À André Falconet, le 18 mai 1663, note 9.
Note [9]

« bois ou va-t’en, paie ou va-t’en. »

  • Aut bibe aut abi était la formule rituelle du roi du festin (arbiter bibendi) que les convives tiraient aux dés pour savoir qui réglerait les libations.

  • Statuta F.M.P., article xxv (pages 28‑29) :

    Ne pauperibus ad Medicinæ Gradus aditus intercludatur, Bursæ pro Licentiis et Doctoratu Facultati debitæ, remittantur eis, qui manifeste pauperes erunt, si alioqui constet, eos doctos et probos esse : ea conditione, ut polliceantur et publico instrumento fidem suam adstringant, se Bursas ipsas persoluturos, cum ad meliorem fortunam pervenerint.

    [Pour que l’accès aux grades de médecine ne soit pas fermé aux pauvres, que la Faculté fasse remise des droits d’inscription pour la licence et le doctorat à ceux qui sont manifestement dans le besoin, s’il est par ailleurs avéré qu’ils sont honnêtes et instruits ; sous condition qu’ils jurent et s’engagent par serment public à rembourser cette avance quand ils seront parvenus à une situation plus aisée].

  • V. note [60] des Décrets et assemblées de 1651‑1652 dans les Commentaires de la Faculté pour une estimation de ce que coûtaient les études médicales à Paris. Guy Patin se souvenait des misères que lui avaient personnellement values les siennes, tant en existence famélique qu’en labeurs ingrats (dont seule la correction des épreuves d’imprimerie a laissé quelques traces).

Pour illustrer cet article des statuts, Patin résumait ici fidèlement les déboires de Nicolas Gervaise de Sainte-Foix, {a} que détaille le tome xiv des Commentaires de la Faculté.

  • Natif de Paris, Gervaise avait obtenu son doctorat en médecine de l’Université de Montpellier en 1638. Désireux d’exercer à Paris, il se plia à la règle d’y recommencer ses études. Reçu au baccalauréat du printemps 1658, {b} il entama ses deux années de préparation à la licence qui lui permettrait de vivre à nouveau de son métier.

  • Le 29 mai 1658 (page 346 des Commentaires), au moment de régler les honoraires dus pour l’examen de botanique, {c} grâce à l’appui de Puilon, {d} le doyen Roland Merlet {e} obtint de la Compagnie que Gervaise bénéficiât, étant donné son dénûment, d’une remise sur la somme qu’il devait verser à chacun des quelque 120 docteurs régents : 9 livres tournois, au lieu du montant ordinaire que j’ignore, mais qui devait être au moins le double de cette somme.

  • Encouragé par cet acte de mansuétude, Gervaise se crut en partie exonéré des frais liés à la soumission des trois thèses qui l’attendaient. Soutenu par quelques docteurs régents de ses amis, dont François Guénault, il en fit la demande, mais essuya un refus formel de la Compagnie le 30 janvier 1659, fondé sur un long argumentaire développé par le doyen François Blondel {f} (pages 415‑415) : les exemptions de droits prévues par les statuts ne concernaient que les actes de la licence et du doctorat ; jamais la Faculté n’avait rabattu pour quiconque les sommes (de montant inconnu) que les répondants (respondentes) versaient directement aux docteurs régents pour les présidences et les participations aux jurys de leurs deux quodlibétaires, et pour la présidence de leur cardinale (qui se disputait sans jury) ; {g} faire une exception ouvrirait la porte à tous les abus ; etc. Gervaise fit vainement appel de cette sentence, qui lui fut confirmée le 11 février (page 416).

  • Le 10 mai suivant, cinq jours avant la soutenance de sa première quodlibétaire, Gervaise fut convoqué devant la Compagnie pour un sévère rappel à l’ordre, lié au conflit qui l’opposait à son président, François Gouël, : {g} bien plus jeune et moins expérimenté que son bachelier, Gouël ne s’entendit pas avec lui sur la question à traiter et se plaignit qu’il eût fait imprimer à son insu un texte qui n’était pas conforme au manuscrit dont ils étaient convenus. Le doyen et la Faculté exigèrent que Gervaise présentât des excuses à Goüel, et que la thèse fût corrigée et réimprimée (page 422).

