L. 37.  >
À Claude II Belin,
le 3 janvier 1638

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie bien humblement de la vôtre, comme aussi du pâté [2] que vous nous avez envoyé. Je suis honteux que nous fassiez tant de présents, vu que je n’ai aucune occasion de deçà pour m’en revancher ; mais je vois bien aussi que par ci-devant il y a eu quelqu’une de mes lettres qui vous a échappé et ne vous a pas été rendue, par laquelle je vous priais de ne m’envoyer jamais de pâté ni autre chose quelconque, vu que, outre que je suis tout à fait indigne de vos présents, les présents mêmes, et particulièrement entre amis, sont importuns et suspects. J’en ai dit davantage dans ma lettre autrefois, laquelle je crois avoir été perdue : ces présents-là vous incommodent, et moi, qui n’en mange jamais, suis obligé de les donner à des gens qui ne le méritent pas toujours ; et outre la prière de jadis, je vous la réitère, et vous en prie bien humblement. Je suis tout honteux et confus en moi-même quand je pense et repasse par mon esprit toutes les obligations que je vous ai et tous les bienfaits que j’ai reçus de vous en diverses occasions, combien que je n’en aie jamais mérité la moindre partie. Vous me ferez donc la faveur de vous en souvenir ; et pour les petits services que je vous pourrai rendre de deçà, si tant est que je sois assez heureux de vous en pouvoir rendre quelques-uns, vous m’obligerez de me conserver en vos bonnes grâces. Quant à M. Le Bé, [3] je n’ai pu avoir le bonheur de le rencontrer. [1] Le petit Sorel [4] m’a dit qu’il s’était chargé des livres et des papiers que je vous renvoyais. Utinam procul a vobis fuget Loyolitas[2][5] M. de Fresne-Canaye [6] les a accommodés comme il faut. J’ai tout lu son troisième tome, où ils sont dépeints naïvement : [3] je m’en rapporte aux pages 17, 19, 34, 35, 66, 79, 82, 85, 86, 119, 143, 154, 177, 186, 405, 406 ; Ordre entrant et pénétrant comme celui-là, pag. 413, 443. [4][7] Le P. Caussin [8] a perdu sa place pour avoir imprudemment entretenu le roi [9] de la protection qu’il donne aux protestants, et de la reine mère. [5][10] Le cardinal [11] dit que c’était un fin moine et qui, en ses entretiens particuliers avec le roi, ne débattait de rien moins que des Hollandais, des Suédois et de la reine mère. [6] On a mis à sa place un P. Sirmond, [7][12] Auvergnat, qui sera plus fin que lui, que l’on a envoyé à Rennes, [8][13] où il aura loisir de corriger les sottises et les fautes qu’il a faites en sa Cour sainte, et principalement au troisième tome. Ce P. Sirmond est un très savant homme, mais néanmoins jésuite. C’est lui-même dont parle le cardinal d’Ossat [9][14] au fait de Marthe Brossier, [10][15][16][17] l’an 1599 et 1600. [11] Il n’y a ici rien de nouveau. Toute la cour est à Saint-Germain. [18] Je vous donne le bon jour et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 3e de janvier 1638.


a.

Ms BnF no 9358, fo 43 ; Triaire no xxxvii (pages 128‑130) ; Reveillé-Parise, no xxviii (tome i, pages 48‑49) ; Prévot & Jestaz no 4 (Pléiade, pages 412‑413).

1.

Guillaume Le Bé, libraire à Troyes inscrit en 1636, mort en 1685 (Triaire).

2.

« Plût au ciel que le loyolisme s’écarte bien loin de vous ».

C’était la troisième tentative de la Compagnie de Jésus pour s’installer à Troyes et y fonder un collège, comme ils avaient déjà fait bien ailleurs (v. note [28], lettre 97). Le R.P. Henri Fouqueray, en a détaillé les épisodes (chapitre v, Les fondations, de 1635 à 1643, pages 184‑188).

François Pithou s’était opposé à eux de 1603 à 1611 (v. note [2], lettre 50), mais une résidence avait été ouverte de 1619 à 1624. Le P. Caussin (v. infra note [5]), devenu confesseur du roi avait obtenu en juillet 1637 des lettres patentes pour l’établissement d’une maison de la Compagnie dans sa ville natale. Outre Louis xiii et Richelieu, ses principaux appuis étaient de Noyers, secrétaire d’État, et Le Bouthillier, qui écrivait le 25 octobre aux maire et échevins de Troyes :

« Je crois qu’il est maintenant du bien de la ville d’obéir et de faire volontairement ce que vous ne pouvez ni ne devez refuser ; vu même qu’il n’est question que d’une résidence et qu’il n’y a aucun dessein d’établir un collège dans la ville, celui qui y est étant suffisant pour l’instruction de la jeunesse […]. Vous feriez chose fort désagréable au roi si vous traversiez en aucune façon l’intention de sa volonté sur ce sujet, vous priant de croire que si j’avais jugé qu’il allât en cela de l’intérêt de la ville, j’aurais apporté tout ce qui aurait dépendu de moi pour la détourner, désirant vous faire connaître en toutes les occasions qui s’offriront, que je suis, Messieurs, votre très affectionné serviteur. »

Le premier jésuite arriva discrètement à Troyes au début de 1638, bientôt suivi d’un, deux, puis trois autres. Aux protestations du bailliage, Louis xiii répondit le 4 mars par une lettre :

« Nos amis et féaux, la satisfaction que Nous témoignent tous les jours les villes de Notre royaume où les pères jésuites ont été établis, Nous avait toujours fait croire que les habitants de Notre ville de Troyes recherchaient très volontiers les occasions de les avoir parmi eux. Ce qui fait qu’ayant été averti qu’il s’est ému quelque contention entre eux sur l’enregistrement des lettres patentes que Nous avons fait expédier pour leur établissement en Notre ville de Troyes, Nous l’attribuons plutôt à la difficulté qui s’est rencontrée sur les adresses de Nosdites lettres patentes, qu’à aucune mauvaise inclination que vous ayez contre lesdits pères jésuites. C’est pour cette raison que Nous avons bien voulu écrire ces présentes pour vous exhorter et ordonner, comme Nous faisons, que vous ayez tous à concourir unanimement à la réception desdits pères, suivant Notre désir, afin que l’exemple de votre concorde, union et obéissance dispose tous les ordres de Notredite ville de se porter plus promptement à l’exécution en cela de Notre volonté. Si n’y faites faute, car tel est Notre plaisir. »

Le 29 mars, sur ordre du Conseil d’État, une assemblée de dignitaires locaux se réunit et vota majoritairement en faveur des jésuites. L’échevinage protesta en vain et se résolut à déclencher une agitation factice de la population :

« ils firent tant et si bien que les clameurs se changèrent en menaces et que des menaces, on passa aux coups. Non contents de huer et de siffler les religieux, des bandes soudoyées enfoncèrent leurs portes, et on parla même de les brûler dans leur maison. »

À la fin d’avril, les jésuites quittèrent la ville (v. note [1], lettre 41). Le 29 juin, le Conseil du roi rendit un arrêt ordonnant d’informer contre les séditieux qui avaient eu part à cette expulsion.

« Pierre Denise, lieutenant en la prévôté de Troyes, commença les interrogatoires, dans lesquels on releva des propos peu respectueux pour le cardinal, par exemple “ que les jésuites en avaient imposé à la cour… qu’il y avait deux rois, et que les ordres dont les pères étaient porteurs n’émanaient pas du véritable ”. Richelieu ne jugea pas à propos de faire connaître à Louis xiii ce que le peuple pensait de son ministre. Il se contenta de réprimander “ sept ou huit personnes de la chambre de l’échevinage ”, et supprima toute la procédure. »

3.

Ingénument.

4.

En regard de cette énumération il y a une annotation de Guy Patin (quatre courtes lignes dans la marge), soigneusement barrée et devenue illisible ; au-dessous une plume anonyme a écrit : « Cet endroit est inutile, je vous conseille de ne pas vous rompre la tête à chercher où la placer. »

Le lecteur intéressé trouvera néanmoins ci-dessous les 15 passages, indiqués par Patin, du dernier volume des Ambassades de Fresne-Canaye (v. note [4], lettre 25) : Troisième tome, où il est traité particulièrement du différend du pape Paul v avec la République de Venise ; de l’ordre que l’on a tenu au procédé de cette affaire, et de tout le traité jusqu’à l’accommodement. L’italique des mots français a été ajouté pour baliser le texte dans le sens que désirait Patin.

