L. 156.  >
À Charles Spon,
le 29 mai 1648

Monsieur, [a][1]

Depuis ma grande lettre du 8e de mai, je vous dirai que le lundi ensuivant, 11e de mai, M. le duc d’Anjou [2] frère du roi, a été baptisé dans le Palais-Cardinal [3] en présence de la reine [4] et de toute la cour, et a été nommé Philippe de France. Son parrain a été M. le duc d’Orléans, [5] son oncle, et la marraine, la reine d’Angleterre, [6] sa tante. [1] On ne parle ici que de moyens d’avoir de l’argent et même les plus grands ne songent à autre chose. M. le premier médecin [7] se plaint qu’il n’est pas assez riche (ce n’est pas que je le hante ni le voie, c’est lui qui l’a dit à un de mes amis qui est le sien), combien qu’il ait plus de 25 000 écus de rente, tant de ce qu’il a de sa charge, de son abbaye et du revenu de l’argent qu’il a en banque, que de ce qu’il gagne encore tous les jours avec les courtisans (j’entends ceux qui ont encore bonne opinion de lui ; plures enim quibus pulchre innotuit ab eo abstinent, propter infaustum et infelicem successum quem in multis viderunt ex illius stibio). [2][8] Il dit qu’il ne sera pas content s’il ne lui vient encore un bon bénéfice de 20 000 livres de rente. Cet ami lui dit qu’il se devait contenter de tant de biens qu’il avait, qu’il n’était chargé ni de femme, ni d’enfants, et qu’ayant déjà une abbaye, il ne devait pas souhaiter d’avoir davantage de bien d’Église. M. Vautier lui répondit sur-le-champ qu’il ne se tenait point la conscience chargée, ni son âme en danger pour le bien qu’il avait, et qu’il ne serait pas plus tôt damné pour trois abbayes que pour une. On dit que M. le Mazarin [9] même manque d’argent. Un trésorier de la Marine [10] nommé Boucher d’Essonville, sieur du Bouchet, [11] a été ici depuis peu ruiné, et obligé de faire une grande et malheureuse banqueroute, [12] faute de lui avoir voulu fournir et avancer une somme notable pour l’armée que nous envoyons en Italie. Il a pour ses raisons allégué et remontré que le roi lui devait beaucoup ; mais nonobstant tout cela, tout son bien a été saisi, sa charge de trésorier de la Marine, ses maisons de la ville et sa belle maison Parlementdes champs ; et tout cela par ordre exprès du dit sieur Cardinal. Talia cum domini faciant, quid de aliis sperandum ? [3] Je m’étonne comment on n’a pas même saisi sa femme, qui est belle, bonne et grosse. Il n’y a pas longtemps qu’un auditeur des comptes nommé M. Nivelle [13] fit banqueroute aussi ; [14] et tout fraîchement, c’est-à-dire depuis trois jours, un trésorier des Parties casuelles, [4][15] nommé Sanson, [16][17] en a fait autant. Et pour vous montrer qu’il est vrai que res humanæ faciunt circulum[5] comme il a autrefois été dit par Platon [18] et par Aristote, [19] celui-là s’en retourne d’où il vient : il est fils d’un paysan de cinq lieues d’ici, il a été laquais de son premier métier, et aujourd’hui il n’est plus rien, sinon qu’il lui reste une assez belle femme que j’ai autrefois traitée malade ; elle est fille d’un tailleur qui était fort riche. Notre armée de Flandres [20] s’en va assiéger Ypres. [6][21][22] Si nous sommes assez heureux de la prendre, elle nous donnera grand avantage sur Saint-Omer [23] et sur Aire [24] . Le droit annuel [25] qui avait été accordé aux cours souveraines [26] a été révoqué par le roi, voyant l’union que les cinq corps ont faite ensemble, savoir le Parlement, les maîtres des requêtes, le Grand Conseil, la Chambre des comptes et la Cour des aides[27] pour tâcher d’empêcher qu’on ne leur arrête leurs gages, comme M. d’Émery, [28] surintendant des finances, a voulu faire. [7] Les cours souveraines des bonnes villes de France ont aussi envoyé leurs députés pour tâcher de se maintenir dans leurs droits en s’adjoignant à ceux de deçà.

Ce 19e de mai. On a aujourd’hui rompu à la Grève [29] deux insignes voleurs de grand chemin, [30] dont l’un des deux a avoué qu’il avait tué plus de 30 hommes. J’ai céans un petit paquet de la part de M. Moreau [31] à vous faire tenir, que j’emballerai dans le mien, qui n’est guère gros, dès que j’aurai reçu Epistolas Grotii [32] qui nous viennent de Hollande et que nous attendons tous les jours, [8] lesquelles je vous veux envoyer, tant à cause de leur nouveauté que pour ce que je n’ai rien autre chose à vous faire part de deçà. On dit ici que M. de La Rivière, [33] grand favori de M. le duc d’Orléans, s’en va être cardinal ; que la reine et M. le Mazarin en sont d’accord. [9] On dit que dans Londres il y a du bruit et que plusieurs malcontents se remuent pour le roi [34] contre les parlementaires. [35] Je doute si par ci-devant je vous ai mandé que la semaine de la Passion, pénultième du carême passé, je présentai mon fils aîné [36] à l’examen, [37] lequel fut reçu avec six autres le samedi, veille de Pâques fleuries, avec grande satisfaction de notre Faculté, laquelle me témoigna du gré et du contentement de la peine que j’avais prise de l’instruire. Il était le plus jeune de tous et néanmoins, il contenta autant que pas un ses examinateurs [38] et laissa fort bonne opinion de l’avenir à tous nos docteurs. Utinam evadat in virum bonum et eruditum medicum[10] Je lui souhaite ces qualités afin qu’il ait l’honneur de vos bonnes grâces et qu’il soit, comme j’espère qu’il sera un jour, votre très humble serviteur. Je ne le nourrirai et élèverai qu’à cette intention, et ne vous demande vos bonnes grâces pour lui qu’en tant qu’il les méritera. Il est encore tout jeune ; il pourra quelque jour vous aller voir à Lyon, d’autant que j’ai envie qu’il pérégrine un peu avant que de l’arrêter tout à fait de deçà ; mais ce ne sera pas qu’après qu’il sera docteur. Fiat, fiat[11] J’ai reçu un petit mot de lettre de M. Hofmann [39] par la voie de M. Picques [40] qui n’a pas laissé d’être six semaines en chemin, et lui ai fait réponse aussitôt, dont je vous envoie une copie afin que vous reconnaissiez et sachiez en quel état sont nos affaires. J’honore fort le bonhomme et voudrais bien le pouvoir servir, mais cela ne se peut point contre vent et marée ; il faut avoir patience et se passer des commodités qui se présentent puisqu’il n’y a point d’autres remèdes qu’après qu’il aura plu à Dieu de nous donner sa paix.

