Les lettres que je vous écris quelquefois ne méritent pas les remerciements que vous prenez la peine de me faire car, pour si peu que vaut ce que je vous écris, [2] j’en suis assez amplement et libéralement récompensé par tant de marques d’affection que me témoignez à toute heure. Je voudrais bien avoir moyen de vous témoigner de mon côté < la > pareille et de rendre quelque bon service à votre Compagnie, [1][3] en laquelle je vous honore particulièrement, et ensuite MM. Mégard [4] et Barat, [5] et auxquels je vous prie de faire mes recommandations et de les assurer de mon très humble service. Pour M. Sorel, [6] je suis bien aise qu’il soit allé à Montpellier [7] et qu’il achève là de se perfectionner afin d’atteindre une bonne fin. C’est un jeune homme bien fait et qui a de bons commencements, c’est dommage qu’il n’a plus de santé. Je pourrais, à cause de cela, dire de lui ce que Macrobe [8] a dit quelque part d’un illustre Romain : ingenium Galbæ male habitat. [2] M. de Saumaise, [9] venant de Hollande pour passer à Dijon, [10] a séjourné ici quelque temps. J’ai acheté tout ce qui est venu de nouveau de lui. Est homo scientissimus et infinitæ lectionis ; [3] j’aimerais mieux savoir ce que possède ce grand homme en son esprit, et quod habet quasi innumerato, [4] que tout ce que prétend savoir la noire troupe des disciples du P. Ignace, [11][12] qui ne savent que leur métaphysique. Encore ne la savent-ils pas bien, ce qui me fait croire qu’il ne faut plus s’attendre que ces gens-là nous donnent rien de bon, puisqu’ils ne s’emploient plus qu’à prêcher et à confesser les bigots et les bigotes, à cause qu’ils gagnent davantage à cela. Hoc unum agunt boni illi viri, ut sacerimmæ pietatis obtentu rudioribus imponant, et captivas detineant mulierculas ; sed apage illam gentem. [5] M. de Saumaise a fait bien autre chose depuis le Solin. [6][13] Quand vous viendrez à Paris, je vous les ferai voir si vous les désirez. Je crois bien que vous ne manquez non plus de soldats et de malheurs que tout le reste de la France, qui me font souvent écrier Ad quæ tempora nos reservasti, Domine ! [7] car je ne veux pas dire comme cet impie Catulle [14] Cinæde Romule, ista videbis, et feres ? [8][15] Il [faut] prendre patience et espérer que Dieu nous en donnera le moyen : dabit Deus his [quoque] finem, et fortasse tot tumultuum auctoribus funem commeritum. [9][16] M. de Bullion, [17] surintendant des finances, mourut ici samedi dernier, 22e de décembre, d’une apoplexie, [18] âgé de 72 ans. Il est enterré aux Cordeliers, [10][19][20] auxquels il a donné cent [mille] francs. Il n’y a point ici de Grégoire de Tours [21] de M. Ballesdens : [22] novi hominem, [11] qui n’est capable de rien de pareil. Il y a quelques années qu’il fit imprimer le ramas des Éloges de Pap. Masson ; [12][23] mais il n’y a rien mis du sien, hormis des épîtres jusqu’au nombre de quatre, pleines de puantes louanges et de flatteries à M. le chancelier, [24] cuius bascaudas lingit, ut solent edaces parasiti ; [13] à cela il y est bien [propre], ad cetera, telluris inutile pondus. [14] On attend ici dans peu de jours le prince T[homas] [25] et le comte d’Harcourt. [26] Le pape [27] est bien serré paralytique, itaque in via [proxima] ad apoplexiam : [15] voyez où en est réduit ce bon père, il fait cheminer les autres du c[entre] de la terre jusque par delà le firmament, et néanmoins le pauvre prince [n’y] peut aller lui-même ; c’est que causæ æquivocæ dant quod non habent. [16] Mais j’abuse de votre loisir, ignosce amico tecum garrienti et amice confabulan[ti]. [17] Je vous baise très humblement les mains, et à Mme Belin et à Messieurs vos frères, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 26e de décembre 1640.