  1. Page 17, livre 5e, lettre à M. de Commartin, datée de Venise, le 28 avril 1606 :

    « […] étant bien entendu que si le pape n’est appuyé des forces et des conseils d’Espagne, il est hors de sa puissance de rien entreprendre contre cette République ; car, quant aux armes spirituelles, il n’y a pas ici faute de docteurs, tant jurisconsultes que théologiens, qui prétendent avoir de quoi vérifier que Sa Sainteté les a employées mal à propos ; et déjà tous les ecclésiastiques, tant réguliers qu’autres, ont promis de n’avoir aucun égard à ladite excommunication ; voire de courir sus à quiconque la voudrait publier, fût ce Monsieur le nonce en personne ; et non seulement le clergé de cette ville a donné cette assurance au Sénat, mais par toutes les villes et communautés vénitiennes. Les curés, les moines et, quod magis miror, {a} les jésuites en ont autant fait ; vrai est que c’est formidine, {b} parce qu’ils possèdent douze ou quinze mille écus de rente sur cet État, lesquels, sur la moindre désobéissance qu’ils feraient au commandement du Conseil des Dix, leur ferait perdre aussitôt ; à quoi ceux qui traitent des cas de conscience voulant pourvoir, ils enseignent qu’il est loisible de ne pas obéir aux récrits de Sa Sainteté ubi imminet periculum mortis. » {c}


    1. « ce qui m’étonne fort ».

    2. « par crainte ».

    3. « s’il y a péril imminent de mort. »

  2. Page 19, livre 5e, lettre à M. de Salagnac, pareillement datée de Venise, le 28 avril 1606 :

    « Monsieur, c’est avec beaucoup de douleur qu’il faut que je vous dise que tant s’en faut que les affaires de cette République avec Sa Sainteté s’accommodent doucement, comme je vous en avais donné l’espérance ; qu’au contraire, Sa Sainteté, au lieu de se plier aux remontrances du chevalier Duodo, {a} fulmina le 17e de ce mois l’excommunication contre la République, sauf si dans un mois, pour tous délais, elle lui donne contentement ; mais tant s’en faut que cette sévérité ait fait changer de résolution à ce Sénat, qu’aussitôt il a pourvu à ce que l’excommunication ne soit reçue, ni affichée en aucun lieu de son obéissance ; et non content de s’être assuré de l’obéissance de tout son clergé, et des jésuites mêmes, lesquels, de crainte de perdre douze ou quinze mille écus qu’ils ont rière {b} cette Répub., se sont montrés plus souples aux ordonnances du Conseil des Dix qu’on ne pensait. »


    1. Pietro Duodo, ambassaduer de Venise au près du roi de France, Henri iv.

    2. Par devers.

  3. Pages 34‑35, livre 5e, lettre au roi [Henri iv], datée de Venise, le 18 mai 1606 :

    « […] les jésuites leur ayant fait entendre {a} avoir commandement exprès de leur père général d’obéir à l’excommunication, s’offrant néanmoins de demeurer dans la ville, et continuer à ouïr les confessions {b} et instruire la jeunesse, pourvu que le Sénat ne trouvât mauvais qu’ils fermassent leur église, non seulement il leur a été enjoint de partir de cette ville et de tout l’État, mais même on leur a prononcé qu’ils n’y seraient plus reçus ; et de fait, leur maison de cette ville a déjà été donnée à d’autres religieux, et tout leur revenu, qu’on dit être d’environ trente mille ducats, {c} a été séquestré ; et dit-on, qu’il se divisera entre les plus pauvres monastères et lieux pies, dont néanmoins l’ordonnance n’est pas encore faite ; mais il est bien vrai qu’on les a fait sortir trois jours plus tôt qu’ils ne pensaient, et avec plus de rigueur qu’il ne semblait convenable à personnes de cette qualité, parce qu’on les accuse d’avoir suborné les autres religieux à abandonner la ville avec eux afin d’émouvoir le peuple ; et d’avoir aussi été des premiers à instiguer le pape contre cette République, lui promettant que son excommunication n’aurait ici moins de vertu que celle du feu pape Clément à Ferrare ; de sorte qu’il a été besoin de leur donner escorte à leur partement, pour empêcher qu’ils ne fussent offensés par le peuple qui les appelait espions d’Espagne et se réjouissait de les voir chasser comme s’ils eussent été dûment convaincus de trahison ; et néanmoins, il ne s’est vérifié aucune chose contre eux, sinon qu’il y a eu quelques pères et maris qui se sont plaints que leurs femmes et enfants faisaient difficulté de leur rendre l’amour et obéissance due parce que les jésuites leur avaient dit qu’ils étaient excommuniés ; et s’est trouvé aussi copie de quelque lettre de quelqu’un d’entre eux au pape, qui portait qu’ils avaient en leur école trois cents enfants des meilleures maisons de la ville, qui étaient autant d’esclaves pour Sa Sainteté ; et se trouve aussi que par les préceptes qu’ils recommandaient le plus à leurs écoliers, ils leur enseignaient d’être réellement persuadés que le pape est conduit par l’inspiration infaillible du Saint-Esprit, que quand il leur dirait que le blanc serait noir, ils le devraient croire sur peine de damnation ; et à la suite de cette haine publique, on les accuse de plusieurs choses, comme d’avoir spolié plusieurs maisons, d’avoir envoyé grosse somme d’argent à Rome, d’avoir tenu registre des confessions des personnes de qualité, et trois ou quatre jours devant leur partement, d’avoir brûlé grande quantité de papiers, de crainte qu’ils ne fussent vus ; sur toutes lesquelles charges j’entends que le Sénat veut faire informer. »


    1. Aux Vénitiens.

    2. V. notule {c}, note [54] du Borboniana 5 manuscrit.

    3. Trois à six fois fois autant de livres tournois, selon que ces ducats étaient d’argent ou d’or (v. note [52] de l’Autobiographie de Charles Patin).

  4. Page 66, livre 5e, lettre à M. de Commartin, datée de Venise, le 2 juin 1606 :

    « […] et combien que la docte Compagnie des jésuites soit d’autres avis, et défende cette bulle {a} comme ouvrage du Saint-Esprit, si ne me puis-je persuader que le Saint-Esprit mette la main à chose où il y a tant à redire, et qui importe si peu au bien de la foi catholique […]. »


    1. Bulle de Rome qui excommuniait Venise.

  5. Page 79, livre 5e, lettre à M. de Commartin, datée de Venise, le 16 juin1606 :

    « Ces seigneurs, {a} ayant avis que les jésuites ne se contentant pas d’avoir allumé ce feu, le vont attisant tant qu’ils peuvent et prêchent partout contre leur gouvernement, firent avant-hier une ordonnance par laquelle ils sont bannis à perpétuité de ce domaine, leurs biens confisqués, sans pouvoir jamais délibérer de leur restitution, que le procès ne soit lu ; qu’ils n’aient les cinq sixièmes des balles {b} en leur faveur […]. »


    1. Du Sénat de Venise.

    2. Votes.

  6. Page 82, livre 5e, lettre à M. d’Alincourt, datée de Venise, le 17 juin 1606 :

    « […] Or, tandis que le pape attendra les fruits qu’il se promet de sa sévérité, il ne faut point douter qu’elle {a} ne tâche de les lui rendre les plus amers qu’elle pourra ; et en cette intention, elle a fait une ordonnance fort rigoureuse contre les jésuites, par laquelle ils sont à jamais exclus de tout ce domaine, sans y pouvoir être plus rétablis, ni leur rétablissement mis en délibération, que le procès qui leur a été fait ne soit lu en présence de ces quatre-vingts sénateurs pour le moins, tous les papalins exclus, et qu’ils aient les cinq sixièmes de ce nombre en leur faveur, qui sont les moyens que tient ce Sénat quand il veut rendre une chose impossible. Que si Sa Sainteté ne s’émeut pour une telle ignominie faite à une si vénérable Compagnie religieuse, les incommodités qu’elle recevra du côté du Golfe, et la douleur qu’elle aura de voir la République jouir de son autorité des décimes qu’elle avait accoutumé de lui demander, et n’y toucher que par sa permission, la forcera enfin d’avouer qu’il valait bien mieux laisser le moutier où il était, {b} et imiter les prudents vestiges de ses devanciers, que d’entreprendre de faire un monde nouveau. »