Ce 25e de mai. Pour la vôtre que je reçus hier, datée du 19e de mai, je vous en remercie. Il y a huit jours entiers que je suis embarrassé près de ma belle-mère, [41][42] laquelle a été fort malade d’une pleurésie, [43] dont elle est Dieu merci quitte, moyennant quatre saignées [44] qu’elle a fort bien portées, combien qu’elle ait bien près de 80 ans. Le bonhomme [45] n’en a guère moins, et sont tous deux à la veille de me laisser pour ma part une succession de 20 000 écus, et vir sapiens non abhorrebit[12][46] J’aurai alors un peu meilleur moyen de servir M. Hofmann comme je voudrais, que je n’ai pour le présent. Je vous envoie une copie de ma dernière que je lui ai écrite. Voyez s’il y a de ma faute, je vous en fais juge. Si vous voulez que je le traite autrement, je m’y offre et en ferai tout ce qu’il vous plaira si modo præscribas agendi modum et legem cum tanto viro et tam venerando sene ; [13] s’il ne tient qu’à de l’argent, je suis prêt d’en donner tout comptant, modo mittat Χρηστομ. παθολ. [14] que je puisse mettre avec les physiologiques et en faire un bon volume, qui sera profitable au public et honorable à son auteur ; et aurai soin aussi qu’il y ait du profit pour lui afin qu’il ne prenne occasion de dire Cum labor in damno est crescit mortalis egestas ; sponsorem enim me constituo legitimi honorarii[15][47] Si vous jugez tout ce que je vous écris à propos, vous m’obligerez de lui mander. Je suis bien aise qu’ayez reçu le paquet de livres par MM. Rigaud, [48] et vous remercie de la peine qu’avez eue de délivrer à Messieurs vos trois collègues ce qui leur était destiné. J’ai vu et vous renvoie l’épître que M. Hofmann vous a faite, quænam sint illæ Χρηστομ. τεχνολ. Hofmanni, plane nescio[16][49] Ce n’est pas grand’chose que cette épître. Considérant ce que vous lui êtes, il vous devait faire une plus belle et plus longue épître et dire qu’il avait bien de l’obligation à ses muses qui lui avaient fait un tel ami que vous ; mais le bonhomme est stoïque et ne se connaît guère à louer personne. Je vous supplie très humblement d’avoir soin du paquet de MM. Hofmann et Volckamer [50] afin qu’ils le reçoivent le plus tôt que faire se pourra. Il y a là-dedans pour M. Hofmann un Botallus de curatione per sanguinis missionem[17][51][52] duquel il n’a jamais rien vu à ce qu’il me mande. Tenez bon registre de l’argent que débourserez pour moi en tel cas ou autre, je vous le restituerai très fidèlement. Son livre de Anima [53] n’a guère avancé depuis Pâques, l’imprimeur [54] ayant été obligé de faire autre chose. [18] Je pense qu’il s’y remettra bientôt ; et quand nous serons à l’épître, j’aurai soin du nom de M. Gras, [55] aussi bien que je me souviens ici très souvent de son honnêteté et de son mérite. Je ne sais non plus que vous ce qu’il entend per barbam feræ illius ; [19] c’est peut-être, comme vous dites, M. Bartholin ; [56] mais qui que ce soit, il n’était point à propos de mettre cela dans une si petite épître ; vous diriez que cet homme n’oserait rien dire de personne. [20] Pour mon fils aîné, je ne sais qui vous en a écrit, si ce n’est peut-être M. Moreau ; je pensais que vous n’en sussiez rien, c’est pourquoi je vous en avais touché mot ci-dessus. Dieu veille qu’il soit quelque jour savant et honnête homme afin qu’il ait l’honneur d’être votre serviteur, autant que je suis de cœur et d’affection ; et je l’élèverai et nourrirai à cette intention. Le fils de M. Moreau [57] est bien aimable, garçon bien fait, de bonne grâce et qui parle fort bien. Celui-là mérite louange, le mien n’est encore rien au prix qu’un enfant qui donne quelque bonne espérance ; utinam succedat eventus[21] Pour la thèse de M. Guillemeau, [58] elle n’est pas si agréable à tout le monde de deçà, comme quelqu’un se promettait. [22] Pour les Arabes, [59] je vous en dirai mon sentiment : pour la doctrine, tout ce qu’ils ont de bon, ils l’ont pris des Grecs ; pour leurs remèdes, ils ont vécu en un temps qu’il y en avait de meilleurs que du temps d’Hippocrate, [60] mais ils en ont bien abusé, et ont introduit cette misérable pharmacie arabesque et cette forfanterie de remèdes chauds, inutiles et superflus qui sont encore aujourd’hui trop en crédit par toute la terre, et de la quantité desquels les malades sont vilainement trompés. À quoi bonnes toutes ces compositions, tous ces altératifs [61] sucrés et miellés, [23] contre l’abus desquels les plus savants hommes de l’Europe se sont déclarés et élevés depuis tantôt cent ans comme contre une tyrannie insupportable ? Cela n’est bon qu’à échauffer un malade et à faire faire des parties à l’apothicaire [62] pour lui couper sa bourse. Eo solo Græcis feliciores mihi videntur Arabes, quod senam agnoverint, cuius ope et opera carere non possumus[24][63] Scaliger [64] le père était un pauvre médecin lui-même, combien qu’il ait été un fort savant homme. Le grand abus de la médecine vient de la pluralité des remèdes inutiles et de ce que la saignée [65] a été négligée. Les Arabes sont causes de l’un et de l’autre, Mésué [66] a trop de crédit au monde. [25] Un apothicaire qui a une grande boutique pour ses pots dorés n’aurait besoin que d’un buffet ou d’une armoire pour y serrer cinq ou six boîtes. Medicina olim paucarum erat herbarum, ipsi Græci paucissimis utebantur remediis ; multiplicitas remediorum filia est ignorantiæ ; sapientes ad Naturæ legem compositi, paucis multa peragunt[26] Nous guérissons plus de malades avec une bonne lancette [27][67] et une livre de séné que ne pourraient le faire les Arabes avec tous leurs sirops [68] et leurs opiats. [69] Nous aurions grand tort d’abandonner et de quitter les bons remèdes, qui sont en usage dès le temps des Arabes, pour aller recourir à ceux du temps d’Hippocrate, qui sont moins bons ou qui nous sont inconnus. La méthode ne s’entend point du remède comme de la loi et de modo bene utendi[28] C’est la doctrine des indications qui fait paraître un médecin vraiment ce qu’il est, et c’est dont nous avons l’obligation entière aux Grecs ; lesquels, s’ils n’ont connu le séné et la casse, [70] ce n’est point leur faute, c’est leur malheur. Aussi ne sont-ce pas les Arabes qui nous ont découvert et fait connaître le séné, il était en usage devant eux. Les forts et violents remèdes sont encore bons à quelqu’un, mais la science et la méthode des Grecs nous apprend à nous servir plus heureusement des bénins et à fuir les mochliques [71] si nous n’en avons grand besoin. [29] Vous voyez dans Hippocrate [72] l’aphorisme Convulsio ab elleboro lethalis[30][73] c’est qu’il en avait vu quelqu’une. Aujourd’hui les dogmatiques [74] ne voient rien de pareil, en tant qu’ils se servent de remèdes doux et bénins par le moyen des indications, dont ils obtiennent plus d’effet salutaire qu’avec tous les violents remèdes. Ces expériences ne sont plus bonnes qu’aux chimistes, [75] qui tuent ici le monde à tas avec leur antimoine. [31][76] Il y a ici un homme d’autorité qui s’en sert et qui en a tué si grand nombre depuis quelque temps qu’il est appelé Iupiter mactator : [32][77] tant plus il en donne et tant moins on a envie d’en prendre. Pauca, benigna, sed probata et selecta, ea mihi sunt remedia[33] Et à tant des Arabes.

