L. 156.  >
À Charles Spon,
le 29 mai 1648

Codes couleur
Citer cette lettre
Imprimer cette lettre
Imprimer cette lettre avec ses notes

×
  [1] [2] Appel de note
  [a] [b] Sources de la lettre
  [1] [2] Entrée d'index
  Gouverneur Entrée de glossaire
×
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 mai 1648

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0156

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Depuis ma grande lettre du 8e de mai, je vous dirai que le lundi ensuivant, 11e de mai, M. le duc d’Anjou [2] frère du roi, a été baptisé dans le Palais-Cardinal [3] en présence de la reine [4] et de toute la cour, et a été nommé Philippe de France. Son parrain a été M. le duc d’Orléans, [5] son oncle, et la marraine, la reine d’Angleterre, [6] sa tante. [1] On ne parle ici que de moyens d’avoir de l’argent et même les plus grands ne songent à autre chose. M. le premier médecin [7] se plaint qu’il n’est pas assez riche (ce n’est pas que je le hante ni le voie, c’est lui qui l’a dit à un de mes amis qui est le sien), combien qu’il ait plus de 25 000 écus de rente, tant de ce qu’il a de sa charge, de son abbaye et du revenu de l’argent qu’il a en banque, que de ce qu’il gagne encore tous les jours avec les courtisans (j’entends ceux qui ont encore bonne opinion de lui ; plures enim quibus pulchre innotuit ab eo abstinent, propter infaustum et infelicem successum quem in multis viderunt ex illius stibio). [2][8] Il dit qu’il ne sera pas content s’il ne lui vient encore un bon bénéfice de 20 000 livres de rente. Cet ami lui dit qu’il se devait contenter de tant de biens qu’il avait, qu’il n’était chargé ni de femme, ni d’enfants, et qu’ayant déjà une abbaye, il ne devait pas souhaiter d’avoir davantage de bien d’Église. M. Vautier lui répondit sur-le-champ qu’il ne se tenait point la conscience chargée, ni son âme en danger pour le bien qu’il avait, et qu’il ne serait pas plus tôt damné pour trois abbayes que pour une. On dit que M. le Mazarin [9] même manque d’argent. Un trésorier de la Marine [10] nommé Boucher d’Essonville, sieur du Bouchet, [11] a été ici depuis peu ruiné, et obligé de faire une grande et malheureuse banqueroute, [12] faute de lui avoir voulu fournir et avancer une somme notable pour l’armée que nous envoyons en Italie. Il a pour ses raisons allégué et remontré que le roi lui devait beaucoup ; mais nonobstant tout cela, tout son bien a été saisi, sa charge de trésorier de la Marine, ses maisons de la ville et sa belle maison Parlementdes champs ; et tout cela par ordre exprès du dit sieur Cardinal. Talia cum domini faciant, quid de aliis sperandum ? [3] Je m’étonne comment on n’a pas même saisi sa femme, qui est belle, bonne et grosse. Il n’y a pas longtemps qu’un auditeur des comptes nommé M. Nivelle [13] fit banqueroute aussi ; [14] et tout fraîchement, c’est-à-dire depuis trois jours, un trésorier des Parties casuelles, [4][15] nommé Sanson, [16][17] en a fait autant. Et pour vous montrer qu’il est vrai que res humanæ faciunt circulum[5] comme il a autrefois été dit par Platon [18] et par Aristote, [19] celui-là s’en retourne d’où il vient : il est fils d’un paysan de cinq lieues d’ici, il a été laquais de son premier métier, et aujourd’hui il n’est plus rien, sinon qu’il lui reste une assez belle femme que j’ai autrefois traitée malade ; elle est fille d’un tailleur qui était fort riche. Notre armée de Flandres [20] s’en va assiéger Ypres. [6][21][22] Si nous sommes assez heureux de la prendre, elle nous donnera grand avantage sur Saint-Omer [23] et sur Aire [24] . Le droit annuel [25] qui avait été accordé aux cours souveraines [26] a été révoqué par le roi, voyant l’union que les cinq corps ont faite ensemble, savoir le Parlement, les maîtres des requêtes, le Grand Conseil, la Chambre des comptes et la Cour des aides[27] pour tâcher d’empêcher qu’on ne leur arrête leurs gages, comme M. d’Émery, [28] surintendant des finances, a voulu faire. [7] Les cours souveraines des bonnes villes de France ont aussi envoyé leurs députés pour tâcher de se maintenir dans leurs droits en s’adjoignant à ceux de deçà.

