Pintard (1943) pages 69‑77
Canis, præter unam, emaneto ;
Hecuba, præter unam, emaneto.
Ces derniers mots, qui se lisent in legibus sui horti, [17][53] où il entend parler de sa femme, veulent dire : « Que toute femme sorte d’ici, hormis la mienne » ; ce que je prouve par un autre passage de Lipse même, qui legitur lib. io Epist. quæst., Epist. 20, [54] que voici, où il parle d’Arnobe : [55] Arnobius Christiani nominis scriptorum quasi Varro est, [56] antiquæ et reconditæ doctrinæ, qua in rebus, qua in verbis. Ab ejus adytis nihil est quod vulgum arceamus, emanebit sua sponte. [18] Et il faut savoir que Lipse appelle là sa femme Hecuba parce qu’elle était une criarde et fâcheuse femme, qui grondait toujours. Voici ce qu’en a dit Plaute in Menæchmis, [57] act. v, scen. 1 :
< Men. > Non tu scis, Mulier, Hecubam quapropter canem, Graii esse prædicabant ?
Mu. Non equidem scio.
Men. Quia idem faciebat Hecuba quod tu nunc facis.
Omnia mala ingerebat quemquem adspexerat :
Itaque adeo iure cœpta appellari est canis.
Ubi Jo. Phil. Pareus [58] hæc habet in margine, pag. 372 : Hecubam velut canem Græci lapidibus insectati sunt, quia maledicta in quemvis obvium e Græcis ingerebat. Et propter hanc animi acerbitatem et rabiem fingitur in canem esse conversa. Vide fabulas. Erat illa Hecuba uxor Regis Priami et mater Paridis. [19][59][60] Tandis qu’il demeura en Hollande, il témoigna avoir de l’inclination à la religion romaine, combien qu’il ne l’exerçât pas, non plus que la prétendue réformée ; [61] mais Janus Douza, [62] qui était bien son cher et intime ami, a dit à feu mon père que Lipse et Chistophe Plantin, [63] qui était son grand ami, étaient de la religion de los Alumbrados, qui sont les Illuminés d’Espagne. [64] Comme il revint d’Italie, substitit Ienæ in Thuringia ubi docuit per paucos annos. [20][65] Là, il vivait comme les protestants, [21] et y fit aussi imprimer un livre intitulé Concordia Lutheri et Melanchthonis, [66][67] qu’il a depuis désavoué comme huguenot. Il y avait encore quelques autres traités dans ce livre, quos negavit esse suos. [22] Ils étaient écrits en beau style, cicéronien et bien élégant. Les protestants d’Allemagne les ont fait réimprimer encore depuis en une autre ville, savoir Helmstadii, [68] en dépit de lui, vers le temps de sa mort. [23] Mais ce pauvre homme passa d’une extrémité à l’autre car il ne se contenta pas, étant devenu vieux, de se faire papiste : lui qui toute sa vie avait eu fort bon esprit, qui avait été fort savant, accort et fin, grand et rusé politique, devint tout fou avec ses livres de miracles qu’il écrivit sur la fin de ses jours, qui ne valent rien du tout. Il en fit deux en l’honneur de la Vierge Marie. L’un est Diva Virgo Hallensis, l’autre Diva Virgo Sichemiensis, et, qui pis est, virum bonum ad hoc impellentibus Jesuitis. [24] Ce ne sont que des miracles ramassés et chétivement décrits. [69] Tous les savants ayant vu ce désordre d’esprit, se moquèrent de lui, et non sans raison. Un certain Georgius Thomsonius, [70] Écossais, fit aussitôt un livre fort bien fait contre lui, intitulé Vindex veritatis, etc., imprimé à Londres l’an 1606. [25][71] Dom. Baudius [72] en a plusieurs fois parlé en ses Epist., et s’en est moqué. [26] Petrus Denaisius, Cameræ Imperialis, quæ Spiræ est, Assessor, edidit etiam adversus Lipsium Dissertationem de Idolo Hallensi. [27][73][74][75] P. Du Moulin, [76] en son Accomplissement des prophéties, page 168, se moque de Lipse en ces mots : « Lisez les miracles de Notre-Dame de Hault en Flandres publiés par M. Lipsius, et vous verrez que ce bonhomme a employé 40 ans à amasser des fleurs de la grammaire latine pour les verser aux pieds d’une image, et clore toute sa philologie par une farce. » [28][77] Scaliger même, faisant allusion à quelques vers que fit en ce temps-là Lipsius, par lesquels il consacrait sa plume à la Vierge Marie en ces mots,
