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À Vopiscus Fortunatus Plempius,
le 25 mai 1662

[Ms BIU Santé no 2007, fo 107 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vopiscus Fortunatus Plempius, docteur en médecine, etc. à Louvain.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu vos deux lettres par V. Phélipeaux, jeune homme savant et de bonnes mœurs, natif de Bruxelles, et vous en remercie tout particulièrement. [1] Lazare Rivière a été Monspeliensis magis decoctor quam doctor[2][2] Avec quelques autres, par grande ignorance et insigne imposture, il a en effet hardiment et honteusement mis en banqueroute le renom de cette Université, qui a aujourd’hui misérable réputation par presque toute l’Europe. Ce Rivière était un pur et peu savant fripon qui n’aspirait qu’au lucre par de mauvais procédés et de fréquentes usurpations. Il était marrane et issu de cette famille qui nie la venue du Christ sur Terre et qui attend jour après jour celui qui ne viendra jamais. [3][4] De juif, il s’est fait calviniste ; mais après, il est passé chez les catholiques romains pour se goberger des appointements de sa Faculté. [5][6] On prépare à Lyon une nouvelle édition de toutes ses œuvres réunies ; [3][7] je vous l’enverrai si vous voulez, après qu’elle aura paru. Il ne s’y trouve rien de bon, à part ce qu’il a dérobé à Sennert, [8] qu’il a pillé tant qu’il a pu, à la façon d’un insigne voleur et honteux plagiaire ; et pour accroître sa matière, il y a joint des Observationes corrompues et misérables qu’il a tirées de Zacutus Lusitanus, cet autre vaurien qui est son congénère. [9] Ces deux-là ont été l’un comme l’autre des Sardi venales, alter altero nequior[4][10] et les pires et les plus malencontreux des écrivains. J’ai honte d’un siècle si grossier où, au lieu d’Hippocrate et Galien, [11][12] se lisent des livres si misérables et si avortés. J’ai ici connu ce Rivière en 1646, [5] il s’est résolu à fuir pour garantir son salut et s’en est retourné dans son pays, après avoir raflé diverses sommes d’argent à des petites dames de la noblesse ; il leur promettait d’éloigner tous les maux à l’aide de divers secrets, pilules et poudres (à ce qu’il m’a dit lui-même) fabriquées avec le poumon, le cœur, le foie et la rate d’un jeune loup tué dans sa Provence au troisième quartier de la lune. Ad populum phaleras ! [6][13][14] il a été cymbalum ineptæ juventutis[7][15] et un pur charlatan qui ne s’est intéressé qu’au lucre. [16] Jamais il n’a lu Hippocrate et Galien, les princes de la meilleure et la plus pure médecine. Hermann Conring, noble et savant Allemand, a porté sur lui un jugement exact, qu’on lit dans son Introductio ad Medicinam : in veterum lectione plane fuit hospes[8][17] Je pourrais en écrire bien d’autres sur ce vaurien, mais cela n’en vaut pas la peine. L’un des nôtres, homme savant, s’attelle à une prochaine édition d’Arétée[18] médecin grec de l’Antiquité, avec une nouvelle traduction et des notes : c’est Pierre Petit, dont je vous envoie deux opuscules de Motu animalium spontaneo et de Lacrymis[9][19] avec deux autres dont la nouveauté ne vous déplaira peut-être pas. À part cela, nous n’avons ici rien de nouveau, par la cherté des denrées, comme du papier, qui a ici malencontreusement augmenté au temps de Mazarin et que personne ne pense à réduire. [20][21] Ô mores, ô tempora ! [10][22] L’impression du Cardan se poursuit à Lyon. [11][23] Primerose est-il toujours vivant en Angleterre ? j’ai eu bruit de sa mort. [12][24] Mais vous, très distingué Monsieur, vive et vale, et aimez-moi.

Votre Guy Patin de tout cœur.

De Paris, le 25e de mai 1662.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Vopiscus Fortunatus Plempius, ms BIU Santé no 2007, fo 107 ro.

1.

Ce jeune Bruxellois, qui avait porté la lettre de Vopiscus Fortunatus Plempius à Guy Patin, n’avait pas de relation plausible avec les Phélippeaux de Pontchartrain cités dans la note [13], lettre 656.

2.

« dissipateur bien plus que docteur de Montpellier. »

V. note [5], lettre 49, pour Lazare Rivière (mort en 1655), dont Guy Patin allait à nouveau brosser un portrait calamiteux (v. sa lettre latine du 31 août 1657 à Johannes Antonides Vander Linden).

3.

V. note [1], lettre 734, pour les Opera medica universa [Toutes les œuvres médicales] de Lazare Rivière (Lyon, 1663), avec épître dédicatoire à André Falconet.

4.

« Sardes à vendre, l’un pire que l’autre » (v. note [28], lettre 301).

Guy Patin a souvent critiqué Abraham Zacutus Lusitanus pour son arabisme (« avicennisme » dans la lettre du 25 août 1642 à Claude ii Belin, v. sa note [6]). En revanche, il estimait hautement Daniel Sennert, dont il avait édité les œuvres complètes (Paris, 1641, v. note [12], lettre 44), tout en lui reprochant quelque bienveillance à l’égard de la médecine chimique.