  • La thèse fut disputée le 15 mai et enregistrée dans les Commentaires sans remarque particulière du doyen (ibid.).


    1. V. note [8], lettre 521.

    2. V. note [41], lettre 523.

    3. V. note [4], lettre 528.

    4. V. note [30], lettre 399.

    5. V. note [6], lettre 450.

    6. Guénault (v. note [21], lettre 80) menait le parti de l’antimoine au sein de la Faculté, tandis que Blondel (v. note [11], lettre 0000) dépassait Patin en virulence contre ce médicament, ce qui attisait sans doute son hostilité à l’encontre de Gervaise.

    7. J’ignore pareillement le montant, sans doute élevé, de ces « épices doctorales ». Dans les Comptes de la Faculté de 1651-1652 (chapitres iii et vi des recettes enregistrées), les droits qu’elle percevait officiellement étaient modiques : 4 livres et 12 sols pour une quodlibétaire, et 10 livres pour une cardinale.

    8. Natif de Paris, reçu docteur le 4 février précédent, Goüel devait devenir régent en présidant la quodlibétaire de Gervaise ; v. note [1], lettre 490, pour sa cardinale de 1657 présidée par Robert Patin.

À tous ces égards, l’unique quodlibétaire parisienne de Gervaise mérite un soigneux examen. Elle portait sur la question Suntne animosi quibus sanguis facile coit ?. {a}

  • La vitesse à laquelle coagule le sang hors des vaisseaux et le temps de saignement d’une plaie étaient alors un sujet fort original, qui a depuis pris une grande importance en médecine. La curiosité m’a poussé à regarder de près de ce texte, dont voici la conclusion (5e et dernier article, où j’ai seulement corrigé quelques coquilles) :

    Quibus sanguis facilè coit, illos non macilentos et exiles, nec pingues nimis et obesos videas : ευσαρκοι sunt, quadrati lacertosi, optimi coloris et succi : sic adest animositas, vegetus illis calor et benè coctus sanguis est : ut fæminas imbecilliorij calore, crudorique sanguine natura donavit, ita vix ulla ad eas animositas pertinet senibus etiam vix contingit, frigidi quippé sunt et ab omni propemodùm igne derelicti, tuta omnia timent et anxiè nimis res reputant atque circumspiciunt : at vero sanguinem nullis penè fibris cohærentem ex eorum venis manare experientia docet : proceris quoque hominibus, aut quibus cor grandius est, deest animus : in parvo corde mediocrique et compacta statura strenuum vividumque pectus ad diuturnos impetus par sæpe reperias ; cervis, leporibus et damis dificillimè sanguis coagulatur, idem genus animantium meticulosum est : vide quàm solida sint ossa leonibus, quâm validi robustique artus, quam facilè coalescat fusus eorum sanguis, quàm evidentia præbant animositatis argumenta ; taurorum et aprorum sanguis quàm ευπηκτος : ijdem, quanta in belluis esse potest animositas, quàm θυμωδεις et εκστατικοι.

    Sunt ergo animosi quibus sanguis facilè Coit.

    [Tu ne vois pas que ceux dont le sang coagule facilement soient maigres et chétifs, ni fort gros voire obèses : ils ont une corpulence harmonieuse, leur musculature est proportionnée, leur teint et leurs sucs ont excellente couleur, leur chaleur est adéquate et leur sang de bonne coction. {b} Étant donné que la nature a doté les femmes d’une moindre chaleur et d’un sang plus cru, presque aucune ardeur ne les caractérise. Il en va à peu près de même chez les vieillards : froids et comme dépourvus de tout feu, ils craignent tout ce qui est sans danger, et examinent les choses avec circonspection et excessive appréhension ; l’expérience enseigne d’ailleurs que le sang qu’on leur tire des veines coule presque sans que ses fibres ne le figent. {c} Le courage fait aussi défaut chez les hommes de grande taille ou qui ont un gros cœur, mais tu constateras que ceux dont le cœur est petit, et la taille moyenne et trapue, ont souvent une vigueur puissante et vive qui les dispose aux longs efforts. Le sang des cerfs, des lièvres et des daims coagule très difficilement, et de fait, ces races d’animaux sont craintives. Vois comme les os des lions sont solides, comme leurs membres sont puissants et robustes, et comme caille aisément le sang qui coule de leur corps, et comme se montrent des preuves criantes de leur animosité. Vois aussi comme le sang des taureaux et des sangliers est compact ; {d} et de même, comme il y a chez les bêtes sauvages d’autant plus d’animosité qu’elles ont de hardiesse et de furie.

