Guy Patin en 1643). Les médecins arabes connaissaient cette maladie et l’appelaient safati (qui a donné safatum ou saphatum en latin), mais elle n’était en rien une maladie particulière à l’Égypte.
Le mot eczéma vient du grec εκζεμα, « éruption cutanée », dérivé du verbe ekzéein, « faire bouillonner ».
- V. note [2], lettre 449, pour la mentagre ou mentagra, maladie cutanée du visage, décrite par Pline, mais dont l’équivalent moderne est incertain.
Le Borboniana l’assimilait ici aux lichens (nom latin des dartres), c’est-à-dire, en pathologie moderne, à une dermatose persistante d’origine variable, caractérisée par des papules (surélévations cutanées) prurigineuses, dont il existe une forme tropicale, surnommée gale bédouine. Les signes n’en étaient guère différents au temps de Jean Fernel, qui les a admirablement décrits aux pages 548‑549 (livre vii, chapitre iv, Les affections et éruptions bilieuses qui paraissent au dehors) de sa Pathologie traduite en français : {i}
« La dartre est […] une ardeur qui ronge le cuir, et le rend inégal et rude, avec force petits bourgeons qui s’élèvent çà et là. Les Grecs l’appellent herpès. {ii} Il s’en trouve deux sortes : l’une est simple et s’appelle dartre miliaire ; l’autre maligne, qu’on nomme dartre vive. Quand les pustules de la dartre vive sont creusées, elle ulcère le vrai cuir, le ronge et le mange, s’étend en largeur et en profondeur, et les ulcères qu’elle fait demeurent secs.
La dartre simple et plus bénigne apporte au cuir une rudesse et inégalité superficielle, et ne passe pas l’épiderme, où elle fait lever des petits boutons, qui ne s’avancent pas beaucoup et ne paraissent guère plus gros que des grains de mil.
Ces deux espèces de dartre courent et s’étendent de côté et d’autre, comme en rond, sur les parties qui leur sont proches ; et souvent, le milieu se guérit, que les extrémités continuent de marcher plus avant. {iii} La dartre ulcérée approche grandement de l’érysipèle, {iv} de sorte que plusieurs les prennent pour être de même genre. Néanmoins, il y a cette différence entre elles que l’érysipèle vient subitement en suite d’une fluxion manifeste ; au lieu que la dartre, ou papule, boutonne peu à peu et se forme par laps de temps, sans qu’il y ait aucune apparence de fluxion. Les pustules de la dartre sont sèches, et quand elles sont entamées, il n’en sort ni pus ni sanie ; mais celles de l’érysipèle sont grandes, ulcérées et humides, d’où il sort un pus mêlé de sanie. Ce qui est de fâcheux dans la dartre, et qui donne de la peine, c’est la démangeaison, et en l’érysipèle, on est tourmenté de douleur et d’ardeur. Toutes les dartres sont de durée, ne causent aucune fièvre et ne guérissent qu’avec le temps et l’érysipèle est d’ordinaire accompagné de fièvre, vient soudain et se résout promptement de soi-même. » {v}
- Paris, 1655, v. note [1], lettre 36.
- V. note [16], lettre 524.
- Une telle évolution centrifuge est dite serpigineuse.
- V. notes [16], lettre 41, et [2], lettre latine 353.
- Lichen « est le nom que les botanistes donnent à une espèce de plante parasite qui vient sur l’écorce des arbres, qui est faite comme une espèce de croûte mêlée de jaune et d’un blanc sale. […] Les lichens viennent aussi contre les murailles, ce qui ternit la blancheur des pierres et des plâtres dans les bâtiments. […] Ceux qui viennent sur les arbres sont beaucoup plus grands. On s’en sert contre les dartres, d’où ils ont tiré leur nom, parce que la dartre s’appelle en latin lichen » (Trévoux).