J’ai reçu les brouillons printaniers de votre M. Meyssonnier [78] avec la lettre de M. Falconet. [79] Vous êtes bien heureux d’avoir un fou de cette nature, nous en avons ici trois ou quatre vario insaniæ genere laborantes[34] mais leur folie n’est pas si gaillarde. Tardy [80][81] ne parle que de l’anatomie, d’Hippocrate et d’Aristote, [82] que personne, dit-il, n’a jamais bien entendus que lui, ou au moins comme lui. [35] Béda [83] ne se pique que de secrets et d’antimoine, et dit qu’il a guéri la vérole [84] à tout le monde. Je ne sais de quoi lui servira le jubilé [85] duquel on nous menace de deçà, car cet homme n’est bon ni à rôtir, ni à bouillir. Un autre que moi pourrait avoir mauvaise opinion de la fortune de votre Réformation puisque tels personnages que votre M. Meyssonnier et notre Béda, dit des Fougerais, abandonnent son parti. Je dirais volontiers à ces gens-là ce qu’un roi [86] disait au fol Ménécrate, [87] υγιαινειν, [36][88] vu que c’est la chose dont ils ont le plus de besoin. On n’a rien imprimé ici du fait de M. le maréchal de La Mothe-Houdancourt, [89] c’est pourquoi je vous prie de vous souvenir pour moi du deuxième factum s’il se rencontre. [37] J’attends votre paquet, et M. Ravaud [90] aussi ; et par avance, je vous remercie du tout. M. de La Vigne [91] se porte mieux et se promène tous les jours dans son jardin. S’il était mort (Dieu l’en garde), ce serait un lion mort auquel Courtaud [92] voudrait faire la barbe. [38][93] M. d’Avaux, [94] qui était notre plénipotentiaire à Münster, [95] en a été rappelé et est ici de retour, et dit-on, en disgrâce ; je ne sais point ce qui en sera. Si les catholiques d’Augsbourg [96] ont la puce à l’oreille contre les luthériens, [97] ne doutez point que ce ne soit impulsu Loyolitarum[39][98] qui ont grand crédit en ce pays-là et qui tâchent d’y rétablir la papimanie, pro virili[40] afin de s’y rendre tant plus agréables et nécessaires au 666 romain de qui ils prennent leur mission. Dii meliora ! [41]

Tandis que M. le Prince [99] est devant Ypres, les Espagnols, qui sont plus fins que nous, ont si bien pris leur temps qu’ils ont surpris Courtrai, [42][100] l’ayant assiégée en plein midi par 14 endroits ; et ont coupé la gorge à 600 Suisses [101] qu’ils ont trouvés dedans, auxquels Suisses les Espagnols ne donnent jamais de quartier. [43] La cause de ce malheur vient de ce que M. le Prince, pour grossir son armée devant Ypres, a tiré de Courtrai 2 000 hommes qui y étaient en garnison et le gouverneur même, qui est un honnête homme nommé M. le comte de Palluau, [102] qui aurait bien défendu sa place. [44] Vous diriez que nous jouons aux barres, [45] que nous ne gagnons que pour perdre et que nous ne perdons que pour gagner. Une bonne paix vaudrait bien mieux que tous ces misérables désordres. Les cinq compagnies souveraines [103] de deçà se sont assemblées plusieurs fois pour empêcher qu’on n’arrête leurs gages. La reine a mandé les députés et leur a fait défense de s’assembler. M. le chancelier [104] leur a aussi fait entendre l’importance de l’affaire et la volonté de la reine ; mais quelque chose qu’on leur fasse entendre, ils ne veulent pas souffrir qu’on arrête leurs gages. Cette obstination des cours souveraines est cause que la reine ne bouge d’ici et qu’elle ne va prendre l’air à Compiègne [105] ou ailleurs, tandis que la saison se présente si belle. [46] Tous les esprits des officiers sont si malcontents que les gens de bien de deçà craignent qu’il n’arrive pis : si omnes fatui ad arma properabunt, non habebit sapientia defensores[47][106] si Dieu n’y met la main.