Ce 19e de mai. On a aujourd’hui rompu à la Grève [29] deux insignes voleurs de grand chemin, [30] dont l’un des deux a avoué qu’il avait tué plus de 30 hommes. J’ai céans un petit paquet de la part de M. Moreau [31] à vous faire tenir, que j’emballerai dans le mien, qui n’est guère gros, dès que j’aurai reçu Epistolas Grotii [32] qui nous viennent de Hollande et que nous attendons tous les jours, [8] lesquelles je vous veux envoyer, tant à cause de leur nouveauté que pour ce que je n’ai rien autre chose à vous faire part de deçà. On dit ici que M. de La Rivière, [33] grand favori de M. le duc d’Orléans, s’en va être cardinal ; que la reine et M. le Mazarin en sont d’accord. [9] On dit que dans Londres il y a du bruit et que plusieurs malcontents se remuent pour le roi [34] contre les parlementaires. [35] Je doute si par ci-devant je vous ai mandé que la semaine de la Passion, pénultième du carême passé, je présentai mon fils aîné [36] à l’examen, [37] lequel fut reçu avec six autres le samedi, veille de Pâques fleuries, avec grande satisfaction de notre Faculté, laquelle me témoigna du gré et du contentement de la peine que j’avais prise de l’instruire. Il était le plus jeune de tous et néanmoins, il contenta autant que pas un ses examinateurs [38] et laissa fort bonne opinion de l’avenir à tous nos docteurs. Utinam evadat in virum bonum et eruditum medicum[10] Je lui souhaite ces qualités afin qu’il ait l’honneur de vos bonnes grâces et qu’il soit, comme j’espère qu’il sera un jour, votre très humble serviteur. Je ne le nourrirai et élèverai qu’à cette intention, et ne vous demande vos bonnes grâces pour lui qu’en tant qu’il les méritera. Il est encore tout jeune ; il pourra quelque jour vous aller voir à Lyon, d’autant que j’ai envie qu’il pérégrine un peu avant que de l’arrêter tout à fait de deçà ; mais ce ne sera pas qu’après qu’il sera docteur. Fiat, fiat[11] J’ai reçu un petit mot de lettre de M. Hofmann [39] par la voie de M. Picques [40] qui n’a pas laissé d’être six semaines en chemin, et lui ai fait réponse aussitôt, dont je vous envoie une copie afin que vous reconnaissiez et sachiez en quel état sont nos affaires. J’honore fort le bonhomme et voudrais bien le pouvoir servir, mais cela ne se peut point contre vent et marée ; il faut avoir patience et se passer des commodités qui se présentent puisqu’il n’y a point d’autres remèdes qu’après qu’il aura plu à Dieu de nous donner sa paix.