M. de Bullion tomba malade vendredi après-midi. Il fut saigné, confessé et communié ; deux fois des bras, une fois du pied. M. le cardinal [28] sachant la grandeur de son mal, le vint voir, et le trouva sans voix et sans connaissance ; ayant vu quoi, solutus in lacrymas Princeps purpuratus recessit. [18] Le malade mourut ex suffocatione cerebri [19] le samedi fort tard, tout près de minuit.
Ms BnF no 9358, fo 58 ; Triaire no liv (pages 178‑181) ; Reveillé-Parise, no xliii (tome i, pages 69‑70). Le bord droit de la feuille est endommagé : certains mots de la lettre (entre crochets) ont été rétablis comme étant les plus vraisemblables.
Les médecins de Troyes faisaient Corps et Collège, suivant les statuts que François ier avait donnés à cette cité en 1539, enregistrés par le Parlement de Paris, sous la juridiction duquel elle était placée. Henri iv les confirma en 1595. Les règles d’agrégation au Collège étaient strictes (Mémoire Coll. méd. Troyes, pages 26‑27) :
« Les facultés de médecine de Paris et de Montpellier étant reconnues pour principales et supérieures dans le royaume, on ne doit point être surpris si les statuts, en admettant les médecins de ces deux facultés, donnent l’exclusion aux autres de qui l’on n’exige que très peu d’épreuves : on les reçoit en un demi-jour, sans lettres de maître ès arts ; on soupçonne même certaines facultés d’envoyer par la poste des lettres de grades à ceux qui ne veulent pas prendre la peine de les aller chercher. À Montpellier, au contraire, on exerce, on instruit les sujets. Ceux qui n’étudient pas assez sont renvoyés pour six mois, pour un an, et plusieurs le sont tous les ans pour toujours. On les exhorte alors à choisir un état plus conforme à leurs talents. Ceux qui sont reçus et veulent s’établir à Troyes sont obligés de produire :
- un extrait baptistaire, parce qu’il faut être régnicole, {a} et un certificat de vie et mœurs, et de catholicité, à peine de nullité ;
- un certificat de deux ans d’étude en philosophie et la lettre de maître ès arts en conséquence ;
- des attestations d’inscriptions et de leçons prises pendant trois ans dans l’Université de Paris ou de Montpellier ;
- des lettres de baccalauréat ;
- les lettres de trois cours publics ;
- celles des quatre examens sur des maladies tirées au sort, et de quatre autres ajoutées depuis peu sur les médicaments ;
- les lettres des six triduanes ; {b}
- celles pour le point rigoureux ; {c}
- celles de licence, enfin celles de doctorat. {d}
Toutes lettres qui sont autant de certificats de 21 actes probatoires, ou examens publics, commencés au son de la cloche, annoncés 24 heures auparavant, et souvent en présence de huit professeurs et d’un grand nombre d’auditeurs instruits des questions qu’on y traite, qui sont deux ou trois cents étudiants ou médecins de toutes les facultés du royaume qui viennent fréquenter celle de Montpellier. On doit ensuite suivre les anciens médecins dans les hôpitaux de Paris ou ailleurs, pendant deux ou trois ans, et voir ordonner longtemps avant que de passer soi-même à la pratique. Un médecin qui se présente avec ces titres est sûr d’être admis à Troyes ; on n’en a jamais reçu qui ne les eût et qui ne se soit soumis aux lois générales du royaume, et particulières à cette ville. »
- Natif et habitant du royaume de France.
- Examens d’une durée de trois jours chacun.
- Dernière des épreuves préparatoires à l’obtention de la licence.
- V. note [1], lettre 139, pour ces examens de médecine de l’Univesité de Montpellier.
« le génie de Galba est mal logé » : mot de M. Lollius sur Galba, homme distingué par son éloquence, mais dont la difformité corporelle gâtait la prestance.
