L. 116.  >
À Charles Spon,
le 10 novembre 1644

Monsieur, [a][1]

Depuis ma lettre et le petit paquet délivré à M. Le Roy, [2] qui s’en est très volontiers chargé tant à cause de vous qu’à cause de moi, j’ai le même jour reçu la vôtre, par laquelle j’apprends qu’avez reçu la mienne du mois passé. Je voyais ici un Lyonnais qui ne fut que légèrement malade, nommé M. Van Schore, [3] où m’avait mené un M. Cerisier, lequel m’ayant vu une lettre pour vous que j’allais envoyer à la poste, me pria si fort de la lui bailler qu’il me l’arracha presque des mains en me promettant qu’elle vous serait rendue en toute assurance, et la mit en ma présence en son paquet : voilà par quelle voie elle vous a été rendue. Ledit M. Van Schore vous connaît fort bien, et fait état de vous et de toute votre famille. J’ai céans cinq traités du Rodericus Castrensis, [4] dont le Quæ ex quibus en est un ; si vous avez affaire des autres, je vous les offre aussi bien que tout le reste. [1] Pour les Institutions de C. Hofmannus, [5] je vois bien par votre dernière que ce n’est pas viande prête, je m’en donnerai patience et tâcherai de ne vous en plus importuner. M. Huguetan [6] y a beaucoup plus d’intérêt que moi et m’étonne comment il n’y apporte plus de diligence. Il n’eut jamais d’argent comptant de livre comme il aura de celui-là. Je vous envoie ce que désirez touchant la cataracte, [2][7] et les thèses du chirurgien de Saint-Côme. [8] Je m’étonne bien qui vous a dit que j’étais l’auteur du petit Traité de la conservation de la santé[9] qui est derrière le Médecin charitable[10] Cela ne mérite pas votre vu ; [3] je l’ai fait autrefois à la prière du bon Médecin charitable même, M. Guybert qui m’avait donné le bonnet[4][11][12] et me pria de le faire le plus populaire que je pourrais afin de le pouvoir joindre à son livre. Il ne mérite pas que vous y mettiez votre temps. Le passage du vin [13] contre la peste [14] est tiré de Riolan [15] in Methodo generali, ubi de peste ; [5] mais il n’est pas dans Plutarque [16] ainsi : c’est une faute de M. Amyot, [17][18][19] qui l’a traduit ; mais elle n’est pas toute seule, il y en a plus de six mille autres. [6] Si je puis jamais prendre quelque loisir, je tâcherai de raccommoder ce traité et de le rendre un peu meilleur qu’il n’est. [20] Et en attendant, je vous prie de me faire la charité de ne dire à personne que je l’ai fait, car j’en ai honte moi-même. [7] Je n’ai rien à vous dire touchant les quatre ventricules [21] ni leurs noms, je pense que cela n’a jamais été mis en français ; je ne sais si les chasseurs ne l’ont point fait en leur jargon de chasse. [8] Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 10e de novembre 1644.


a.

Ms BnF no 9357, fo 26 ; Triaire no cxix (pages 438‑439) ; Reveillé-Parise, no clxxx (tome i, pages 341‑342), très remaniée, avec des additions provenant des deux précédentes lettres à Charles Spon. Au revers, de la main de Spon : « 1644, Paris 10 novembre ; Lyon, 21 dudit ; Risposta, adi 29 dudit. »

1.

Estevão Rodrigues ou Estevan Roderigo de Castro (Stephanus Rodericus Castrensis, Lisbonne 1599-Pise 1637) {a} fut docteur et professeur de l’Université de Pise. L’ouvrage dont Guy Patin donnait ici les premiers mots du titre est un traité étiologique (sur les causes des maladies) :

Quæ ex quibus Opusculum in quatuor libros divisum Medicinae Studiosis valde utile, et recondita doctrina refertum

[Opuscule sur Quoi vient de quoi, divisé en quatre livres, très utile à ceux qui étudient la médecine, et empli de doctrine cachée]. {b}


  1. À ne pas confondre avec Rodrigo de Castro (Rodericus à Castro, v. note [51], lettre 104).

