Parmi plusieurs éditions, françaises puis latines, de « Toutes les Œuvres » et des Opera omnia d’André i Du Laurens, [1][1] la plus remarquable pour nous est celle que Guy Patin a produite au cours de ses études de médecine et publiée à Paris en 1628. [2][2] La seule date que contienne cet ouvrage est celle du Privilège du roi, signé Lepec, à Étampes, le 28 septembre 1627, sachant que Patin a été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris le 16 décembre suivant en présidant la thèse quodlibétaire du bachelier Georges Joudouin. [3][3]
Les pièces liminaires disséminées dans ce livre contiennent notamment deux épîtres de Patin, en tête de sa quatrième partie, [4]. Si on met à part les deux thèses qu’il a rédigées pendant ses études et un très douteux recueil de cantiques, [5][4][5] ce sont les premiers écrits à émaner de sa plume, antérieurs de deux ans à la plus ancienne lettre qu’on ait de lui (datée du 20 avril 1630). Ils présentent donc un double intérêt, littéraire et scientifique, pour un aperçu de son premier style latin et de ses idées médicales à l’aube d’une brillante carrière académique parisienne, avant les compromis auxquels elle l’a contraint.
Épître dédicatoire [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page aaa ij ro| LAT | IMG]
« Guy Patin, docteur en médecine de Paris, natif du Beauvaisis, adresse ses plus profondes salutations au très noble et très distingué Monsieur André Du Laurens, sieur de Ferrières, [6] fils unique de M. André Du Laurens, archiatre.
Très distingué Monsieur, la singulière et éminente doctrine de feu Maître André Du Laurens, votre père, a tant alimenté l’admiration des hommes que sa renommée et sa gloire peu communes s’étendent jusqu’aux confins du monde habité, et que les nations étrangères envient à la France d’avoir été le lieu de sa naissance. Elles admirent et lisent les merveilles d’heureuse science dont il a empli ses livres et en tirent grand profit. À l’instar du moly d’Homère, [7] que Mercure [8] a donné à Ulysse, [9] ou de son bienfaisant népenthès envoyé par les dieux, [6][10][11] elles croient que ses brillants ouvrages contribuent au salut et au soulagement général du genre humain, et surtout de ceux qui souffrent. [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa ij} vo| LAT | IMG] Par leur richesse, il s’élève à ce degré de gloire, à ce faîte et sommet absolu en l’art de rémédier, auquel
.…………….pauci quos æquus amavit
Iuppiter, aut ardens evexit ad æthera virtus,
Diis geniti potuere. [7][12]
Je dis cela en sachant bien que toutes ne les ont pas encore entièrement vues : soit parce que l’auteur en a écrit certaines parties en français ; soit parce qu’il ne les avait encore jamais publiées, ni même montrées aux siens qui, néanmoins, avec tendresse et douceur, recueillent, carressent et couvrent de baisers ce qu’il leur a été permis d’en voir. Il est toutefois légitime que le monde se plaigne de ne pas avoir la pleine disposition et jouissance des ouvrages d’un si grand homme, quand la France seule, pour l’honneur de l’avoir couvé en son sein, profite à l’envi de sa salutaire doctrine. Pour le bénéfice des nations étrangères, pour la gloire et l’embellissement personnels de l’auteur, et pour le prestige de notre pays, il m’a semblé ne pas avoir démérité en prenant la peine d’exposer à tous les regards, sous la forme d’un recueil unique, ses œuvres complètes dont les éditions avaient jusqu’ici été scindées et éparpillées. [8] J’ai aussi traduit de français en latin certains de ses opuscules, pour les rendre plus facilement accessibles à qui voudra. En outre, j’ai pris soin de mettre en lumière et de faire imprimer ceux de ses textes qui languissaient indignement dans les ténèbres. Puisque tout cela, très distingué Monsieur, est comme un héritage qui vous revient de plein droit, je vous dédie les œuvres de votre père, ou plutôt je vous les rends, et souhaite qu’elles voient le jour sous les auspices de votre très éminent nom. Il me semblait parfaitement juste de vous en prier avec insistance. Ma traduction latine des œuvres que votre père, le très brillant archiatre André Du Laurens, a écrites en français [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa iij} ro| LAT | IMG] respectent leur argumentaire, leur sens, leur raisonnement et leur plan, elles n’en diffèrent que par la diversité de langue ; tout comme sont le sang, le génie, l’ardeur et la propension aux vertus héroïques qu’un très célèbre père transmet à son très noble fils, au point presque que seuls l’âge et le métier [9] permettent de les distinguer l’un de l’autre. Nul ne peut émettre le moindre doute sur vos admirables talents s’il sait que vous êtes né d’un tel et si grand père. C’est pourquoi, afin de ne pas paraître ici pécher par excès, je cargue mes voiles et me tourne à nouveau vers vous, très distingué Monsieur, pour vous offrir de bon cœur ces opuscules. Que d’autres aient, comme on dit, l’usufruit de ce remarquable ouvrage, car la nature du savoir est telle qu’il profite à beaucoup de gens, sans ôter à celui qui en est le maître. Tirez gloire des splendides richesses dont vous êtes le seigneur et propriétaire légitime, et trouvez juste et bon le travail et les soins de celui qui, entièrement dévoué à votre famille, a déployés pour les colliger et les mettre en bon ordre.
