À Henri Gras, le 24 septembre 1648, note 2.
Note [2]

Le livre de Caspar Hofmann, « Des Médicaments officinaux » (v. note [7], lettre 134) fournit une description commode et fort complète des médicaments alors en usage ; elle est répartie en deux livres, portant sur les remèdes végétaux, auxquels s’ajoutent des paralipomènes (suppléments), sur ceux qui sont issus des règnes animal et minéral.

La seconde moitié de l’In materias officiniales Præfatio [Préface sur les matières officinales] est une vigoureuse diatribe, très chère à Guy Patin (comme il l’a écrit dans sa lettre du 24 décembre 1649 à Johann Georg Volckamer), contre les dangers des médicaments métalliques ou « luxurieusement » composés (v. note [24], lettre 117) :

Ut ad mineralia veniam, oleum vitrioli quid facit, etiam paucarum guttarum ? Subsidit in fundo vasis, post fortissimam etiam concussionnem : et in ventriculo non fiat idem ? Ubi factum est, annon subito noxa quoque ? Dic tu mihi, qui dubitas, unde in quibusdam fato functis visus fuit ventriculus, aut totus quasi corrosus, aut niger ? Et quid miraris ? Inspice seorsim septem Chymicorum opera, et invenies, vim, violentiamque ignis implere utramque paginam. Ita loquor : Moderatus quidem ignis gignit, quod testantur vel fornaces Ægyptiæ : at immoderatus citra controversiam corrumpit. Corrumpit autem modo in hoc, modo in illud, quod prout fortuitum accipit ab istis βαναυσις nomen, ita fortuitum habet usum. Ex vegetalibus prodeunt fere liquores caustici, quibus nuspiam tuto utaris, nisi materiæ alicui solidæ per partes minimas ita involvantur, ut coire amplius non possint. Ex mineralibus nunquam quidquam indemne exsistit. Qui corrigere volunt vegetalibus alexipharmacis, verbi gratia Theriaca, laterem lavant. Nulla enim proportio est inter illa, nec vegetabile illum domare possit vel Antimonium, vel Hydrargyrum, vel Arsenicum, vel tale aliquid. Qui confugere solent ad sublimationes, præcipitationes, reverberationes, cohobationes, amalgamationes, essentificationes, et nescio quas alias machinas monstrificas, tam nihil efficiunt in domanda Stygia illorum malitia, ut jam quidam ex illo sodalitio ad desperationem acti, ultro fassi sint, Frustra tentari omnia. Inter hos Fabricius noster Hildanus in Ep. ad Döring. et ex eo Sennertus, l. <5> Inst. part. 3. sect. 3. c. 18. Mercurium vitæ ipsis dictum, Mercurium mortis et vitæ æternæ vocat. Eodem jure Crocum metallorum, qui ex Antimonio fit, Crocum diabolorum jure appelles. Interim audias laudes tantum non angelicas ; Universales esse Medicinas, a sordibus terrenis ita purgatas, ut jam nihil illis commune sit cum fæcibus elementorum, cum corruptibili et mortali, uno verbo, corpora metaphusica, cælestia, ætherea, contra omnes deploratissimos morbos, cito, tuto, jucunde ex fundamento curandos. Sed jam me deficit spiritus ! In his fere regnat Antimonium, sexcentis præparationibus ita vexatum miraculum, ut desint illis verba, quibus pro dignitate ornent. Atque ut singuli de suo secreto magnificis elenchis ebuccinant, noctuæ ipsi ad argenti, aurique aucupia nati : ita etiam fere noctu vagantur, secreto ditiorum ædes ingrediuntur, omnia tentant, donec succedat aliquid, robori naturæ debitum potius, quam virtuti medicamenti infamis, nec illud diu duraturum. Sed quo me provehit rei indignitas ? Exemplo me absolvam. Qualis erat Panacea Amvaldina ? Immortalis Scherbii judicio, Venenum, quod tamen ille medicamentum Astrale vocabat. Interim, dicis, curatus illo fuit Laurentius Rhodomannus in morbo ancipti, in quo cura Galenicorum frustranea diu fuit ! Non negat hoc Scherbius : sed fortuitum fuisse successum ait, fere in Thermis fit et Acidulis, præsertim si indistincte usurpentur. Et per Hygieam, quei fieri potest per rerum naturam, ut unum medicamentum omnes curet morbos ? Sed ubi nunc est Panacea illa ? Periit cum Opifice suo, et una cum illis ægri infiniti. Simile fatum experiantur omnes Crollii, Quercetani, Turneiseri, Paracelsi, Lullii, Beguini, et tot alii nebulones de turba ciniflonum, quos hic enumerare labor sit nimius. Ut fiat, operæ pretium fuerat requirere magistratus officium, ut dometur flagitiosa, adeoque immensa licentia tot carnificum impune grassantium in vitas et fortunas hominum afflictorum. Ego vero rogo Te, quisquis es, bonæ mentis vel Medicus, vel Pharmaceuta, vel Chirurgus, confide post Deum conscientiæ tuæ, quæ per Hippocratem, præcipit tibi, Morbis non obesse, si prodesse non possis. Ex Altorphio in Norico, xiv. Kalend. Maii. Anno m. dc. xliv.