  2. Florence, Petrus Cecconcellius, 1627, in‑12, pour la première de plusieurs éditions, dont certaines portent un sous-titre plus explicite : sive de mutatione aliorum morborum in alios [ou sur la transformation de certaines maladies en d’autres].

    Quelques-uns des autres ouvrages d’Estevan de Castro sont mentionnés dans la suite des lettres.


2.

La cataracte, maladie des yeux qu’on savait traiter par la chirurgie au temps de Guy Patin, est une opacification du cristallin (lentille de l’œil) qui vient souvent avec la vieillesse : « C’est une taie ou petite peau qui se forme sur la prunelle de l’œil et qu’on lève adroitement avec une aiguille » (Furetière). On dfférenciait alors imparfaitement la cataracte du glaucome (du grec glaucos, nuance pâle ou grise de vert), « maladie des yeux qui arrive lorsque l’humeur cristalline se change en couleur verdoyante ou azurée ; car alors ceux qui ont cette maladie n’aperçoivent aucune lumière » (ibid.).

Au chapitre xxv (De Glaucomate), livre v de son Ophtalmographia (2e édition, Louvain, 1648, page 218, v. note [49], lettre 176), Vopiscus Fortunatus Plempius a dit le glaucome incurable et voulu le bien distinguer de la cataracte :

Glaucoma est humoris oculi in glaucum colorem mutatio. Dico, humoris oculi, in genere, et non crystallini tantum, ut alii definiunt ; quia quicumque ex tribus humoris glauco colore inficietur, ea symptomata orientur, quæ ipsi a crystallino glaucitate imbuto profici volunt.

[Le glaucome est une coloration glauque de l’humeur oculaire. Je dis de l’humeur oculaire en général, mais pas seulement de l’humeur cristalline, comme le définissent d’autres auteurs ; ils veulent attribuer au seul verdissement du cristallin les symptômes qui apparaissent quelle que soit celle des trois humeurs {a} affectée par la couleur glauque]. {b}


  1. Humeurs aqueuse, cristalline et vitrée (v. note [50], lettre latine 154).

  2. De nos jours, le glaucome n’est plus un verdissement de l’œil, il est devenu une maladie oculaire absolument distincte de la cataracte.

L’opération de la cataracte consistait à luxer le cristallin opaque au fond de l’œil, à l’écart de l’axe de vision, et la vue revenait, mais sans la netteté que permettait la lentille perdue ; « On tient que l’invention d’abattre les cataractes fut trouvée par une chèvre qui, en se frottant et galant [grattant] contre les épines, abattit une taie qu’elle avait sur l’œil, ce qui lui fit recouvrer la vue » (ibid.). L’extraction de la cataracte, mère des opérations actuelles, ne fut inventée qu’au milieu de xviiie s. par Jacques Daviel.

3.

Vu est ici pris au sens d’approbation.

Le nom de Guy Patin comme auteur du Traité de la Conservation de santé… ne figure ni sur sa couverture ni dans les éditions du Médecin charitable de Philibert Guybert qu’il accompagnait.

4.

On lit dans les Comment. F.M.P. (tome xii, fo 162 ro, premier paragraphe), de la main du doyen Nicolas Piètre :

Die Jovis. 7. Octobris. 1627. Magister Guido Patin renuntiatur Doctor Medicinæ præside Magistro Philiberto Guibert Doctore Medico, proponit autem illam quæstionem Magistro Antonio Charpentier

An Catharica expulsione agant ?

Alteram quæstionem proponit præses Magistro Johanni Pietre Doctori Medico

An Cathartica attractione agant ?

[Le jeudi 7 octobre 1627, Maître Guy Patin est reçu docteur en médecine sous la présidence de Maître Philibert Guybert, {a} docteur en médecine, en soumettant cette question à Maître Antoine Charpentier : {b}

« Les cathartiques {c} agissent-ils par répulsion ? »

Le président a ensuite soumis l’autre question à Maître Jean Piètre, {d} docteur en médecine :

« Les cathartiques agissent-ils par répulsion ? »].