- V. note [27], lettre 146, pour les Diatribæ [Discussions] de Claude i Saumaise « sur les années climatériques ». {i} Cette triade s’y lit mot pour mot aux pages 728‑729, suivie de ces interrogations qu’on peut aujourd’hui qualifier d’épidémiologiques et d’étiologiques (c’est-à-dire portant sur l’expansion et les causes des maladies) :
An Ægyptiaci Climatis stellæ hoc effecerunt, ideo et reliquæ provinciæ horum vitiorum diu mansere immunes ? Sed cur postea alio importata hæc mala ? An stellæ etiam maleficæ illorum locorum quibus istæ lues postmodum irrepsere, in causa fuerunt cur eo importarentur ? Sed cur illo demum tempore ? Cur antea iners jacuit earum maleficium ? Cur etiam, ubi sævire cœpisset et aliquamdiu regnasset, postea destitit ? Non solum Clima horum morborum causa est et origo, sed victus magis. Nam si in Climate solo causa esset, vix in alias regiones transferi posset, et ibi durare. Victus igitur ratio in plurimis locis quosdam morbos ut ibi sint familiares præstat. Quod ita esse vel inde colligitur quod in Ægypto hodie hæc vitia non grassantur, ut olim factum. Mutata nempe vivendi ratione etiam istæ passiones recesserunt. At si a stellarum decreto penderent hodie quoque istæ παθη in illis locis vigerent. AntiquiÆgypti multo pane vescebantur, leguminibus, ut lente faba et aliis, pultis genere αθαρας vocatæ, salsamentis plurimis. […] Præterea aquam ex Nilo suo biberant turbidam et limosam, quæ […] multos morbos efficiebat.
[Les étoiles du ciel égyptien sont-elles responsables de cela, quand toutes les autres contrées sont longtemps restées exemptes de ces maux ? Mais pourquoi se sont-ils plus tard transportés ailleurs ? Les étoiles malfaisantes des pays où ces pestes se sont plus tard insinuées ont-elles été la cause de cette diffusion ? Mais alors pourquoi seulement en ce siècle ? Pourquoi étions-nous auparavant à l’abri de leur malédiction ? Pourquoi aussi s’est-elle dissipée là où elle avait commencé à sévir et avait régné pendant assez longtemps ? Le climat n’est pas la seule cause et origine de ces maladies : l’alimentation y prend aussi une grande part ; car si le climat était seul en jeu, il pourrait difficilement se transposer dans d’autres régions et y persister. C’est donc la nourriture qui explique pourquoi certaines épidémies se répandent en quantité d’endroits. {ii} Le fait est, ou on en déduit, que ces fléaux ne prospèrent plus aujourd’hui en Égypte comme ils l’ont fait jadis. Un changement de la manière de vivre est aussi intervenu dans la régression de ces maux. S’ils dépendaient encore aujourd’hui du décret des étoiles, ils continueraient à sévir dans ces contrées. Les anciens Égyptiens se nourrissaient de beaucoup de pain, de légumes, comme lentilles, fèves et autres, d’un genre de bouillie, appelée athara, {iii} de multiples salaisons. (…) En outre, ils buvaient l’eau trouble et boueuse de leur Nil, qui provoquait quantité de maladies].
- Leyde, 1648, pour la première édition, soit quatre ans après la mort de Nicolas Bourbon.
- Sans être médecin, Saumaise se référait très pertinemment à l’idée que l’inné et l’acquis (nature and nurture en anglais) interviennent dans la santé humaine (v. mon commentaire sur le deuxième paragraphe [sujet] de L’homme n’est que maladie, note [18]).
- Ce mot grec, signifiant gruau, nous est resté dans l’athérome (amas graisseux) artériel de l’athérosclérose (v. note [7], lettre 610). V. note [3], lettre 721, pour l’avis de Galien sur le rôle de l’alimentation dans l’éléphantiasis des Égyptiens.
- « “ Chez les Sères, {a} il n’était jadis permis ni de voler, ni de tuer, ni de commettre l’adultère ” (Saumaise, ibid. page 623). » {b}
- V. note [25], lettre 197, pour les Sères, qui peuplaient Cathay, c’est-à-dire le nord de la Chine et la partie asiatique de la Russie.
- La page 623 des « Années climatériques » (mais il s’agit d’une erreur de numérotation commise par l’imprimeur, pour 723) est bien celle d’où cette triade a été tirée ; Saumaise s’y étonnait à juste titre des interdits que partageaient les anciens Hébreux et les peuples d’Extrême-Orient.
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