Je vous dirai pour réponse à la vôtre, de laquelle je vous remercie bien fort, que les paranymphes [2] de mon fils [3] ne sont pas imprimés, mais ils ne le seront jamais que vous n’en ayez des premiers. [1] J’ai ici tant d’affaires que je n’ai pas eu loisir d’y penser et votre lettre m’en a fait souvenir. On imprime la table du troisième tome des Conseils de M. de Baillou. [4] Ce livre me déplaît pour le fatras qu’il y a tiré des Arabes [5] et de la pharmacie de ce temps-là ; mais néanmoins, il y a de fort bonnes choses. Quand vous l’aurez, si vous en voulez profiter, n’en lisez que l’index qui sera à la fin, il est fait de telle sorte qu’il vous représentera tout ce qu’il y a de bon en tout l’œuvre et que vous n’aurez pas de regret du temps qu’y aurez employé. [2] On imprime ici un traité de Anima et eius facultatibus, quatenus medicus illas considerat de M. Hofmann, [6] je vous en ferai part dès qu’il sera fait. [3] Je suis bien aise qu’ayez vu, lu et approuvé la thèse de M. Guillemeau ; [7][8] mais n’est-ce pas celle que je vous ai envoyée ? [4] Je suis tout à fait de votre sentiment sur la méthode et sur les remèdes simples, sint pauca, sed bona et selecta, et de quibus maiores nostri fecere periculum. [5] On imprime en Hollande un traité nouveau de M. Vossius [9] de disciplinis et un autre du même que l’on réimprime de Historicis Græcis et Latinis. [6] Cet auteur est un des habiles hommes qui soit aujourd’hui sur terre. On a imprimé depuis peu au même pays un livre nouveau in‑8o sous ce titre, Les Jésuites sur l’échafaud. L’auteur en est un jésuite révolté et retourné, nommé le P. Jarrige, [10] lequel dépouilla la casaque du P. Ignace [11] l’an passé à La Rochelle. [12][13] Il accuse et convainc, par exemples et circonstances requises, là-dedans les sociétaires de faire de la fausse monnaie, [14] de débaucher les femmes à la confession, [15] d’avoir des garces en leurs maisons habillées en valets, de pédérastie [16] et autres crimes pendables. [7] Si quelqu’un de vos marchands a intelligence en Hollande, faites-en venir hardiment car la feinte cabale fera ce qu’elle pourra pour le supprimer ; [8] combien que je croie bien fort que cela n’empêchera pas qu’il ne devienne commun. Il y a en Flandre [17] grosse querelle des médecins contre les apothicaires [18] avec des requêtes imprimées de part et d’autre au roi d’Espagne. [19] Si les médecins veulent, ils auront bientôt ruiné ces fricasseurs d’Arabie. [9] Je ne doute point que n’ayez vu la déclaration du roi que le Parlement a faite et publiée depuis trois jours. [10][20][21] Ils ont envie de faire encore bien mieux l’hiver prochain après la Saint-Martin. Le roi [22] est encore à Saint-Germain, [23] unde dicitur rediturus intra octiduum. [11] Je vous baise les mains, à Mme Belin, à Messieurs vos frères, à M. Sorel, à MM. Camusat et Allen, et suis de toute mon âme et à monsieur votre fils, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 28e d’octobre 1648.