Vive, vale, felicibus utere fatis. » [10]
Avis au lecteur [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa iij} vo| LAT | IMG]
« Guy Patin, docteur en médecine de Paris natif du Beauvaisis, salue le bienvellant lecteur.
Aussi loin que remonte la mémoire des hommes, ils ont toujours tenu pour juste que chacun doive consacrer toute sa force à faire partager à sa communauté tout fruit qui peut lui procurer profit et utilité. Je ne me suis donc ménagé aucun effort pour promouvoir l’édition de l’ouvrage que voici, en vue de rendre service aux philiatres qui étudient jour et nuit. Je me suis ainsi rendu compte que les précédentes parutions des œuvres médicales de M. André Du Laurens, jadis premier médecin du roi très-chrétien, et désormais très célèbre par toute l’Europe, sont devenues rares chez nous, et qu’une partie en est restée inédite. J’appris aussi que tous les amoureux de la médecine désiraient ardemment étudier son Anatomie et ses livres sur les Crises, [13] mais qu’en dépit de multiples impressions et réimpressions, à Lyon, Paris, Rouen, Francfort et plusieurs autres lieux, [11] ils étaient presque incapables d’en trouver des exemplaires à vendre en notre ville. Voilà pourquoi j’ai poussé nos libraires parisiens à se soucier de les remettre sous la presse et de les donner au public. En outre, son Anatomie, parue pour la première fois voilà trente-cinq ans, devait être revue et purgée des fautes qu’y avaient répandues l’ignorance et la négligence de ceux qui y avaient travaillé. [12][14][15] Pour honorer la mémoire d’un si grand homme et rendre service aux philiatres, j’ai donc voulu mettre à la disposition du public les œuvres complètes de notre très savant archiatre, après avoir pris soin de les éditer et de les regrouper, car elles sont admirables et fécondes par le sérieux de leur contenu, ce qui les rend ardemment recherchées par quantité de gens.
Plan complet de l’ouvrage [13]
J’ai attribué la première place à l’Historia Anatomica ; la deuxième au traité de Crisibus ; la troisième, au livre de Strumis ; [16] aux quatre traités, que notre auteur avait précédemment édités en français et que j’ai traduits en latin, 1. de Visus nobilitate, et eum conservandi modo, 2. de morbis Melancholicis, [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa iv} ro| LAT | IMG] eorumque curatione, [17] 3. de Catarrhorum generatione, eosque curandi ratione, [18] 4. de Senectute, eiusque salubriter tansigendæ modo, j’ai assigné la quatrième place ; puis mis à la cinquième des opuscules inédits de M. A. Du Laurens, tirés des leçons qu’il a dictées en 1587 et 1588, quand il enseignait aux chirurgiens, en la très célèbre Université de Montpellier, [19] que j’ai colligés et traduits en latin ; ces opuscules contiennent aussi trois traités, 1. de Arthritide, [20] 2. de Lepra seu Elephantiasi, [21] 3. de Lue venerea ; [22] j’y ai ajouté, en sixième lieu un court commentaire sur le livre de Galien qu’on appelle Ars parva, [23] touchant surtout à la partie sémiologique [24] de la médecine et tiré par M. Jean Aubery, [25] de Moulins, [26] disciple d’André Du Laurens, des leçons qu’il a dictées à Montpellier en 1589 et 1590 ; ce commentaire est écrit de la propre main de M. Aubery et j’y ai eu accès grâce à M. Gabriel Naudé, [27] très savant jeune Parisien qui est fort versé dans la lecture des bons auteurs, tant philosophes que médecins, et cette faveur doit lui valoir les remerciements de tous les philiatres ; [14] enfin, en septième lieu, se trouve un choix de 14 consultations médicales, [28] portant sur diverses affections et questions