    1. La République de Venise.

    2. Ne rien changer aux usages.

  7. Pages 85-86, livre 5e, lettre au roi, datée de Venise, le 28 juin 1606 :

    « Sire, il y a aujourd’hui quinze jours que ces seigneurs, ayant fait lecture en leur Pregadi {a} de quelques lettres écrites par les jésuites à Prague et Piémont, et autres lieux, par lesquelles ils écrivaient fort indignement de la République, ayant aussi avis des prêches scandaleux qu’ils ont faits à Ferrare, Bologne et Mantoue depuis leur partement de cette ville, firent sur-le-champ apporter les charges et informations qu’ils ont ramassées contre eux, et icelles lues, les bannirent à perpétuité de cet État, avec clause de ne pouvoir jamais délibérer de les rétablir que premièrement tout le Collège ne soit de cet avis […]. M’étant enquis des principaux du Sénat, et du prince même, {b} des motifs de ce décret, je trouve que ce n’a point tant été les injures prêchées ou écrites depuis peu par lesdits jésuites contre la République, comme les écrits trouvés aux maisons de Bergame et de Padoue (d’où lesdits jésuites furent congédiés si chaudement qu’ils n’eurent loisir de les brûler ou détourner comme en cette ville), par lesquels il a été avéré qu’ils employaient la plupart de leurs confessions à s’enquérir des facultés d’un chacun, et de l’humeur et manière de vie des principaux de toutes les villes où ils habitent, et en tenaient registres particuliers, qu’ils savaient exactement les forces, les moyens, la disposition de tout cet État en général, et de toutes les familles en particulier ; ce qui a non seulement été jugé indigne de personnes religieuses, mais aussi a donné indice qu’ils doivent avoir quelque grand dessein, à l’exécution duquel ils aient besoin d’une si grande et pénible curiosité ; et ayant répondu à ceux qui m’en parlaient en ces termes, que cela me semblait difficile à croire parce que je connaissais quelques pères de ladite Compagnie, desquels ayant vu les actions depuis trois et quatre ans, j’étais fort assuré qu’ils ne se mêlaient d’autre chose que de leur étude et de l’exercice de la piété ; il m’a été répliqué que cela était vrai, mais qu’en chaque maison il n’y en a qu’un ou deux auxquels le père général commet les affaires d’État, et auxquels non seulement tous les autres sont obligés de se confesser, mais aussi de leur rapporter tout ce qu’ils apprennent par les confessions de tous ceux qui vont à confesse ; sur lequel rapport se font les registres, lesquels sont retirés de six en six mois par les visiteurs et portés audit général, lequel prend soigneusement garde de ne communiquer ses conseils à personne qui ne lui soit fort affidé et qui ne soit napolitain, sicilien ou espagnol ; ce qui a été cause que plusieurs Vénitiens et autres Italiens, après avoir demeuré 25 ou 30 ans en cette Compagnie-là, s’en sont retirés et attestent avoir reconnu que ledit général n’a rien de religieux que la robe, qu’il se gouverne en toutes ses actions en homme qui bâtit un grand empire ; qu’il n’y a moyen d’avoir ses bonnes grâces qu’à force d’argent ; qu’il fait sans comparaison plus de cas de ceux qui savent faire venir l’eau au moulin, que de la doctrine et piété ; qu’il refuse de recevoir profès plusieurs grands personnages qui ont longuement prêché ou lu la théologie avec grande réputation, et y reçoit des ignorants et nouveaux venus en la Compagnie parce qu’en y entrant, ils y auront apporté cinq cents ou mille écus distribuables à sa discrétion […]. »


    1. Leur Sénat.

    2. Le doge.

  8. Page 119, livre 5e, lettre à M. de Villeroy, datée de Venise, le 11 juillet 1606 :

    « Combien donc que jusqu’ici je ne voie nulle apparence de guerre et qu’il soit aisé de remarquer que ces seigneurs {a} en veulent faire plus de jaloux que de cocus, {b} néanmoins, si ce jeu dure, il ne faut point douter que l’autorité pontificale n’en reçoive plus de dommage que d’une bien forte guerre. Déjà les nullités et abus de l’excommunication sont prêchés toutes les fêtes par tous les quartiers de la ville. Déjà cette populace tient le pape pour ennemi de son salut, qui aime mieux arracher la foi chrétienne de leurs âmes que de borner ses richesses ou son ambition. Déjà les confessions des jésuites font l’entretien des tavernes et cabarets. Déjà l’autorité des inquisiteurs est par terre et la liberté donnée aux imprimeurs de faire venir toutes sortes de livres qui impugnent le pontificat […]. » {c}


    1. Vénitiens.

    2. Faire plus de menaces que d’actions.

    3. Cet extrait fait suite à celui qui est transcrit dans la note [25] du Borboniana 10 manuscrit.

  9. Page 143, livre 5e, lettre à M. de Commartin, datée de Venise, le 28 juillet 1606 :

    « Quant au procès fait par le Sénat aux jésuites, il le tient si secret que je n’en ai pu avoir communication, et ne l’ai pu demander aussi, n’en ayant point de charge ; mais ce qui leur a principalement acquis la haine de cette République, c’est l’assurance qu’ils ont donnée à Sa Sainteté de pouvoir troubler cet État au cas qu’on n’obéît à son excommunication ; et les médisances qu’ils ont prêchées à Ferrare, à Bologne, à Mantoue et autres villes d’Italie depuis qu’ils ont été chassés d’ici ; et que leur dessein ne leur a pas réussi. Quelque sénateur m’a bien parlé de quelques cas particuliers d’avarice et de luxure, mais ce sont délits particuliers et qui gisent en preuve là où les deux sont publiés et manifestes. »

  10. Page 154, livre 5e, lettre au roi, datée de Venise, le 9 août1606 :

    « […] si les jésuites n’eussent rien fait qu’obéir à Sa Sainteté, on n’eût rien fait contre eux, non plus que contre les autres corps ecclésiastiques qui sont sortis d’ici ; mais outre les diffamations qu’ils ont prêchées par toute l’Italie contre cet État, et le sacrilège qu’ils ont commis, ayant furtivement emporté force richesses qui avaient été données à leur église, non à eux, contre la défense expresse du Sénat qui ne leur avait permis d’emporter que leurs livres et habits, ils avaient été convaincus de plusieurs choses, par lesquelles il apparaissait qu’ils avaient une très mauvaise intention contre cet État et n’y pouvaient être soufferts sans inconvénient ; qui a été cause, encore qu’ils fussent sortis, de faire ce décret de bannissement perpétuel contre eux, tant pour punir leur médisance que pour avertir les autres ecclésiastiques de se garder de suivre un si mauvais exemple […]. »

  11. Pages 177-178, livre 5e, lettre au roi, datée de Venise, le 23 août 1606 :

    « […] concernant les jésuites, le Sénat m’a répondu cela même que le prince m’avait dit, savoir est avoir été contraint de les bannir à perpétuité, tant par les injures et diffames atroces qu’ils ont prêchés contre la République depuis être sortis d’ici, et pour avoir clandestinement emporté les plus riches ornements de leur église, que pour avoir fait tout ce qu’ils ont pu pour faire révolter ce peuple, ayant rendu les pères exécrables et odieux à leurs enfants, les maris à leurs femmes, les maîtres à leurs valets, et bref, tout le corps du Sénat à tous ses sujets. Mais d’autant que les preuves et informations qui en ont été faites spécifient les personnes d’un et d’autre sexe qui ont été ou subornées ou recherchées par lesdits jésuites pour exercer leur mauvaise volonté, il a été jugé nécessaire, pour maintenir l’union dudit Sénat, et pour autres grandes considérations importantes au bien, repos et sûreté de cet État, de les supprimer. Partant, il me prie d’assurer Votre Majesté que, comme la Compagnie desdits jésuites a été chérie et enrichie en cet État, autant qu’en lieu du monde, tant qu’elle s’est maintenue en bonne odeur, que volontiers on lui eût continué le même traitement si elle eût su maintenir la bonne opinion qu’on avait d’elle, mais l’ayant connue si ingrate et si pernicieuse à ses bienfaiteurs, le Sénat, ayant été contraint d’en venir audit bannissement général, lequel ne concerne que cet État, il se promet que Votre Majesté n’en recherchera point davantage les motifs, et lui fera cet honneur de croire qu’il y a procédé avec telle maturité et équité que lesdits jésuites ont trop plus d’occasion de se louer de sa modération que de se plaindre de sa sévérité ; et comme il sera bien aise qu’ils se rendent utiles à Votre Majesté, et à tous les princes et rois qui les logent et chérissent, qu’il désire aussi que Votre Majesté et tous les princes ses amis trouvent bon qu’il s’en soit défait après les avoir connus si mal affectionnés à l’endroit de cet État […]. »