  1. Le Médecin charitable, v. note [25], lettre 6.

  2. Antoine ii Charpentier.

  3. V. note [13], lettre 386.

  4. Fils de Nicolas, v. note [5], lettre 15.

5.

« dans sa Méthode générale, là où il est question de la peste ».

Les deux livres de la Methodus medendi, tam generalis quam particularis [Méthode pour remédier, tant générale que particulière] de Jean i Riolan ont paru pour la première fois à Paris en 1598 (Hadrianus Perier, in‑4o). Ils ont été revus et augmentés dans ses Opera omnia [Œuvres complètes] (Paris, 1610, v. note [9], lettre 22) ; le passage sur le régime alimentaire à suivre au cours de la peste, auquel renvoyait Guy Patin, s’y trouve à la fin du chapitre x (Morborum malignorum, venenatorum, contagiosorum, pestilentium communia remedia [Remèdes communs des maladies malignes, venimeuses, contagieuses, pestilentes]), dans la première section du livre ii (page 383) :

Præstatne fames an crapula ? fame, inquit Aetius, materia efferatur, et vires instringitur : quas imprimis custodire oportet. Celsus laudat sobrietatem et semel quotidie comedendum putat : Avicenna paulo plenius corpus alendum existimat, ut benigno alimenti vapore humoris malitia retundatur : Avicennæ favet Galenus. Sed liquidis, non solidis velim eos nutriri, ut gelativa, consumptis, iusculis pulli et vituli, saporatis, herbis, cardiacis, ut utraque acetosa, buglosso, borragine. Convenitne vinum ? non videtur, quia febricitantibus noxium. Verum est optimum cardiacum, cito reparat spiritus, et animi deliquijs succurrit. Confert febribus malignis, ut resistit putredini et cacoethiæ, non febri, diluendum tamen aqua acetosæ, scabiosæ, borraginis : Quibusdam placet in principio interdicendum, in argumento aut vigore cum vires violentia morbi opprimuntur, concedunt. Notabile est quod scribit Plutarchus in Iulio Cæsare, cum illius exercitus ciborum inopia, pravis alimentis uteretur, correptum fuisse peste, quæ tamen evanuit cum primum appulit in regionem feracem, præsertim vini.

« Faut-il plutôt jeûner ou manger sans retenue ? Le jeûne, dit Aétius, fera sortir la matière, mais il brise les forces quand il importe en premier de les ménager. Celse loue la sobriété et pense qu’il ne faut manger qu’une fois par jour. Avicenne estime qu’il faut nourrir le corps presque à satiété pour que la chaleur bénigne de l’aliment réprime la malignité de l’humeur, et Galien est de même avis. {a} Je voudrais pourtant qu’on ne nourrisse pas les malades avec des solides, mais avec des liquides, tels que gelée, consommés, bouillons de poule ou de veau, potages de légumes, cardiaques, comme sont les deux oseilles, la buglose, la bourrache. {b} Le vin convient-il ? Il semble que non parce qu’il nuit aux fébricitants. C’est pourtant un excellent cardiaque, il revigore rapidement les esprits et vient en aide aux perturbations de l’esprit. Il convient aux fièvres malignes car il combat la putréfaction et la malignité, mais non la fièvre ; il faut cependant le diluer dans de l’eau d’oseille, de scabieuse, de bourrache. Certains préfèrent l’interdire au début de la maladie, mais l’autorisent dans son augmentation ou dans sa plénitude, quand sa violence effondre les forces. Ce que Plutarque a écrit dans Jules César est à noter : quand son armée manqua de ravitaillement et dut recourir à des aliments de mauvaise qualité, elle fut frappée par la peste ; laquelle disparut pourtant dès qu’il la mena dans une contrée féconde où le vin abondait particulièrement]. {c}


  1. V. notes [4], lettre de Charles Spon, datée du 21 novembre 1656, pour Aétius, [13], lettre 99, pour Celse, et [7], lettre 6, pour Avicenne.

  2. V. note [6], lettre 468, pour l’oseille (dont existent deux variétés, grande et petite), et [2] de l’Observation ix de Patin et Charles Guillemeau, pour la buglose et la bourrache.