incertaines qui se rencontrent fréquemment en exerçant la médecine ; elles ont été recueillies par les soins zélés de M. Antoine Du Laurens, [29] avocat au Conseil privé du roi [30] et frère hautement méritant de notre très brillant auteur ; M. Aubery, [31] fils de Jean, qui est lui aussi natif de Moulins, me les avait remises afin qu’elles fussent imprimées. [15] À ces opuscules posthumes d’André Du Laurens, j’ai seulement ajouté de brèves notules pour illustrer et éclairer le sujet dont elles traitent, ainsi qu’un double index des chapitres et des faits mémorables pour te faciliter la consultation de chacun des traités. [16] Accepte sereinement, ami lecteur, le fruit de mon labeur, et puisse ta bienveillance à mon égard le défendre contre Zoïle [32] et son engeance de jaloux, ainsi que contre les morsures d’autres braillards impies et malveillants qui pourraient furieusement attaquer les mânes de notre incomparable auteur parce que sa fidèle plume a mal recopié quantité de choses parfaitement exactes et justes qui avaient été écrites avant lui ; [17] ou plus encore, parce qu’on peut trouver plus de deux mille erreurs flagrantes qui pullulent dans tous les chapitres de son Anatomie, dont la raison n’est pas seulement qu’il a divagué en écrivant, mais qu’il n’a même jamais vraiment disséqué un cadavre de ses propres mains ; ou enfin, ceux qui lui reprochent à tort et futilement de n’être pas bon grammairien, [18] et plus encore bon orateur ou bon philosophe, voire même bon médecin et bon anatomiste. Toutes ces inepties méritent à peine une réponse, tant elles sont absurdes et mensongères, comme je le démontrerai ailleurs le moment venu, si Dieu tout-puissant m’en donne occasion, Lui qui donne tout ; mais en attendant, je répliquerai à ces chicaneurs et calomniateurs [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa iv} vo| LAT | IMG] par les paroles de saint Paul au deuxième chapitre de sonÉpître aux Romains : “ Qui que tu sois, homme ! tu es inexcusable quand tu juges, car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même, car tu agis de même que lui en jugeant. ” [19][33] Je souhaite aussi que ces sombres et chagrins censeurs, ou plutôt ces iniques arbitres des ouvrages d’autrui, s’inspirent à l’occasion de Jules-César Scaliger, [34] ce très sage et grave prince des philosophes, quand il dit : Suam cuique laudem, laborum præmium, et relinquimus libenter, et concedimus cumulate, et deferimus liberaliter. Non ut quidam ignavi atque ingrati audent facere, ut alienis laboribus titulos imponant suos : tum gratiam quam debent, dissimulant superciliosi, aut eius abolent memoriam maleficiis, ne sui nominis propriæque fortunæ auctoribus quidpiam debuisse videantur. Ceterum novi isti homines, novi causarum iudices, conscientiam pro accusatore, pro iudice habituri sunt posteritatem, etc. ; [20] ce que notre Du Laurens peut dire avec vérité à son propre sujet. Nostrorum monimentorum vita, illorum nominis mors futura est. Studio atque magnanimite parandum, servandumque est regnum literarum, cuius anima Virtus, et Veritas est : non ambitionibus atque factionibus exercendæ coniurationes, etc. [20] Pareillement, je voudrais m’acquitter de ces Zoïle en citant ce propos de Sénèque : Non est quod tardiores faciat ad bene merendum turba ingratorum. Quam multi in-
digni luce sunt ? et tamen dies oritur ? [21][35] Peut-être aboieront-ils aussi après moi, pour n’avoir pas toujours été aussi fidèle que je devais, ou pour paraître avoir mis en latin quantité de phrases avec moins d’élégance et d’ornement qu’il y fallait ; mais je voudrais que ces Zoïle sachent de moi que :
