L. 102.  >
À Claude II Belin,
le 14 mars 1644

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de l’honneur que me faites par votre dernière, je suis bien aise qu’ayez trouvé ma thèse [2] belle ; elle a eu de deçà tant d’applaudissement qu’en voilà tantôt 2 000 exemplaires de distribués, car il ne m’en reste pas encore un cent. Rancidulo ore loqui, qui est dans Martial, [3] est proprement parler Renaud, comme font les ladres [4] de Provence ; [1][5] et crois qu’il ne se peut guère autrement expliquer en latin. Un grand et solennel arrêt de la Cour donné à l’audience publique, après les plaidoyers de cinq avocats et quatre jours de plaidoiries, [6] a renversé toutes les prétentions du Gazetier[7] et a aussi abattu son bureau où il exerçait une juiverie [8] horrible et mille autres infâmes métiers. L’arrêt sera imprimé avec les plaidoyers des avocats, mais ce ne sera que pour après Pâques. Dès qu’il y en aura d’imprimés, je vous en ferai tenir quelque exemplaire. [2] Je ne me souviens pas d’avoir par ci-devant reçu de vous des vers du chancelier de L’Hospital [9] in Capellanum et Castellanum medicos[3] Ce premier était fort savant, [10][11][12][13][14] il était docteur de notre Faculté. Il fut fait après Fernel [15] premier médecin du roi Henri ii[16][17] et mourut l’an 1569. M. de Thou [18] a remarqué sa mort comme d’un habile homme. [4] Il avait doctement travaillé sur Celse ; [19] ce travail infeliciter periit[5] M. Castellan était docteur d’Avignon, [20] natif d’Arles en Provence, propre frère de la mère de maître André Du Laurens [21] qui a fait cette belle Anatomie et qui est mort l’an 1609, [6] premier médecin du roi Henri iv[22] M. Chapelain fut aussi premier médecin des rois François ii [23][24] et Charles ix[7][25][26] Je sais bien qu’inter epistolas Mich. Hospitalii, page 380, il y a des vers sur la mort de ces deux grands hommes, qui commencent ainsi :

Divisi patria longa regione locorum, etc. [8]

Si les vôtres commencent ainsi, ne vous en mettez pas en peine puisque je les ai. Monsieur votre fils [27] apprend assez bien, et espère que vous en aurez contentement. Il ne va pas vite, mais il sera mûr et sage. Les jésuites [28][29] ont ici ému un gros orage contre M. Arnauld, [30] mais j’espère qu’il s’apaisera à leur confusion. [9] On dit que le pape [31] est en enfance. M. de Vendôme [32] se voyant ici persécuté, est sorti du royaume et s’est retiré en lieu de sûreté pour sa personne. [10] Je vous baise les mains, à madame votre femme, à monsieur votre frère, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 14e de mars 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 85 ; Triaire no cv (pages 382‑384) ; Reveillé-Parise, no lxxi (tome i, pages 111‑112).

1.

Qui rancidulo ore loquuntur [qui parlent d’une voix aigrelette (avec aigreur)] est un passage de la thèse de Guy Patin « L’homme n’est que maladie » visant Théophraste Renaudot (v. note [32], lettre 98).

Quid Nerone peius ?
Quid thermis melius Neronianis ?
Non dest protinus, ecce, de malignis
qui sic
rancidulo loquatur ore :
“ Quid tu tot domini deique nostri
præfers muneribus ? ” Neronianas
thermas præfero balneis cinædi
.

[Quoi de pire que Néron ? Quoi de meilleur que les thermes de Néron ? Mais voici maintenant qu’un de nos esprits caustiques me dit avec aigreur : « Que préfères-tu à tous les présents de notre maître, et notre dieu ? » Je préfère les thermes de Néron aux bains d’un pédéraste]. {a}


  1. Martial, Épigrammes, livre vii, 34, vers 4‑10.

Parler Renaud a le double sens de « parler le patois, le jargon » (La Curne de Sainte-Palaye), et « parler comme Renaudot » : « Théophraste Renaud [sic] médecin est celui qui a établi la Gazette de Paris dans son Bureau d’adresse » (Furetière). La lèpre (ladrerie), quand elle détruit le nez (que Renaudot avait camus) et perfore le palais, peut altérer profondément le timbre de la voix, tout comme font la syphilis (vérole) et ses gommes (v. notule {j}, note [19] du Borboniana 6 manuscrit).