Enfin, M. Ravaud est arrivé et m’est venu voir avec votre belle lettre qu’il m’a rendue. Je lui ai donné un de mes enfants qui l’a mené au Palais et sur le Pont-Neuf. [107] Il veut aller dimanche prochain à Charenton [108] pour y voir le temple et le petit troupeau d’élite ; [48] et m’a fait l’honneur de me promettre que lundi, qui sera le lendemain de la Pentecôte, [109] il viendra prendre céans un petit dîner. Ce sera là où nous parlerons de vous, et où nous boirons à votre santé et à celle de M. Gras. Je le trouve extrêmement honnête et civil. Votre ville est féconde en honnêtes gens, il me semble que les libraires de deçà n’en approchent point. Vous me faites trop d’honneur par votre lettre. Je n’ai rien à y répondre, sinon que je vous prie de vous tenir très assuré de mon service et que je ne manquerai nullement à mon devoir, je vous suis trop obligé et en trop de façons. Je ne suis point mal avec mes parents, mais je vous prie de croire que je ne veux point être moins bien avec vous qu’avec eux tous ensemble. La parenté vient de nature et est par conséquent sans choix ; l’amitié a quelque chose davantage, elle agit avec jugement, et tel, de peur de tromper son ami, devient honnête homme et s’accoutume à l’être per vim relationis ; [49] et ainsi est vrai ce qu’a dit un vieux scoliaste d’Aristote sur les Morales : Amicabilia ad alterum oriuntur ex amicabilibus ad se[51][110][111] Vous serez donc assuré, s’il vous plaît, de ma fidélité et de mon service, comme d’un homme qui désire être avec vous en aussi bonne et forte intelligence que si nous étions frères germains et naturels. [51] L’accord est refait de Mademoiselle, [112] fille de M. le duc d’Orléans, [113] elle a vu la reine. On dit que le capitaine qui a été mis prisonnier pour cet effet sera mené à Lyon et mis dans Pierre-Ancise. [52][114][115] Les Hollandais sont tout à fait d’accord avec le roi d’Espagne, [116] leur paix a été publiée partout de part et d’autre. [53] Les catholiques romains qui tenaient le parti du roi d’Angleterre dans la principauté de Galles, ont été défaits par les parlementaires. Il y en a d’autres dans l’Écosse qui se mettent en état de l’assister ; quo tamen fructu futurum illud sit, nescio[54] Notre armée est devant Ypres, que l’on dit qui sera prise dans 15 jours ; il y a terme d’avis. [55] On dit ici que durant ces fêtes de la Pentecôte, Messieurs du Conseil s’accommoderont avec le Parlement et les autres compagnies souveraines. Leur plus fort ennemi est votre M. d’Émery, [117] surintendant des finances.

Mais voici l’heure qu’un carrosse me doit venir prendre, attelé de six bons chevaux, pour me mener voir à neuf lieues d’ici M. de Marillac, [118] maître des requêtes[56] qui y est demeuré malade d’une attaque de goutte. [119][120] Je vous baise les mains de toute mon affection, comme aussi à M. Gras, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi matin, 29e de mai 1648.


a.

Ms BnF no 9357, fos 36‑37 ; Reveillé-Parise, no cxcvii (tome i, pages 396‑403) ; Triaire no clix (pages 601‑612).

1.

Philippe, duc d’Anjou et futur duc d’Orléans (v. note [5], lettre 51), second fils d’Anne d’Autriche et de Louis xiii, était né le 21 septembre 1640 ; il avait été simplement ondoyé dans les jours suivant sa naissance. Son baptême eut lieu le 11 mai vers trois heures de l’après-midi dans la chapelle du Palais-cardinal, par l’évêque de Meaux, Dominique Séguier.

2.

« plusieurs, dont il s’est fait connaître de belle façon, le fuient en effet parce qu’ils ont vu le funeste et malheureux succès de son antimoine. » Le premier médecin du roi était alors François Vautier.

3.

« Quand les maîtres font ainsi, que faut-il espérer des autres ? » Ce pourrait être une réminiscence lointaine du vers de Virgile (Bucoliques, églogue iii, vers 16) : Quid domini faciant, audent cum talia fures ? [Que feront les maîtres quand les voleurs osent de telles choses ?].

Pierre Boucher d’Essonville (mort en 1652) avait acquis en 1637 le fief du Bouchet, qui fait aujourd’hui partie de la commune de Vert-le-Petit (Essonne).

4.

Parties casuelles : « revenus qui sont fondés sur les cas fortuits et qui ne viennent pas toujours régulièrement, ni en même temps. Le roi a beaucoup de revenus casuels, comme aubaines, confiscations, paulette, etc. Le trésorier des Parties casuelles reçoit la paulette, les prêts et les taxations au quatrième ou au huitième denier [25 ou 12,5 pour cent] des offices qui changent de titulaire » (Furetière). Avec la vénalité des offices, les Parties casuelles devinrent pour une bonne part régulières (annuelles) en se liant à la paulette versée chaque année par les officiers en échange de l’hérédité de leur charge.

5.

« les affaires des hommes suivent un cours circulaire ».

6.

Ypres, sur l’Yperlée, à 45 kilomètres de Bruges, était une ville forte de Flandre occidentale et un évêché, dont le plus célèbre titulaire a été Jansenius, de 1636 à 1638 (v. note [7], lettre 96). Condé avait entrepris le siège d’Ypres le 12 mai 1648 et emporté la place le 29.

7.

Le 29 avril, la reine avait imposé aux membres des cours souveraines, à l’exception du Parlement, l’abandon de quatre années de gages en échange du renouvellement du droit annuel (paulette, v. note [44], lettre 152) qui leur assurait l’hérédité de leurs charges. « L’opération était évidemment bénéficiaire pour le trésor. De plus, en exemptant le Parlement d’une mesure applicable aux autres cours, et en lui accordant le renouvellement sans contrepartie financière, la cour chercha à briser l’union des compagnies souveraines, mais elle n’y parvint pas » (Bertière a, page 315).

Le Parlement s’était déclaré solidaire des autres cours dans leur protestation. Le 13 mai, dans une des grandes salles du Palais, dite chambre Saint-Louis (v. note [43], lettre 155), les magistrats avaient signé l’arrêt d’union des cours supérieures : la rigueur budgétaire avait exaspéré les officiers (taxation et dévaluation de leurs charges, restriction de la paulette) ; contre toutes les règles de la monarchie et à la grande fureur de la reine, le Parlement invitait les autres cours à s’unir à lui pour délibérer sur les réformes nécessaires.

8.

V. note [21], lettre 155, pour les « Lettres de Grotius ».

9.

Mazarin avait besoin de l’abbé de La Rivière dans les graves circonstances que traversait le gouvernement de la régente, pour agir sur l’esprit du duc d’Orléans. Il lui avait promis le chapeau de cardinal. Toute la cour alla le féliciter (Triaire). En dépit de toutes ses intrigues, l’abbé n’accéda jamais au cardinalat.

10.

« Dieu fasse qu’il arrive à être un homme de bien et un médecin savant. »

La semaine dite de la Passion, qui se termine le dimanche des Rameaux (Pâques fleuries, célébrées le 7 avril en 1648) est la cinquième semaine du carême (v. note [10] du Naudæana 3) qui en compte six (la dernière étant la semaine sainte) ; pour la Faculté de médecine de Paris, c’était la semaine où se déroulaient, chaque année paire, les épreuves du baccalauréat. Guy Patin avait de fait déjà narré à Charles Spon l’accession de son fils Robert à ce premier grade des études médicales (v. note [11], lettre 155).

11.

« Advienne que pourra. »

12.

« et l’homme sensé ne les méprisera pas » : Altissimus creavit de terra medicinam et vir prudens non abhorrebit illi [Le Très-Haut fait sortir de terre la médecine, l’homme sensé ne la méprisera pas] (Ecclésiastique, 38:4).