    Ceux dont le sang coagule facilement sont donc braves]. {e}


    1. « Ceux dont le sang coagule facilement ne sont-ils pas braves ? », conclusion affirmative, sous la présidence de François Goüel, dont c’était la première présidence, qui lui conférait le grade de docteur régent.

    2. Sang dont l’élaboration était tenue pour parachevée.

    3. Vague intuition de la fibrine (v. note [12], lettre 75) ; mais ni le sexe ni l’âge n’influencent les temps de coagulation (dans un tube) ou de saignement (à la sortie d’une plaie).

    4. Tous ces arguments vétérinaires sont, que je sache, parfaitement fantaisistes.

    5. Cette conclusion, dont les attendus s’enchaînent au mépris de toute logique, ne se fonde hélas sur aucune preuve explicite : elle ressortit au domaine des préjugés et des élucubrations naturalistes, fruits d’une pratique empirique, d’une imagination débridée et de lectures mal digérées.

  • Moins décevante est la longue dédicace en vers de la thèse Antonio Vallotio Regi a sanctioribus Consiliis et Archiatrorum Comiti [à Antoine Vallot conseiller du roi et comte des archiatres]. Elle a le même ton martial que la conclusion de la quodlibétaire et éclaire le propos de Guy Patin. Son deuxième tiers donne une idée du talent poétique du bachelier et de ses relations avec le premier médecin de Louis xiv : {a}

    Tu solus Valloti animos, curasque labantes
    Erigere, et solus poteris firmare trementem.
    Ergo meum, Columenque artis, quæ cuncta per orbem
    Sospitat, et salui cujus stant munere Reges,
    Annue ; difficilesque alti moliminis orsus
    Inscribi patiare tibi, tantisque superbum
    Auspiciis, ambire notæ melioris honorem.

    Sed satis orando prolusimus ; exue segnes
    Musa moras : video explicitis jàm fervere signis,
    Adversasque instare acies, et sæva minari
    Vincula : nunc nervis opus est et robore : viles
    Ite metus ; nec enim, quemquam, qui tanta vocasset
    Auxilia, in ventos sua vota abiisse, querentem
    Vidimus, aut vanos thuris sparsisse vapores :

    Hic alit audentem successus et illa serenat
    Spes animum ; fausti agnosco certaminis omen :
    Iamque iuvat conferre manum, iuvat ire periclis
    Obviam, et hostiles ultrò prævertere motus.

    Valloti mihi numen eris, Tu sensa profundo
    Excuties abstrusa sinu, fallaxque Sophisma
    Et rerum ambages melior Cortina resolves :

    Te coràm, trepido fugient agitata pavore
    Errorum vaga monstra, parensque inscitia falsi
    Lumine pulsa tuo, tristi se nocte recondet.

    Tu, me, per varios, ludique, hominumque tumultus
    Iactatum aspicies : et si (quod amica repellant
    Numina) contigerit prostratum tendere palmas,

    Ipse, oculis nutuque, favens, artesque nodosque
    Pugnandi expedies, animumque ardoris egentem
    Dulcibus et monitis et spe inflammabis honoris :

    His, accensa, super, mens ad majora resurget
    Et tentare iterum pugnas rursumque iuvabit
    Rumpere in adversos, et quos a<d>flaveris ignes
    In coniuratos torquere ardentiùs hostes
    .

    [Ô Vallot ! toi seul pourras m’éveiller l’esprit et le zèle chancelant, et sauras rassurer celui qui tremble. Octroie-moi donc l’entier soutien de ton art, qui préserve tout de par le monde et auquel les rois maintiennent la charge de leur santé ; et souffre de te voir confiées les rudes entreprises d’un immense effort, et de rechercher le glorieux honneur de briller sous de si grands auspices.