  12. Page 186, livre 5e, lettre à M. de Villeroy, datée de Venise, le 23 août 1606 :

    « Il m’a été impossible de voir les informations faites contre les jésuites, mais un sénateur m’a baillé la copie, que trouverez en ce paquet, d’une lettre d’une femme de cette ville à son mari, et en a retenu l’original, prétendant qu’elle montre qu’ils ont tâché de mutiner ce peuple en lui persuadant qu’il ne devait pus aller à l’église et qu’il serait condamné s’il obéissait au Sénat. En effet, ils sont à présent en si mauvais prédicament par deçà, {a} que je me doute que je laisserai l’honneur de leur rétablissement à mon successeur […]. »


    1. Si mauvaise réputation ici.

  13. Pages 405‑406, livre 5e, lettre au roi, datée de Venise, le 24 janvier 1607 :

    « Quant à la restitution des religieux, après avoir apporté tout ce qui m’a été possible pour l’obtenir, ce prince {a} m’a donné espérance qu’elle se fera, c’est-à-dire qu’on les laissera retourner en leurs monastères, excepté quelques particuliers atteints et convaincus d’actes séditieux ; mais de cette généralité, l’Ordre entier des jésuites en est exclu à perpétuité, avec une telle animosité de tout le Sénat, de toute la noblesse et de la plupart du peuple, que s’ils entreprenaient de retourner, il serait hors de la puissance des magistrats de la garantir contre une haine si publique ; et qu’ils se sont acquis par tant de démérites que s’il était question d’instruire les procès de toutes les plaintes qui ont été présentées contre eux au Sénat, il y aurait de quoi employer tous les tribunaux de Venise un an entier ; que néanmoins ils sont prêts à informer le pape par leur ambassadeur des justes causes de cette exclusion ; et la supplier de considérer que si les saints décrets et anciens canons défendent d’envoyer en un évêché un évêque suspect au prince ou à la ville, beaucoup moins souffriraient-ils qu’un prince fût astreint de recevoir un Ordre qui lui est non seulement suspect, mais qui l’a tant offensé, et même un Ordre si entrant et pénétrant que celui-là. Tellement, Sire, que cette exclusion n’est point remise à aucune délibération, mais m’a été tranchée comme résolue irrévocablement, avec prière de supplier très humblement Votre Majesté de ne vouloir pas moins aimer la République sans jésuites, qu’elle vous a aimé et révéré alors que vous n’en aviez point ; ajoutant que Sa Sainteté n’a nul sujet de croire qu’elle les ait bannis simplement pour l’obéissance qu’ils ont rendue à sa bulle, puisqu’elle reçoit tous les autres qui y ont obéi ; mais la République, ayant dûment vérifié qu’ils ont été causes de tout ce mal, et que leur principale intention est d’abaisser et anéantir l’autorité de tous les rois et princes temporels, a occasion de louer Dieu de s’en voir défaire et se garder de les recevoir jamais plus ; étant impossible que l’État puisse être assuré qui reçoit la doctrine écrite et prêchée par lesdits jésuites depuis qu’ils ont excité cette controverse ; et quoi que c’en soit, la République aime mieux la guerre, la peste et tout autre fléau que les jésuites. Ce n’est pas sans douleur, Sire, que je vous rapporte toute cette bile, mais j’ai estimé ne vous en devoir rien déguiser afin que là-dessus Votre Majesté puisse résoudre lequel vaudra mieux : faire la guerre pour les jésuites, ou bien faire la paix sans eux, remettant leur restitution au bénéfice du temps, qui n’a pas moins de vertu deçà les Alpes que delà […]. »


    1. Le doge.

  14. Page 413, livre 5e, lettre à M. le cardinal de Joyeuse, datée de Venise, le 24 janvier 1607 : redites (mais sans « Ordre entrant et pénétrant »), avec reprise de « la guerre, la peste et tous les fléaux de l’ire de Dieu seraient plus supportables à ce Sénat que les jésuites ».

  15. Page 443, livre 5e, lettre à M. de Berny, datée de Venise, le 9 février 1607 : préparatifs à Venise de guerre contre le pape ; reprise de l’expression « aimer mieux la guerre, la peste et tous les fléaux de l’ire de Dieu que d’y consentir [à la restitution des jésuites] ».

5.

Le P. Nicolas Caussin (Troyes 1583-Paris 1651), entré dans la Compagnie de Jésus en 1607, s’était fait remarquer par un livre à grand succès, la Cour sainte, ou l’institution chrétienne des grands, avec les exemples de ceux qui dans les cours ont fleuri dans la sainteté (Paris, S. Chappelet, 1624, 3 tomes in‑8o ; nombreuses rééditions augmentées, dont celle de Paris, 1653, en 2 tomes in‑fo, et traductions).

En mars 1637, sur la désignation de Richelieu, le P. Caussin avait succédé comme confesseur du roi au P. Gordon (jésuite d’origine écossaise, dont le cardinal était mécontent) ; mais il ne fut pas à la hauteur hypocrite de la tâche qu’on lui avait confiée : il s’attacha à révéler à Louis xiii l’impiété de ses affaires, tant en matière privée (le mauvais sort réservé à Marie de Médicis, sa mère, ou à Mlle de La Fayette, son éphémère et platonique favorite), que publique (le poids des impôts, les alliances du royaume avec les puissances protestantes et avec les Turcs). Un vif antagonisme s’éleva entre Caussin et Richelieu, qui donna au roi à choisir entre lui et son confesseur. Louis xiii n’hésita guère : sur une lettre de cachet qui l’accusait de conspiration dévote avec Mlle de La Fayette, Caussin était répudié le 10 décembre 1637, recevant l’ordre de quitter Paris pour la Bretagne, Rennes puis Quimper deux mois après. « Il remplit alors les oreilles de ses contemporains de plaintes et de récriminations, comme s’il était exilé chez les Hurons et que Richelieu fût l’Antéchrist [v. note [9], lettre 127] » (Adam).

Après la mort de Louis xiii, Anne d’Autriche rappela Caussin à Paris. Guy Patin le tenait en haute estime et a souvent recommandé ses livres.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 255) :

« Le P. Caussin est mort d’une bizarre manière. Il se mêlait d’astrologie, et trouva qu’il devait mourir un certain jour ; ce jour-là, sans autre mal, il se met en son lit et meurt. »

6.

Marie de Médicis séjournait toujours alors à Bruxelles.

Henri Fouqueray (chapitre xv, Derniers jours des trois puissants protecteurs [1641-1643], pages 435‑436) :

« Dépouillée de tous ses biens en France et ne recevant pas régulièrement la pension annuelle que lui avait promise son gendre, le roi d’Espagne, {a} elle n’avait pas même de quoi répondre par un léger secours aux infortunes qui lui tendaient la main. […]
S’imaginant que l’insuccès de ses démarches auprès de son fils {b} en vue d’un accommodement était dû à son séjour dans les États du roi d’Espagne alors en guerre avec la France, elle résolut, au mois d’août 1638, de quitter les Pays-Bas espagnols et se rendit à l’improviste en Hollande avec l’intention de passer en Angleterre, s’il le fallait. »


  1. Philippe iv.

  2. Louis xiii.

7.