Pierre de Janson (le « bonhomme ») et son épouse, Catherine Lestourneau, étaient les beau-père et belle-mère de Guy Patin.

13.

« si seulement vous m’indiquez par avance la règle et la manière qu’il faut employer avec un si grand homme et si vénérable vieillard. »

14.

« pourvu qu’il m’envoie ses Chrestomathies pathologiques », v. note [13], lettre 150.

15.

« Quand le travail devient stérile, vient l’affreuse indigence ; je m’établis en effet comme le garant d’une légitime rétribution. »

Le début est le second vers du distique 39 (livre i) des Distiques moraux de Dionysius Cato (Denys Caton), moraliste romain du iiie-ive s. après J.‑C. :

Conserva potius, quæ sunt iam parta labore
Quum labore in damno est, crescit mortalis egestas
.

[Attachez-vous à conserver ce que vous avez acquis par le travail : quand le travail devient stérile, vient la mortelle indigence].

Caspar Hofmann s’étonnait sans doute de ne recevoir aucune rétribution pour ses œuvres que Guy Patin était en train de faire publier à Paris.

16.

« ce que sont donc ces Chrestomathies de l’art d’Hofmann, je n’en sais absolument rien ». Il n’y a pas eu de chrestomathies de l’art après les physiologiques et les pathologiques de Caspar Hofmann. Son épître dédicatoire à Charles Spon n’a apparemment jamais été publiée.

17.

« Botal sur la guérison par la saignée », v. note [47], lettre 104.

18.

V. notes [59] et [60], lettre 150, pour le traité de Caspar Hofmann « de l’Âme ».

19.

« par la barbe de cette bête sauvage. »

20.

Sans doute pour « n’oserait rien dire de bon de personne ».

21.

« Dieu fasse qu’il en advienne ainsi. »

22.

V. note [13], lettre 151, pour la thèse cardinale sur la Médecine d’Hippocrate, contre les pharmaciens, les chimistes et les Arabes, que Charles Guillemeau avait écrite et présidée le 2 avril 1648.

23.

Les altératifs (ou altérants) étaient « des médicaments qui changent et rétablissent les solides et les liquides du corps humain dans leur état naturel, sans aucune évacuation sensible » (Trévoux). « Les altérants doivent donc en général avoir la vertu de corriger l’acrimonie qui domine dans les premières voies ou dans les liqueurs, ou de résoudre les amas qui se forment dans les vaisseaux sanguins pour qu’ils puissent sortir du corps par le moyen de la transpiration ou de quelque évacuation insensible » (J.‑F. Lavoisien, Dictionnaire portatif de médecine… 1793). Le type en était l’eau de chaux.

24.

« je considère que les Arabes ont été plus féconds que les Grecs en ceci seulement qu’ils ont reconnu le séné, nous ne pouvons nous priver ni de son action, ni de son utilité. »

25.

Jean Mésué est le nom francisé de Jahiah ibn Masouiah (vers 777 Nifabour en Perse-vers 857 Samarra). Appartenant à la secte chrétienne des nestoriens (v. notule {c‑iii}note [8], lettre 125), il étudia sous le médecin juif Gabriel puis se rendit à Bagdad pour pratiquer et enseigner. Sa réputation et ses talents lui attirèrent la faveur du calife Haroun-Al-Raschid qui l’attacha à la personne de son fils Al-Mamoun. Mésué sut inspirer à son élève le goût de favoriser les sciences. Devenu calife, Al-Mamoun fit recenser et rassembler tous les ouvrages savants de l’Antiquité grecque, persane, chaldéenne et syriaque pour les faire traduire en arabe. Mésué eut la charge de révéler les œuvres de Galien et d’Aristote. Ses ouvrages personnels touchent à l’art de guérir par les médicaments, ils ont été traduits en latin et richement commentés par les médecins occidentaux du xvie s.

Certains historiens font de Mésué la même personne que Jean Damascène, autre Persan qui a transmis la médecine galéno-hippocratique, mais que d’autres disent avoir été le fils de Mésué.

26.

« La médecine se satisfaisait jadis de quelques plantes, les Grecs eux-mêmes n’utilisaient que très peu de remèdes ; la multiplicité des remèdes est la fille de l’ignorance [Francis Bacon, v. note [23], lettre 601] ; les sages viennent à bout de beaucoup de maux avec peu de remèdes, composés selon la loi de la Nature ».

27.

La lancette était une petite lame d’acier souple, étroite, pointue et tranchante des deux côtés, qui servait principalement à ouvrir la veine pour la saignée.

28.

« et de la manière de bien prescrire ».

29.

Mochlique (du grec mokhlos, levier) : purgatif puissant.

30.

« La convulsion due à l’ellébore est mortelle ». Les aphorismes nos 13‑16 de la 4e section sont consacrés à l’ellébore ; le texte complet du no 16 est : « L’ellébore est dangereux pour les personnes qui ont les chairs saines, car il cause des convulsions. »

Ellébore est le nom qu’on a donné à deux plantes très différentes, mais dont les racines agissent toutes deux comme purgatifs drastiques : l’ellébore blanc (veratrum album) et l’ellébore noir (elleborus niger, v. note [27], lettre 395). « On dit proverbialement qu’un homme a besoin de deux grains d’ellébore, pour dire qu’il est fou, parce qu’on se servait autrefois d’ellébore pour guérir la folie » (Furetière).

31.

Le mot était enfin lâché après bien des circonlocutions : l’antimoine, voilà l’ennemi, l’émétique purgatif qui tue. S’il fallait traduire cette phrase en latin, il faudrait y mettre pericula pour expériences, car periculum a le double sens d’essai (expérience) et de péril. En suivant un raisonnement assez torturé, Guy Patin a voulu montrer que le mérite de la bonne méthode (doctrine médicale) revient entièrement à l’Antiquité grecque (Hippocrate et Galien), même si les Arabes ont inventé les médicaments purgatifs (casse et séné) les mieux adaptés à son application. L’indication est le choix du médicament, de sa dose et surtout du moment opportun pour l’administrer : tout l’art est d’aider la crise qui résout la maladie après qu’elle a complété ses phases de crudité et de coction. Ainsi le moment compte plus que la manière de purger pour résoudre le déséquilibre (l’intempérie) des humeurs. Toutefois, les évacuants trop violents (ellébore, antimoine) sont à proscrire.

32.

« Jupiter massacreur » (v. note [14], lettre 463) : ce surnom visait François Guénault (v. note [21], lettre 80) plutôt qu’Élie Béda des Fougerais (que Guy Patin comparait plus volontiers à Vulcain, à cause de sa boiterie).

