[Ms BIU Santé no 2007, fo 183 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Sebastian Scheffer, à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
Je réponds aux deux vôtres. Quand l’hiver sera terminé, je m’occuperai de la lettre dont vous avez besoin pour le très noble et très généreux M. von Vorburg ; [2] je sais pourtant que je n’ai guère coutume de m’immiscer auprès d’aussi grands hommes que Conring, [3] Boeler et autres, ne videar ignarus argutos inter strepere anser olores. [1][4] M. Du Clos m’a bien fait parvenir votre paquet, [5] et je vous en remercie. Je salue votre Götze, [6] à qui j’enverrai, par l’entremise de Sebastian Switzer, [7] ce que j’ai pour aider à la réimpression des livres du très distingué Hofmann de Medicamentis officinalibus, [8] ainsi que ses manuscrits de Humoribus, de Partibus, etc. [9] Je m’occuperai avec M. Du Clos, qui est de présent à Paris, du miroir que je dois envoyer dans votre pays ; comme je souhaiterais que vous l’eussiez ! [2][10] Il en va de même pour les ouvrages que vous m’avez demandés et qui sont tous aujourd’hui très rares, tant nos libraires sont inactifs. [11] On évalue à 16 livres tournois les Dionis Chrysostomi (ou de Pruse) Opera Græcolatina, in‑fo, 1604, [12] et à 30 livres tournois, les deux tomes de Libanios le Sophiste. [13] Ces trois tomes, publiés à Paris, sont excellemment reliés ; je n’ai pourtant rien conclu sur le prix qui me semble excessif, c’est à vous d’y réfléchir et d’en décider. Les S. Ioannis Chrysostomi Opera omnia Græcolat. [14] dans l’édition de Paris en 11 tomes in‑fo, mais reliés, sont estimées 150 livres tournois, soit 50 écus, ou 50 thalers ; [15] mais je ne sais ce que vous décideriez d’un tel prix, voyez donc et écrivez-moi ce que vous en dites. [3] Je vous dirai peu de choses sur l’état présent, public et politique, de nos affaires. Après bien des retardements et des renvois, Fouquet, jadis notre surintendant des finances, a enfin échappé à la corde par indulgence du tribunal qui n’a pas été totalement unanime : il avait 22 juges, dont neuf l’ont condamné à mort, les 13 autres l’ont puni d’exil. [16] [Ms BIU Santé no 2007, fo 184 ro | LAT | IMG] Quand notre roi a appris cette sentence, bien qu’inattendue pour beaucoup de gens, après avoir pris le conseil des sages, il a aussitôt, c’est-à-dire en deux heures, commué la peine en exil perpétuel. [17] Deux jours plus tard, cent cavaliers l’ont sorti de prison pour le mener dans une ville du nom de Pignerol, en Piémont ; [18] mais cette place appartient à notre Couronne, qui l’a rachetée au duc de Savoie. [19] Hormis Dieu, nul ne sait combien de temps on l’y retiendra. [20] On parle ici de la reine mère, Anne d’Autriche, qu’on dit être atteinte d’un ulcère cancéreux au sein gauche, [21] avec épuisement du corps tout entier, qui font les marches par lesquelles on s’en va vers le repos éternel. La jeune reine se rétablit. [22] Notre premier né, le petit roi du Dauphiné, la seconde espérance de notre peuple, a une santé d’athlète. [23] Puisse Dieu nous le conserver pendant de nombreuses années, {et que jamais il ne succède à son très auguste père sans être devenu fort avisé et avancé en âge, c’est-à-dire parfaitement apte à régner sur la France. Je dirai avec Martial, au sujet du fils de Domitien, epigr. 3, libri 6 : [24][25]
Nascere Dardanio promissum nomen Iulo,
Vera Deum soboles, nascere, magne puer :
Cui pater æternas post sæcula tradat habenas,
Quique regas orbem cum seniore senex, etc.} [4]
Une très sombre guerre est imminente entre les Anglais et les Hollandais, pour la domination de la mer. [26] Trois de nos anciens docteurs sont ici partis dans l’au-delà ; je les suivrai moi aussi, mais je serai vôtre tant que je vivrai. Comme font mes deux fils, [27][28] je salue votre très distingué père, [29] ce vénérable vieillard, ainsi que MM. Horst, [30] Lotich, [31] votre Götze et nos autres amis. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.