Jacques Sirmond (Riom 1559-Paris 7 octobre 1651), originaire d’une famille de robe, était entré dans la Compagnie de Jésus en 1576. Il avait enseigné cinq ans à Paris, puis été envoyé à Rome pour devenir le secrétaire du général de son Ordre, le P. Aquaviva. Il y avait fréquenté Bellarmin, Tolet, et aidé Baronius dans la composition de ses Annales (v. note [6], lettre 119). Revenu en France en 1608, Le P. Sirmond était devenu confesseur de Louis xiii en 1637 et l’encouragea à placer le royaume sous la protection de la Vierge (1638). En 1642, le roi, affecté par la découverte du complot de Cinq-Mars, demanda son avis à Sirmond, qui ne put que conclure à l’arrestation du favori ; cependant, prêtant l’oreille au parti de la reine, il se permit de conseiller au roi de prendre des dispositions pour que la régence, après sa mort, fût remise à Anne d’Autriche ; le roi s’en irrita et le renvoya (R. et S. Pillorget).

On lui doit d’excellentes éditions d’auteurs ecclésiastiques, de nombreux mémoires et les :

Concilia antiqua Galliæ tres in tomos ordine digesta. Cum epistolis Pontificum, Principum constitutionibus, et aliis Gallicanæ rei Ecclesiasticæ monimentis. Quorum plurima vel integra, vel magna ex parte, nunc primum in lucem exeunt. Opera et studio Iacobi Sirmondi Societatis Iesu Presbyteri.

[Anciens conciles de France en trois tomes, par ordre chronologique. Avec les lettres des pontifes, les ordonnances des prélats et autres témoignages de l’histoire ecclésiastique française. Un grand nombre d’entre eux sont entièrement ou en très grande partie inédits. Par la recherche et les soins de Jacques Sirmond, prêtre de la Compagnie de Jésus]. {a}


  1. Paris, Sébastien Cramoisy, 1629, in‑fo : tome i (années 314‑751) ; tome ii (751‑840) ; tome iii (840‑987).

Comme Caussin, Sirmond est l’un des autres rares jésuites que Guy Patin honorait de son estime.

8.

Rennes (Ille-et-Vilaine) était devenue capitale de la Bretagne depuis qu’on y avait installé le parlement après le rattachement de cette province à la France (édit de Vannes, 1532). C’était aussi un évêché suffragant de Tours.

9.

Arnaud d’Ossat (Laroque-sur-l’Osse près d’Auch 1536-Rome 1604) a donné l’exemple d’une extraordinaire ascension sociale. Fils d’un forgeron, orphelin à neuf ans et sans aucune ressource, il entra pour vivre au service d’un gentilhomme, Thomas de Marca, qui l’attacha comme domestique à un de ses neveux, Jean de Marca, seigneur de Castelnau de Magnoac. D’Ossat profita tant des leçons données devant lui à son jeune maître qu’il fut bientôt en état de lui servir de précepteur. Peu après, il entra dans les ordres en se faisant tonsurer (1556) et fut chargé d’accompagner Jean de Marca à Paris pour y surveiller son éducation. En 1562, Marca étant retourné en Gascogne, d’Ossat resta à Paris, et suivit les cours d’éloquence et de philosophie de Ramus (Pierre de La Ramée, v. note [51], lettre 97) au Collège de France. Il devint son ami et n’hésita pas à prendre sa défense dans un libelle intitulé :

Expositio Arnaldi Ossati in disputationem Iacobi Carpentarii de Methodo.

[Explication d’Arnaud d’Ossat sur la Disputation de Jacques Charpentier {a} au sujet de la Méthode]. {b}


  1. Disputatio de Methodo quod unica non sit. Contra Thessalum Academiæ Parisiensis, Methodicum. Auctore Iacobo Carpentario, Claramontano, Bellovaco. Selecta ex eiusdem Commentariis in Alcinoi Institutionem ad doctrinam Platonis.

    [Disputation sur le fait que la Méthode ne soit pas unique. Contre le Thessalus Methodicus de l’Université de Paris. {i} Par Jacques Charpentier, natif de Clermont-en-Beauvaisis. Tirée de ses commentaires sur l’Institution d’Alcinoüs {ii} contre la doctrine de Platon]. {iii}

    1. V. notule {b}, note [74], lettre latine 351 pour Thessalos de Tralles, médecin du ier s. de notre ère, qui avait osé pourfendre les dogmes d’Hippocrate. L’évocation de son nom fustigeait ici Ramus.

    2. V. note [51], lettre 97, pour le philosophe et médecin Jacques Charpentier, et son commentaire d’Alcinoüs (Paris, 1573) défendant la philosophie d’Aristote contre celle de Platon.

    3. Paris, Ægidius Gorbinus, 1564, in‑4o de 37 pages.

  2. Paris, André Wechel, 1564, in‑8o de 39 pages.

Son talent valut à d’Ossat d’être nommé professeur de rhétorique, puis de philosophie ; mais peu après il quitta Paris pour se rendre à Bourges, où il étudia le droit sous Jacques i Cujas dans l’intention de devenir avocat. De retour à Paris, il se fit remarquer de Paul de Foix (v. note [31] du Borboniana 3 manuscrit), conseiller au Parlement, qui, nommé ambassadeur à Rome en 1574, offrit à d’Ossat de l’accompagner en qualité de secrétaire. Il entama là une longue carrière diplomatique au service des rois de France, Henri iii puis Henri iv. En récompense de tous ses services, d’Ossat reçut les évêchés de Rennes (1596) puis de Bayeux (1600) et le titre de conseiller d’État, sans cesser de coopérer à toutes les affaires diplomatiques qui se traitaient en Italie. À la demande de Henri iv, le pape Clément viii lui donna le chapeau de cardinal en 1599 (G.D.U. xixe s.).

D’Ossat a laissé un recueil de Lettres au roi Henri le Grand et à M. de Villeroy de 1594 à 1604 (Paris, 1624, v. notre Bibliographie), plusieurs fois rééditées et citées par Guy Patin.

10.

Marthe Brossier était la fille d’un tisserand de Romorantin (Loir-et-Cher, v. note [35], lettre 192), où elle naquit à la fin du xvie s. Atteinte d’épilepsie, on la prétendit possédée de Satan et son père l’exhiba comme telle, et tant qu’il put, pour s’enrichir. Le Clergé ligueur vit ce qu’il pourrait tirer de cette pauvre folle et cria bien fort qu’on étouffait une voix prophétique dont Dieu voulait se servir pour convaincre les hérétiques. Allant plus loin encore, il fit enlever la jeune fille et la fit conduire à l’abbaye de Sainte-Geneviève que dirigeait l’abbé Joseph Le Foulon. Ce furieux ligueur gagna à prix d’argent quelques médecins, qui déclarèrent Marthe Brossier vraiment possédée de l’esprit malin ; puis après l’avoir catéchisée, il la lança en avant contre les ennemis de son parti. Michel i Marescot (v. note [14], lettre 98), au nom du roi, avait examiné la pseudo-démoniaque les 30 mars et 1er avril 1599 à Sainte-Geneviève ; il était en compagnie de ses collègues Nicolas Ellain, Jean Haultin, Jean i Riolan et Jean Duret. Informé de leurs conclusions qui dénonçaient une supercherie, par arrêt du 24 mai 1599, le Parlement de Paris ordonna à Brossier et à sa fille de retourner à Romorantin et de n’en plus sortir, sous peine de punition corporelle. Son ordre n’étant pas exécuté, le Parlement, pour être obéi, fit saisir le temporel des deux plus ardents protecteurs de la jeune fille : Alexandre de La Rochefoucauld, abbé de Saint-Mesmin d’Orléans, prieur de Saint-Martin, et son frère, le cardinal-archevêque de Clermont et abbé de Sainte-Geneviève. L’abbé de La Rochefoucauld emmena Marthe à Rome, mais le pape, prévenu de l’imposture, ne voulut pas la recevoir. Marthe fut enfermée dans un couvent où elle mourut peu de temps après (G.D.U. xixe s.).