[Pour en venir aux remèdes minéraux, que fait donc l’huile de vitriol, {a} ne s’agisse-t-il que de quelques gouttes ? Elle décante au fond du récipient, même après qu’on l’a vivement secoué ; et pourquoi en irait-il autrement dans l’estomac ? Là où cela se produit, n’en résulte-t-il pas aussi un préjudice immédiat ? Dis-moi, toi qui doutes, d’où vient-il que chez quiconque en est mort on a trouvé l’estomac tout entier noirci ou comme rongé ? Et pourquoi t’en étonner ? Regarde un à un les ouvrages de sept chimistes et tu y trouveras que la force et la violence y font la pluie et le beau temps. Aussi déclaré-je que si un feu modéré est régénérateur, comme en attestent les fours d’Égypte, un feu immodéré est sans conteste corrupteur ; mais il corrompt de manière imprévisible et son emploi est si hasardeux que ces enfourneurs l’ont qualifié de fortuit. Les végétaux produisent ordinairement des liqueurs caustiques et tu ne les emploierais jamais sans risque, sauf si quelqu’un en avait broyé les matières solides en fragments si petits qu’elles ne pourraient plus se réagglutiner. Nul ne sort jamais indemne de l’emploi des minéraux. Ceux qui veulent en corriger les méfaits par les végétaux alexipharmaques, par exemple la thériaque, lavent une brique, {b} car la lutte est par trop inégale et ce vivifiant ne saurait dompter l’antimoine, le mercure, l’arsenic ou tout autre médicament de cette classe. Ceux qui ont coutume de recourir aux sublimations, précipitations, réverbérations, cohobations, amalgamations, essencifications, {c} et à je ne sais quels autres artifices monstrueux, parviennent si peu à réduire la malignité infernale des métaux que tous les membres de cette confrérie ont jusqu’ici été poussés au désespoir, allant même jusqu’à avouer avoir tout essayé en vain. Parmi eux, notre compatriote Fabrice de Hilden l’a écrit dans une lettre à Döring ; et le citant, Daniel Sennert, au livre <v> des Institutiones, iiie partie, section iii, chapitre xviii, a baptisé Mercurium mortis et vitæ æternæ ce que les chimistes ont appelé Mercurium vitæ. {d} Pareillement, tu aurais raison d’appeler Crocus diabolorum le Crocus metallorum qu’on tire de l’antimoine. {e} Écoute donc en attendant ces louanges qui n’ont pourtant rien d’angélique : Pour soigner et éradiquer de manière sûre, rapide et heureuse toutes les maladies jusqu’aux plus déplorables, tous les remèdes doivent être si bien débarrassés des ordures terrestres qu’ils n’aient plus rien de commun avec les sédiments des éléments, avec le corruptible et le mortifère, en un mot que ce soient des corps métaphysiques, célestes, éthérés. Mais voici que je perds de mon assurance ! Parmi ces remèdes, l’antimoine règne presque en maître incontesté, merveille qu’on a sophistiquée sous la forme de mille préparations, et les chimistes sont à court de mots pour les parer d’honorabilité ; et à coups de preuves éclatantes, tout un chacun trompette sur son secret, mais ce ne sont que chouettes nées pour chasser l’or et l’argent. {f} C’est ainsi qu’ils errent, en général de nuit ; pénétrant sans bruit dans les maisons des plus riches, ils tentent tout jusqu’à ce que quelque chose réussisse, grâce à la vigueur de la nature plutôt qu’aux vertus de leur infâme médicament, mais ce bon effet ne durera guère longtemps. Où donc l’indignité de cette conduite m’entraîne-t-elle ? Je m’en acquitterai par un exemple : qu’est-ce qu’était la Panacée amwaldine ? Au jugement de l’immortel Scherbius, c’est un Poison, il l’appelait pourtant médicament Astral. {g} Cependant, me diras-tu, il a guéri Laurentius Rhodomannus en une dangereuse maladie, {h} où les remèdes des galénistes avaient longtemps été prescrits en vain ! Scherbius ne le nie pas, mais dit-il, ce succès a été fortuit comme il advient presque toujours avec les chauds et acides, surtout si on les utilise sans discernement. Par Hygie ! comment peut-il se faire, suivant la nature des choses, qu’un médicament unique guérisse toutes les maladies ? Mais où donc est maintenant cette Panacée ? Elle a péri avec son inventeur et avec eux, un nombre infini de malades. Semblable destin a frappé tous les Crollius, Quercetanus, Turneiserus, Lullius, Beguinus, {i} et quantité d’autres vauriens de la bande des souffleurs qu’il me serait bien trop pénible d’énumérer ici. De fait, il a fallu requérir auprès d’un juge pour mater la licence scandaleuse et sans limite de tous ces bourreaux qui s’attaquent impunément aux vies et aux biens des affligés. Qui que tu sois, médecin, pharmacien ou chirurgien de bonne volonté, je t’en prie instamment, fie-toi, après Dieu, à ta conscience qui te conseille, par la voix d’Hippocrate, de ne pas nuire si tu ne peux être utile. {j} D’Altdorf en Bavière, le 18 avril 1644].