33.

« Peu nombreux, favorables, mais éprouvés et choisis, tels sont mes remèdes. »

34.

« qui souffrent de divers genres de folie. » La saillie visait Lazare Meyssonnier qui avait publié cette année-là La Philosophie des anges, contenant l’art de se rendre les bons esprits familiers, avec l’histoire de saint Raphaël… (Lyon, Piere Compagnon, 1648, in‑12).

35.

Claude Tardy (Langres 1607-Paris 1670) avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1642 et devint dans la suite médecin du duc d’Orléans. Il était zélé partisan de l’antimoine, de la doctrine de William Harvey sur la circulation du sang, de la transfusion de sang et de l’injection de substances médicamenteuses dans les veines (v. note [5], lettre latine 452), sans renier pour autant les préceptes d’Hippocrate (O.in Panckoucke et G.D.U. xixe s.). À tous ces titres, qui pourraient le signaler aujourd’hui comme un sagace précurseur, Guy Patin tenait Tardy pour complètement fou (v. notes [17], lettre 413, et [1], lettre 998, pour de probants arguments allant dans ce sens).

Ses principaux ouvrages sont :

  1. In libellum Hippocratis de Virginum morbis, Commentatio paraphrastica. Ubi de morbis capitis et aliis qui prodeunt ex intercepto, imminuto, depravato et adaucto circulari motu sanguinis, ac eorum curatione. Idque expositione continua dificillorum contextuum ex variis Hippocratis libris…

    [Commentaire paraphrastique sur l’opuscule d’Hippocrate des maladies des vierges. Où il est question des maladies de la tête et des autres maladies qui proviennent quand le mouvement circulaire du sang est entravé, diminué, corrompu et augmenté, ainsi que leur traitement. Avec une explication complète des passages les plus difficiles, tirée des divers livres d’Hippocrate…] ; {a}

  2. In libellos Hippocratis de septimestri et octimestri partu commentarii, quibus universa partuum doctrina propriis rationibus demonstratur…

    [Commentaires sur les opuscules d’Hippocrate au sujet de l’accouchement aux septième et huitième mois, où est montrée, sur des raisonnements bien fondés, la doctrine complète des accouchements…] ; {b}

  3. Traité du mouvement circulaire du sang et des esprits… ; {c}

  4. Traité de la monarchie du cœur en l’homme… ; {d}

  5. Cours de médecine, contenant toutes les choses qui perfectionnent et composent l’homme, celles qui le conservent, celles qui le détruisent, et enfin les moyens de le rétablir en santé parfaite et de guérir les maladies par les expériences du mouvement circulaire du sang et des esprits, avec la Paraphrase des livres de l’Anatomie, du Cœur, des Glandes, de la Nature des os, des Lieux ou parties de l’homme, des Accouchements à sept mois et à huit, de la Conception et de la superfétation, de la Dissection de l’enfant dans la matrice, de la Génération des dents, des Maladies des filles, du Régime de vivre, des Songes, de l’Aliment, de l’Utilité des choses humides, des Humeurs, des Flatuosités, du Mal de saint, des Maladies aiguës, des Crises, des Jours critiques, et autres œuvres du grand Hippocrate, où les causes, les signes et les symptômes de toutes les maladies s’expliquent nettement, avec leur guérison, par les lumières du mouvement circulaire… ; {e}

  6. Les opérations chirurgiques éclairées des expériences du mouvement circulaire du sang et des esprits… ; {f}

  7. Les Œuvres du grand Hippocrate… où toutes les causes de la vie, de la naissance et de la conservation de la santé, les signes et les symptômes de toutes les maladies sont nettement expliquées, avec leur guérison, par les lumières du mouvement circulaire et autres nouvelles expériences… ; {g}

  8. Traité de l’écoulement du sang d’un homme dans les veines d’un autre, et de ses utilités. {h}


    1. Paris, Jacques de Senlecque, 1648, in‑4o de 40 pages.

    2. Ibid. Charles Du Mesnil, 1651, in‑4o de 48 pages ; v. note [34] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris, pour son approbation)

    3. Ibid. 1654, v. note [10], lettre 402.

    4. Ibid. 1656, v. note [4], lettre latine 369.

    5. Ibid. chez l’auteur et Jean Du Bray, 1662, 11 parties en un volume in‑4o.

    6. Ibid. chez l’auteur, Jean Du Bray et C. Barbin, 1665, in‑4o de 140 pages.

    7. Ibid. 1665, Jean Du Bray, 2 tomes en un volume in‑4o de 302 pages.

    8. Ibid. chez l’auteur, 1667, in‑4o de 15 pages.

36.

« sois sain d’esprit ».

Ménécrate, médecin grec de Syracuse, a vécu au ive s. av. J.‑C. sous le règne de Philippe de Macédoine, père d’Alexandre le Grand (v. note [61], lettre 336). La source est dans les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis (livre vii, 33‑34 ; v. note [17], lettre de Charles Spon, le 6 avril 1657) :

« Ménécrate le Syracusain, surnommé Zeus, […] se vantait d’être la cause unique de la vie des hommes par sa compétence en médecine. Il avait l’habitude en tout cas de contraindre ceux qu’il soignait des maladies qu’on appelle sacrées [épilepsie] de signer un contrat qui stipulait qu’ils lui obéiraient comme des esclaves s’ils le suivaient. […] Dans une lettre au roi Philippe, il écrivait ceci :

“ Zeus-Ménécrate à Philippe salut. Tu es roi de Macédoine, mais moi je suis roi de la médecine. Tu peux tuer les bien-portants que tu souhaites, mais moi je peux sauver les mal-portants ; et les gens robustes qui suivent mes prescriptions, je peux les maintenir vivants sans maladie jusqu’à un âge avancé. Par conséquent, alors que tu as comme gardes du corps des Macédoniens, moi j’ai la postérité. Car moi, Zeus, je leur fournis la vie. ”

Philippe lui répondit comme à un fou :

“ Philippe à Ménécrate, soigne-toi ” » {a}


  1. Φιλιππος Μενεκρατει υγιαινειν.

La vanité de Ménécrate passa en proverbe. Le roi, l’ayant un jour invité à sa table, ne lui fit servir que de l’encens. Ses ouvrages sont perdus.

37.

V. note [9], lettre 153.

38.

Pour dénigrer la couardise de Siméon Courtaud contre la Faculté de médecine de Paris, Guy Patin se référait à l’emblème d’André Alciat (v. note [19], lettre 229) intiulé Cum larvis non luctandum [Il ne faut pas lutter contre les morts], pages 166 de l’édition latine (Lyon, 1551) et 187 de l’édition française (Lyon, 1549) :

Aecidæ moriens percussu cuspidis Hector :
Qui toties hosteis vicerat ante suos :
Comprimere haud potuit vocem, insultantibus illis,
Dum curru, et pedibus nectere vincla, parant.
Distrahite ut libitum est : sic cassi luce leonis
Convellunt barbam vel timidi lepores
.

