L. 568.  >
À Claude II Belin,
le 9 juin 1659

Monsieur, [a][1]

Je vous dirai, pour réponse à la vôtre que personne ne doit douter de la paix [2] entre France et Espagne : elle est assurément faite, arrêtée et signée ; l’on dit seulement qu’il y reste quelque chose sur le fait du prince de Condé. [3] L’infante d’Espagne [4] sera notre reine. On dit qu’elle n’est pas fort belle, mais qu’elle a beaucoup d’esprit. Je souhaite qu’elle n’en ait que ce qu’il lui en faut, et pas plus d’ambition que de raison. Pour la publication de la paix, je ne sais quand ce sera, mysterium est[1] aussi bien que les fruits de ladite paix. Personne ne dit quand le peuple en sera soulagé, quand on ôtera les impôts, [5] et quand on diminuera les entrées des villes [6] et la taille. [7] Néanmoins, quoi qu’il en soit, la paix est faite, je vous prie de tenir cela pour tout assuré.

Le roi [8] passera ici la fête du Saint-Sacrement, [9] et après se retirera au Bois de Vincennes, [10] puis après à Fontainebleau. [11] Le cardinal [12] partira d’ici le 24e de juin pour s’en aller à Bayonne [13] conférer pour l’exécution du mariage du roi avec don Louis de Haro, [14] ministre d’État d’Espagne ; et environ deux mois après, le roi même partira pour aller au-devant de sa future femme. [2] Le cardinal en a sa commission signée du roi, de la reine, [15] de M. le chancelier[16] et scellée du grand sceau.

Les augustins ont ici fait force momeries à la mode des moines, [17] ut imperitorum oculis tenebras offundant[3][18] pour relever la tête d’un certain saint prétendu de leur ordre, canonisé depuis peu, frère Thomas de Villanova, [4][19] archevêque de Tolède. On a vu ici leur père général en procession [20] solennelle, qui était venu de Rome.

Nous avons ici perdu, le 3e de ce mois, le bonhomme M. Barralis. [21] Il est mort à l’âge de Platon, [22] 81 ans. Ianus Rhodius, Danus[23] est mort à Padoue [24] âgé de 66 ans. C’est lui qui nous a donné le Scribonius Largus [25] et qui travaillait au Corn. Celsus[5][26] Il a donné tous ses manuscrits et ses livres à un jeune homme danois qu’il avait pensionnaire en son logis.

Les Anglais se mettent en république, ils ont effacé la mémoire et ont ôté la statue de Cromwell : [27] voilà de la graine de Venise et de Hollande, laquelle prend racine en cette île, jusqu’à ce qu’il vienne quelque Catilina [28] qui étouffe la liberté et se rende le maître. [6] Le Thesaurus linguæ Græcæ de Henri Estienne [29] est un fort bon livre, il vaut bien 30 livres[7] Le Cardan n’est pas encore commencé à Lyon, [30] mais on y imprime le Baronius. On fait à Heidelberg [31] le deuxième et le troisième tome des Épîtres de Salmasius, à Altenbourg [32] un tome d’Épîtres latines de Caspar Hofmannus et de Thomas Reinesius[33][34] et à Strasbourg le Manuale medico-practicum Melch. Sebizii[35] Tout cela sera bon. On a depuis peu imprimé en Hollande plusieurs traités de Primerosius [36] et entre autres, une quatrième édition de ses Vulgi erroribus in medicina, augmentée d’un tiers, et un sien traité de Febribus, qui est bon. Alia mox subsequentur[8] Il y a aussi un nouveau livre in‑fo Gul. Pisonis, Historia medica et naturalis Indica[37] On y imprime présentement Astrologia Gallica Ioannis Morini, artium mathematic. professoris regii[9][38] Je ne sais si ce livre sera bon, mais cet homme était fou, je l’ai connu particulièrement les trois dernières années de sa vie. On imprime à Genève un Recueil de thèses latines de feu P. Du Moulin, Rambour, Cappel, de Beaulieu[39][40][41][42] et autres ministres, ce livre sera bien curieux. [10] Voilà ce que je sais, je vous baise les mains, et à Mme Belin, à monsieur votre fils, à M. Sorel, à M. Allen et à nos autres amis. Vale et me ama.

Dabam Parisiis, die Lunæ, 9. Iunii, 1659. [11]


a.

Ms BnF no 9358, fo 174, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cxlii (tome i, pages 239‑241).

1.

« c’est un secret ».

2.

V. note [1], lettre 567, pour le calendrier du roi qui différa un peu de ce qu’en écrivait ici Guy Patin.

3.

