Nous n’avons rien ici de nouveau depuis l’élection du roi de Pologne, [2] sinon que M. le Dauphin [3] est malade à Saint-Germain. [4] Il a été saigné [5] trois fois. J’ai peur pour ce petit prince qui nous est fort nécessaire, car il est à craindre que ce ne soit la petite vérole. [6] J’espère que Dieu le conservera pour le besoin que nous en avons. [1] J’apprends que quelqu’un a fait l’Histoire de la régence, je ne doute point que ce ne soit quelque fin et rusé écrivain ; mais comme on allait commencer l’édition de l’Imprimerie du Louvre, [7] l’on a changé de dessein et cela est remis pour une autre fois. Peut-être que notre siècle n’est point encore capable de tant de vérités qui doivent être révélées là-dedans, toutes choses ont leur raison. L’Histoire des guerres d’Italie de Guichardin [8] est un fort beau livre, mais il ne la voulut pas faire imprimer de son vivant, et même ne le fut-elle que longtemps après. L’Histoire de M. le président de Thou [9] est belle et plus que belle, mais elle déplut si fort au cardinal de Richelieu [10] qu’il en fit perdre la vie au fils aîné de l’auteur, [11] qui était un fort honnête homme ; et cela pour un passage d’Antoine du Plessis de Richelieu, [12] qui est dans le premier tome sous François ii, [13] l’an 1560, après qu’il a parlé de la conspiration d’Amboise [14] où fut tué La Renaudie, [15] qui en était le chef et qui par sa faute, fut lui-même la cause de son malheur et de plusieurs autres. Ce passage commence ainsi : Antonius Richelius vulgo dictus Monachus, etc. [2] L’Histoire de Guichardin a été écrite en italien, mais la meilleure traduction française est en deux tomes in‑8o de Genève. [3] Vivent Tite-Live [16] et Corneille Tacite, [17] avec Suétone, [18] et pour les modernes, l’illustre M. de Thou, Guichardin et Buchanan. [19] Faisons-y le septénaire entier et y ajoutons l’Histoire du concile de Trente de Fra Paolo. [20] Je suis à son égard de l’avis des Vénitiens, quoi qu’en disent les jésuites et le cardinal Pallavicino. [4][21][22]
L’on dit ici que M. le duc Mazarin [23] n’est plus grand maître de l’Artillerie, que le roi [24] a revêtu de cette charge le comte du Lude, [25][26] qui était grand maître de la garde-robe, en la place duquel il a mis M. le marquis de Gesvres [27] qui était premier capitaine des gardes ; [5] en sa place, le roi a établi M. de Péquelin. [28] La cour est un pays où l’on joue tous les jours à boute-hors, [6] et à prendre la place de son compagnon.
On dit que la maladie de M. le Dauphin a rendu le roi fort chagrin, et même la diversité d’opinion de ses médecins les a rendus ridicules. Sidonius Apollinaris [29] a remarqué la même chose, car il a dit quelque part, Consentientes et dissentientes medicos, minutæ controversiæ quibus ægri non indigent, utpote quæ nihil faciunt ad depulsionem morborum. [7] Il y en a un qui a proposé au roi la saignée du pied, mais il la refusa et s’en moqua. Il se porte présentement un peu mieux, c’était une fièvre continue [30] avec assoupissement, qui faisait soupçonner quelque malignité ; il a été saigné quatre fois. Dieu lui donne les années de Nestor ! [8][31] Vale.
De Paris, ce 31e de juillet 1669.
Du Four (édition princeps, 1683), no clxx (pages 460‑463) ; Bulderen, no ccccxciv (tome iii, pages 316‑318) ; Reveillé-Parise, no dcclxxxvi (tome iii, pages 698‑700).
Le dauphin (1661-1711) est réputé être mort de la petite vérole (variole), maladie qui ne s’attrape, en principe, qu’une fois.