2.

V. note [56], lettre 101.

3.

« sur les médecins Chapelain et Castellan. »

Michel de L’Hospital (vers 1505-1573) fut nommé chancelier de France en 1560 par François ii à l’instigation de Marie de Médicis. Farouche partisan de la tolérance religieuse, il vit ses efforts ruinés par l’éclatement de la première guerre de religion (1562) et se retira en 1573. Après sa mort, Guy du Faur de Pibrac, avec le secours d’Augustin de Thou et de Scévole i de Sainte-Marthe, recueillit ses Epistolarum seu Sermonum libri sex [Six livres d’Épîtres ou Discours], que Michel Hurault de L’Hospital, son petit-fils, publia en 1585 (vinfra note [8]). V. notes [21], [22] et [23] du Borboniana 4 manuscrit pour de copieux compléments sur la vie, les origines et la descendance du chancelier.

Jean Chapelain (mort en 1569), docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1536, puis de la Faculté de Paris en 1541, fut nommé premier médecin de Henri ii en 1558, à la mort de Jean Fernel, et demeura dans cette place jusqu’à la mort du roi. Contrairement à ce qu’allait dire Guy Patin, Chapelain la perdit sous François ii qui se servit de Jérôme Montuus et de Jean Milet. Chapelain redevint premier médecin du roi, jusqu’à sa mort, sous Charles ix (Éloy).

Honoré Castellan ou Du Chastel (mort lui aussi en 1569), natif de Riez (ou d’Arles, pour Patin) en Provence, docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1544, puis professeur de cette École, fut nommé premier médecin de Catherine de Médicis, épouse de Henri ii. Il resta à la cour tout le reste de sa vie et devint aussi conseiller médecin ordinaire du roi Henri ii, puis de ses deux fils, François ii et Charles ix. Castellan était le beau-père d’André i Du Laurens (Éloy). Il n’a laissé qu’un discours intitulé :

Honorati castellani Oratio Lutetiæ habita, qua futuro Medico necessaria explicantur.

[Discours qu’Honoré Castellan a prononcé à Paris, expliquant ce qui est necessaire au futur médecin]. {a}


  1. Paris, Michaël Vascosanus, 1555, in‑12 de 16 pages.

4.

Jacques-Auguste i de Thou a parlé des deux médecins au sujet du siège de Saint-Jean-d’Angély (livre xlvi, règne de Charles ix, année 1559, Thou fr, volume 5, page 658‑659) :

« Il mourut à ce siège deux hommes célèbres, aussi unis par l’amitié qu’ils l’étaient par leur profession, et qui avaient presque toujours demeuré dans une même maison, tant à l’armée qu’à la cour. Ce furent Jean Chapelain et Honoré Castellan, premiers médecins du roi et de la reine, riches l’un et l’autre, mais par la libéralité des princes qu’ils servaient, et non par les gains sordides qui déshonorent la plupart de ceux qui exercent cette profession. Le plus riche des deux était Chapelain car, outre les bienfaits du prince, il avait de grands biens de son père. Tous les troubles de la cour ne l’arrachèrent jamais à ses livres : il en avait un grand nombre, sur lesquels il avait fait des notes très savantes et très judicieuses ; il les laissa en mourant dans sa magnifique bibliothèque ; mais ils se sont perdus ou dissipés dans les troubles de Paris, {a} vraie perte pour les lettres et pour la république ! Comme ces deux amis avaient toujours vécu ensemble, ils moururent aussi en même temps dans la même maison et de la même maladie, {b} qui avait quelque chose de contagieux et qui, malgré les remèdes, emporta bien du monde. »


  1. La Saint-Barthélemy (v. note [30], lettre 211).

  2. La peste.

5.

« a malheureusement disparu. » Guy Patin a pourtant reparlé des notes de Jean Chapelain sur Celse en 1656 (v. note [2], lettre latine 44).

6.

V. note [3], lettre 13, pour l’Anatomie de Du Laurens.

7.

Guy Patin s’y perdait un peu : comme dit plus haut (note [3]), Jean Chapelain fut successivement premier médecin de Henri ii (de 1558 à 1559) et de Charles ix (de 1560 à 1569), mais avec une éclipse pendant le règne de François ii (1559-1560).

