Ce 22e d’avril. Le roi [2] a été au Parlement où il a fait passer une ample déclaration pour plusieurs édits et entre autres, pour le Code, [1][3][4] pour son Domaine, [5] etc., dont vous aurez le détail ci-après. Nous avons perdu un de nos jeunes docteurs, Jacques Boujonnier, [6] dont le frère aîné [7] mourut il n’y a que deux ans. Ce petit dernier n’avait que 28 ans, mais il était bien savant < et > eût été l’honneur de sa famille, il en avait l’obligation aux soins de son père. [8] Le roi est en son camp de Houilles [9] où il fait sa revue. Il est aujourd’hui venu céans un fort honnête homme et qui sait bien des choses, c’est M. Bonet, [10] médecin de Genève, [11] qui est venu pour un procès qu’il a pour une terre qu’on lui dispute. Hier, il était venu à ma leçon [12] au Collège de Cambrai, [13] il a un fils médecin quant et soi. Il y a bien des médecins en France, et dans la campagne et dans Paris, qui n’en savent pas tant que lui. Il est fort savant et fort spirituel. Il ne tient guère du Suisse ni de l’Allemand, mais il a bien de l’esprit ; il vaut mieux qu’un Italien. [2] On dit qu’après la revue qui se fait présentement, le roi fera un voyage à Fontainebleau. [14] Outre l’édit vérifié du Domaine qui fera bien du bruit, on parle fort ici de toutes les douanes et de mettre d’autres officiers aux gabelles. [15] M. Courtin, [16] notre député, est parti pour Breda, [3][17][18] mais il me semble qu’il n’y a point apparence d’espérer que nous ayons cette année la paix avec l’Angleterre, vu les diverses prétentions que les Anglais y apportent. On dit qu’ils y favorisent fort l’Espagnol qui leur offre tous les ans cinq millions s’ils veulent continuer la guerre contre nous et les Hollandais. Ô que le monde est malheureux par l’ambition et l’avarice des princes ! Les princes qui font l’amour traitent plus doucement leurs sujets car l’amour est un péché de l’humanité, au lieu que les deux autres sont diaboliques. [4] Juvénal [19] a dit quelque part, mais avec bonne grâce, en parlant de Domitien [20] qui était un méchant coquin :
Atque utinam his potius nugis tota illa dedisset
Tempora nequitiæ, etc. [5]
Le 23e de ce mois est mort ici M. de Sainte-Hélène, [21] conseiller de Rouen [22] à la Chambre de justice. [23] Il était un des rapporteurs de M. Fouquet [24] et le condamna à mort, mais l’autre rapporteur, M. d’Ormesson, [25] l’avait absous. Ipse reus adhuc vivit, [6] et celui qui l’a condamné est mort : Superstes aliquis fuit suo carnifici, [7] c’est Sénèque [26] qui l’a dit. Il y a aujourd’hui 109 ans que mourut à Paris, l’an 1558, Jean Fernel, [27] l’ornement de la France et de la médecine. J’ai même aujourd’hui parlé de lui en ma leçon au Collège royal, mais il est au-dessus des louanges que je lui puis donner et comme on dit, supra omnes titulos. [8]
Le roi a nommé quatre lieutenants généraux, savoir MM. de Bellefonds, [28] de Duras, [29] d’Humières [30] et de Pradelle, [31] pour la guerre qu’on va faire, quoiqu’on ne sache encore où. [9][32] M. le chevalier de Créqui, [33] qui est rentré en grâce, sera employé dans l’armée navale. M. Raffin [34] est ici, qui a pris la peine de venir céans pour m’assurer que M. Spon [35] a reçu les 100 livres que je lui ai envoyées pour Genève. J’apprends que monsieur votre fils, Noël Falconet, [36] commence à voir des malades et qu’il y réussit. J’en suis ravi et je prie Dieu qu’il continue toujours en augmentant, et qu’il fasse bonne guerre aux impostures de notre profession et à tant de charlatans [37] qui se rencontrent partout, Quis enim non vicus abundat tristibus obscænis ? [10][38] Nous avons ici quantité de fièvres tierces, [39] et même des continues [40] de même nature, quæ uno aut altero die tertianæ febris typum ac indolem retinent : pendent isthæc ab impuritate primæ regionis, quæ in cavis hepatis circa pancreas et mesenterium stabulatur. [11][41][42][43] Nous saignons pour la continuité, et pour l’intermission nous purgeons [44] avec casse [45] séné [46] et sirop de roses pâles ; [47] et cette méthode nous réussit fort bien. On dit que nos troupes marcheront le 20e de mai, on soupçonne que ce sera quelque chose comme on fit à Marsal [48] il y a quatre ans. [12] Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.