« pour mettre un voile de ténèbres sur les yeux des ignorants », Valère Maxime, Faits et dits mémorables (livre vii, chapitre 3, § 9), à propos du consul Caius Sentius Saturninus, contemporain de l’empereur Auguste :

ac tam audaci usurpatione imperii in maxima luce densissimas hostilibus oculis tenebras offudit.

[et par une si audacieuse usurpation du pouvoir, il mit en plein jour, sur les yeux de ses ennemis, comme un voile d’épaisses ténèbres].

4.

Thomas de Villeneuve, v. note [6], lettre 566.

5.

V. notes [35], lettre 6, pour Barthélemy Barralis, et [1], lettre 205, pour le Scribonius Largus (Padoue, 1655) de Johannes Rhodius, médecin danois [Danus] de Padoue ; son édition de Celse, inachevée, n’a pas été publiée (v. note [2], lettre latine 127).

6.

V. note [8], lettre 567 ; redevenue république après la fin du protectorat, l’Angleterre retrouvait le régime en vigueur à Venise et en Hollande (Provinces-Unies).

7.

Thesaurus Græcæ linguæ [Trésor de la langue grecque] de Henri Estienne] (Genève, 1572, v. note [31], lettre 406).

8.

« d’autres suivront bientôt. »

V. notes :

9.

V. note [6], lettre 543, pour l’« Histoire médicale et naturelle de l’Inde » de Willem Piso (Amsterdam, 1658).

On était en train d’imprimer :

l’Astrologia Gallica principiis et rationibus propriis stabilita, atque in xxvi libros distributa. Non solum astrologiæ iudiciariæ studiosis, sed etiam philosophis, medicis, et theologis omnibus pernecessaria : Quippe multa complectens eximia ad scientias illas spectantia. Opera et studio Ioannis Baptistæ Morini, apud Gallos e Bellejocensibus Francopolitani, Doctoris Medici, et Parisiis Regii Mathematum Professoris. Ejus anagramma : Mira sapiens uni bono stat]

[Astrologie française affermie sur ses principes et raisons propres, et répartie en 26 livres. Très nécessaire non seulement pour ceux qui étudient l’astrologie judiciaire, mais aussi pour tous les philosophes, médecins et théologiens ; embrassant certainement beaucoup de choses qui concernent ces sciences. Par les soins et l’étude de Jean-Baptiste Morin, {a} natif de Villefranche dans le Beaujolais, docteur en médecine et professeur royal de mathématiques. Mira sapiens uni bono stat {b} est son anagramme]. {c}


  1. V. note [4], lettre 185.

  2. « Le sage, pour unique bonne action, protège les merveilles », anagramme latin de Ioannes Baptista Morinus.

  3. La Haye, Adrianus Vlacq, 1661, in‑fo de 784 pages ; ouvrage dédié à Ludovicæ Mariæ Dei gratia Reginæ Poloniæ, Suetiæ, etc. Magnæ Duci Lithuaniæ, Russiæ, Prussiæ, Masoviæ, Czernihovæ, Livoniæ, Smolensko, etc. natæ Principi Mantuæ, Montisferrati, Niverniæ, etc. Duci Opoliæ et Ratiboriæ [Louise-Marie (dite la princesse Marie, v. note [11], lettre 18), par la grâce de Dieu reine de Pologne, Suède, etc., duchesse de Lithuanie, Russie, Prusse, Mazovia, Tchernihiv, Livonie, Smolensko, etc., et par sa naissance, princesse de Mantoue, Montferrat, Nivernais, etc., et duchesse d’Opole et Raciborz]. Bayle (note K) :

    « Ce n’est qu’un volume in‑fo, divisé en 26 livres. L’auteur avait employé trente ans à le faire. Il espérait de le voir sortir de dessous la presse car il en avait déjà envoyé les 14 premiers livres au libraire de Hollande qui le devait imprimer ; la mort survint là-dessus et faucha cette espérance. Il y a deux épîtres dédicatoires dans ce volume : l’une est de l’auteur à Jésus-Christ, l’autre d’un anonyme à la reine de Pologne, Louise-Marie de Gonzague. Cette princesse anima Morin à ce grand travail et paya les frais de l’impression. […] Pendant qu’on parlait de la marier avec un prince, Morin assura que ce mariage ne se ferait pas et qu’elle était destinée à épouser un monarque. Ce fut l’une de ses plus belles prédictions. »


10.

V. note [11], lettre 541, pour le recueil des thèses théologiques protestantes de Sedan.

Guy Patin annonçait la nouvelle édition en 2 tomes in-fo de Paolo Zacchias (v. note [18], lettre 279), parus à Lyon chez Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1661, achevés d’imprimer le 14 décembre 1660 :

11.

« Vale et aimez-moi. Je donnais cette lettre à Paris le lundi 9e de juin 1659 », sans signature.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 9 juin 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0568

(Consulté le 26/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.