L. latine 413.  >
À Johann Caspar Fausius,
le 10 novembre 1666

[Ms BIU Santé no 2007, fo 211 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Caspar Fausius, docteur en médecine à Heidelberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir votre lettre datée d’Heidelberg, [2] le 4e de septembre ; elle m’a procuré une grande joie. Le Seigneur soit loué pour l’amical souvenir que vous conservez de moi car il m’a été fort plaisant de reconnaître aussi nettement la constance de votre affection, et d’apprendre que vous avez en mains le paquet que vous m’aviez destiné il y a un an ; je souhaite qu’il arrive enfin ici par une voie sûre. [1][3] J’ignore pourtant celle que vous choisirez finalement. Dites-moi donc si ce sera celle de Sedan, [4] qu’empruntait jadis pour moi l’excellent M. Anglis, [5] ou bien celle de Bâle, [6] où j’ai de nombreux amis ; presque tous ont jadis été mes auditeurs, [7] en particulier M. Burcardus, [8] docteur en médecine et professeur de botanique, dont le beau-père est M. Chenaure, [9] homme remarquable et de toute confiance, marchand qui vient ici pour affaires tous les mois et qui me remettra vos envois en toute sûreté. Autrement, sera-ce par la voie de M. Du Clos, médecin à Metz, [10][11] homme remarquable et fort mon ami, ou par celle de Genève, [12] où vit l’excellent libraire nommé M. Widerholdt, [13] ou par celle de Francfort-sur-le-Main, [14] où réside M. Scheffer, [15] docteur en médecine qui est fort mon ami ? Si vous n’en connaissez pas d’autre, très distingué Monsieur, choisissez l’intermédiaire que vous voudrez parmi ceux-là, car tous me semblent parfaitement sûrs. Vous avez cependant à Heidelberg un homme remarquable, nommé M. Spanheim, [16] qui est un solide et fidèle ami de mon second fils, Charles Patin, docteur en médecine ; [17] si vous voulez en discuter avec lui, il vous indiquera sans aucun doute, comme j’espère, un intermédiaire tout aussi garanti. [2] Pour vos dépenses, je vous rembourserai la somme que vous voudrez et comme vous le voudrez. Je me réjouis fort et suis très content que vous fassiez si grand cas du jeton d’argent à mon effigie que M. Inglisius vous a offert de ma part ; [3][18] il m’en reste encore quelques-uns, je vous les offre si vous en voulez. Sinon, indiquez-moi au moins ce que vous désirez que je vous envoie de notre Paris : livres, jetons ou quoi que ce soit d’autre. Je n’ai pas encore rencontré cet intelligent jeune homme qui est votre messager, car il a déposé chez moi votre lettre en mon absence ; quand je le verrai, je lui parlerai de vous et, pour vous complaire, je mettrai à sa disposition tout ce que je possède. Soyez bien assuré qu’il me sera parfaitement recommandé et que je lui serai utile, qu’il ait besoin de mon aide, de mon argent, de mes services ou de mon conseil. Pour les cavaliers lorrains qui perturbent votre repos, je souhaite qu’ils s’en aillent tous, ou qu’ils cessent du moins de vous déranger, si notre roi, en sa toute-puissance, ne vous rend pas la paix. [4][19][20][21] On raconte ici des choses étonnantes sur le malheur qui frappe la ville de Londres, ainsi que toute l’Angleterre, en raison de la peste, [22] de la guerre, [23] puis de l’incendie. [24] Dieu fasse que tous les princes puissent s’entendre heureusement, et s’allier pour unir leurs forces et tourner leurs armes contre le tyran de Constantinople ! [25] Il me semble néanmoins qu’il n’y ait rien à espérer ou à attendre en la matière, talis enim sapientia apud eos non habitat[5][26] ils ont autre chose à faire ou à penser, et peut-être ne le voudraient-ils pas quand bien même ils le pourraient. Ô que la situation de l’Europe est malheureuse ! Ô mores, ô tempora ! sed sileo, Dii meliora ! [6] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 10e de novembre 1666.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Caspar Fausius, ms BIU Santé no 2007, fo 211 vo.

1.

Au début de sa précédente lettre à Johann Caspar Fausius, le 26 mai 1665, Guy Patin l’avait prié de lui expédier des thèses et opuscules de son Université d’Heidelberg.

2.

Guy Patin venait de dresser une impressionnante liste (de quelques-unes) de ses connaissances lui permettant de correspondre avec l’Allemagne :

Johann Caspar Fausius n’avait décidément aucune excuse pour ne pas expédier promptement à Patin le paquet de thèses qu’il lui avait promis.

3.

V. note [42], lettre 288, pour le jeton décanal frappé à l’effigie de Guy Patin en 1652.

Inglisius (mot que Patin a très distinctement écrit) est la curieuse, mais probable latinisation du nom d’Anglis (v. supra note [2]) : passant par Paris, tandis qu’il parcourait l’Europe avec deux jeunes seigneurs anglais dont il assurait la garde, Anglis avait séjourné à Paris en juin-juillet 1664 (lettres à André Falconet des 19 juin et 10 juillet 1664) ; il avait rendu visite à Patin, qui l’avait chaleureusement reçu et avait pu lui remettre quelques-uns de ses jetons.

4.

En conflit avec l’électeur palatin (Karl Ludwig von Wittelsbach, v. note [30], lettre 236), le duc Charles iv de Lorraine (v. note [37], lettre 6) avait envahi le Palatinat et y menait rude guerre. L’intervention diplomatique des rois de France et de Suède permit de conclure une paix à Heilbronn (v. note [9], lettre 135), le 7 février 1667.