Ornari res ipsa negat, contenta doceri. [22][36]
Je m’y suis pris sciemment et sagement ; j’y aurais mis plus d’élégance et emprunté un vocabulaire plus riche si j’avais préféré ma réputation à l’intérêt public et à la traduction fidèle des propos de Du Laurens. Que se récrient et se déchaînent donc ceux que je vois être nés pour blâmer le travail des autres, plutôt que pour exceller dans le leur, et pour qui
…………………….non Siculæ dapes
Dulcem elaborabunt saporem ! [23][37]
De fait, ils méprisent tout, et prétendent avoir sous la main du bien meilleur ouvrage s’ils voulaient se donner la peine de le publier : qu’ils le publient donc avec ma permission, ou
…………………..rabie iecur incendente ferantur
Præcipites. [24][38]
Je n’ai cure de leurs sarcasmes, je ne crains pas leurs railleries, [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaa v} ro| LAT | IMG] je serais bien plus marri de n’avoir pas été utile à une seule personne bienveillante et désireuse de s’instruire, que d’avoir vainement mis ce bienfait, dont ont accouché mon labeur et mes veilles, entre les mains de mille individus jaloux et orgueilleux. Je te prie donc, bienveillant lecteur, de trouver bon tout ce que j’ai fait et de le recevoir avec amitié, pour que cela te procure agrément et utilité. Quemadmodum enim nullum est tam plenum beneficium, quod non vellicare malignitas possit, ita etiam plenum angustum, quod non bonus interpres extendat. [25] Je ne doute pas que d’honnêtes gens n’accordent si peu que ce soit leurs faveurs à notre labeur, et que ceux à qui il pourra paraître moins estimable lui pardonnent d’eux-mêmes ses imperfections, car plaire à tout le monde a-t-il jamais été accordé à quiconque sous notre Soleil ? Je ne voudrais pas non plus que tu penses que j’aie œuvré par vaine ostentation, comme tant d’auteurs en ont coutume : je l’ai fait pour l’avantage du public et j’ai mis ce livre au jour dans l’idée que, si tu as le bonheur de comprendre son contenu et s’il reçoit ton approbation, j’accepterai désormais de toujours me consacrer à de plus grandes tâches qui seront utiles au public. Vale, ami lecteur et ne cesse pas d’aimer ton cher Patin. »
Épigrammes
Quatre poèmes latins, parsemés dans l’ouvrage, ont Guy Patin pour auteur ou pour dédicataire.
[Laurentii Opera omnia, 1re partie, page {ĩ ij} vo| IMG] Dans les pièces liminaires de l’Anatomie : [26]
In D. Andreæ Laurentii,
Archiatrorum Comitis, et Anatomicorum
omnium quotquot sint et fuerint,
Pimicerij et Antistitis com-
mendationem
epigramma.
Fallopium Patavina colit ; Romana Columbum ;
Germana Albertum ; Flandria Vesalium ;
Bauhinum Basilea ; suum Veneti Parisanum ;
Bœtica Valverdam tollit ad astra suum :
Pauuium haben Batavi ; stat Sylvius in Parisina ;
At te, Laurenti, Gallia tota tenet.
Guido Patinus, Bellovacus,
Doctor medicus Parisiensis.
[En recommandation de Me André Du Laurens, comte des archiatres, chef et champion de tous les anatomistes présents et à venir.
Padoue honore Fallope ; [39] Rome, Colombo ; [40] l’Allemagne, Alberti ; [41] la Flandre, Vésale ; [42] Bâle, Bauhin ; [43] Venise, son cher Parisano ; [44] l’Espagne porte son Valverda [45] aux nues ; les Bataves ont Pavius ; [46] Sylvius [47] trône à Paris ; mais c’est toi, Du Laurens, que la France tout entière reconnaît pour sien. [27]
Guy Patin natif du Beauvaisis,
docteur de médecine de Paris].
- [Laurentii Opera omnia, 3e partie, page {Aa iij v} vo| IMG] Dans les pièces liminaires des deux livres sur les écrouelles : [28]
In
Clariss. Celeberrimique Viri
D. Andr. Laurentii Archiatri
Tractatum de Strumis.