  1. V. note [13], lettre 336, pour le vitriol. « L’huile des chimistes se fait par résolution [dissolution] des corps en diverses manières, par alambic, putréfaction, liquéfaction à l’humidité, qu’ils appellent per deliquium, comme l’huile de tartre, l’huile de soufre, l’huile des philosophes écrite par Mésué, etc. Ils font aussi de l’huile de briques, de l’huile de papier, de l’ambre jaune et du jais, etc. » (Furetière).

  2. Les alexipharmaques sont des remèdes qui, comme la thériaque, étaient censés neutraliser les venins (v. note [30], lettre 164).
    Érasme donne à l’adage Laterem lavas [Tu laves une brique] (no 348) le même sens d’« agir en vain » que Arenam metiris [Tu comptes les grains de sable] (344), Undas numeras [Tu comptes les vagues] (345), Surdo oppedere [Péter au nez d’un sourd] (346), Aranearum telas texere [Tisser des toiles d’araignée] (347) ou Lapidem elixas [Tu fais bouillir une pierre] (349).

  3. La réverbération consiste à « repousser, renvoyer le feu, la chaleur, la lumière, pour agir avec plus de force ; on appelle en chimie un feu de réverbère, un feu très violent, tel que celui des fourneaux des verriers » (v. note [39] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…) ; la cohobation consiste à « faire digérer à feu lent deux liqueurs ensemble, ou bien un suc avec la matière dont il a été extrait, et cela afin d’en dissoudre les parties les plus essentielles et internes » ; l’amalgamation est la « réduction en pâte, qui se fait avec le mercure, d’un métal noble, et particulièrement de l’or » (Furetière).
    Essencification est un néologisme alchimique dérivé du verbe essencifier, « transformer en essence » (Littré DLF).

