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Au très distingué M. Johannes Antonides Vander Linden, éminent professeur de médecine en l’Université de Leyde.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Votre long silence m’affecte énormément. Le fait est que j’ignore tout à fait si vous êtes toujours en vie et si vous vous portez bien. Je ne sais pas non plus si vous avez reçu ces deux paquets que je vous ai fait parvenir il y a plusieurs mois : le premier par M. Angot, [2] mais le second par M. Elsevier à qui je l’avais remis en mains propres. [3] Il contenait entre autres deux exemplaires du Celse, enrichis de corrections diverses : le premier était celui que M. Riolan m’a donné en échange du mien ; le second, celui de M. de La Vigne, notre très sage collègue mort il y a huit ans. [1][4][5][6] Quand votre livre de Selecta medica nous viendra-t-il ? [2][7] Écrivez-moi au moins ce que vous pensez que je doive en espérer, j’en ai donné un exquis avant-goût à l’excellent M. Jean Riolan, notre très distingué ancien, [8] dont je vous transmets ici les salutations. Tant que sa santé le lui permet, il est maintenant tout entier à augmenter et embellir la nouvelle édition de son Encheiridium anatomicum et de son Anthropographia, [3][9][10] où, parmi les anatomistes modernes, la postérité lira votre nom avec éloge et faveur. Il semble un peu moins tourmenté après que, dans son dernier livre, il a heureusement et dignement imposé silence à Pecquet, [Ms BIU Santé no 2007, fo 42 vo | LAT | IMG] téméraire jeune homme et novateur malfaisant, éventreur et éviscérateur de chiens, et à deux partisans pecquétiens, les très insipides Mentel et Mersenne. [4][11][12][13][14][15][16][17] Qu’y aura-t-il de neuf dans la réédition de notre Fernel qu’on prépare chez vous, avec, à ce que j’ai entendu, des commentaires de votre van Heurne, mais duquel ? S’agit-il de Jan, de son fils Otto ? [5][18][19][20] M. René Moreau vous salue, [21] tout comme moi, qui suis
votre Guy Patin de tout cœur.
De Paris, le 2d de juillet 1656.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 42 ro et vo.
V. note [16], lettre latine 38, pour ces deux anciennes éditions de Celse publiées chez les Alde à Venise : celle de 1528 que Michel de La Vigne aurait donnée à Guy Patin (mais qui appartenait à René Moreau, v. notule {d}, note [2], lettre latine 44), annotée par Nicolas de Nancel ; et celle de 1528, que lui avait donnée Jean ii Riolan, annotée par Jacques Charpentier, en échange d’une autre que possédait Patin.
Riolan détenait deux autres Celse de très grande valeur : celui qu’avaient annoté Jean Fernel et Jean Chapelain et dont Charpentier s’était servi pour son commentaire ; et celui qu’avait annoté Jules-César Scaliger, mais dont il ne voulut jamais se séparer.
Patin avait expédié ses deux précieux exemplaires à Johannes Antonides Vander Linden en février 1656, par l’intermédiaire de Jean Elsevier, et s’inquiétait sérieusement de n’en avoir pas encore reçu l’avis de bonne réception.
V. note [29], lettre 338, pour les « Morceaux médicaux choisis » de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1656).
Jean ii Riolan ne publia pas d’autre édition de son Anthropographie après celle de 1649 (sous le titre d’Opera anatomica vetera, v. note [25], lettre 146). Une 4e édition (posthume) de son Encheiridium [Manuel] anatomique et pathologique parut en 1658 (v. note [37], lettre 514).
V. notes [1], lettre 414, pour les Responsiones duæ [Deux réponses] de Jean ii Riolan sur les voies du chyle et la sanguification (Paris, septembre 1655), contre Jean Pecquet et ses zélateurs, les deux docteurs pecquétiens, Jacques Mentel et Pierre de Mersenne.
