L. latine 469.  >
À Johann Theodor Schenck,
le 28 février 1669

[Ms BIU Santé no 2007, fo 229 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Theodor Schenck, docteur en médecine et professeur à Iéna.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Après presque trois ans j’ai enfin reçu ces deux tomes de vos disputations d’Iéna, [2] qui ont été longtemps arrêtés à Francfort dans l’attente d’un porteur idoine ; mais par la suite, ils ont aussi été retenus à Paris, à mon insu, tandis que je les espérais de jour en jour. Un ami les a enfin découverts, grâce à qui ils m’ont été remis. [1] Je peux maintenant vous en remercier tout particulièrement ; mon ami M. Volckamer, médecin de Nuremberg, [3] vous en réglera le prix quand vous aurez bien voulu m’en faire part. Je ne refuse pas ces Physica Meletemata ; [2][4] j’ai la joie d’avoir ici votre Schola Partium humani corporis, ainsi que votre < Historia > Humorum ; [3] je verrai l’Historia Seri sanguinis et la Methodus componendi medicamenta quand elles auront paru. [4] Meyssonnier vit à Lyon, [5] mais fort avili, sans gloire ni fortune ni renom, car nul n’a d’estime pour cet auteur. Je demanderai pourtant à Lyon tout ce que vous en désirerez et l’enverrai par un marchand de mes amis à M. Volckamer, à Nuremberg. Des écrits du très distingué Caspar Hofmann, [6] que cet excellent homme en mourant m’avait laissés en vue de les faire publier, j’ai enfin (et n’ai pu le faire plus vite en raison de la difficulté des temps), Laurent Anisson, [7] libraire de Lyon et homme avisé et soigneux, faisant l’office d’accoucheur, j’ai enfin, dis-je, mis au jour l’Apologia pro Galeno ; j’en ai envoyé quelques exemplaires à Nuremberg, dont l’un sera pour vous, et un autre pour M. Werner Rolfinck. [5][8][9] J’ai jadis connu ce Mersenne : [10] il est mort en 1648, âgé de 60 ans ; il a écrit un livre sur la Genèse et une Mathematica, dont il se piquait excessivement ; [6][11] j’ai pourtant ici son livre en français contra Impietatem deistarum et un autre de Veritate scientiarum ; il se consacrait en effet tout entier à chercher toujours et partout la vérité, c’est pourquoi il écrivait souvent à des mathématiciens en Angleterre. [7] Je n’ai rien vu sur les vaisseaux lymphatiques, [12] hormis ce qu’ont écrit le Danois Bartholin [13] et notre Riolan dans ses Opuscula[14][15] Les nôtres approuvent peu ces nouveautés : ils se consacrent entièrement au traitement des maladies, ut faciant rem, si non rem, quocumque modo rem[8][16] et poursuivent beaucoup plus le lucre que la vérité. J’admire et affectionne l’érudition sans bornes de Thomas Reinesius, [17] et souhaiterais que cet excellent homme fût encore en vie. Nous nous sommes jadis écrit ; j’ai ici ses Epistolæ in‑4o avec quelques-unes de Caspar Hofmann. [9] Venant de chez vous je ne souhaite rien tant que des discours académiques et des thèses de médecine ou d’histoire naturelle ; mais où pourrais-je me procurer celle qui a jadis été publiée en Allemagne de Abusu theriacæ ? [18] Notre ami Elsner m’a jadis promis de mettre tous ses soins à la rechercher, mais où ce meilleur des hommes vit-il donc aujourd’hui ? [19] Je souhaite qu’il prospère en bonne santé dans sa ville natale et qu’il atteigne les années de Nestor. [10][20]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 229 vo | LAT | IMG]

Que les dieux vous protègent, très savant M. Schenck, et vous gratifient d’une santé solide et florissante, pour continuer d’enrichir et glorifier la médecine. Disposé pour vous à tout genre de services, je vous offre tout ce que vous pourrez désirer venant de notre ville. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 28e de février 1669, dans la 68e année de mon âge, sans podagre ni pierre. [21][22]

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Theodor Schenck, ms BIU Santé no 2007, fo 229 ro et vo.

1.

Guy Patin taisait la véritable et peu glorieuse histoire du tonneau qui contenait des deux volumes de thèses médicales que Johann Theodor Schenck lui avait expédiés d’Iéna près de trois ans auparavant (v. notes [1], lettre latine 499, et [1], lettre latine 443).

2.