De Paris, ce jeudi 29e de janvier 1665.
Vôtre de tout cœur, Guy Patin.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fos 183 vo‑184 ro.
« pour ne pas sembler une oie une oie qui cacarde parmi les cygnes raffinés » (Virgile, v. note [19], lettre de Charles Spon, datée du 20 mars 1657).
Boelerus n’est le nom latinisé d’aucun professeur allemand que j’aie su identifier, à Helmstedt ou ailleurs.
V. note [4], lettre latine 398, pour le motif de la recommandation que Franz Johann Wolfgang von Vorburg attendait de Guy Patin.
Avec l’aide éditoriale de Sebastian Scheffer, l’imprimeur de Francfort Thomas Matthias Götze commençait de travailler aux Opuscula medica [Opuscules médicaux] de Caspar Hofmann (parus en 1667, v. note [14], lettre 150), qui allaient contenir la réédition des deux livres « des Médicaments officinaux » (Paris, 1646, pour la première parution), avec deux de ses trois traités inédits, « de la Chaleur innée » et « des Parties similaires (du corps humain, v. note [7], lettre 270) » ; le troisième, « des Humeurs », n’a jamais vu le jour.
V. note [2], lettre latine 296, pour l’achat d’un miroir destiné à l’épouse de Scheffer.
Guy Patin citait ici trois éditions que Sébastian Scheffert désirait se procurer.
[Les 77 préludes oratoires, les 45 déclamations et les dissertations morales de Libanios le Sophiste. Frédéric Morel, professeur roya, {a} les a édités pour la première fois, principalement tirés des manuscrits de la Bibliothèque royale, et les a traduits en latin. On y a ajouté des notes et divers commentaires, avec deux très riches index] ; {b}
[Second tome des œuvres de Libanius le Sophiste {c} : 36 discours qui contiennent les secrets jusqu’ici ignorés de l’Histoire Auguste depuis Constantin le Grand jusqu’à Théodose le Grand, ainsi que des principes de jurisprudence et d’éducation des enfants. S’y ajoutent de nouveaux monologues, invectives et descriptions. Tous ces textes grecs paraissent pour la première fois, tirés en partie de la Bibliothèque royale, en partie de la Vaticane et de la Palatine, et d’autres aussi. Frédéric Morel, doyen des professeurs royaux, les a colligés, corrigés, traduits en latin et enrichis de notes…]. {d}
Martial (Épigrammes, livre vi, iii, vers 1‑4) :
« Parais sur la terre, toi à qui est promis le renom du Troyen Iule, {a} véritable rejeton des dieux, parais, illustre enfant ! Après de longues années, ton père te remettra les rênes d’un empire éternel, et tu gouverneras le monde, qui verra Antiloque déjà vieux régner avec Nestor, etc. » {b}
- Iule est l’autre nom d’Ascagne, fils d’Énée (v. note [14], lettre d’Adolf Vorst, datée du 4 septembre 1661) et de Créuse, fille de Priam (v. note [19], notule {d}, du Grotiana 1). L’empereur Domitien n’eut qu’un fils, mort à l’âge de trois ans.
- Antiloque, fils de Nestor, roi de Pylos (v. note [31], lettre 146), fut tué par Hector en voulant parer le coup que Memnon allait porter à son père. L’épigramme se termine par ces deux vers :
Ipsa tibi niveo trahet aurea pollice fila
[Julie en personne, {i} de ses doigts blancs comme la neige, allongera la trame d’or de tes années, et filera pour toi la toison entière du bélier de Phryxos]. {ii}
et totam Phrixi Iulia nebit ovem.
Les accolades signalent que, dans le manuscrit, en se relisant, Guy Patin a barré de quatre traits verticaux ces vers et les deux lignes qui les précèdent. Il dut juger ambigu le parallèle qu’il établissait entre Louis xiv et le despotique et cruel empereur Domitien (v. notes [8], lettre 851, et [5], lettre 909).