Dum Christianus et potens Rex Galliæ
Tangente Strumas sanat acres dexterâ,
Summus Dynastes audit, et Asclepius :
Miranda sed dum Regis hæc Laurentius
Sermone docto prodit, et ortam polis
Aperire cunctis nititur potentiam,
Dubium relinquit, sitne Rex illustrior
Isto libello, sit vel ipse illustrior.
Guido Patin, Bellovacus,
Medicus Parisiensis.
[Sur le Traité des Écrouelles du très brillant et célèbre archiatre, M. André Du Laurens.
Quand le puissant et chrétien roi de France guérit les âcres écrouelles en les touchant de sa main salutaire, le Très-Haut l’exauce, comme le fait Esculape ; [48] mais quand un savant discours de Du Laurens expose ces miracles et s’efforce de révéler à la Terre entière le pouvoir inné du roi, il reste à se demander si le roi est plus illustre ou s’il est plus savant que ce petit livre.
Guy Patin, natif du Beauvaisis, médecin de Paris]. [29][49]
- [Laurentii Opera omnia, 4e partie, page {aaaa v} ro| IMG] Dans les pièces liminaires des quatre traités : [30]
In Clariss. Viri
D. Patini Commendationem,
quod hæc D. Andreæ Laurentii
Opuscula Latinitate donaverit.
Plurima Laurenti, ibi se debere fatetur
At quod in extremas celebris perveneris oras,
Quod peregrina tuam natio sensit opem.
Hoc assertori debes, mihi crede Patino,
Hoc velut auctori gens fere tota refert.
I.D.N. Philosophiæ Professor
in Academia Parisiensi.
[Recommandation en faveur du très distingué M. Patin, pour avoir traduit en latin ces opuscules de M. André Du Laurens.
La France, ô Du Laurens, reconnaît te devoir beaucoup car elle a la pleine jouissance de tes livres ; mais ta célébrité doit atteindre les contrées les plus lointaines, et toute nation étrangère comprendre tes œuvres. Crois-moi, tu dois cela à Patin, ton défenseur, dont presque tout le monde dit qu’il en est comme ton recréateur.
I.D.N. professeur de philosophie en l’Université de Paris]. [31][50]
- [Laurentii Opera omnia, 5e partie, page {aaaa iv} ro| IMG] Dans les pièces limaires des trois opuscules : [32]
V.C.D. Dom. Patino,
in Parisiensi Facultate
Doctori Medico, quod hæc
D. Laurentii Opuscula primus
omnium Latinitate donaverit.
Morborum solitos cohibere medendo furorem,
Et Phlegethontæo naulos subducere Nautæ
Latonâ genitum, Téque, ô Caducifer Hermes,
Numina fecerunt veteres, cælóque locarunt.
Quod debet, Patine, tibi gens Gallica nomen,
Qui tristi revocas mandata cadavera busto ?
Nam dum Laurenti<i> voces facis esse Latinas,
Dans operi lucem, dans vitam luminis orbo,
Sola voce facis quod Dij potuêre medendo.
Hoc veriss. virtutis encomium de se bene merito,
in primaria Galliarum civitate canebat,
Iul. Pilet Mesnard.,
Nannetensis 1627.
[Au très distingué Maître Patin, docteur de la Faculté de médecine de Paris, pour avoir été le premier de tous à traduire en latin ces Opuscules de Du Laurens.
[Ô Hermès, porteur du caducée, [33][51] les antiques divinités t’ont façonné et placé au ciel, avec le fils de Latone, [34][52][53] qui dérobe ses cargaisons au Nautonier du Phlégéthon, [35][54][55] et avec ceux qui ont pour métier de contenir la fureur des maladie. À toi, Patin, le peuple de France ne doit-il pas une part de son renom quand tu ranimes des cadavres qu’a réclamés le triste tombeau ? En tournant en latin les mots de Du Laurens, tu éclaires un ouvrage orphelin, tu lui donnes la vie de la lumière, et par ta seule voix, tu égales le pouvoir des dieux à remédier.
Jules Pilet de La Mesnardière, natif du Pays nantais, a composé cet éloge que mérite bien la plus authentique vertu, en la capitale de France l’an 1627]. [36][56]
Scolies de Patin sur les traités de Du Laurens
Patin a enrichi ses versions latines de huit scolies [scholiæ, commentaires]. Celle qui m’a le plus intéressé suit le chapitre ii du traité de Lue Venerea. [37]
[Laurentii Opera omnia, 5e partie, page 63| LAT | IMG]
« Dénomination variable du mal vénérien en diverses nations.