Fils premier né de Henri ii (v. note [26], lettre 86) et de Catherine de Médicis (v. note [35], lettre 327), François ii (1544-1560) est monté sur le trône en 1559, mais son règne n’a duré que 17 mois. En 1558, il était devenu roi d’Écosse par son mariage (stérile) avec Marie Stuart (v. note [32], lettre 554).

Son frère puîné (1550-1574) lui succéda sous le nom de Charles ix (sacré en 1561). Il eut à affronter les horreurs des quatre premières guerres de Religion et mourut deux ans après la Saint-Barthélemy (22 août 1572, v. note [30], lettre 211) sans héritier légitime. Son cadet lui succéda sous le nom de Henri iii (v. note [2], lettre 48).

8.

Ce poème s’intitule Io. Capellani et Hon. Castellani, Medic. Regior., Tumulus [Tombeau de Jean Chapelain et Honoré Castellan, médecins des rois] :

Divisi patria longa regione locorum,
Præclari artifices eiusdem muneris ambo,
Dissimiles morum, discordi Regis in aula,
Exegere/exegerunt tamen (dictu mirabile) vitam
Litibus, invidiæque malo, rixaque carentem :
Communi tecto, et mensa prope semper eadem ;
Quo duo more solent germani vivere fratres
.

Magnus uterque, rei medicæque peritus uterque
Supra omnes : antiquæ operæque artisque magistri
Primum adeo tenuere locum, Regisque iuuentam,
Reginæque, Erebi revocarunt limine portæ
Sæpius, ipsi non potuere obsistere morti
.

Quinimmo paucis ambo occubuere diebus,
Ambo unoque iacent tumulo. Prius occidit alter
Lethifera turpique lue : huic mox deinde superstes
Morte sua extincti cumulavit funus amici ;
Mandavitque uno condi simul ossa sepulchro,
Ut neque mors illos seiungeret ultima rerum
.

O divinus amor, perituraque tempore nullo
Gratia, quantum animis possunt contendere amantes !
Sed fati vis maior erat. Sic omnia tandem
Tempore quæque suo in cineres mortalia verti,
Nec medicas artes prodesse authoribus ipsis
.

[Fort éloignés de leur pays natal, deux célèbres praticiens du même métier, mais de mœurs dissemblables et dans une cour royale en désaccord, ont pourtant passé (comme c’est admirable) leur vie à n’avoir entre eux ni querelles, ni jalousie, ni différends, sous le même toit et presque toujours à la même table, à la manière dont deux véritables frères ont coutume de vivre.

Tous deux grands, tous deux habiles médecins, au-dessus de tous les autres, maîtres en la tradition du savoir et du soin, ils tenaient à ce point le premier rang, qu’ils ont fait très souvent revenir le roi et la reine des portes de l’enfer à la vie, mais eux-mêmes n’ont pu se soustraire à la mort.

Tandis que tous deux n’ont jamais pris que peu de jours de repos, les voici qui gisent dans un seul et même tombeau. L’ignoble peste a tué le second ; bientôt après, le survivant a ajouté sa propre mort au deuil de l’ami défunt ; et il a prié que leurs os soient placés ensemble dans la même tombe pour que la mort jamais ne les sépare.

Ô divin amour, ô grâce immortelle, à quel point les esprits de ceux qui s’aiment peuvent tendre au même but ! Mais la force du destin était plus grande. Ainsi tout ce qui est mortel, quand vient son heure, se transforme en cendres, et les arts médicaux sont inutiles, même à ceux qui en sont les maîtres].

C’est l’un des six Tumuli [Tombeaux] qui se trouvent à la fin du dernier des Michaelis Hospitalii Galliarum cancelarii Epistolarum seu Sermonum libri sex [Six livres d’épîtres ou de Discours de Michel de L’Hospital, chancelier de France] (Paris, Mamert Patisson dans l’officine de Robert Estienne, 1585, in‑fo, page 380).

9.

De la fréquente Communion, œuvre fondatrice du jansénisme, entamait alors sa foudroyante carrière (v. note [47], lettre 101) : l’orage ne s’apaisa guère ; il ne faisait que commencer.

10.

Après l’arrestation du duc de Beaufort, compromis dans une conspiration contre Mazarin (v. note [14], lettre 93), son père, le duc de Vendôme, avait été relégué au château d’Anet. Bientôt, ne se sentant pas en sûreté, il passa à Florence.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 mars 1644

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(Consulté le 27/04/2024)

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