Saint-Simon (Mémoires, tome iv, page 56) :
« Ce prince allant, comme je l’ai dit à Meudon, le lendemain {a} des fêtes de Pâques, rencontra à Chaville un prêtre qui portait Notre-Seigneur à un malade, et mit pied à terre pour l’adorer à genoux avec Mme la duchesse de Bourgogne. Il demanda à quel malade on le portait, il apprit que ce malade avait la petite vérole. Il y en avait partout quantité. Il ne l’avait eue que légère, volante, et enfant ; il la craignait fort. Il en fut frappé et dit le soir à Boudin, son premier médecin, qu’il ne serait pas surpris s’il l’avait. » {b}
- 6 avril 1711.
- Monseigneur tomba malade le lendemain et mourut le 14 avril.
La « variole » de Monseigneur en 1669 n’avait probablement été qu’une varicelle (variole dite volante au xviiie s., v. note [2], lettre 918) ou quelque autre maladie éruptive de l’enfance ; mais il est tout de même surprenant que, dans ses lettres ultérieures, Guy Patin ne l’ait pas dit guéri avant décembre 1670 : force est alors d’évoquer une infection plus sérieuse, telle une tuberculose.
Guy Patin revenait au passage de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou sur Antoine du Plessis {a} (livre xxiv, règne de François ii, mars 1560, Thou fr, volume 3, page 490‑491), qui aurait valu à son auteur la haine de Richelieu allant jusqu’à faire exécuter son fils aîné, François-Auguste de Thou : {b}
« On mit aussi en arrêt le prince de Condé {c} qui était dans le château, {d} et l’on lui défendit de sortir de la cour sans la permission du roi. {e} Il eut assez de prudence pour dissimuler {f} sagement cette injure. Le roi créa alors une nouvelle compagnie d’arquebusiers pour la garde de sa personne, et en donna le commandement à Antoine du Plessis de Richelieu, vulgairement appelé le moine, parce qu’il l’avait effectivement été, et qui, ayant renoncé à ses vœux, avait mené depuis une vie licencieuse et dissolue. {g} Les uns disaient que les Guise {h} avaient institué cette milice pour la sûreté de la personne du prince ; mais les autres pensaient qu’ils n’avaient songé en effet qu’à leur propre conservation. Alors on commença à interroger les coupables, dont plusieurs furent jugés et exécutés à la hâte. On en pendit dans la nuit plusieurs aux créneaux des murs du château ; d’autres furent noyés, de crainte qu’un spectacle plein d’horreur n’excitât le peuple à la pitié ; quelques-uns furent traînés au supplice durant le jour sans aucune inscription qui désignât leur crime, sans qu’on sût leur nom et sans que le bourreau, contre l’usage ordinaire, dît un seul mot. La Loire était couverte de cadavres, le sang ruisselait dans les rues et les places publiques étaient remplies de corps attachés à des potences. Les chefs furent jugés les derniers. On voulait, à force de tourments, {i} leur faire révéler leurs complices. » {j}
- V. note [13], lettre 77, pour cette précédente mention d’Antoine du Plessis, grand-oncle du cardinal-ministre, par de Thou dans son récit de la conjuration d’Amboise (v. notes [13], lettre 113).
- V. note [13], lettre 72.
- Louis ier de Condé (v. note [16], lettre 128), oncle du futur roi Henri iv et meneur occulte du parti calviniste, qui commençait à menacer sérieusement la Couronne très-chrétienne.
- Les historiens modernes nient la présence de Condé dans le château d’Amboise au moment du tumulte. Il ne fut arrêté que le 31 octobre 1560, en venant voir le roi qui l’y avait invité par un courrier.
- François ii.
- Prétendre n’en faire aucun cas.
- Mise en italique du passage auquel renvoyait Guy Patin, dont le latin original est :
Instituta et nova equitum scloppetariorum custodia, quibus præpositus est Antonius Plessiacus Richelius, vulgo dictus Monachus, quod eam vitam olim professus fuisset, dein, voto ejurato, omni se licentiæ ac libidinis genere contaminasset.- François ier de Lorraine, duc de Guise (v. note [156], lettre 166), et son frère Charles, cardinal de Lorraine (v. première notule {g}, note [21] du Borboniana 5 manuscrit), les meneurs du parti catholique.