  4. Le Mercurium vitæ [mercure de vie] était une préparation inventée par les alchimistes, composée à parts égales d’huiles de mercure et d’antimoine. La mise en garde de Daniel Sennert se trouve au livre v
  5. des Institutiones Medicinæ dans le chapitre intitulé De Præcipitatis [Les Précipités] (page 824, Admonitio de Mercur. [Mise en garde sur le mercure], en haut de la première colonne, tome i des Opera omnia, Lyon, 1650) :

    Utilior vero adhuc et mitior sit, si Mercur. vitæ recte edulcoratus in phiola in igne arenæ diu foveatur donec videlicet rubere incipiat, et ab hoc pulvere postea sæpius spiritus vini abstrahatur, et hoc modo præparatus ad ĝvi. in lue venerea et hydrope utiliter exhiberi potest. Omnino tamen in hoc et aliis Mercurialibus medicamentis omnibus maxima cautione, et prudenti Medico opus est. Nisi enim Mercur. dextre adhibeatur, verum est, et diligenter tyronibus notandum, quod Guil. Fabric. in respons. ad D. Mich. Döringium scribit : Mercurius sive crudus, sive in Mercurium vitæ transmutatus fuerit, aut negligenter præparatus, aut iis, quibus non convenit, empiricorum more et absque ratione exhibitus, imo et exterius admotus in Mercurium mortis plerumque evadit, recteque illum Mercurium vitæ æternæ appellare possum.

    [À coup sûr, le mercure de vie sera encore plus utile et plus doux si on l’édulcore correctement en le chauffant au feu de sable dans une fiole jusqu’à ce qu’il commence à rougir, puis en abstrayant plusieurs fois cette poudre avec de l’esprit de vin ; ainsi préparé, on peut le prescrire avec profit, à la dose de 6 gouttes, dans la syphilis et dans l’hydropisie. Néanmoins, il faut absolument l’utiliser, comme tous les autres médicaments mercuriels, avec la plus extrême précaution et sur l’indication d’un médecin avisé ; car si le mercure n’est pas correctement employé, se vérifie ce qu’en a écrit Fabrice de Hilden dans sa réponse à Michael Döring, et que les débutants doivent soigneusement retenir : Qu’il soit cru ou transformé en mercure de vie, et même en application externe, s’il a été préparé avec négligence ou prescrit à des gens à qui il ne convient pas, à la manière des empiriques et sans bonne indication, le mercure se transforme la plupart du temps en mercure de mort, et je puis alors bien l’appeler mercure de vie éternelle].

    V. notes [7], lettre 62, pour Fabrice de Hilden, et [11‑2], lettre 798, pour Michael Döring. La lettre de Hilden à Döring se trouve à la page 898 des Guilhelmi Fabricii Hildani… Opera quæ extant omnia (1682).

  6. « Safran des diables » comme surnom du « safran des métaux » (v. note [52], lettre 211).

  7. Allusion au Hibou de Khünrath, v. note [13], lettre 271.

  8. V. note [9], lettre latine 16, pour la thèse de Philipp Scherbe contre le charlatan allemand Georg Amwald, inventeur d’une panacée mercurielle.

  9. Lorenz Rhodomann (1546-1606), helléniste allemand.

  10. V. notes [9], lettre 181, pour Oswald Crollius, [11], lettre 211, pour Joseph Duchesne, sieur de La Violette (Quercetanus), [24] de l’observation ii, pour Turneiserius (Leonhard Thurneysser), [7], lettre 7, pour Paracelse (Paracelsus), [3], lettre 265, pour Raymond Lulle (Ramon Llull, Lullius) ; et [18], lettre 288, pour Jean Béguin (Beguinus).

  11. V. note [29], lettre latine 98.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Henri Gras, le 24 septembre 1648, note 2.

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(Consulté le 19/04/2024)

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