Le 31 mai 1600, Henri iv lui-même avait adressé de Fontainebleau une lettre à Michel i Marescot (Lehoux, page 434) :

« Pour ce qu’il y en a quelques-uns qui, par malice ou autrement, font courir un bruit fort préjudiciable à la religion catholique, qu’une nommée Marthe Brossier, de Romorantin, est démoniaque, et ayant été averti que vous l’avez vue et visitée […], je vous ai bien voulu faire ce mot de ma main pour vous prier et commander, comme chose que j’affectionne pour ce qu’elle importe à mon service, de faire un discours à vrai de ce que vous y aurez reconnu ; lequel vous ferez imprimer, afin que par ce moyen la vérité de ce fait-là soit reconnue d’un chacun, mêmement par les gens de bien, et l’imposture, si aucune y en a, avérée. Vous ferez en cela chose qui me sera fort agréable. »

La réponse à cette requête royale fut le Discours véritable sur le fait de Marthe Brossier, de Romorantin, prétendue démoniaque (Paris, Mamert Patisson, 1599, in‑8o), sous la signature de « P.M., docteur en médecine », association des initiales de Simon ii Piètre et de son beau-père, Michel i Marescot (mais ce livre a aussi été attribué à Victor Le Bouthillier, évêque de Tours).

11.

L’affaire de Marthe Brossier et ses relations avec le zèle malveillant des ligueurs sont le propos de la lettre adressée de Rome par le cardinal d’Ossat au roi Henri iv, le 19 avril 1600 (ccxi, livre sixième, pages 502‑509).

« Sire,

La lettre qu’il plut à Votre Majesté m’écrire le 22e de mars, me fut rendue le 12e de ce mois ; en laquelle il Vous a plu, entre autres choses, faire mention du fait de l’abbé de Saint-Martin, frère de l’évêque de Clermont, de la Maison de Rendan, touchant cette femme prétendue démoniaque, qui fit tant parler d’elle à Paris l’année passée, et qui sera aussi le seul sujet de cette lettre, sans que j’y mêle autre chose.

Ledit jour, 12e de ce mois, auquel je reçus ladite lettre, était un mercredi ; et le lendemain, jeudi, M. de Sillery et moi fûmes ensemble et nous entre-communiquâmes ce que nous avions reçu de la part de Votre Majesté. Et d’autant que madite lettre portait que ledit abbé avait fait conduire ladite femme en Avignon, et qu’il était à croire que le pape serait au plus tôt avisé de tout ceci par ses officiers et serviteurs de ladite ville d’Avignon, je priai mondit sieur de Sillery d’en parler à Sa Sainteté le lendemain vendredi, jour de son audience ordinaire, afin de prévenir les autres et préparer Sa Sainteté, et gagner le temps de deux jours, qui étaient entre ledit jour de vendredi et le lundi ensuivant, auquel devait être Consistoire, et devant lequel je ne pouvais bonnement parler au pape. Ledit sieur de Sillery donc en parla à Sa Sainteté de la façon que nous avions arrêtée ensemble, et en eut fort bonne réponse, comme je remets à lui à vous rendre compte de tout ce qui se passa entre eux.

Le dimanche, 16e jour de ce mois, au matin, je fus avisé que ledit abbé de Saint-Martin devait arriver en cette ville ce jour-là même ; et que deux jésuites français, auxquels il avait écrit de lui trouver un logis, avaient requis le sieur de Gorgues, qui a été ci-devant conseiller au Grand Conseil, et est fils du feu sieur de Gorgues, général des finances à Bordeaux, et étudie à présent en théologie, avec intention de se faire d’Église, de vouloir prêter un appartement chez lui audit sieur abbé pour s’y loger. Ces deux jésuites s’appellent, l’un, le Père Sirmond, du pays d’Auvergne, et l’autre le Père d’Aubigny, du pays d’Anjou ; tous deux fort sages et paisibles, mais qui ne peuvent refuser semblables offices en étant requis, et ne sachant ce qui se passait. J’estimai que ledit abbé se voudrait en ce fait prévaloir des jésuites, qui sont très puissants par-deçà {a} en telles matières ; et qu’il fallait les lui soustraire, et les arrêter en leur faisant peur, et par eux encore l’étonner et modérer lui-même. J’envoyai donc, environ l’heure du dîner, prier ledit P. Sirmond, qui est fort habile homme et secrétaire de leur père général, de venir parler à moi.

Et lui étant venu l’après-dînée, je lui dis comme j’avais reçu lettres de Votre Majesté et de M. de Villeroy, auxquelles n’y avait rien de plus exprès, {b} ni que Votre Majesté montrât avoir plus à cœur, qu’une certaine entreprise qu’avait faite tout fraîchement l’abbé de Saint-Martin. Et après lui avoir ramentu {c} le bruit qui avait été à Paris l’année passée pour cette femme prétendue démoniaque, et l’arrêt de la Cour de Parlement intervenu là-dessus, par lequel il fut dit, entre autres choses, qu’elle serait ramenée chez ses père et mère, je lui racontai comme ledit abbé avait enlevé, de son autorité privée, ladite femme de la maison de sondit père et l’avait emmenée en Auvergne ; et comme ladite Cour avait donné un autre arrêt là-dessus ; nonobstant lequel, et la signification qui en avait été faite à l’évêque de Clermont, son frère, ledit abbé avait fait conduire ladite femme en Avignon, hors le ressort de ladite Cour et hors l’obéissance de Votre Majesté, avec intention, comme l’on disait, de la faire passer jusqu’en cette ville de Rome ; que cette action était prise pour un attentat fait contre la justice et contre l’autorité de Votre Majesté, et ne serait point tolérée, ayant déjà ladite Cour donné un second arrêt contre ledit abbé, où même ledit évêque de Clermont était compris. Après que je lui eus dit ce que dessus plus amplement, j’ajoutai que l’on m’écrivait de plus que, d’autant que lesdits évêque et abbé avaient été institués par ceux de leur Société, desquels ils étaient encore environnés et possédés, cet attentat faisait grand tort à la poursuite qui se faisait auprès de Votre Majesté pour ladite Société ; que je les en avais voulu avertir afin qu’ils prissent garde à leurs affaires.

Ledit P. Sirmond ne put assurer sa contenance de façon qu’il ne se montrât bien étonné ; et me répondit qu’à la vérité ledit abbé était arrivé le matin et avait amené cette femme avec lui ; qu’il les était allé voir en leur maison, mais qu’ils n’avaient fait et ne feraient aucune chose pour lui en cette affaire ; et que lui, Sirmond, dirait au père général ce que je venais de lui dire, tout aussitôt qu’il serait de retour chez eux ; que l’évêque de Clermont et ledit abbé avaient fait plusieurs plaisirs et faveurs à un collège que les jésuites avaient en Auvergne et que pour cela, eux, jésuites, ne pouvaient omettre de leur rendre certains offices communs ; mais qu’en chose qui importât tant soit peu au service ou au contentement de Votre Majesté, ils ne s’emploieraient jamais pour eux, ni pour autres ; et ne pensait pas aussi que les jésuites d’Auvergne eussent nullement trempé en ce fait ; et qu’il avait entendu d’ailleurs que ces deux prélats étaient gens de leur tête et se gouvernaient d’eux-mêmes, sans beaucoup chercher conseil ailleurs.

Je louai grandement cette bonne résolution ; et pour l’y confirmer encore davantage, je lui dis que je lui avais jusque-là récité fidèlement ce qui m’avait été écrit et l’avais averti, en ami, de ce que j’avais estimé leur toucher de fort près ; que je lui voulais parler de là en avant comme à un père jésuite, théologien canoniste, et versé en la discipline ecclésiastique et en la police civile, et en toutes autres bonnes choses ; et que je le priais de me dire librement, de lui à moi, s’il lui semblait que cette action se pût soutenir en termes de théologie ou de décrets, ou de quelque bonne et solide autorité ; qu’il me semblait à moi que ce serait une présomption trop exorbitante qu’un seul homme pensât savoir lui seul, de quelque chose que ce fût, plus que toute une Cour de Parlement, et mêmement de Paris ; qu’outre qu’il fallait toujours estimer pour les choses jugées, et mêmement par des compagnies si vénérables, il se voyait si évidemment que la Cour avait jugé très sagement et très justement d’avoir fait ramener cette femme chez ses père et mère pour y être gardée, quand bien elle eût été possédée du malin esprit. Car, après que les démoniaques avaient été exorcisés par l’Église, et que l’on avait prié et invoqué le nom de Dieu sur eux, et fait ce qui s’y était pu pour les délivrer, il ne fallait pas les abandonner à la faim, ni aux autres misères, nécessités et dangers, et moins aux fraudes et malice de ceux qui voudraient abuser de ces pauvres gens, et des calomnies du diable, à la diffamation des gens de bien et à la perturbation du repos public. Et ne se pouvait mieux faire pour telles pauvres personnes et pour le public que les remettre en la garde de leurs pères et mères, qui y sont tenus par tout droit divin, naturel et humain ; qu’après toutes ces considérations, un homme particulier, de quelque qualité qu’il fût, osât attenter contre tant de droits et contre un arrêt d’une telle Cour, et enlever et emmener hors du royaume les sujets du roi, je ne pouvais m’imaginer en vertu de quoi, ni en quelle puissance cela se pouvait faire. Quand la Cour même eût failli à juger et que ledit abbé eût été seigneur de ladite femme, temporel ou spirituel, ou tous les deux, qu’encore ne me semblait-il point qu’il eût autorité d’entreprendre sur un si grand magistrat, et sur le roi même ; et que je ne savais aucune loi de conscience, ni de zèle qui nous obligeât à faire par-dessus notre vacation, {d} et renverser l’ordre et la police, que Dieu a mise et établie parmi les hommes ; que je le priais, lui Sirmond, de me dire librement s’il lui semblait à lui autrement ; que je pouvais errer et serais bien aise d’être délivré d’erreur, fût-ce en tout ou en partie.