1. |
Le paranymphe médical de Robert Patin, prononcé en 1648, ne fut imprimé qu’en 1663 (v. note [2], lettre 157) ; ce délai est ainsi expliqué dans l’avertissement Benevolo lectori [au bienveillant lecteur] :
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2. |
V. note [47], lettre 152, pour ce troisième livre des Consiliorum medicinalium de Guillaume de Baillou (Paris, 1659) dont Guy Patin avait composé l’Index alphabeticus rerum omnium insigniorum quæ continentur in hoc tertio tomo Consiliorum medicinalium Dom. Guilielmi Ballonii, Doctoris Medici Parisiensis [Index alphabétique de toutes les matières les plus remarquables que contient ce troisième tome des Conseils médicaux de Me Guillaume Baillou, docteur en médecin de Paris] (omis dans la numérisation de Medica). Comme ça n’était pas rare à l’époque, chaque entrée est non pas un simple mot, mais une petite phrase explicative ; par exemple, pour le lait :
Il n’y a pas d’entrée sur les Arabes. Ce qui poussait sans doute Patin à ne pas trop aimer ce livre était sa flatteuse épître dédicatoire (datée de Paris, le 14 janvier 1649, en pleine Fronde) : Illustrissimo et sapientissimo viro D.D. Francisco Vautier, olim Reg. Mariæ Mediceæ archiatro, nunc Regi Ludovico xiv a sanctioribus Consiliis, et archiatrotum comiti, Iacobus Thevart D. Medicus Parisiensis S.P.D. [Jacques Thévart, docteur en médecine de Paris, adresse ses profonds saluts à Me François Vautier, homme très illustre et très sage, jadis premier médecin de la reine Marie de Médicis, maintenant conseiller et premier médecin du roi Louis xiv]. Thévart y dresse les louanges de Vautier pour l’heureuse guérison de la variole du roi en 1647 (v. note [42], lettre 152). Entre autres flagorneries, on y lit (2e page) Tu certe, qui regem Christianissimum ab hoste tam insenso liberasti, auream, qualis est ab Atheniensibus Hippocrati concessa, meruisti [Vous, qui avez libéré le roi très-chrétien d’un ennemi si furieux, avez mérité une auréole semblable à celle que les Athéniens avaient concédée à Hippocrate]. Rien ne signale au lecteur la contribution de Patin à l’index. |
3. |
« de l’Âme et ses facultés, jusqu’au point où un médecin les peut considérer » (v. notes [59] et [60], lettre 150). Caspar Hofmann n’a fait paraître en 1648, à Paris, que l’Institutionum suarum medicarum Epitome… [Abrégé de ses Institutions…] (v. note [26], lettre 150) dont aucune partie ne se rapporte spécifiquement aux facultés de l’âme. |
4. |
Dans sa lettre du 11 juillet 1648 (v. lettre 157), Guy Patin avait en effet annoncé à Claude ii Belin l’envoi de quatre exemplaires de la thèse de Charles Guillemeau sur la Méthode d’Hippocrate (v. note [2], lettre 158) ; il faut croire que Belin avait omis de l’en remercier. |
5. |
« pourvu qu’ils soient peu nombreux, mais bons et choisis, et que les plus grands des nôtres en aient fait l’expérience. » |
6. |
Guy Patin appelait de disciplinis [des sciences] les : Gerardi Ioannis Vossii de quatuor Artibus popularibus, Grammatistice, Gymnatistice, Musice et Graphice, Liber. Guy Patin annonçait aussi la rédition de deux traités :
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7. |
Pierre Jarrige (Tulle 1604-ibid. 26 septembre 1670) était entré dans la Compagnie de Jésus en 1623, avait professé la grammaire, les humanités et la rhétorique au collège de Bordeaux ; mais, blessé que la Compagnie de Jésus n’eût pas assez reconnu et récompensé ses talents, il avait abjuré le catholicisme à La Rochelle pour se faire protestant en novembre 1647. Peu après, menacé par les jésuites, il s’était réfugié en Hollande où ses nouveaux coreligionnaires l’accueillirent froidement ; mais il obtint des États généraux une pension et la promesse d’un pastorat après quatre années d’épreuve. Les jésuites, après avoir vainement essayé de le ramener à eux par des promesses, l’avaient pourtant fait condamner le 17 juin 1648 « à faire amende honorable, tête et pieds nus, en chemise, la corde au col, devant la grand-porte et principale entrée de l’église de Saint-Barthélemy et de celle des pères jésuites de La Rochelle, et ensuite être mené et conduit en la place publique du château pour y être pendu et étranglé à une potence ». Jarrige répondait à cette sentence en publiant trois attaques :