Je voudrais que les médecins parlassent du mal vénérien et de son traitement sans faire injure à tel ou tel pays. Beaucoup d’entre eux ont pourtant agi de la sorte dès l’éclosion de cette épidémie, en s’en prenant à ceux qu’ils pensaient à tort ou à raison les en avoir offensés, mais sans connaître son origine, sa cause et sa nature : de là vient que les uns l’appellent mal espagnol, d’autres italien et d’autres encore français, comme font les Italiens. [57] Outre ce nom de mal français que les Italiens lui ont donné, on a qualifié son remède d’italien ou de napolitain, comme l’unguentum Neapolitanum et l’opiata Neapolitana, et souvent d’indien, comme le lignum Indicum, [38][58][59][60] car la maladie a primitivement été amenée des Indes en Italie par les Espagnols ; et de là, en revenant chez eux après avoir pris Naples, les Français ont rapporté ce fruit napolitain ; mais que cela soit plutôt dit pour rire que pour mordre ! [39]
Une épidémie indienne apportée par les Italiens. [13][61]
Nul n’ignore que le mal vénérien est une maladie nouvelle : jamais on ne l’avait vue en Europe avant l’an 1453 < sic > ; [40] mais elle y a été apportée pour la première fois par Christophe Colomb et ses associés ou serviteurs italiens à leur retour d’Inde, [41][62][63] et elle a été transmise aux femmes italiennes ; lesquelles, durant le siège de Naples, [42] en faisant leurs affaires avec les soldats français, leur ont à la fois cédé leurs parties honteuses et leur maladie honteuse. Une fois la ville prise, les Français revenant de guerre, ont donné la vérole à grand nombre d’autres Italiennes qu’ils ont rencontrées en chemin. Leurs maris, en remplissant avec elles leur devoir conjugal, ont reçu de leurs épouses ce qu’elle avaient reçu des Français, comme les Français l’avaient reçu d’autres Italiennes, qui l’avaient elles-mêmes reçu des compagnons d’armes de Christophe Colomb.
De là vient que les Italiens, outrés et irrités contre les Français, pour les punir, donnent à leur propre maladie le nom de mal français. Ils disent que nos livres font étalage de ridicule vengeance quand on y blâme la naïveté des maris et la prostitution de leurs femmes : ceux-ci pour avoir ignoré l’origine de la vérole, et celles-là pour avoir désiré être culbutées par les Français.
Ridicule erreur de Brasavola. [13]
Brasavola, [64] se souvenant peut-être de cette insulte proférée contre ses ancêtres, a écrit un opuscule sur le mal de son pays, qu’il appelle français, [Laurentii Opera omnia, 5e partie, page 64| LAT | IMG] et dont il distingue 234 variétés différentes. [43] Si ce bonhomme n’a pas semblé perdre la tête en cet endroit, je tiens pour certain que, quand le mal a fait sa première apparition en Italie, les soldats français ont violé tant de ses parentes ou voisines que, pour perpétuer la trace de ces accouplements, il a laissé ces hiéroglyphes à la postérité ; [44] mais que cela soit dit en passant, sans faire injure à cette nation qui nourrit de très éminents personnages. ” Jean de Renou, médecin de Paris, a écrit tout cela en divers endroits de son antidotaire. [45][65] On y trouve aussi un élégant et plaisant, mais énigmatique hexastique composé par de Serres, [66] médecin de Lyon, sur la douteuse origine du mal vénérien :
India me novit ;
iucunda Neapolis ornat ;
Bœtica concelebrat ;
Gallia ; mundus alit.
Indi, Itali, Hispani, Galli, vosque orbis alumni,
Deprecor ergo, mihi dicite quæ patria ? [46]
Qui voudra en savoir plus sur l’origine de ce mal, lira Forestus, au 32e livre de ses Observationes et curationes medicinales, dans ses scolies sur l’observation i, [47][67] et Fallope, au chapitre 2 du traité qu’il y a spécialement consacré. » [48][68][69]
Aplomb d’un docteur régent frais émoulu de la Faculté de médecine de Paris
Âgé de 27 ans et tout juste coiffé du bonnet doctoral, Patin mettait au jour cet épais volume de doctrine médicale, principalement consacrée à l’anatomie, avec l’ambition d’en faire le premer recueil latin complet des œuvres de Du Laurens, gloire de l’Université de Montpellier.