5.

V. note [6] de la lettre à Claude ii Belin du 8 février 1646, pour la présence à Paris de Lazare Rivière, en vue d’y faire publier ses « Observations » (1646) et de faire fonder une chaire de médecine à Grenoble (v. note [1], lettre 133).

6.

« Clinquant bon pour le peuple [À d’autres, mais pas à moi !] » (Perse, v. note [16], lettre 7).

V. note [7], lettre latine 88, pour ces prescriptions magiques de Lazare Rivière, et le récit qui la suit pour la manière peu confraternelle dont Guy Patin disait avoir démasqué ses charlataneries.

7.

« une cymbale de la sotte jeunesse » : v. note [15], lettre 409, pour l’emploi d’une expression très proche, cymbalum ineptæ medicorum plebis [une cymbale du sot troupeau des médecins], par Joseph Scaliger (à propos d’Antonio Musa Brassavola).

8.

« il a été tout à fait étranger à la lecture des anciens » : v. note [13], lettre latine 88, pour l’« Introduction à la médecine » d’Hermann Conring (Helmstedt, 1654), avec son jugement sur Lazare Rivière.

9.

V. notes :

10.

« Ô mœurs, ô temps ! » (Cicéron, v. note [52], lettre 292).

11.

V. note [8], lettre 749, pour les Opera omnia de Jérôme Cardan (Lyon, 1663).

12.

James (Jacques) Primerose (v. note [41], lettre 104) était mort à Kingston upon Hull (Yorkshire) en 1659.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 107 ro.

Cl. viro D. V. Fort. Plempio, Medicinæ Doctori, etc. Lovanium.

Summa cum lætitia binas tuas accepi, Vir Cl. per adolescentem Bruxel-
lensem, bene moratum ac eruditum, D. V. Phelipeaux : pro quib. singulares Tibi gratias
ago. Laz. Riverius fuit Monspeliensis magis decoctor quàm Doctor : fortiter
enim cum aliquot alijs, per magnam inscitiam et insignem imposturam, ac tur-
piter decoxit famæ istius Academiæ, quæ hodie miserè audit per totam penè
Europam. Riverius iste erat merus nebulo, parum doctus, qui malis artib. et
frequentib. imposturis soli lucro inhiabat : Marranus erat, et oriundus ex
eorum familia qui negant Christum venisse, et in dies expectant numquam
venturum. Ex Iudæo Calvinista factus est ; postea v. transijt ad Romanos,
ut gauderet stipendijs suæ Scholæ. Nova apparatur eEditio omnium ejus Operum,
simul conjungendorum, Lugduni, quam ad Te mittam si volueris, postquam
in lucem prodierit. Nihil habet boni præter ea quæ tanquam fur insignis et
turpis plagiarius Sennerto surripuit, quem quantum potuit expilavit : ac
ut materiam suam auctiorem faceret, putres et miseras quasdam oObservationes subjunxit
ex congrege suo et altero nebulone Zacuto Lusitano : fuerunt isti duo,
Sardi vænales, alter altero nequior, ut uterque deterrimus ac miserrimus
scriptor. Pudet me tam inficeti sæculi, quo leguntur pro Hipp. et Galeno
tam miseri ac abortivi libri : Anno 1646. hîc novi Riverium istum qui fugâ
saluti suæ consuluit, et ad suos reversus est, præ post corrasisas variisas pecuniias, à quibus-
dam nobilibus mulierculis, quib. omnium morborum depulsionem pollicebatur per
varia secreta, per pilulas et pulveres, (quod ego ex ipso audivi) confectos ex
pulmone, corde, hepate ac liene junioris lupi tertia lunæ quadra nectati
in sua Provincia. Ad populum phaleras. fuit ille cymbalum ineptæ juventu-
tis, et merus agyrta, soli lucro intentus. Hipp. et Gal. melioris ac purioris Medicinæ
principes numquam legit : et de quo verè judicasse dicitur legitur eruditus ac nobilis qui-
dam Germanus, Herm. Conringius, in sua Introductione ad Medicinam : in veterum
lectione planè fuit hospes. Possem et alia scribere de isto nebulone, sed non est
mihi tanti. Unus è nostris, vir eruditus, sese accingit ad proximam editionem veteris
Medici Græci, Aretæi, cum nova versione, et Notis : Ille est Petrus Petitus,
cujus ad Te mitto libellos duos, de spontaneo animalium motu : et de Lacrymis :
cum duobus alijs, quæ forsan ratione novitatis non displicebunt. Præter ista,
nihil hîc habemus novi, propter annonæ caritatem, ut et chartæ, quam hîc
miserè adauctam habemus à Mazarini temporibus, de qua minuenda nemo cogitat. O
mores, ô tempora ! Cardanus pergit sub prælo Lugduni. Vivitne Primerosius in
Anglia ? audivi aliquid de ejus obiti. Tu v. Vir Cl. vive, vale, et me ama.

Tuus ex animo Guido Patin.

Parisijs, 25. Maij,
1662.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Vopiscus Fortunatus Plempius, le 25 mai 1662

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(Consulté le 26/04/2024)

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