Ce 25e de mai. Pour la vôtre que je reçus hier, datée du 19e de mai, je vous en remercie. Il y a huit jours entiers que je suis embarrassé près de ma belle-mère, [41][42] laquelle a été fort malade d’une pleurésie, [43] dont elle est Dieu merci quitte, moyennant quatre saignées [44] qu’elle a fort bien portées, combien qu’elle ait bien près de 80 ans. Le bonhomme [45] n’en a guère moins, et sont tous deux à la veille de me laisser pour ma part une succession de 20 000 écus, et vir sapiens non abhorrebit[12][46] J’aurai alors un peu meilleur moyen de servir M. Hofmann comme je voudrais, que je n’ai pour le présent. Je vous envoie une copie de ma dernière que je lui ai écrite. Voyez s’il y a de ma faute, je vous en fais juge. Si vous voulez que je le traite autrement, je m’y offre et en ferai tout ce qu’il vous plaira si modo præscribas agendi modum et legem cum tanto viro et tam venerando sene ; [13] s’il ne tient qu’à de l’argent, je suis prêt d’en donner tout comptant, modo mittat Χρηστομ. παθολ. [14] que je puisse mettre avec les physiologiques et en faire un bon volume, qui sera profitable au public et honorable à son auteur ; et aurai soin aussi qu’il y ait du profit pour lui afin qu’il ne prenne occasion de dire Cum labor in damno est crescit mortalis egestas ; sponsorem enim me constituo legitimi honorarii[15][47] Si vous jugez tout ce que je vous écris à propos, vous m’obligerez de lui mander. Je suis bien aise qu’ayez reçu le paquet de livres par MM. Rigaud, [48] et vous remercie de la peine qu’avez eue de délivrer à Messieurs vos trois collègues ce qui leur était destiné. J’ai vu et vous renvoie l’épître que M. Hofmann vous a faite, quænam sint illæ Χρηστομ. τεχνολ. Hofmanni, plane nescio[16][49] Ce n’est pas grand’chose que cette épître. Considérant ce que vous lui êtes, il vous devait faire une plus belle et plus longue épître et dire qu’il avait bien de l’obligation à ses muses qui lui avaient fait un tel ami que vous ; mais le bonhomme est stoïque et ne se connaît guère à louer personne. Je vous supplie très humblement d’avoir soin du paquet de MM. Hofmann et Volckamer [50] afin qu’ils le reçoivent le plus tôt que faire se pourra. Il y a là-dedans pour M. Hofmann un Botallus de curatione per sanguinis missionem[17][51][52] duquel il n’a jamais rien vu à ce qu’il me mande. Tenez bon registre de l’argent que débourserez pour moi en tel cas ou autre, je vous le restituerai très fidèlement. Son livre de Anima [53] n’a guère avancé depuis Pâques, l’imprimeur [54] ayant été obligé de faire autre chose. [18] Je pense qu’il s’y remettra bientôt ; et quand nous serons à l’épître, j’aurai soin du nom de M. Gras, [55] aussi bien que je me souviens ici très souvent de son honnêteté et de son mérite. Je ne sais non plus que vous ce qu’il entend per barbam feræ illius ; [19] c’est peut-être, comme vous dites, M. Bartholin ; [56] mais qui que ce soit, il n’était point à propos de mettre cela dans une si petite épître ; vous diriez que cet homme n’oserait rien dire de personne. [20] Pour mon fils aîné, je ne sais qui vous en a écrit, si ce n’est peut-être M. Moreau ; je pensais que vous n’en sussiez rien, c’est pourquoi je vous en avais touché mot ci-dessus. Dieu veille qu’il soit quelque jour savant et honnête homme afin qu’il ait l’honneur d’être votre serviteur, autant que je suis de cœur et d’affection ; et je l’élèverai et nourrirai à cette intention. Le fils de M. Moreau [57] est bien aimable, garçon bien fait, de bonne grâce et qui parle fort bien. Celui-là mérite louange, le mien n’est encore rien au prix qu’un enfant qui donne quelque bonne espérance ; utinam succedat eventus[21] Pour la thèse de M. Guillemeau, [58] elle n’est pas si agréable à tout le monde de deçà, comme quelqu’un se promettait. [22] Pour les Arabes, [59] je vous en dirai mon sentiment : pour la doctrine, tout ce qu’ils ont de bon, ils l’ont pris des Grecs ; pour leurs remèdes, ils ont vécu en un temps qu’il y en avait de meilleurs que du temps d’Hippocrate, [60] mais ils en ont bien abusé, et ont introduit cette misérable pharmacie arabesque et cette forfanterie de remèdes chauds, inutiles et superflus qui sont encore aujourd’hui trop en crédit par toute la terre, et de la quantité desquels les malades sont vilainement trompés. À quoi bonnes toutes ces compositions, tous ces altératifs [61] sucrés et miellés, [23] contre l’abus desquels les plus savants hommes de l’Europe se sont déclarés et élevés depuis tantôt cent ans comme contre une tyrannie insupportable ? Cela n’est bon qu’à échauffer un malade et à faire faire des parties à l’apothicaire [62] pour lui couper sa bourse. Eo solo Græcis feliciores mihi videntur Arabes, quod senam agnoverint, cuius ope et opera carere non possumus[24][63] Scaliger [64] le père était un pauvre médecin lui-même, combien qu’il ait été un fort savant homme. Le grand abus de la médecine vient de la pluralité des remèdes inutiles et de ce que la saignée [65] a été négligée. Les Arabes sont causes de l’un et de l’autre, Mésué [66] a trop de crédit au monde. [25] Un apothicaire qui a une grande boutique pour ses pots dorés n’aurait besoin que d’un buffet ou d’une armoire pour y serrer cinq ou six boîtes. Medicina olim paucarum erat herbarum, ipsi Græci paucissimis utebantur remediis ; multiplicitas remediorum filia est ignorantiæ ; sapientes ad Naturæ legem compositi, paucis multa peragunt[26] Nous guérissons plus de malades avec une bonne lancette [27][67] et une livre de séné que ne pourraient le faire les Arabes avec tous leurs sirops [68] et leurs opiats. [69] Nous aurions grand tort d’abandonner et de quitter les bons remèdes, qui sont en usage dès le temps des Arabes, pour aller recourir à ceux du temps d’Hippocrate, qui sont moins bons ou qui nous sont inconnus. La méthode ne s’entend point du remède comme de la loi et de modo bene utendi[28] C’est la doctrine des indications qui fait paraître un médecin vraiment ce qu’il est, et c’est dont nous avons l’obligation entière aux Grecs ; lesquels, s’ils n’ont connu le séné et la casse, [70] ce n’est point leur faute, c’est leur malheur. Aussi ne sont-ce pas les Arabes qui nous ont découvert et fait connaître le séné, il était en usage devant eux. Les forts et violents remèdes sont encore bons à quelqu’un, mais la science et la méthode des Grecs nous apprend à nous servir plus heureusement des bénins et à fuir les mochliques [71] si nous n’en avons grand besoin. [29] Vous voyez dans Hippocrate [72] l’aphorisme Convulsio ab elleboro lethalis[30][73] c’est qu’il en avait vu quelqu’une. Aujourd’hui les dogmatiques [74] ne voient rien de pareil, en tant qu’ils se servent de remèdes doux et bénins par le moyen des indications, dont ils obtiennent plus d’effet salutaire qu’avec tous les violents remèdes. Ces expériences ne sont plus bonnes qu’aux chimistes, [75] qui tuent ici le monde à tas avec leur antimoine. [31][76] Il y a ici un homme d’autorité qui s’en sert et qui en a tué si grand nombre depuis quelque temps qu’il est appelé Iupiter mactator : [32][77] tant plus il en donne et tant moins on a envie d’en prendre. Pauca, benigna, sed probata et selecta, ea mihi sunt remedia[33] Et à tant des Arabes.