« Hector mourant par le coup d’Achille
(Après avoir tant de Grecs reculé)
Ne peut tenir sa voix, quand ils sautaient,
Et les liens à ses pieds apprêtaient.
Tirez (dit-il). Lièvres qui craignent fort
Tirent ainsi la barbe au lion mort. » {a}

Commentaire :

« C’est la nature des pusillanimes insulter aux forts vaincus, lesquels en leur forces n’eussent osé regarder. »


  1. Traduction littérale et prosaïque :

    « Hector blessé à mort par le glaive d’Achille, lui qui tant de fois avait naguère défait ses ennemis, ne put faire taire ceux qui l’insultaient en préparant les liens pour destinés à lui attacher les pieds derrière un char. Il leur dit : “ Trainez-moi donc tant que vous voulez ! ” Cest ainsi que voyant un lion anéanti, même les lièvres couards lui tirent la barbe »

39.

« à l’instigation des loyolites ».

V. notes [9], lettre 85, pour « la puce à l’oreille », et [50], lettre 155, pour les tractations du comte d’Avaux avec les catholiques et les luthériens d’Allemagne.

Dans le souvenir de tous les chrétiens, Augsbourg était le berceau du luthéranisme, qui y avait été fondé par la Confession de 1530 (v. note [20], lettre 77).

40.

« pour leur part ».

41.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » (v. note [5], lettre 33).

V. note [24], lettre 150, pour la manière qu’avaient les protestants de désigner le pape par le nombre ésotérique 666.

42.

Courtrai (Belgique, Kortrijk en néerlandais) était une place forte de Flandre espagnole sur la Lys, une trentaine de kilomètres au nord de Lille et à l’est d’Ypres. Courtrai fut prise par les Espagnols le 18 mai, et Ypres par Condé le 28 mai. L’opinion publique ressentit vivement la perte de la première ville et ne considéra pas la prise de la seconde comme une compensation. Un passage d’un Français établi en Hollande montre que, de leur côté, nos alliés partageaient exactement l’inquiétude exprimée par Guy Patin (Affaires étrangères. Allemagne, cxxiv, folo 98, cité par Triaire) :

« En Zélande, les esprits sont bien refroidis. Les plus affectionnés nous reprochent Courtrai et sont persuadés que nous ne savons pas conserver nos conquêtes et que nous ne nous en servons pas en gens de guerre. »

43.

Dès le xve s., les 13 Cantons suisses avaient lancé sur les routes d’Europe une quantité inépuisable de soldats ardents et aventureux qui maintenaient une réputation gagnée pendant leurs guerres d’indépendance. François ier vainquit les Cantons à Marignan et signa avec eux la paix perpétuelle de Fribourg le 29 novembre 1516. Cette « capitulation » (ou convention) autorisait la France, moyennant le versement à chaque canton d’une somme fixée, à lever des soldats avec la seule obligation de « servir le roi de France dans les ordres de la personne du roi, considéré comme le seul et unique représentant de la Nation ». Louis xiii organisa en 1616 le régiment des gardes suisses (huit compagnies de 160 hommes chacune) pour assurer la protection du souverain. Au milieu du xviie s., commandé par des chefs prestigieux, tels Reynold, d’Erlach ou Castella, le régiment comprenait 30 compagnies. Louis xiii en fit la « garde du dehors », celle « du dedans » étant réservée à la compagnie des Cent-Suisses, sentinelles vigilantes de la pérennité monarchique.

Les Suisses s’illustrèrent dans de nombreuses campagnes. Des soldats confédérés abritèrent de leurs piques la famille royale réfugiée à Saint-Germain, menacée par la Fronde. Pendant dix ans, les gardes suisses réprimèrent les émeutes en dépit du non-paiement de leur solde. Les Cantons envisagèrent même de rappeler leurs troupes, mais un accord intervint. À partir de 1658, les officiers suisses servant en France bénéficièrent du même avancement hiérarchique que les officiers français (Louis Trenard, Dictionnaire du Grand Siècle).

44.

Philippe de Clérembault, comte de Palluau (1606-Paris 24 juillet 1665), avait embrassé la carrière des armes à l’âge de 16 ans. Il était plus tard devenu capitaine-lieutenant des chevau-légers du cardinal de Richelieu, avait assisté au siège de Landrecies (1637), à la prise d’Arras (1640) et été nommé maréchal de camp en 1642. Bientôt après, il avait pris part aux sièges de Thionville et de Sirck, au combat de Fribourg, à la bataille de Nördlingen (1645), aux prises de Courtrai, de Berg-Saint-Vinoc, de Furnes, de Dunkerque (1646). Après la prise d’Ypres par le prince de Condé, le 29 mai 1648, Palluau fut nommé gouverneur de la place, mais il la laissa reprendre par les Espagnols l’année suivante. Il fut mis, en 1651, à la tête de l’armée de Berry, s’empara du château et du fort de Montrond, commandés par le marquis de Persan, et reçut pour ce fait d’armes le bâton de maréchal de France (1653). Gouverneur de Berry en 1655, Louis xiv pensait à lui pour devenir précepteur du dauphin, lorsqu’il mourut. Le maréchal de Clérembault avait épousé en 1654 Louise Françoise Bouthillier de Chavigny, fille du secrétaire d’État Léon de Chavigny (G.D.U. xixe s. et F. Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle).

45.

« Au pluriel, barres est un jeu de course entre des jeunes gens et dans de certaines limites. On dit figurément jouer aux barres en parlant de ceux qui se cherchent l’un l’autre sans se trouver, ou qui remportent tour à tour quelque avantage l’un sur l’autre » (Académie).

46.

La Fronde parlementaire enflait alors dangereusement depuis l’arrêt d’union des cours souveraines (v. note [7], lettre 156), retenant la reine et le roi à Paris jusqu’à la fin de l’été. Ils ne séjournèrent à Rueil puis à Saint-Germain que du 13 septembre au 31 octobre, avant d’être rappelés dans la capitale par le mouvement de révolte qui s’y développait.

47.

« si tous les insensés se ruent sur les armes, la sagesse n’aura pas de défenseurs » : Si omnes ad arma properabunt, non inveniet sapientia defensores [S’il arrive qu’ils se mettent tous en campagne, je ne sais où la sagesse pourra trouver des gens qui la défendent] (Barclay, Euphormion, 1re partie, page 103 de la traduction de Jean Bérault).