Ledit P. Sirmond me répondit qu’il lui en semblait à lui tout ainsi comme à moi et qu’à son avis, il n’y avait aucune erreur en cela. Alors, je lui dis que quelquefois les hommes se départaient des règles et de l’ordre commun des choses pour quelque apparence d’un grand bien ; mais que je ne savais voir quel bien ledit abbé se pouvait être proposé de cette sienne action, fût<-ce > pour lui ou pour la religion catholique, ou fût<-ce > en France ou à Rome ; qu’en France ne pouvait advenir sinon que mal à la personne dudit abbé, d’une telle désobéissance ; à présent mêmement que tous les princes, seigneurs, gentilshommes, soldats, et les voleurs mêmes, obéissaient à Votre Majesté et à sa justice ; de sorte que j’entendais que par toute la France on pouvait aller l’or à la main et qu’il ne se trouvait une seule arquebuse sur les champs ; et que je savais d’ailleurs que Votre Majesté, qui avait très volontiers oublié le passé, ne voulait point qu’on abusât ci-après de sa clémence, et moins endurer d’être bravé, comme avait fait le feu roi, {e} dont s’en était ensuivi sa ruine, et le renversement et confusion de toutes choses, et la destruction des particuliers ; et peu s’en était fallu que l’État même et la couronne, et la religion catholique n’eussent été portés par terre, sans espérance de ressource. Que de penser qu’il pût advenir aucun bien à la religion catholique d’irriter les rois et les cours de Parlement, et autres magistrats, par les catholiques qui se disaient zélés, c’était pure folie ; qu’au contraire, le moyen de profiter à la religion catholique était de mettre de notre côté les souverains et ceux qui les représentaient, par obéissance, soumission et humilité. Quant à Rome, ledit abbé ne pouvait rien avancer pour son particulier par ce désordre ; qu’au contraire, je savais qu’il faisait un notable déplaisir au pape, qui ne voulait être mis aux mains avec les cours de Parlement de France, et moins avec Votre Majesté et mêmement pour telles choses ; qu’il y avait quelquefois des occasions si importantes à la foi chrétienne et à la religion catholique qu’il nous fallait endurer même le martyre ; mais comme il était certain en général qu’il y a eu et y a au monde des démoniaques, et que la puissance de les exorciser est en l’Église ; aussi, quand il était question d’un particulier, s’il est démoniaque ou non, il y faisait si obscur, pour les fraudes qui s’y commettent et pour la similitude des effets de l’humeur mélancolique {f} avec ceux du diable, que, de dix qu’on prétendait être tels, à peine s’en trouvait-il un vrai ; et le plus souvent, les médecins ne s’en accordaient point entre eux, non plus que les théologiens et autres gens savants ; que le pape donc, et toute la Cour de Rome, estimerait moins ledit abbé pour cette action quand bien < même > cette femme se trouverait démoniaque ; tant s’en faut que Sa Sainteté s’en voulût formaliser contre la Cour de Parlement et la prendre contre Votre Majesté ; qu’au reste toute cette Cour avait appris à ses dépens combien dangereux étaient à la religion catholique ces zèles inconsidérés, et les désobéissances et bravades faites aux souverains par les catholiques qui se prétendaient zélés, et n’en voulaient point ouïr parler ; et quoi qu’on fît ici, je savais et voulais dire et protester à lui, P. Sirmond, et à tous autres en parlant à lui, qu’en France on n’oublierait de tout ce siècle les maux et les misères dont la religion catholique et l’État avaient été accablés par l’entreprise principalement de telles personnes ecclésiastiques qui faisaient cette profession d’avoir plus de zèle que le reste du Clergé ; que Votre Majesté et les princes et noblesse de France, et les cours de Parlement, et ceux du Clergé même, qui étaient rentrés en leur bon sens, ne voulaient plus se laisser assassiner sous couleur de quelque zèle que ce fût, ni par homme du monde, de quelque profession, habit, ordre, qualité ou dignité qu’il fût ; et que je le priais lui, P. Sirmond, de faire son profit de ce que dessus, tant pour soi que pour sa Société, et pour ledit abbé même, s’il lui voulait bien.

Ledit P. Sirmond ne fut pas moins étonné de cette fin qu’il avait été du commencement ; et répondant avec sa modestie et sagesse accoutumées, me dit qu’à la vérité il ne pouvait juger quel bien ledit abbé avait pu espérer de cette sienne entreprise, et ne voyait point qu’il en pût advenir aucun bien, ni à lui, ni à la religion catholique ; ains {g} reconnaissait que ledit abbé en serait moins estimé en cette Cour, et du pape même tout le premier, outre le mal qui lui en pourrait advenir en France ; qu’au reste il < se > tournait < à > m’assurer que pas un des leurs ne se mêlerait de ce fait ; et qu’au contraire, si ledit abbé les voulait croire, il s’y comporterait avec tout le respect, modestie et obéissance possible envers Votre Majesté et la Cour de Parlement. Je lui répliquai qu’ils feraient beaucoup pour lui et pour eux-mêmes. Et sur ce, il s’en retourna chez eux, et je m’en allai trouver M. de Sillery et l’avertis de la venue dudit abbé de Saint-Martin avec ladite femme, et de ce que j’avais fait avec ledit P. Sirmond.

Ce que dessus fut fait ledit jour de dimanche 16e de ce mois. Le lundi au matin 17e, avant le Consistoire, je parlai au pape et lui dis comme l’abbé de Saint-Martin, dont M. de Sillery lui avait parlé en sa dernière audience, était arrivé en cette ville avec la femme prétendue démoniaque. Sa Sainteté me répondit que, puisqu’ils étaient arrivés, il n’y avait plus de remède ; que s’ils se fussent arrêtés en Avignon, il eût pu leur commander de s’en retourner d’où ils étaient venus ; mais maintenant, de les chasser de Rome tout aussitôt, il n’y avait point de propos ; qu’au reste j’avisasse ce qui s’y pourrait faire. Je lui dis que Sa Sainteté ayant entendu la chose comme elle s’était passée, et l’importance d’icelle, saurait trop mieux juger ce qui serait pour le mieux ; que ce que je lui pouvais dire pour cette heure était de le prier, comme je faisais très humblement, qu’il ne crût de la Cour de Parlement, et moins de Votre Majesté, aucune chose sinistre qu’on lui voulût donner à entendre pour déguiser ou couvrir cet attentat ; comme les hommes cherchaient ordinairement de justifier leurs actions par toutes voies ; et qu’usant de son accoutumée prudence, il se gardât de faire ou dire chose qui pût offenser Votre Majesté ni la Cour de Parlement, ni enfler l’orgueil de tels entrepreneurs, au détriment du repos public, et du respect et révérence que Votre Majesté et ladite Cour voulaient pour jamais porter au Saint-Siège et à la personne de Sa Sainteté. Laquelle me répliqua qu’elle ne ferait rien en cette affaire sans l’avoir premièrement conféré avec moi ; dont je le remerciai en toute humilité ; et lui ayant touché brièvement quelques circonstances de ce fait, il me reconnut qu’il ne pouvait voir lui-même quelle fin pouvait avoir ledit abbé ; et qu’il lui semblait que la Cour avait bien jugé, quand bien cette femme serait démoniaque.