Ces livres produisirent une sensation extraordinaire ; mais en dépit de cet acte d’éclatante rupture, les bons pères finirent par ramener Jarrige à eux par l’entremise du P. Ponthelier, jésuite, attaché à la personne de l’ambassadeur de France à La Haye qui quitta Leyde pour Anvers : P. Jarrige est apud nostros, écrivait le P. Othon Zylius au P. Masset, le 28 mai 1650, Antverpiæ, et Retractationem parat, omni caritate et humanitate exceptus [P. Jarrige est parmi nous, à Anvers, et il prépare sa Rétractation, nous l’hébergeons avec toute la charité et l’humanité possibles]. Après la Rétractation du P. Pierre Jarrige de la Compagnie de Jésus, retiré de sa double apostasie par la miséricorde de Dieu (Anvers, veuve de Jan Cnobbaert, 1650, in‑8o de 130 pages avec, à la fin, deux lettres du P. Jean Ponthelier), on laissa à Jarrige le choix de rentrer dans la Compagnie ou de rester dans le siècle. Il prit ce dernier parti et vécut à Tulle, donnant jusqu’à sa mort des répétitions de rhétorique et de philosophie (Sommervogel). Les Jésuites mis sur l’échafaud est un extravagant brûlot antiloyolite. L’Épître dédicatoire « À très hauts et très puissants seigneurs, messeigneurs les États généraux des Provinces-Unies » mord d’emblée :
Le livre (96 pages) est composé de 13 chapitres :
L’Épître dédicatoire de la Réponse, « À Messieurs les pasteurs et anciens des Églises de la langue française, recueillies ès Provinces-Unies du Pays-Bas », n’est guère plus mesurée que la précédente :
V. note [10], lettre 179, pour l’avis destructeur de Gabriel Naudé sur Les Jésuites mis sur l’échafaud. |
8. |
Feint : « déguisé, apparent, dissimulé » (Furetière). |
9. |
Fricasseur : « apprenti cuisinier qui ne sait encore que tenir la poêle, préparer les viandes d’une manière fort commune » (Furetière). |
10. |
Tirant avantage de la libération triomphale de Broussel, le Parlement avait recommencé à délibérer dans l’intention de casser les décisions du lit de justice du 31 juillet 1648 (v. note [8], lettre 157) et soulager le peuple de l’énorme pression fiscale qu’il lui avait imposée. À la suite des conférences menées, du 25 septembre au 4 octobre, à Saint-Germain entre les princes et les émissaires du Parlement (v. note [1], lettre 175), une déclaration du roi en son Conseil (v. note [1], lettre 168) tranchait, le 22 octobre, en faveur du Parlement contre le Conseil. Elle fut enregistrée au Parlement le 24 octobre et à la Chambre des comptes le 27 novembre suivant.
Mazarin et la reine régente avaient donc entièrement échoué dans leur dessein de ramener le Parlement à sa fonction de tribunal en cessant de se mêler des affaires politiques qui ressortissaient aux compétences du Conseil d’État. « Quand la Fronde se durcirait en blocus de Paris et en guerre civile [janvier-mars 1649], le programme broussélien visant à restaurer la vertu dans le gouvernement royal deviendrait de plus en plus fantasmatique » (Ranum, pages 192‑195). Dans les lettres qui nous restent de lui, Guy Patin n’a pas même mentionné la signature à Osnabrück et à Münster, le 24 octobre, de la paix de Westphalie marquant la fin de la guerre de Trente Ans et l’échec des prétentions de l’empereur à l’hégémonie sur les pays germaniques. La France se voyait confirmer la possession de l’Alsace et des Trois-Évêchés, mais la guerre franco-espagnole continuait. |
11. |
« d’où, dit-on, il doit revenir sous huitaine. » Guy Patin ne savait pas tout, ou se gardait bien de tout dire à Claude ii Belin sur la tension extrême qui étreignait la capitale. Échaudée par les barricades du 28 août et en butte à l’agitation ravivée du Parlement, la reine avait d’abord emmené le roi à Rueil le 13 septembre (Retz, Mémoires, page 351) :
« il était visible que le roi n’était sorti de Paris que pour l’attaquer. » Alors, le 22 septembre (ibid. page 353) :
Ibid. (page 356) :
La cour avait quitté Rueil pour Saint-Germain le 25 septembre et revint à Paris le 30 octobre (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome i, pages 572‑574) :
La déclaration du 22 octobre visait à établir en France rien moins qu’un régime de monarchie parlementaire (André Le Fèvre d’Ormesson, père d’Olivier, Mémoires, cité par Chéruel, longue note 4 qui commence page 581, tome i du Journal d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson) :
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a. |
Ms BnF no 9358, fo 115 « À Monsieur/ Monsieur Belin/ docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no xci (tome i, pages 144‑146) ; Triaire no clxiv (pages 621‑623). |