J’ai reçu les brouillons printaniers de votre M. Meyssonnier [78] avec la lettre de M. Falconet. [79] Vous êtes bien heureux d’avoir un fou de cette nature, nous en avons ici trois ou quatre vario insaniæ genere laborantes[34] mais leur folie n’est pas si gaillarde. Tardy [80][81] ne parle que de l’anatomie, d’Hippocrate et d’Aristote, [82] que personne, dit-il, n’a jamais bien entendus que lui, ou au moins comme lui. [35] Béda [83] ne se pique que de secrets et d’antimoine, et dit qu’il a guéri la vérole [84] à tout le monde. Je ne sais de quoi lui servira le jubilé [85] duquel on nous menace de deçà, car cet homme n’est bon ni à rôtir, ni à bouillir. Un autre que moi pourrait avoir mauvaise opinion de la fortune de votre Réformation puisque tels personnages que votre M. Meyssonnier et notre Béda, dit des Fougerais, abandonnent son parti. Je dirais volontiers à ces gens-là ce qu’un roi [86] disait au fol Ménécrate, [87] υγιαινειν, [36][88] vu que c’est la chose dont ils ont le plus de besoin. On n’a rien imprimé ici du fait de M. le maréchal de La Mothe-Houdancourt, [89] c’est pourquoi je vous prie de vous souvenir pour moi du deuxième factum s’il se rencontre. [37] J’attends votre paquet, et M. Ravaud [90] aussi ; et par avance, je vous remercie du tout. M. de La Vigne [91] se porte mieux et se promène tous les jours dans son jardin. S’il était mort (Dieu l’en garde), ce serait un lion mort auquel Courtaud [92] voudrait faire la barbe. [38][93] M. d’Avaux, [94] qui était notre plénipotentiaire à Münster, [95] en a été rappelé et est ici de retour, et dit-on, en disgrâce ; je ne sais point ce qui en sera. Si les catholiques d’Augsbourg [96] ont la puce à l’oreille contre les luthériens, [97] ne doutez point que ce ne soit impulsu Loyolitarum[39][98] qui ont grand crédit en ce pays-là et qui tâchent d’y rétablir la papimanie, pro virili[40] afin de s’y rendre tant plus agréables et nécessaires au 666 romain de qui ils prennent leur mission. Dii meliora ! [41]