Cette querelle impliquait d’autres voisins du Palatin. Le Coq de Villeray en a exposé le motif juridique dans son Traité historique et politique du droit public de l’Empire d’Allemagne (Paris, Laurent d’Houry, 1748, in‑4o, pages 80‑81) en parlant des droits des princes sur leurs sujets :

« Ceux qui sont serfs sont des hommes dont on a la propriété et qui, étant attachés aux glèbes des fiefs, ne peuvent abandonner leurs habitations sans la permission expresse du seigneur.

L’électeur palatin, par exemple, acquiert un droit de propriété sur les hommes, même sur les bâtards qui, n’ayant point ailleurs de domicile fixe, séjournent pendant le cours d’une année seulement dans le Palatinat, ou même dans le voisinage. En vertu de ce droit, il peut les revendiquer dans quelque terre de l’Empire que ce soit, où ils se seront réfugiés, mais encore les forcer à revenir dans ses États, comme siens et à lui appartenant.

Ce droit s’appelle Wildfangiatus, et les hommes qui sont dans le cas que l’on exerce sur eux sont appelés Wildfangiens. {a}

Le même électeur ayant voulu dans le dernier siècle étendre son droit sur les hommes de cette espèce qui s’établissaient dans les terres des États voisins des siens, s’attira de grandes affaires avec les électeurs de Bavière et de Mayence, et les évêques de Spire et de Worms, {b} contre qui ce prince eut de longues discussions à démêler ; mais son droit était si incontestable qu’elles furent toutes terminées à son avantage à Heilbronn en Souabe, en 1667, où ce droit fut authentiquement confirmé, et en vertu duquel il fait rentrer tous les jours dans leur devoir ceux qui sont dans le cas et qui veulent se soustraire à sa domination. »


  1. Le mot allemand Wildfang (ici latinisé) signifie sauvageon, voyou.

  2. Auxquels se joignit le duc de Lorraine.

5.

« car une telle sagesse ne leur est pas coutumière » (Juste Lipse, v. note [30], lettre 293).

6.

« Ô les temps, ô les mœurs ! mais je préfère me taire, puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » : double référence, à Cicéron (v. note [52], lettre 292) puis à Virgile (v. note [5], lettre 33).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 211 vo.

Cl. Viro D. Casparo Fausio, Med. Doct. Heidelbergam.

Magnum mihi Vir Cl. gaudium attulerunt Heidelbergæ datæ 4. Sept.
quas nuper accepi : Laudetur Dominus pro amica illa tua mei recordationi,
quæ mihi lætitiam non mediocrem conciliavit, præsertim quum tui
in me amoris constantiam tam facilè agnoscam, et habeas penes Te
fasciculum, ante annum mihi destinatum, qui utinam per tutam
viam ad nos tandem perferatur. Sed dices : quænam tandem erit illa ?
certè nescio : an per Sedanum, ut olim mihi referebat optimus ille virorum
D. Anglis ? an per Basileam, ubi multos habeo Amicos, eósq. penè omnes
ex auditoribus olim meis : præsertim D. Burcardum, Med. Doctorem, ac
Prof. Botanicum : qui socerum habet mercatorem virum egregium ac bonæ
fidei, Dominum Chenaure, qui hîc negotiatur singulis mensibus : et per quem
tutò mihi deferetur ? an per civitatem Metensem, à Metz, ubi facit medicinam
D. du Clos, vir eximius, et Amicus singularis ? an per Genevam, ubi vivit
Bibliopola quidam vir optimus, dictus D. Widerholdt ? an per Francofurtum
ad Mœnum, ubi vivit D. Schefferus, Med. Doctor et Amicus singularis noster ?
Nisi aliam Tu habeas viam, Vir Cl. ex ijs elige qualem volueris : omnes enim illæ
mihi sunt certissimæ. Sed habetis Heidelbergæ virum quendam eximium,
dictum D. Spanheim, filij mei secundi, Car. Patin, Med. Doctoris, amicum
constantem et fidum : si volueris cum eo agere, Ille Tibi, ut spero, certam viam
Tibi haud dubiè indicabit. Pro impensis Te factis, refundam quantum et quodcumque
volueris. Quod effigiem meam tanti facias ex calculo argenteo, quem Tibi
meo nomine obtulit D. Inglisius, sanè lætor et seriò gaudeo : sed etiam aliquot alij
adhuc mihi supersunt, quos Tibi offero si volueris : aut saltem indica mihi quid
velis ut mittam ex nostra Lutetia : vel libros, vel calculos, vel quid aliud.
Ingenuum illum Iuvenem, tuarum latorem nondum vidi : sed epistolam hîc reliquit,
me absente : quum videbo, agam illi de Te, et propter Te, omnia mea illi offeram :
credas itaque velim, ipsum mihi fore commendatissimum : méq. illi profuturum,
sive re, vel ope, vel opera, vel consilio meo indigeat. Quod spectat ad Equites
Lotharingos, qui vestrum quietem interturbant, utinam omnes malè pereant, aut
saltem vos turbare desinant, nisi Rex noster summa illa sua potentia pacem
vobis restituat. Mira hîc narrantur de miseria civitatis Londinensis, imò et
totius Angliæ, tam ex pestilentia quàm ex bello et incendio. O utinam possent
omnes Principes simul inter se feliciter convenire, et concordibus animis, ut et conjunctis
viribus in Byzantinum Tyrannum arma convertere ! sed nihil inde mihi
sperandum aut expectandum videtur : talis enim sapientia apud eos non habitat,
aliud habent quod agant aut cogitent : nec forsan vellent si possent : ô infeli-
cem Europæ statum ! ô mores, ô tempora ! sed sileo : Dij meliora ! Vale, Vir Cl.
et me ama. Parisijs, x. Nov. 1666.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Caspar Fausius, le 10 novembre 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1447

(Consulté le 12/12/2024)

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