Je vous remercie bien humblement de la vôtre par laquelle je reconnais que vous avez pour moi du ressouvenir et de l’amitié, que je vous prie de me continuer comme feu monsieur votre père [2] m’a fait l’honneur de m’aimer longues années ; et plût à Dieu que le bon homme fût encore au monde. Il est mort quantité d’honnêtes gens et bons médecins depuis un an, comme monsieur votre père à Troyes, M. Richelet [3] à Reims, M. de Fontenettes [4] à Poitiers, M. Du Cauroy [5] à Beauvais, [6] M. de Primerose [7] en Angleterre et autres qui méritaient de vivre bien plus longtemps. [1] Moi-même ai été malade l’automne passé et ai bien eu de la peine à revenir ; [8] même, je m’en sens encore un peu et c’est ce qui fait que je me sers de la main d’autrui pour vous écrire la présente. Je vous prie d’assurer M. Barat, [9] votre collègue, que je suis son très humble serviteur. Je lui ai écrit il n’y a pas longtemps sur quelque chose qu’il m’avait demandé. Je pense qu’il a reçu ma lettre à présent, je vous prie néanmoins de lui faire part des nouvelles suivantes. Le roi [10] est à Saint-Germain-en-Laye [11] avec la reine [12] sa femme, en attendant que son carrousel [13] lui soit apprêté. Tous les partisans tremblent ici de peur, le procès de M. Fouquet [14] est sur le bureau et le leur pareillement. La cherté du pain [15] continue toujours, combien qu’il soit venu beaucoup de blé. Samedi dernier, il y eut une femme pendue [16] à Orléans [17] pour une sédition qu’elle y avait excitée. On imprime à Amsterdam [18] un Rabelais de fort belle lettre. [19] Nous avons ici tout nouvellement de Strasbourg, en deux volumes in‑8o, un Speculum medicinæ practicum de M. Sebizius [20] dans lequel il y a quantité de fort bonnes choses. On imprime le Cardan à Lyon [21] en 10 volumes in‑fo. [2] Ce sera un grand ouvrage qui nous viendra vers la Saint-Rémy moyennant environ 30 écus. Nous avons ici un Petrus Petitus, [22] Parisien fort savant homme et fort intelligent dans les belles sciences de grec et de latin, qui se accingit ad novam editionem Aretæi, [3][23] qui est un ancien grec que plusieurs croient avoir vécu avant Galien. Il nous en promet une version nouvelle et de bonnes notes qu’il y ajoutera. [3][24] L’électeur de Mayence [25][26] a fait arrêter prisonnier le fils de Van Helmont [27][28] pour ses hérésies et impostures, et l’a envoyé, pieds et mains liés, à Rome pour en répondre devant l’Inquisition. [4][29] Plût à Dieu qu’on en fît autant à tous les charlatans partout. Plura alias. [5] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Guy Patin
À Paris, le 13e de mai 1662. [6]
1. |
De son précédent obituaire (v. note [15], lettre 726) Guy Patin avait retiré Thibaut de Joigny, Du Sausoy d’Abbeville et Patin de Chartres ; il avait ajouté James Primerose et Du Cauroy, dont je n’ai retrouvé qu’un probable fils ou petit-fils, prénommé Adrien et natif de Beauvais, qui alla prendre sa licence de médecine à Montpellier en 1680, sans pousser jusqu’au doctorat (Dulieu). |
2. |
V. notes :
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3. |
« qui s’apprête à faire une nouvelle édition d’Arétée ». Dans ses lettres ultérieures, Guy Patin a suivi les lents progrès de l’Arétée de Pierre Petit que Gabriel Cramoisy entreprit d’imprimer ; {a} mais il abandonna vers septembre 1664. {b} Le livre ne parut que bien plus tard et partiellement : Petri Petiti Medici Parisiensis in tres priores Aretæi Cappadocis libros Commentarii, nunc primum editi. |
4. |
Franciscus Mercurius Van Helmont (1618-1699), fils de Jan Baptist (mort en 1644) veilla à l’édition posthume de l’Ortus medicinæ [Naissance de la médecine] (Amsterdam, 1648, pour la première de multiples éditions, v. note [4], lettre 340) et des Opera omnia [Œuvres complètes] (Francfort, 1682, v. note [4], lettre latine 125) de son père. Alchimiste, visionnaire, hébraïsant, Franciscus Mercurius hérita de son père le goût des sciences occultes, mais sans son génie. Familiarisé dans sa jeunesse avec les procédés des arts et même des métiers, il avait étudié la médecine, mais se livra particulièrement à l’alchimie ; il croyait à la métempsycose, à la panacée, à la pierre philosophale, à la Cabale (v. note [27] du Borboniana 1 manuscrit), etc. Voulant étudier les mœurs et la langue des zingari, il se joignit à une troupe de ces bohémiens et parcourut l’Europe avec eux. Son ouvrage le plus connu est l’Alphabeti vere naturalis hebraici brevissima delineatio [Très brève description de l’alphabet hébreu, qui est véritablement naturel à l’homme] (1667). Il prétendait que l’hébreu est si bien la langue naturelle de l’homme, celle que les organes vocaux émettent spontanément, qu’en représentant ses sons par des images, les sourds-muets l’articuleraient à première vue. C’était là le but qu’il poursuivait avec son alphabet primitif. Il est inutile d’ajouter qu’il ne l’a jamais atteint. Leibnitz lui fit cette élogieuse épitaphe (Nouvelles de la République des lettres, novembre 1699, page 599) :
En 1670, Franciscus Mercurius fut appelé en Angleterre au chevet de la philosophe lady Anne Conway (1631-1679) ; il vécut auprès d’elle à Ragley jusqu’à sa mort, lui servant de médecin, de mentor et de confident. Dans cette période, Van Helmont devint quaker (v. notule {a}, note [32], lettre 662) et convertit lady Anne aux pratiques et croyances de cette secte ; mais quand elle mourut, à la suite d’une mémorable dispute, il se fâcha avec les quakers et regagna le continent (G.D.U. xixe s. et Éloy). Une telle biographie rend aisément compte des déboires de Franciscus Mercurius avec l’Inquisition dont Guy Patin parlait ici. |
5. |
« Plus une autre fois. » |
6. |
À côté de la date, dans la marge, une plume, qui pourrait être celle de Guy Patin, a écrit « Je ne puis », sans doute le début d’un post-scriptum inachevé. Cette lettre clôt la correspondance connue de Guy Patin avec les Belin (183 lettres). |
a. |
Ms BnF no 9358, fo 202, « À Monsieur/ Monsieur Belin, docteur/ en médecine,/ À Troyes » ; lettre dictée par Guy Patin, seule la signature est de sa main. |