J’en parlai encore ce matin-là, en la salle du Consistoire, à M. le cardinal Aldobrandin, {h} et le laissai bien persuadé et bien préparé pour en répondre quand on lui en parlerait, et faire auprès de Sa Sainteté les offices convenables.

Hier, mardi 18e, j’envoyai quérir ledit sieur de Gorgues ; et l’ayant mis en propos dudit abbé et de ladite femme, j’appris de lui comme ledit abbé était allé descendre avec ladite femme en la place de Monte-Jordan, à l’hostellerie de l’Épée, et qu’il y était encore logé, et ladite femme aussi ; laquelle ledit Gorgues disait avoir vue, et encore une sienne sœur, que ledit abbé avait menée aussi ; et que ladite prétendue démoniaque était âgée d’environ 21 à 22 ans, et sa sœur de 30. Interrogé par moi qu’est-ce que {i} ledit abbé voulait faire de cette femme et s’il la voulait toujours retenir près de lui, il me répondit qu’il avait été conseillé de la mettre chez quelque bonne femme dévote et qu’on était après à en trouver une.

Après cela, je lui dis que, puisque ledit abbé devait être logé avec lui et qu’il était de ses amis, je lui voulais dire, afin qu’il le dît audit abbé de ma part, que la Cour de Parlement de Paris et Votre Majesté aussi avaient trouvé très mauvais que, contre l’arrêt premier de la Cour de Parlement, il eût enlevé cette femme du ressort de ladite Cour et de toute la France, et qu’on y avait jà {j} procédé par deux autres arrêts contre lui, et encore contre l’évêque de Clermont, son frère ; et qu’il avisât bien à ses affaires et à ce qu’il en pourrait advenir ; que Votre Majesté m’en avait écrit et qu’il fallait que je lui répondisse ; que des intentions dudit abbé, personne n’en pouvait parler si bien que lui-même ; et puisqu’il était ici, je désirais apprendre de lui-même ce qu’il voulait que j’en écrivisse à Votre Majesté, et que je ne faudrais {k} de vous écrire fidèlement ce qu’il m’en ferait entendre ; et même s’il en voulait écrire à Votre Majesté, je mettrais ses lettres en mon paquet. J’estimai qu’outre ce que j’avais dit au P. Sirmond, auquel je n’avais pas expressément enjoint qu’il parlât audit abbé de ma part, je devais faire faire audit abbé cette expresse signification et ces offres de ma part, afin qu’il ne pût prétendre cause d’ignorance des arrêts de la Cour, ni de l’intention de Votre Majesté ; afin aussi de le retenir de pis faire, et de le mettre en chemin de se reconnaître et de retourner à son devoir.

Et de fait, ledit abbé de Saint-Martin s’en vint me trouver le jour même d’hier, environ trois heures après que j’eus parlé audit sieur de Gorgues ; et me parla fort modestement et humblement, me remerciant de ce que je lui avais fait dire par ledit sieur de Gorgues, et protestant qu’en tout ce fait il n’avait fait rien à mauvaise intention, et n’avait pensé faire aucun déplaisir à Votre Majesté ni à ladite Cour ; qu’à considérer l’œuvre en soi, elle était charitable et bonne, d’aider à une pauvre fille vexée du malin esprit et de tâcher à l’en faire délivrer ; qu’elle avait toujours montré désir de venir à Rome et avait espéré d’y trouver allègement ; qu’aussi était-il vraisemblable qu’en cette ville, qui était le chef de la chrétienté et où résidait le vicaire de Jésus-Christ, et où tant de martyrs avaient épandu leur sang, les exorcismes y devaient avoir quelque particulière efficace ; que ce n’était d’à cette heure qu’il avait pris soin de cette pauvre fille ; que jà auparavant qu’elle allât à Paris, il en avait eu soin et lorsqu’elle y fut conduite, il la recommanda à de ses amis ; qu’il avait bien depuis entendu quelque chose de l’arrêt que la Cour de Parlement avait lors donné pour le regard de cette fille ; mais que cette sorte d’arrêts n’étaient point perpétuels, ains {h} étaient donnés par provision et à temps ; et qu’il pensait que ledit arrêt fût expiré lorsque, lui retournant de Poitou avec une sienne sœur, son chemin s’était adonné par le pays où était ladite fille, laquelle il n’avait point trouvée chez son père, qui se tient à Romorantin, ains {h} en un village près de ladite ville ; que ladite fille ne trouvait allègement qu’en la communion et que là où elle était, on ne lui voulait donner à communier, sinon qu’une fois le mois ; qu’il n’avait jamais rien su de l’arrêt, que je lui disais avoir été donné, qu’il eût à remettre ladite fille chez ses père et mère ; et l’évêque de Clermont, à qui je disais ledit arrêt avoir été signifié, ne lui en avait rien fait savoir ; que moins avait-il rien entendu du troisième arrêt, par lequel il avait été réordonné cela même, sur peine de saisie des fruits de leurs bénéfices ; que, maintenant que je le lui avais fait savoir, il me déclarait qu’il ne voulait faire autre chose, ni passer outre, pour le regard de ladite fille ; que le père d’elle était un marchand de draps qui avait eu autrefois des moyens honnêtement, mais ils lui étaient diminués par les guerres, à l’occasion aussi de la calamité de cette sienne fille qui l’avait détourné de son trafic ; que lui, abbé, l’avait aidée de ses moyens, et l’en aiderait encore ; qu’il était après à la mettre chez quelque bonne femme d’ici et l’ôter de l’hôtellerie, où il était encore logé lui-même, mais qu’il y ferait autre chose ; qu’il me priait de le faire ainsi entendre à Votre Majesté et que, suivant l’offre que je lui avais faite d’envoyer ses lettres, il vous écrirait lui-même, espérant que Votre Majesté recevrait ses excuses.

Je ne faillis de lui conseiller le plus fidèlement et le plus amiablement qu’il me fut possible ce que j’estimais être pour la satisfaction de Votre Majesté et de la Cour de Parlement, et encore ici pour celle de Notre Saint-Père, et pour son bien et profit particulier. Il me montra de l’entendre fort volontiers et de s’y vouloir conformer, et j’espère qu’il le fera. Aussi y prendrai-je garde de fort près, et en tant que j’en puis juger dès maintenant, cette chose ne fera pas si grand cas comme l’on pensait et ne produira pas les mauvais effets qu’on craignait. Car, outre que ledit abbé voudrait être à recommencer et n’osera faire ce que, possible, il pensait quand il est parti de France, je lui ai fermé toutes les avenues et encloué {l} ceux dont il se fût pu aider. D’ailleurs, le pape et M. le cardinal Aldobrandin sont très bien persuadés à l’avantage de la Cour de Parlement, et de Votre Majesté encore plus ; et ai parole de Sa Sainteté qu’elle ne fera rien en ceci sans l’avoir premièrement conféré avec moi. Davantage, la réputation de Votre Majesté et de la couronne est si haut relevée en cette Cour depuis quelque temps, et cette entreprise et toute cette matière est si peu favorable en soi, qu’il ne se trouvera personne qui la veuille épouser pour ledit abbé contre Votre Majesté et contre la Cour de Parlement, quand bien ledit abbé voudrait. Toutefois, je ne m’endormirai point sur toutes ces considérations, ains {h} veillerai et pourvoirai au mieux qu’il me sera possible, et tant plus que je me trouve ici seul, étant parti M. de Sillery pour Florence dès le lundi dix-septième de ce mois. »


  1. Ici.

  2. Urgent.

  3. Remis en l’esprit.

  4. Compétence.

  5. Henri iii, mort assassiné le 2 août 1589.

  6. La folie.

  7. Mais.

  8. Le cardinal Pietro Aldobrandini (v. notule {a}, note [10] du Patiniana 1), neveu du pape Clément viii.

  9. Sur ce que.

  10. Déjà.

  11. Manquerais.

  12. Neutralisé.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 3 janvier 1638

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(Consulté le 27/04/2024)

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