De Paris, ce 29e d’avril 1667.
Bulderen, no ccccxlviii (tome iii, pages 235‑238) ; Reveillé-Parise, no dccxlvii (tome iii, pages 647‑649).
Théophile Bonet (Genève 1620-ibid. 1689) a très amplement mérité cet hommage appuyé de Guy Patin. Après avoir parcouru les universités d’Europe, il s’était fait recevoir docteur en médecine en 1643. Pratiquant avec grand succès à Genève, il devint médecin du duc de Longueville. Frappé de surdité, il se confina dans son cabinet et après plus de 40 ans de pratique et de recherches, il publia des ouvrages qui enrichirent considérablement l’anatomie pathologique, alors naissante. Inspiré par l’œuvre de Guillaume de Baillou (Ballonius, v. note [1], lettre 935), il comprit la rude mais véritable marche à suivre pour trouver le siège et la nature des affections humaines : observer les symptômes, recherchre leurs causes et disséquer les cadavres pour découvrir les traces que les maladies laissent dans les organes. Bonet ouvrit la voie dans laquelle le grand Giambattista Morgagni (Forli 1682-Padoue 1771), le fondateur de l’anatomie pathologique moderne, l’a suivi avec tant de succès (S. in Panckoucke).
Outre le Pharos Medicorum [Phare des médecins], tiré des œuvres de Baillou, {a} ses deux ouvrages majeurs ont été :
[Introduction à l’Anatomie pratique, ou des causes cachées des maladies révélées par la dissection des cadavres, première partie du premier livre sur les douleurs de la tête, révélées par son ouverture. Ouvrage de Théophile Bonet, natif de Genève, médecin du sérénissime prince de Longueville] ; {b}
Tomus Secundus. Continens affectus imi Ventris, et reliqui corporis
. [Le Sépulcre de Théophile Bonet, docteur en médecine, jadis l’un des conseillers médecins du prince Henri ii d’Orléans, duc de Longueville, etc., {c} ou l’Anatomie pratique tirée des cadavres morts de maladie, présentant des histoires et observations de presque toutes les affections du corps humain, et dévoilant leurs causes cachées. À ce titre, elle mériterait d’être appelée le Fondement de la Pathologie authentique, aussi bien que de l’Hôpital orthodoxe, et même le Magasin de l’ancienne et de la nouvelle médecine. Avec les index nécessaires. Ouvrage que tous ceux qui cultivent la médecine et l’anatomie on jusqu’ici espéré de leurs vœux, et qu’un immense travail a assemblé et recueilli. Tome premier contenant les affections de la tête et du thorax. {d}Tome second, contenant les affections de l’abdomen et du reste du corps]. {e}
Ce monument de la médecine a été réédité à Lyon, Cramer et Perachon, 1700, en 3 volumes in‑fo, avec des additions et des corrections de Jean-Jacques Manget.