- Par la torture.
- La mort naturelle de François ii, le 5 décembre 1560, sauva la tête de Condé et mit un coup d’arrêt à la suprématie des Guise.
V. note [13], lettre 113, pour Godefroi de Barry, seigneur de La Renaudie, bras armé de cette conspiration (ou tumulte) d’Amboise.
Histoire des Guerres d’Italie, {a} composée par M. François Guichardin, {b} gentilhomme florentin, et traduite d’italien en français par Jérôme Chomedey, Parisien. Nouvelle édition, diligemment revue et corrigée, à laquelle ont été ajoutées les Observations politiques, militaires et morales du sieur de La Nouë. {c} Autres observations recueillies des instructions et avis du même seigneur. Deux amples indices contenant, par ordre alphabétique, les maximes de Guichardin et celles du sieur de La Nouë. {d}
- En 20 livres, couvrant les années 1492-1532.
- Lodovico Guiccardini, mort en 1589, v. note [10‑3] du Naudæana 3.
- François de La Nouë, dit Bras de Fer, le Bayard Huguenot, mort en 1591, v. note [4], lettre 653.
- Sans lieu [Genève], héritiers d’Eustache Vignon, 1593, in‑8o : tome premier (806 pages) ; tome second (757 pages). La première édition de cet ouvrage, qui en a connu de nombreuses, avait paru en italien à Florence en 1561.
V. notes [2], lettre 421, et [4], lettre 722, pour la réplique, en italien (Rome, 1634) puis en latin (Anvers, 1670), du cardinal jésuite Francesco Maria Sforza Pallavicino à Fra Paolo Sarpi pour son Histoire du concile de Trente (Londres, 1619, pour la première de nombreuses éditions et traductions, v. note [13], lettre 467).
V. notes [7], lettre 953, pour la démission du duc Mazarin, Armand-Charles de La Meilleraye, et [35], lettre 508, pour Henri de Daillon, comte du Lude.
Léon Potier (1620-1704), marquis puis duc de Gesvres, était le fils de René Potier, comte puis duc de Tresmes (v. note [20], lettre 216), et frère cadet de Louis, mort en 1643 au siège de Thionville (v. note [2], lettre 89). Premier capitaine des gardes en survivance de son père, en 1651, Léon était alors promu premier gentilhomme de la chambre. En 1670, à la mort de son père, il devint duc, mais le duché de Tresmes prit alors le nom de duché de Gesvres.
Saint-Simon (Mémoires, tome i, pages 677‑678) a dépeint sa fatuité et son caractère exécrable :
« Ce vieux Gesvres était le mari le plus cruel d’une femme de beaucoup d’esprit, de vertu et de biens, qui se sépara de lui, et le père le plus dénaturé d’enfants très honnêtes gens qui fut jamais. […] Ses équipages étaient superbes en chevaux, en harnais, en voitures, en livrées, qui se renouvelaient sans cesse, et ses écuries pleines des plus rares chevaux de monture, sans en avoir jamais monté un depuis plus de trente ans ; son domestique prodigieux, ses habits magnifiques et ridicules pour son âge. Quand on lui parlait de ses grands revenus, du mauvais état de ses affaires malgré sa richesse, du désordre de sa maison, et de l’inutilité et de la folie de ses dépenses, il se mettait à rire et répondait qu’il ne les faisait que pour ruiner ses enfants. Il disait vrai, et il y réussit complètement. »
« Médecins qui sont de même avis et d’avis contraire : chétives controverses dont les malades n’ont pas besoin puisqu’elles ne font rien pour chasser les maladies » : v. note [5], lettre 802, pour le propos exact, nettement plus acerbe, de Sidonius Apollinaris, dont Guy Patin (ou son éditeur) n’a repris ici que quatre mots, Consentientes et dissentientes medicos.