Quant à la forme, son travail n’incite guère à s’ébahir :
- sans doute faute du privilège requis, l’Anatomie n’est pas illustrée, défaut majeur que ne compense pas l’opulent frontispice ; [49]
- les textes latins de Patin (épîtres, traductions et scolies), dont j’ai fourni de longs échantillons, font sentir en maints endroits une plume encore mal maîtrisée ; redites et tournures maladroites lui donnent un tour hâtif et mal relu, et en tout cas bien éloigné de celui qu’on verra briller plus tard ; [50]
- son extraordinaire bibliomanie commençait à poindre ; [70] ses emprunts aux autres auteurs sont nombreux et ordinairement référencés, exception faite des classiques de l’Antiquité païenne que tout lecteur était censé connaître par cœur ;
- son tempérament vif et querelleur jaillit dans l’Avis au lecteur quand il anticipe les attaques des Zoïle [51] contre ses laborieux efforts, mais cela est fort banal pour qui a l’habitude de ce genre de prose ;
- la pétulance et l’originalité auxquelles Patin doit son renom littéraire ne reluisent guère dans ces textes qui inauguraient sa carrière. [52]
Quant au fond, hormis ses vers sur les anatomistes de renom, [27] notre jeune docteur régent ne montrait aucune audace en éditant un auteur didactique qui respectait les canons du dogmatisme hippocratico-galénique : [71] je n’y ai lu ni découverte anatomique renversante, ni référence périlleuse aux remèdes chimiques, à l’exception du mercure dans la vérole, que nul ne contestait plus alors, mais sans mention de l’antimoine. [72] Mise à part la biographie contestée de Du Laurens que Patin a relatée, [53] il l’a toujours tenu pour le plus brillant des docteurs de de Montpellier, en dépit des ouragans que la rivalité de cette Université avec la Faculté de Paris a plus tard soulevés.
Rien, à ma connaissance, ne permet de dire sûrement pourquoi Patin s’est précipité dans cette édition dont les mérites ne furent guère reconnus, si on en juge sur l’absence de toute réimpression de son ouvrage. [54] Elle ne fut pas accompagnée de patronages bien solides :
- on n’y voit pas l’ombre d’une approbation que la Faculté de médecine de Paris (dont le doyen était alors Nicolas Piètre) [73] attribuait ordinairement à ses docteurs régents ; [55]
- aucun des maîtres les plus vénérés de Patin, le susdit Piètre, René Moreau, [74] Philibert Guybert, [75] Jean ii Riolan [76] ou Nicolas Bourbon le Jeune, [77] n’a gratifié son livre d’une dédicace, pas plus que ne firent ceux qu’il tenait pour ses amis les plus chers, comme Gabriel Naudé ou Charles Guillemeau ; [78] seuls Jean de Nully, son camarade d’école à Beauvais, et le tout jeune Hippolyte-Jules Pilet, qui n’ont occupé qu’une modeste place dans la correspondance ultérieure de Patin, l’ont honoré de quelques vers.
Patin semble donc bien avoir agi de sa propre initiative, sans soutien académique, dans le vain espoir de briller et de marquer avec éclat son entrée dans la prestigieuse Compagnie des docteurs de Paris, après les rudes années de chétive existence que la brouille avec ses parents lui avait values. L’auteur qu’il avait choisi, très fameux premier médecin de Henri iv, et la dédicace à son fils, Antoine ii Du Laurens, pourraient trahir des ambitions médicales à la cour. [56][79] Ce ne fut qu’un coup d’épée dans l’eau dont Patin lui-même n’a tiré aucune gloire dans la copieuse suite de ses écrits. Un prudent oubli fut la seule conséquence avérée de sa témérité, sans doute mêlée de rancœur et d’ingratitude. Patin sut néanmoins se faire pardonner ce pas de clerc et parvint à retrouver les bonnes grâces de Riolan ; [57] et en dépit de ce premier essai peu concluant, il a sa vie durant contribué à mettre au jour les ouvrages d’auteurs qu’il admirait. [58]
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