De ce second livre, Éloy a écrit :
« Cet ouvrage est peut-être la meilleure production des écrivains en médecine du xviie s., {a} et la plus propre à instruire ceux qui se consacrent à l’art de guérir des indispositions auxquelles le corps humain est sujet. Haller, {b} ce bon connaisseur des livres utiles, a dit hautement qu’il n’en est point qui mérite plus d’être perfectionné et continué que celui-là. La lumière, ajoute-t-il, qu’il répand sur le siège et les causes des maladies est bien plus frappante que celle qu’on peut tirer de tout ce qu’on a imaginé de théories jusqu’à présent. […] Le célèbre Morgagni a intimement éclairci l’ouvrage de Bonet, qu’il a en quelque sorte refondu dans le sien et qu’il a augmenté par les remarques intéressantes qui lui sont propres. »
- J’y ajoute sans hésitation les quatre autres qui ont révolutionné la médecine :
- l’Exercitatio anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus [Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux] de William Harvey (Francfort, 1628, v. note [12], lettre 177) ;
- les Experimenta nova anatomica [Expériences anatomiques nouvelles] de Jean Pecquet sur le chyle (Paris, 1651, v. note [15], lettre 280) ;
- les Observationes anatomicæ [Observations anatomiques] de Johann Jakob Wepfer sur l’apoplexie (Schaffhouse, 1658, v. note [3], lettre 610) ;
- la seconde lettre de Pulmonibus [sur les Poumons] de Marcello Malpighi (Bologne, 1661, v. note [19] de Thomas Diafoirus et sa thèse).
- Albrecht von Haller (Berne 1708-ibid. 1777), l’un des grands médecins germaniques du xviiie s.
Dans les Monitoria et hortatoria clarissimorum virorum [Avertissements et recommandations d’hommes très brillants] de l’édition lyonnaise du Sepulchretum (1679), se remarquent les lettres :
Les noms de Spon, des deux Falconet et de Guy Patin figurent dans le long Index eorum qui hoc in opere adducuntur [Index (sans renvois aux numéros de page) de ceux dont les contributions sont citées dans cet ouvrage].
Bonet avait épousé Jeanne Spanheim, fille du théologien genevois Friedrich i Spanheim (v. note [11], lettre 16). Les biographies et les génalogies leur attribuent un fils né avant 1667, prénommé Frédéric, mais il n’était alors âgé que de 15 ans. Peut-être Guy Patin voulait-il parler d’un neveu de Théophile, car son frère aîné, Jean Bonet (1615-1688), médecin de Genève, avait deux fils, prénommés André (né vers 1636) et Jean-Antoine (vers 1639), qui exercèrent la même profession que leur père (Éloy).
Mémoires de Louis xiv (tome 2, pages 243‑244, année 1667) a donné les raisons diplomatiques du choix de Breda (v. note [29], lettre 219) pour la négociation de la paix (conclue le 31 juillet 1667) :
« < Le roi d’Angleterre > me donna sujet de défiance par la proposition qu’il fit à mon insu aux États < de Hollande > d’aller traiter la paix à La Haye ; car comme cette ville était pleine d’un fort grand peuple et fort facile à émouvoir, je ne doutai point que ce ne fût un choix fait de concert avec l’Espagne, dans le dessein d’y faire tramer des brigues par leurs ministres, soit pour rétablir l’autorité du prince d’Orange, ou pour détacher cette république d’avec moi.
Mais j’éludai leur artifice en le faisant connaître aux États qui, par mon avis, répondirent au roi d’Angleterre que, s’il voulait, on irait traiter en son royaume ou que, s’il aimait mieux négocier chez eux, ils lui donnaient le choix de Breda, de Bois-le-Duc et de Maastricht, parce que, disaient-ils, La Haye n’étant pas fermée ne pouvait donner aux députés la sûreté convenable à leurs fonctions.
Mais le roi de Grande-Bretagne, qui reconnut incontinent le véritable sujet de cette réponse, fut si fâché de voir son dessein découvert qu’il ne voulut d’abord accepter aucune des places proposées. Et néanmoins, bientôt après, il choisit Breda, témoignant même que c’était en ma considération qu’il apportait cette facilité aux affaires. »
Mû par son attachement indéfectible à la personne du roi, Guy Patin absolvait ici sans circonlocutions les frasques extraconjugales de Louis xiv. Reveillé-Parise notait sentencieusement la « distinction entre l’amour et l’ambition, qui n’avait point encore été faite, et qui mérite d’être remarquée ».