    Mais en voilà assez de mes prières. Écarte, ô ma muse, les paresseux préambules : des signes clairs me montrent que le brasier s’est déjà enflammé, que les armées ennemies approchent, que de cruelles chaînes nous menacent ; il y a maintenant besoin de courage et de force. Fuyez, viles craintes ! car, ayant fait appel à de si puissants secours, nous n’avons vu personne se plaindre que ses vœux se soient envolés aux quatre vents ou dispersés en vaines fumées d’encens.

    C’est l’action qui nourrit l’audacieux, et l’espoir qui rend l’esprit serein. J’accepte le présage d’un combat heureux : il me plaît d’y prendre part, il me plaît de marcher au devant des dangers et d’affronter résolument les manœuvres hostiles.

    Ô Vallot, tu seras mon dieu, tu secoueras en ton sein profond mes sentiments réprimés, mais c’est là un fallacieux sophisme {b} car, meilleure cortina {c} que je ne suis, tu résoudras pour moi ce que les choses ont d’obscur.

    Face à toi fuiront les monstres vagabonds, agités par la tremblante frayeur de leur erreurs, et cette mère de la fausseté qu’est l’ignorance, repoussée par ta lumière, se retirera dans une triste nuit.

    Tu me verras ballotté par les capricieuses agitations des hommes et de leur futilité ; {d} et s’il m’arrive de me prosterner, les mains suppliantes (ce que les dieux amicaux veuillent écarter), toi-même alors, d’un regard et d’un signe de tête en ma faveur, me dégageras des ruses et des embûches de l’adversaire, et tu embraseras un courage qui manque d’ardeur, et par tes bienveillants conseils, et par l’espoir des honneurs.

    Ainsi ma volonté se ranimera pour gagner les plus hauts sommets et me commandera de reprendre encore et encore la lutte, de charger mes ennemis et de lancer avec plus d’ardeur les flammes, que tu auras attisées, sur ceux qui se sont ligués contre moi].


    1. Bien que rivaux à la cour, Guénault et Vallot (v. note [18], lettre 223) étaient solidement alliés contre les ennemis parisiens de l’antimoine.

    2. Pour dire : « mais je raisonne de travers » (tu ne vas pas te contenter d’agiter mes secrètes pensées).

    3. Dans le mythe (Fr. Noël), la cortina (ou cortine) est « une espèce de bassin d’or et d’argent, si peu évasé qu’il ressemblait à une petite table qu’on mettait sur le trépied sacré, pour servir de siège à la pythonisse » (v. note [8], lettre de Christiaen Utenbogard, datée du 21 août 1656) ; c’est ici, par métaphore, un synonyme d’oracle.

    4. On peut aussi traduire ludi par « leur école », en invoquant les égarements de la Faculté de médecine de Paris sur son hostilité envers les autres universités, voire sur sa chancelante condamnation de l’antimoine.

  • Cette thèse (même revue et corrigée sur ordre de la Faculté) et ses vers belliqueux sont le poignant témoignage de la lutte que menait Gervaise pour obtenir sa licence de médecine en 1660 et la capacité d’exercer à Paris. En sollicitant aussi agressivement la protection de Vallot, en exergue de sa première quodlibétaire, le bachelier maladroit creusait son propre tombeau. La dernière mention que j’ai vue de lui dans les Commentaires date du18 octobre 1659 (page 435) : blâmé et puni d’amende pour n’avoir pas justifié son absence lors de la messe que la Compagnie célébrait chaque année en souvenir de ses docteurs défunts (v. note [46] des Décrets et assemblées de la Faculté, 1650-1651), il jugea sans doute plus raisonnable de quitter le banc des bacheliers.

    La biographie de Gervaise laisse toutefois penser que sa pratique médicale lui permit de prospérer à Paris pendant au moins 24 ans. Le plus vraisemblable est que Vallot lui obtint une charge de médecin du roi par quartier, ce qui l’immunisait contre toute interdiction d’exercer dans le pré carré de la Faculté, puisque « tel était le bon plaisir » de Sa Majesté, auquel nul ne pouvait résister.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 18 mai 1663, note 9.

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(Consulté le 25/04/2024)

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