48.

Pierre Ravaud, libraire de Lyon issu d’une famille genevoise, était calviniste. « Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Luc 12:32).

« On appelle les hérétiques les gens du petit troupeau » (Furetière) ; avec cette explication fournie par Jean Jaubert de Barrault, évêque de Bazas, dans son Bouclier de la foi catholique contre le Bouclier de la Religion prétendue, du ministre Du Moulin… (Paris, Antoine Estienne, 1626, in‑fo, tome i, page 612) :

« Dire tout haut qu’ils sont les vrais fidèles en Christ, le petit troupeau d’élite, et condamner tous les autres d’erreur et d’infidélité, et dire que la vraie foi produit nécessairement des bonnes œuvres, n’est-ce pas dire tout haut qu’ils en font nécessairement et qu’ils sont autant assurés, comme ils le sont, d’être vrais fidèles et vrais ministres de la Parole de Dieu ? »

49.

« par la force de la relation ».

50.

Le scoliaste (commentateur) auteur de ce jugement est saint Thomas d’Aquin (Somme théologique, première partie, question lx, article 3) :

Sed contra est quod Philosophus dicit, ix Ethic., quod amicabilia quæ sunt ad alterum, veniunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum.

[Mais cela est contraire à ce qu’a dit le Philosophe, en sa ixe Éthique, {a} parce que les élans amicaux pour les autres tirent leur origine des élans amicaux pour soi-même].


  1. Aristote a traité de l’amitié dans le livre ix de son Éthique à Nicomaque. Il y insiste sur la similitude entre celle qu’on a pour soi-même et celle qu’on porte à l’autre : « L’ami est un autre soi-même » (chapitre 4, Analyse de l’amitié, altruisme et égoïsme).

51.

Germains est sans ambiguïté : « frères de père et de mère ; et il se dit à la différence des frères utérins, qui ne sont frères que du côté de la mère ». Naturels est à prendre pour ce « qui est libre, qui ne paraît point forcé » plutôt que pour « bâtards, qui ne sont point nés en légitime mariage » (Furetière).

52.

Pierre-Ancise : « Pierre-Scise est le nom d’un quai de la Saône dominé par un rocher (petra scissa) qu’Agrippa fit couper pour le passage d’une voie militaire » (G.D.U. xixe s.). Il y avait là une prison-forteresse où le capitaine Complet de Saujon avait été enfermé (v. note [46], lettre 155). Il fut relâché sur les instances de Mademoiselle et en vertu de la déclaration royale du 22 octobre 1648 qui, en conséquence de la Fronde parlementaire (v. note [7], lettre 157), remettait tous les sujets du roi à leurs juges naturels et ordonnait que tous les prévenus seraient interrogés dans les 24 heures et remis en liberté s’ils étaient innocents.

Mme de Motteville (Mémoires, page 156) :

« Mademoiselle fit parler au cardinal et le fit prier de travailler à changer l’esprit de la reine sur l’accusation qu’elle faisait contre elle. Chacun pressa Monsieur de devenir bon père et de lui pardonner. Plusieurs personnes parlèrent à l’abbé de La Rivière de la part de Mademoiselle ; et le ministre, {a} qui était bien aise de se faire un mérite envers elle, témoigna désirer de la servir. Le favori de Monsieur {b} suivit ce même exemple ; et comprenant qu’il était juste que son maître prît le parti de la pitié, il oublia ses petits ressentiments pour la servir aussi ; de sorte que l’onzième jour de sa captivité, {c} après de grandes conférences qu’il fallut avoir avec la reine de la part de Monsieur, l’abbé de La Rivière alla porter à Mademoiselle quelques paroles de douceur qui furent accompagnées de grandes leçons et de respectueuses réprimandes sur sa conduite. […]
Dès le même jour de cet adoucissement, {d} Mademoiselle vint voir la reine, qui la reçut froidement. Elle lui dit qu’elle ne devait pas se glorifier d’avoir tenu bon contre son père et contre elle, n’avouant point les fautes qu’elle avait faites ; que ceux qui l’avaient conseillée lui en donneraient sans doute de grandes louanges, mais qu’elle ne devait point se laisser flatter par eux qui ne la conseillaient pas bien ; et qu’elle devait croire que sa faute était grande puisqu’elle la voyait désapprouvée par un aussi bon père que le sien, et par elle, qui l’avait toujours traitée comme sa propre fille. Quelques jours après la paix se fit entièrement par une visite qu’elle eut permission de rendre à M. le duc d’Orléans qui, après une conversation particulière, lui pardonna ces petites fautes. Ensuite de cela, la cour s’occupa de quelque nouvelle matière, celle-là étant déjà trop vieille pour en parler davantage ; et Saujon fut envoyé à Pierre-Ancise, d’où il sortit bientôt après. » {e}


  1. Mazarin.

  2. La Rivière.

  3. En ses appartements.

  4. Vers le 11 mai.

  5. Le 11 mai. Saujon fut bien accueilli par la cour à Saint-Germain en janvier 1649, au début du siège de Paris.

53.

C’était la fin de la Guerre de Quatre-Vingts Ans qui, de 1568 à 1648, avait opposé les Pays-Bas du nord (devenus République des Provinces-Unies) à l’Espagne. Le traité de paix avait été signé le 30 janvier 1648 à Münster, puis les belligérants y avaient échangé les ratifications de leurs gouvernements le 15 mai.

54.

« j’ignore cependant ce qu’en sera le résultat. » Déclenchant la seconde Guerre civile britannique, Thomas Faifax avait envoyé Oliver Cromwell avec deux régiments de cavalerie et trois d’infanterie mater un soulèvement qui s’était allumé dans le sud du Pays de Galles. Ce fut le 8 mai à Saint-Fagan, près de Cardiff, une nouvelle défaite des royalistes contre les parlementaires.

55.

On est dans l’expectative.

56.

Michel ii de Marillac (mort en 1684), seigneur d’Ollainville (près d’Arpajon, à 35 kilomètres au sud-ouest de Paris), petit-fils du garde des sceaux, Michel i (v. note [45], lettre 216), était le fils de René i de Marillac et de Marie Gamin. Il avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1637, en la deuxième Chambre des requêtes du Palais, puis maître des requêtes en 1643. En 1660, il résigna cette charge pour devenir conseiller d’État ordinaire le 16 avril, et fut l’un des six conseillers d’honneur au Parlement. Ami de Guy Patin, son médecin, il avait épousé Jeanne Potier, fille de Nicolas ii Potier (v. note [7], lettre 686), président à la Chambre des comptes, et de Marie Barré (Popoff, no 1677).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 mai 1648

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(Consulté le 24/04/2024)

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