« Plût aux dieux qu’il eût plutôt consacré à de telles niaiseries tous ces temps de débauche, etc. » (Juvénal, Satire iv, vers 150‑151), avec et nequitiæ, « de débauche », au lieu de sævitiæ, « de furie ».
Juvénal évoqait les temps affreux où l’empereur Domitien {a} (vers 151‑154) :
claras quibus abstulit Urbi
illustresque animas impune et vindice nullo.
Sed periit postquam cerdonibus esse timendus
cœperat ; hoc nocuit Lamarium cæde madenti.il frustra Rome de vies illustres et fameuses, impunément et sans que surgît un vengeur. Il ne périt que du jour où il devint redoutable aux gagne-petit. Voilà ce qui le perdit, tout souillé du sang des lamies]. {b}
- V. note [8], lettre 851.
- V. notule {b}, note [6], lettre 517.
Sans doute Guy Patin ne voulait-il pas alors aller aussi loin contre Louis xiv.
« Quant au condamné, il vit toujours » ; v. note [11], lettre 803, pour les requêtes contradictoires de Jacques Le Cornier de Sainte-Hélène et d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson contre Nicolas Fouquet, en décembre 1664.
« au-dessus de tous les titres d’honneur. »
« C’était un homme qui avait tous les talents de la cour et du grand monde, et toutes les manières d’un fort grand seigneur ; avec cela homme d’honneur, quoique fort liant avec les ministres et très bon courtisan, ami particulier de M. de Louvois qui contribua extrêmement à sa fortune, qui ne le fit pas attendre. Il était brave et se montra meilleur en second qu’en premier. Il était magnifique en tout ; bien avec le roi, qui le distinguait fort et était familier avec lui. On peut dire que sa personne ornait la cour et tous les lieux où il se trouvait. Il avait toujours sa maison pleine de tout ce qu’il y avait de plus grand et de meilleur. Les princes du sang n’en bougeaient et il ne se contraignait en rien pour eux ni pour personne, mais avec un air de liberté, de politesse, de discernement qui lui était naturel, et qui séparait toute idée d’orgueil d’avec la dignité et la liberté d’un homme qui ne veut ni se contraindre, ni contraindre les autres. »
« Quelle rue, en effet, ne regorge point de polissons à l’air austère ? » (Juvénal, v. note [9], lettre 763).
« qui d’un jour sur l’autre rappellent le caractère et le rythme d’une fièvre tierce : celles-ci se soldent par l’impureté de la première région, {a} qui se tient sous le foie, autour du pancréas et (de la racine) du mésentère. » {b}
- En principe, la « première région » (prima regio) du corps était la tête (v. note [1], lettre 151), mais ce qui suit désigne clairement la partie haute et postérieure de l’abdomen, dite sus-mésocolique (v. note [5] de la Consultation 17). Dans son Anthropographia (Paris, 1618, v. note [25], lettre 146), Jean ii Riolan, après Galien, lui donne le nom plus explicite de superior regio epigastrium [région supérieure des épigastres] (livre ii, chapitre ii, page 134, Ventris inferioris divisio [Division de l’abdomen]) ; les deux autres régions abdominales étaient dénommées ombilicale et hypogastrique.
- Le mésentère est l’éventail très étendu de péritoine qui enveloppe et arrime les cinq à six mètres de l’intestin grêle : il ne s’agit ici que de sa partie centrale, proche du pancréas, à laquelle on donne le nom de racine. V. note [4], lettre 798, pour une opinion de Jean Fernel sur le rôle du pancréas et du mésentère dans les fièvres.
Fameuse « réduction » (prise) de Marsal (v. note [1], lettre 524), possession du duc de Lorraine, par Louis xiv le 2 septembre 1663 ; la ville fut ensuite fortifiée par Vauban.