Tandis que M. le Prince [99] est devant Ypres, les Espagnols, qui sont plus fins que nous, ont si bien pris leur temps qu’ils ont surpris Courtrai, [42][100] l’ayant assiégée en plein midi par 14 endroits ; et ont coupé la gorge à 600 Suisses [101] qu’ils ont trouvés dedans, auxquels Suisses les Espagnols ne donnent jamais de quartier. [43] La cause de ce malheur vient de ce que M. le Prince, pour grossir son armée devant Ypres, a tiré de Courtrai 2 000 hommes qui y étaient en garnison et le gouverneur même, qui est un honnête homme nommé M. le comte de Palluau, [102] qui aurait bien défendu sa place. [44] Vous diriez que nous jouons aux barres, [45] que nous ne gagnons que pour perdre et que nous ne perdons que pour gagner. Une bonne paix vaudrait bien mieux que tous ces misérables désordres. Les cinq compagnies souveraines [103] de deçà se sont assemblées plusieurs fois pour empêcher qu’on n’arrête leurs gages. La reine a mandé les députés et leur a fait défense de s’assembler. M. le chancelier [104] leur a aussi fait entendre l’importance de l’affaire et la volonté de la reine ; mais quelque chose qu’on leur fasse entendre, ils ne veulent pas souffrir qu’on arrête leurs gages. Cette obstination des cours souveraines est cause que la reine ne bouge d’ici et qu’elle ne va prendre l’air à Compiègne [105] ou ailleurs, tandis que la saison se présente si belle. [46] Tous les esprits des officiers sont si malcontents que les gens de bien de deçà craignent qu’il n’arrive pis : si omnes fatui ad arma properabunt, non habebit sapientia defensores[47][106] si Dieu n’y met la main.

Enfin, M. Ravaud est arrivé et m’est venu voir avec votre belle lettre qu’il m’a rendue. Je lui ai donné un de mes enfants qui l’a mené au Palais et sur le Pont-Neuf. [107] Il veut aller dimanche prochain à Charenton [108] pour y voir le temple et le petit troupeau d’élite ; [48] et m’a fait l’honneur de me promettre que lundi, qui sera le lendemain de la Pentecôte, [109] il viendra prendre céans un petit dîner. Ce sera là où nous parlerons de vous, et où nous boirons à votre santé et à celle de M. Gras. Je le trouve extrêmement honnête et civil. Votre ville est féconde en honnêtes gens, il me semble que les libraires de deçà n’en approchent point. Vous me faites trop d’honneur par votre lettre. Je n’ai rien à y répondre, sinon que je vous prie de vous tenir très assuré de mon service et que je ne manquerai nullement à mon devoir, je vous suis trop obligé et en trop de façons. Je ne suis point mal avec mes parents, mais je vous prie de croire que je ne veux point être moins bien avec vous qu’avec eux tous ensemble. La parenté vient de nature et est par conséquent sans choix ; l’amitié a quelque chose davantage, elle agit avec jugement, et tel, de peur de tromper son ami, devient honnête homme et s’accoutume à l’être per vim relationis ; [49] et ainsi est vrai ce qu’a dit un vieux scoliaste d’Aristote sur les Morales : Amicabilia ad alterum oriuntur ex amicabilibus ad se[51][110][111] Vous serez donc assuré, s’il vous plaît, de ma fidélité et de mon service, comme d’un homme qui désire être avec vous en aussi bonne et forte intelligence que si nous étions frères germains et naturels. [51] L’accord est refait de Mademoiselle, [112] fille de M. le duc d’Orléans, [113] elle a vu la reine. On dit que le capitaine qui a été mis prisonnier pour cet effet sera mené à Lyon et mis dans Pierre-Ancise. [52][114][115] Les Hollandais sont tout à fait d’accord avec le roi d’Espagne, [116] leur paix a été publiée partout de part et d’autre. [53] Les catholiques romains qui tenaient le parti du roi d’Angleterre dans la principauté de Galles, ont été défaits par les parlementaires. Il y en a d’autres dans l’Écosse qui se mettent en état de l’assister ; quo tamen fructu futurum illud sit, nescio[54] Notre armée est devant Ypres, que l’on dit qui sera prise dans 15 jours ; il y a terme d’avis. [55] On dit ici que durant ces fêtes de la Pentecôte, Messieurs du Conseil s’accommoderont avec le Parlement et les autres compagnies souveraines. Leur plus fort ennemi est votre M. d’Émery, [117] surintendant des finances.

Mais voici l’heure qu’un carrosse me doit venir prendre, attelé de six bons chevaux, pour me mener voir à neuf lieues d’ici M. de Marillac, [118] maître des requêtes[56] qui y est demeuré malade d’une attaque de goutte. [119][120] Je vous baise les mains de toute mon affection, comme aussi à M. Gras, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi matin, 29e de mai 1648.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Une réalisation
de la BIU Santé