Ms BIU Santé no 2007, fo 183 vo.
Cl. viro D. Seb. Scheffero, Francofurtum.
Duabus tuis sic respondeo, Vir Cl. De Epistola quam requiris pro nobiliss. ac
generosissimo viro D. à Vorburg, posthac videbo, extincta hyeme : licet meum esse non
agnoscum, tantis viris Conringio, Boelero et alijs immisceri, ne videar ignarus argutos inter
strepere anser olores. Fasciculum illum tuum per D. du Clos transmissum rectè accepi,
pro quo gratias ago : Gotzium vestrum saluto, ad quem mittam per Seb. Switzerum quæ habeo
pro recudendo libro Cl. Hofmanni, de Medicamentis Officinalibus : ut et MS. Hofm ejusdem de Humoribus,
de partib. etc. De Speculo ad vos mittendo, agam cum D. du Clos, qui nunc est Parisijs : quod
utinam haberes ! ut et de libris quæsitis, qui omnes sunt hodie rarissimi, adeo frigent nostri Biblio-
polæ. Dionis Chrysostomi (ille idem est cum Prusæo) opera Græcolatina in
fol. 1604. æstimantur 16. libellas Turonenses : Libanij Sophistæ in 2. tomis,
æstimantur 30. lib. Turonenses : editio est Paris. tres illi tomi sunt optime compacti :
neque nihil tamen conclusi de pretio quod mihi videtur immodicum ; Tu vide, ac decerne. S. Ioannis
Chrisostomi Opera omnia Græcolat. edit. Paris. xi. tomis in fol. sed compactis, æstimantur
150. lib. Turonenses : i. 50. escus : aut 50. Imperiales. Sed nescio quid velis de tali pretio :
vide igitur, et scribe quod sentias. De publico et politico rerum nostrarum statu præsenti,
dicam paucis. Fuquetus, noster olim Gazophylax, tandem post multas moras et compe-
rendinationes, multorum Iudicum indulgentia, non admodum æqua, laqueum evasit :
habebat 22. Iudices, ex quib. novem ad mortem damnarunt : alij tredecim eum exilio multarunt :
Ms BIU Santé no 2007, fo 184 ro.
quo judicio audito, quamvis à multis non expectato, Rex noster, capto cum sapientibus statim, i. post bihorium, exilij pœnam commutavit in exilium perpetuum, et post biduum
consilio,
per centum equites abductus fuit è carcere in urbem quandam dictam Pignerol, in Pedemontana
regione : sed illa Urbs pertinet ad Regem nostrum, per emptionem factam ex Duce Sabaudiæ :
quamdiu sit illic hæsurus, nemo novit præter Deum. Hîc agitur de Regina Matre, Anna
Austriaca, quæ laborare dicitur in mamma sinistra, cancro ulcerato, ^ cum totius corporis. extenuatione. quib. gradibus itur in
requiem sempiternam. Iunior Regina convalescit. Primogenitus noster, Delphinatium
regulus, nostræ spes altera gentis, pancraticè valet : servet eum Deus in multos annos :
nec unquam nisi valde prudens et provectæ ætatis, i. regendæ Galliæ peritissimus, maximo
Patri succedat : Dicam cum Martiale, de filio Domitiani, epigr. 3. libri. 6.
Nascere Dardanio promissum nomen Iulo,
Vera Deûm soboles, nascere, magne puer :
Cui pater æternas post sæcula tradat habenas,
Quique regas orbem cum seniore senex. etc.
Inter Anglos et Batavos gravissimum bellum imminet, super maris dominio. Hîc tres
è nostris senioribus, ad plures abierunt ; Ego v. sequar, sed quamdiu superstes ero, tuus ero.
Saluto Cl. Parentem, venerandum Senem, ut et ambo Filij mei : unà cum D. Horstio,
Lotichio, Gotzio vestro, Beyero, et alijs amicis. Vale Vir Cl. et me ama. Parisijs,
die Iovis, 29. Ianu. 1665.
Tuus ex animo, Guido Patin.