Hanc, Diva, pennam, interpretem mentis meæ, etc., [29]
qui sont à la fin de sa Diva Virgo Hallensis, se moquant de Lipse pour ces bagatelles indignes d’un tel homme que lui, fit aussi ce distique qui n’a jamais été imprimé :
Nil poterat levius penna tibi, Virgo, dicari,
Nil levius penna est quod tibi scripsit opus. [30][78]
Même Bartholomæus Keckermannus, [79] lib. de natura Historiæ, pag. 120, en a témoigné aussi son mécontentement par ces mots : Et, quod cum dolore dico, Justus Lipsius eo abreptus est ut etiam scripserit vitam Mariæ Hallensis. [31]
Ses livres des Politiques [80] ont été fort approuvés, jusque là que M. le président Jeannin [81] disait qu’il n’y avait rien là-dedans qui ne fût confirmé par l’expérience. Et néanmoins, deux propositions, entre autres, firent que Cornheertius [82] entreprit d’écrire contre lui, qui multos habuit fautores, [32] mais son livre ne fut qu’en hollandais. Ces deux propositions furent : l’une, de permittendo hæreticidio, où il a employé ces deux mots, Ure, seca ; l’autre fut son opinion de fato. [33] Lipse prétendait que MM. les États [83] imposeraient silence à ce Cornheertius, mais il arriva tout au contraire : c’est pourquoi Lipse se dépita, et s’en alla, sous ombre d’être malade, aux eaux de Spa, [84] où il demeura longtemps, pour voir si ceux de Hollande ne le rappelleraient pas. Et voyant que non, il délibéra de se retirer d’avec eux, et stationem firmam quærere. [34] Alors, il fut brigué par quatre princes, savoir par le roi d’Espagne, [85] par le pape, [86] par le grand-duc de Toscane [87] et par l’électeur de Cologne. [88] Il se donna au premier et se retira à Louvain avec ces trois qualités suivantes : de professeur du roi, d’historiographe et de conseiller d’État. Et de fait, il avait séance au Conseil quand il voulait aller à Bruxelles ; [89] et tout cela par le moyen d’un certain Martinus Idiaqueus, [90] secrétaire d’Espagne qui était grand ami de Lipse et auquel il a écrit Epist. 34 in Centuria singulari ad Italos et Hispanos. [35][91]
Qui Patribus populoque et carnem rosit et ossa,
Quam merito carnem rosus et ossa perit ! [40]
N’était-ce pas un misérable spectacle de cet homme quand il se fit amener de Lyon à Paris dans sa machine, avec laquelle, comme d’un pont-levis, il se faisait guinder dans les chambres pour y passer une nuit misérable et telle que les font d’ordinaire les tyrans ? N’était-ce pas avec raison que les vers suivants ont été faits sur cette machine ?
Cum foribus spretis media in tabula domorum
Richelio placuit scandere ponte novo ;
Aut hæc in nostros fabricata est machina muros,
Aut aliquid, dixit Gallia, triste latet.
Ast ego : venit ad hoc post tot molimina, dixi,
Quo sese posset dicere Pontificem. [41]
Comme, à cause de ce mot Pontifex, je lui citai l’épigramme suivant que quelque huguenot a fait,
Flumen apud Superos nullum est ; quid pontibus ergo
Est opus ? Est quid opus denique Pontifice ?
Ast apud infernos tria cum sint flumina, soli
Illi habeant pontes Pontificesque suos, [42][113]
il me répondit que la pointe en était bonne, mais que ce mot infernos ne valait rien et qu’il gâtait tout, qu’il n’était pas latin. Et puis après me dit : « Quand vous voyez un bon poète huguenot, il faut croire qu’il est calviniste, car jamais les luthériens [114] n’en ont eu un bon ; mais entre les calvinistes, il y a eu Buchanan, [115] qui est le premier du monde après Virgile. » [43][116]
Horace [117] a dit quelque part : Equus me portat, alit Rex. Il faut qu’un médecin dise : Equus me portat, alit plebs. Et en ce cas-là, sa condition est meilleure que d’être au roi, car Reges et Principes moriuntur, populus autem non moritur. [44][118][119]