Guy Patin n’a pas toujours montré autant de méchanceté qu’ici à l’encontre de ces pionniers dans la découverte des voies du chyle, publiée pour la première fois dans les Experimenta nova anatomica [Expériences anatomiques nouvelles] de Pecquet (Paris, 1651, v. note [15], lettre 280). Sans doute Patin voulait-il complaire à Johannes Antonides Vander Linden, collègue, ami et garant de Jan van Horne, dont le Novus Ductus chyliferus… [Nouveau Canal chylifère…] (Leyde, 1652, v. le 3e extrait de la lettre de Sebastianus Aletophilus [Samuel Sorbière] cité dans la note [5], lettre 390) avait iniquement revendiqué la primeur de cette observation capitale. Linden y est cité en deux endroits :
complementum autem operis spectavit, qui mihi est instar omnium, Clariss. et Experientissimus Vir D. Ioan. Antonidæ vander Linden, Collega meus Honorandus, cui hoc multisque aliis nominibus plurimum debeo,[a en outre assisté à mes opérations le très brillant et expérimenté M. Johan. Antonides Vander Linden, qui pour moi vaut tous les autres et ce dont je lui suis prodondément redevable, comme à bien d’autres titres] ;
- Les autres témoins cités par van Horne sont Louis de Beaufort (v. notule {a}, note [21], lettre 75), Gallus, medicinam feliciter in hac urbe exercens, Anatomes et cæterarum Medicinæ partium peritissimus ; compluresque deinceps medicinæ studiosi [Français, qui exerce la médecine avec succès en cette ville, très aguerri en anatomie et dans les autres parties du métier ; et après lui, quantité d’amateurs de médecine].
Qui certe usus chyli non est contemnendus, uti propediem ex quamplurimis aliis phœnomenis ostenturus est in erudito suo opere Clariss. D. Ioan. Antonidæ vander Linden, nunquam merita sine laude loquendus.[L’utilité du chyle n’est certes pas à mépriser, comme le très brillant M. Johan. Antonides Vander Linden, lui dont jamais on ne doit parler sans due louange, le montrera sous peu dans son savant ouvrage et parmi quantité d’autres phénomènes].
Le livre de Linden qu’annonçait van Horne était la Medicina physiologica… [Médecine physiologique…] (Amsterdam, 1653, v. note [39], lettre 334). Deux articles enfouis dans le chapitre xvi du livre ii parlent des canaux du chyle :
Præter artus vero ejuscemodi valvulas habent etiam Venæ lacteæ : habet lactearum Truncus chyliferus, ceu nobis et privatim et publice his diebus in humano cropore ostendit D. Ioh. van Horne, excellentissimus viscerandi artifex,[Outre les membres, les veines lactées possèdent aussi de telles valvules ; tout comme il y en a dans le tronc chylifère des veines lactées, ainsi que M. Joh. van Horne, le plus habile des dissecteurs, nous l’a montré ces jours derniers sur le corps humain, tant en privé qu’en public] ;
Iugularis interna, ad asperæ arteriæ latus, surculis illi datis, ascendens versus caput, in via sive excipit sive emittit Venam chyliferam ceu matrem Venarum lactearum ad intestina pertinentium. Eam tot seculis ignotam protulit in lucem indefessa scrutandi lubido V. Cl. Ioh. van Horne, Anatomici nulli secundi. Ostendit autem nobis in cane primum, postea etiam in homine. In quo primus deprehendit Thomas Bartholinus Casp. F. in Hafniensi Acad. med. et Anat. Prof. omni laude dignissimus. Eadem eodem tempore in Galliis inventa quoque fuit a Ioan. Pecqueto et peculiari libello Parisiis primum, mox Hardevici edito propalata. Quis horum primus invenerit, parum interest scivisse. Deo sit laus, qui eas cogitationes suppeditavit.[La veine jugulaire interne, en descendant de la tête, sur le flanc de la trachée-artère, est munie de branches et, chemin faisant, soit elle reçoit, soit elle émet la veine chylifère, qui est la mère {a} des veines lactées venant des intestins. Elle est restée inconnue pendant des siècles, mais par son inépuisable désir de chercher, le très brillant M. Ioh. van Horne, anatomiste sans égal, l’a mise au jour : il nous l’a montrée chez le chien, puis chez l’homme. Thomas Bartholin, fils de Caspar, professeur de médecine et d’anatomie à Copenhague qui est parfaitement digne de toute louange, l’a trouvée avant lui. {b} Au même moment, elle a aussi été découverte en France par Jean Pecquet, qui fut le premier à publier son existence dans un petit livre paru à Paris et récemment réédité à Hardewijk. {c} Il n’y a guère d’intérêt à savoir qui de ceux-là en détient la primeur. Loué soit Dieu qui a fait aboutir ces méditations].