  3. V. note [14], du Traité de la Conservation de santé, chapitre iii.

6.

Le passage de la Vie de Jules César (prémices de la bataille de Pharsale, chapitre xlviii), dont parlait Guy Patin, se trouve dans les Vies des hommes illustres, grecs et romains, comparées l’une avec l’autre par Plutarque de Chéronée, translatées premièrement de grec en français par Maître Jacques Amyot lors abbé de Bellozane, et depuis en seconde édition, revues et corrigées en infinis passages par le même translateur, maintenant abbé de Sainte-Corneille de Compiègne, conseiller du roi et grand aumônier de France, à l’aide de plusieurs exemplaires vieux, écrits à la main, et aussi du jugement de quelques personnages excellents en savoir : {a}

« Depuis qu’il {a} eut pris la ville de Gomphes en la Thessalie, non seulement il recouvra vivres à foison pour nourrir son armée, mais aussi la garantit et délivra étrangement de maladie, pource que, y ayant les soudards trouvé grande quantité de vins, ils chassèrent la contagion de pestilence à force de boire et de faire grande chère ; car ils ne firent autre chose que baller, mômer {b} et jouer les bacchanales par tous les chemins, tant qu’ils se guérirent de maladie par ivrogner et se firent des corps tout neufs. »


  1. Paris, Michel Vascosan, 1565, in‑8o, fo 506 ro, repère E.

  2. Après que Jules César.

  3. Danser, polissonner.

La traduction classique de Dominique Ricard (1743) n’en diffère pas sur le fond :

« Lorsqu’il eut pris la ville de Gomphes en Thessalie, il eut des vivres en abondance pour son armée, qui fut guérie même de sa maladie d’une manière fort étrange. Ses soldats ayant trouvé une quantité prodigieuse de vin, en burent avec excès, et se livrant à la débauche, ils célébrèrent, dans tout le chemin, une espèce de bacchanale. Cette ivresse continuelle chassa la maladie, qui venait d’une cause contraire et changea entièrement la disposition de leur corps. »

Jacques Amyot (Melun 1513-Auxerre 1593) fut nommé grand aumônier de France en 1560 et évêque d’Auxerre en 1570. V. note [4] du Faux Patiniana II‑7 pour un copieux complément sur sa biographie.

Guy Patin ne sachant pas bien le grec, on se demande comment il avait pu compter les fautes qu’il y avait dans sa traduction de Plutarque (reprise par la Bibliothèque de La Pléiade en 1951) ; sans doute n’était-elle pas conforme à celle, latine, de Henri Estienne (v. note [22] de la thèse de la Sobriété, 1647) que son père lui faisait lire quand il était enfant (v. note [23], lettre 106).

7.

Le Traité de la Conservation de santé… ne porte pas en couverture le nom de son auteur, Guy Patin, mais on le trouve au bas de l’épître dédicatoire et de la dédicace complémentaire qui la suit, toutes deux adressées à Charles Guillemeau.

8.

Ventricule est l’ancien nom de l’estomac : Furetière :

« Les animaux qui ruminent ont quatre ventricules. Le premier qui est fort grand, a sa tunique intérieure couverte d’une infinité de petites éminences de différentes figures, serrées les unes contre les autres. Il s’appelle la panse, ou l’herbier, en latin magnus venter. Le second a en dedans plusieurs lignes éminentes et élevées comme de petits murs, qui forment plusieurs figures carrées, pentagones et hexagones, qui le font appeler réseau ou bonnet, et en Latin reticulum. Le troisième est appelé millet ou mélier, et par les bouchers psautier, et en latin omasum. Le quatrième s’appelle caillette et en latin abomasum. Ces deux derniers sont remplis de plusieurs feuillets entre lesquels la nourriture est serrée, pressée, touchée par beaucoup plus de surface que s’il n’y avait qu’une simple cavité. Les feuillets du troisième viennent de la circonférence vers le centre. Les plus grands en ont d’autres plus petits entre deux. Ceux du quatrième ont entre leurs feuillets plusieurs glandes qui ne se trouvent point dans les trois autres ventricules. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 novembre 1644

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0116

(Consulté le 20/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.