La citation (développée dans la note [8], lettre latine 313) est extraite des Saturnales (livre ii, vi, 3) de Macrobe (Ambrosius Aurelius Theodosus Macrobius), philosophe et philologue latin du ive s. ; outre sept livres de Saturnales, ouvrage de compilation sur toutes sortes de sujets, dont le mérite principal est d’avoir conservé de nombreux fragments d’œuvres aujourd’hui disparues, Macrobe a laissé un Commentaire au Songe de Scipion, de Cicéron, en deux livres (G.D.E.L.).
« C’est un homme d’immense savoir et d’érudition sans limite ».
« et qu’il a en quantité presque incalculable ».
« Ces bons hommes agissent dans le seul but d’abuser des plus ignorants sous le prétexte de la piété la plus sacrée, et de tenir captives des femmelettes ; mais fi de cette engeance. »
Géographe latin du iiie s., Solin (Caius Julius Solinus) a laissé un traité très largement inspiré de l’Histoire naturelle de Pline (v. note [5], lettre 64) et de la Chronographie de Pomponius Mela (v. note [32], lettre 527). Ce Polyhistor [l’Érudit] est un abrégé de la géographie des Anciens et de l’histoire naturelle du monde connu.
D’abord publié sous le titre de Collectanea rerum memorabilium [Collection des choses mémorables], cet ouvrage reçut, à la seconde édition, le nom de Polyhistor, que lui donna Solin. Très lu au Moyen Âge, c’est un des premiers livres qui aient été imprimés. Claude i Saumaise en a donné la plus célèbre édition :
Plinianæ exercitationes in Caii Iulii Solini Polyhistora. Item Caii Iulii Solini Polyhistor ex veteribus libris emendatus.[Essais pliniens {a} sur le Polyhistor de Solin. Avec le Polyhistor de Solin corrigé à partir des livres anciens]. {b}
- Composés à la manière Pline l’Ancien.
- Paris, Jérôme Drouart, 1629, 2 volumes in‑fo ; réédition à Utrecht, 1689 (v. note [5] de la Biographie de Claude ii Saumaise).
« Pour quels temps nous as-tu réservés, Seigneur ! »
« Tu verras ces choses, complaisant Romulus, {a} et les supporteras-tu ? » {b}
- D’après la légende, Romulus, après avoir assassiné son jumeau Rémus, devint roi de Rome. Fr. Noël :
« Pour augmenter le nombre des habitants, il ouvrit un asile, entre le mont Palatin et le Capitole, aux esclaves fugitifs, aux banqueroutiers et aux malfaiteurs. Cette troupe de brigands et d’aventuriers, méprisée par tous les peuples voisins, n’eût pu trouver à se multiplier si Romulus n’avait eu recours à l’artifice pour enlever les filles des Sabins, qu’il fit épouser à ses nouveaux sujets. »- Catulle (Caius Valerius Catullus, Vérone vers 87-Rome vers 54 av. J.‑C.) est l’auteur d’un recueil de poèmes [Carmina] composé de 116 pièces.
Guy Patin lui empruntait ici le vers 5 de son poème xxix, en y remplaçant ista par hæc (même sens). Catulle y blâmait très vertement Jules César (sous le nom de Romulus, le premier des Romains) pour son dévergondage et sa bienveillance envers les exactions de ses clients (ceux de son parti).
« Dieu aussi y mettra fin [Virgile, Énéide, chant i, vers 199], et peut-être une corde que méritent bien les fauteurs de tant de désordres. » Les mots entre crochets, ici et plus bas, sont des lacunes du manuscrit qui ont été reconstituées.
À Paris, le couvent des cordeliers (franciscains) se situait sur l’actuel terrain de la Faculté de médecine, près du carrefour de l’Odéon (vie arrondissement). Il n’en subsiste que le réfectoire. Bâtie au xiiie s., son église était l’une des pus vastes de Paris.