- Le collecteur.
- Thomas Bartholin : De lacteis thoracis in hominis brutisque… [Des lactifères du thorax chez les hommes et les bêtes…] (Copenhague, 1652, V. note [16], lettre 308).
- Dissertatio Anatomica de Circulatione Sanguinis et Chyli Motu [Dissertation anatomique sur la Circulation du sang et le Mouvement du Chyle] (Hardewijk, Ioa. Tollius, 1652, in‑12) : réédition hollandaise confidentielle des Experimenta nova anatomica de Pecquet (Paris, 1651) ; je n’en ai trouvé la référence que grâce aux deux livres de Scriptis medicis de Linden (Amsterdam, 1662, page 390).
La découverte des voies du chyle a provoqué une tempête de contestations et d’invectives. Dans la tourmente, j’admire que Linden ait honnêtement respecté les faits sans craindre de froisser la gloire de Leyde et de son ami van Horne. Patin, quant à lui et selon son habitude, essayait d’adapter son jugement à ce qu’il croyait être celui de son correspondant.
Toujours à l’affût de jolies découvertes, Jean-François Vincent, rédacteur en chef de notre édition, a attiré mon attention sur le Dictionnaire médical de l’Académie de médecine (2015), qui donne « sac de van Horne » pour synonyme de « citerne de Pecquet » et de « réservoir du chyle ».
V. note [3], lettre 463, pour cette édition de l’Universa Medicina [Médecine universelle ou Pathologie] de Jean Fernel (Utrecht, 1656), avec les notes, commentaires et observations de Jan i (mort en 1601) et Otto van Heurne (Heurnius), père et fils.
Ms BIU Santé no 2007, fo 42 ro.
Clarissimo viro D. Io. Ant. Vander Linden, egregio Medicæ Profess. in Acad. Leidensi.
Supra modum me afficit diuturnum tuum silentium, vir clariss. An etenim
vivas, an valeas, certè nescio : nec scio an accepis fasciculos illos duos à me
Tibi transmissos ante plures menses, unum per viam D. Angot : alterum ipsi
D. Elzevierio in manibus à me traditum, in quo inter alia continebantur
duo exemplaria varijs Emendationibus illustrata, Corn. Celsi, quorum unum
fuit D. Riolani, quod mihi dono mutuo dedit : alterum D. de la Vigne, ante annos octo
vita functi, Collegæ nostri sapientissimi. Liber tuus Selectorum quandonam
ad nos veniet ? Scribe saltem quid de illo mihi sperandum censeas, cujus exi-
mium gustum dedi viro optimo et Seniori nostro præstantissimo D. Io Riolano,
cujus salutem hîc à me accepies. Totus nunc est, dum illi per valetudinem licet, in
adaugenda et adornanda nova Editione sui Enchiridij Anat. ut et sua Anthropogra-
phia, in qua inter recentiores Anatomicos legent posteri nomen tuum cum elogio et
gratia. Paulo meliùs habuisse videtur ex quo 2 postremo suo libro feliciter et generosè
Ms BIU Santé no 2007, fo 42 vo.
temerario juveni, et pernicioso Nóvatori Pecqueto, canum exenteratori
et evisceratori, et duobus Pecquetianis fautoribus, Mentello et Pecqueto Mersenno,
hominibus insulsissimis, 1 silentium imposuit. Quid habet novi quæ apud
vos elaboratur nova editio Fernelij nostri cum Commentarijs, ut audivi, Heurnij
vestratis ? sed cujus ? an Io. an Othonis filij ? D. Renatus Moreau
Te salutat : ut et Ego, qui sum
Tuus ex animo Guido Patin.
Parisijs, 2. Iulij, 1656.