V. note [6], lettre 17, pour Claude de Bullion.« je connais cet homme ».
Jean Ballesdens (Guy Patin écrivait Balesden, 1596-1675) était secrétaire du Chancelier Séguier et dut à sa position d’être reçu en 1648 membre de l’Académie française, à la place de Claude de Malleville. Deux ans auparavant, il avait d’ailleurs eu le bon esprit de s’effacer devant Pierre Corneille. Ballesdens a peu écrit et s’est presque entièrement borné à donner des éditions de divers auteurs, avec quelques notes. Il a édité notamment les écrits de Savonarole (v. première notule {a}, note [36] du Naudæana 2), les Épîtres de sainte Catherine de Sienne, un Miroir du pécheur pénitent, et traduit les Fables d’Ésope (G.D.U. xixe s. et Triaire). Quoique Patin pensât « qu’il n’était capable de rien de pareil », il venait alors de publier les :Divi Georgii Florentis Gregorii episcopi Turonici Operum piorum :
Diligenti opera et fide veterum Codicum exscripti, emendati et aucti. Labore et industria I.B. in Senat. Paris. et Regia Advoc.
- tomus i
De gloria Martyrum et Confessorum, libri iii ;- tomus ii
De Miraculis S. Martini Archiepiscopi Turonensis, Libri quatuor.
De Vitis Patrum, Liber unus.
De Septem Dormientibus in majori Monasterio propre Turonum, Liber unus.[Pieuses œuvres de saint Georgius Florens Gregorius, évêque de Tours : {a}
- tome i
trois livres des martyrs et de ceux qui ont avoué leur foi ; {b}- tome ii
quatre livres sur les miracles de saint Martin, archevêque de Tours,
un livre sur les vies des Pères,
un livre sur les sept dormants dans un très grand monastère proche de Tours. {c}Transcrits, corrigés et augmentés par un diligent travail et sur la foi d’anciens manuscrits, par la recherche et le travail de J.B., avocat au Parlement de Paris et à la Cour royale]. {d}
- Grégoire de Tours (Riom vers 538-Tours vers 594), évêque de Tours en 573, saint de l’Église catholique, a écrit un assez grand nombre d’ouvrages biographiques, mais sa gloire d’historien lui est venue de son Historia Francorum [Histoire des Francs] en 10 livres qui est une source précieuse et originale pour l’histoire de l’ancienne Gaule.
- Paris, Jacobus Dugast, 1640, in‑12 de 567 pages.
- Tombeaux rupestres de la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants, à l’abbaye de Marmoutier.
- ibid. et id. 1640, in‑12 de 1 108 pages.
Ramas : « assemblage de plusieurs choses » (Furetière).
« dont il lèche les plats [emprunt à Joseph Scaliger, v. note [10], lettre 104], comme les convives voraces en ont l’habitude. »
V. note [11], lettre 35, pour les Éloges de Jean-Papire Masson ; au début de chacune des deux parties se trouvent deux épîtres dédicatoires de Jean Ballesdens (une en latin et une en français) adressées au Chancelier Pierre iv Séguier ; Guy Patin n’avait pas tort de les juger comme il a fait.
« pour le reste, c’est un fardeau inutile de la terre » : paroles d’Achille déplorant la mêlée de la guerre expression que Plutarque rapporte dans La Tranquillité de l’âme (chapitre ii, dans la traduction en latin de Guillaume Xylander, v. notule {f}, note [52] du Patiniana I‑2).
« et ainsi sur un chemin très proche de l’apoplexie. »
« les causes équivoques donnent ce qu’elles n’ont pas [ont des résultats inattendus]. »
« pardonnez à l’ami qui gazouille et converse amicalement avec vous. »
« le prince empourpré s’est retiré fondant en larmes. »
« d’une suffocation du cerveau [apoplexie] ».
« Le bonhomme mourut de crapule [ivrognerie] en moins de rien » (Tallemant des Réaux, Historiettes, tome i, page 303).
Claude Malleville (in Adam) :
« Un soir, après un grand repas,
Le vin avança son trépas,
Et sa débauche fut suivie
De la prompte fin de sa vie. »