Les « Exercices pratiques (μελετηματα) de Sciences naturelles (Physique) » étaient probablement les :

Adriani Heereboord, Professoris (dum viveret) in Academia Patria Philosophi Ordinarii, Meletemata philosophica ; in quibus, pleræque res Metaphysicæ ventilantur, tota Ethica κατασκολαστικως και ανασκολαστικως explicatur, universa Physica per Theoremata et Commentarios exponitur, summa rerum Logicarum per Disputationes traditur. Editio ultima, prioribus multo emendatior ; cui præter sexaginta tres Ethicas atque aliquot Miscellaneas disputationes, accedunt Philosophia Naturalis cum novis commentariis et Pneumatica.

[Exercices pratiques de Philosophie d’Adriaan Heereboord, {a} professeur ordinaire (quand il était en vie) de philosophie en son pays natal, {b} où : sont agitées plusieurs questions de Métaphysique ; est expliquée toute l’Éthique des catascolastiques et des anascolastiques ; {c} est présentée la Physique universelle, à l’aide de théorèmes et de commentaires ; est exposé un résumé des matières Logiques, à l’aide de disputations. Dernière édition, beaucoup plus correcte que les précédentes ; outre 63 disputations Éthiques et quelques-autres sur des sujets divers, on y a ajouté la Philosophie naturelle et la Pneumatique, avec des commentaires nouveaux].


  1. V. note [14], lettre de Samuel Sorbière écrite au printemps 1651.

  2. Leyde.

  3. Pré-scolastiques et post-scolastiques ?

  4. Nimègue, Andreas Van Hoogenhuysen, 1665, in‑4o ; deuxième et précédente édition à Leyde, 1659.

3.

Johannis Theodori Schenckii, Med. Doct. Anat. Chirurg. et Botan. in Academia Jenesi Professoris publici, Schola partium humani corporis, usum earundem et actionem secundum situm, connexionem, quantitatem, qualitatem, figuram atque substantiam continens, cum indice rerum sufficienti [Étude des parties du corps humain, par Johann Theodor Schenck, docteur en médecine, professeur d’anatomie, chirurgie et botanique en l’Université d’Iéna, qui contient leurs fonctions et leurs actions suivant leur situation, leurs connexions, leur quantité, leur qualité, leur aspect et leur substance ; avec un commode index des matières] (Iéna, Samuel Krebs, 1664, in‑4o).

V. note [5], lettre latine 374, pour son Humorum corporis humani Historia generalis [Histoire générale des Humeurs du corps humain] (Iéna, 1655 et 1663).

4.

V. note [4], lettre latine 52, pour la première édition de l’« Essai sur le Sérum sanguin » de Johann Theodor Schenck (Iéna, 1655 et 1663), qui a été enrichie en 1671.

Sa « Méthode pour composer (associer) les médicaments » a paru plus tard sous le titre de Syntagma componendi et præscribendi medicamenta, ex veterum et recentiorum scriptis erutum, cum indice generali et speciali [Traité sur la manière de composer et prescrire les médicaments, tiré des ouvrages des anciens et des modernes, avec un index général et particulier] (Iéna, Johann Werther, 1672, in‑4o).

5.

Guy Patin ne cachait pas sa fierté d’avoir enfin obtenu la parution des Apologiæ pro Galeno libri tres… [Trois livres d’Apologie pour Galien…] de Caspar Hofmann (Lyon, 1668, v. note [1], lettre 929), après une gestation de vingt ans.

6.

Sans faire grand cas de Marin Mersenne (v. note [5], lettre latine 477), Guy Patin :

7.

Le Centre national de la recherche scientifique a publié la Correspondance du père Marin Mersenne en 18 volumes (1932-1988). Son correspondant anglais le plus connu fut Thomas Hobbes (v. note [1], lettre 267). Émule épistolaire de Mersenne, mais dans un tout autre genre, Guy Patin avait dans sa bibliothèque :

8.

« pour faire fortune, honnêtement, sinon par quelque moyen que ce soit » (Horace, v. note [20], lettre 181) : pour Guy Patin, c’était sa clientèle, et non ses travaux de recherche, qui nourrissait le médecin, quelle que fût l’orthodoxie de sa pratique.

V. note [16], lettre 308, pour les attaques de Jean ii Riolan contre Thomas Bartholin sur les voies du chyle dans ses Opuscula nova anatomica [Opuscules anatomiques nouveaux] (Paris, 1653). Dans le sillage tourbillonnant des découvertes publiées par Jean Pecquet en 1651 (v. note [15], lettre 280), les ouvrages sur le sujet ont été bien plus nombreuses au xviie s. que ce à quoi Guy Patin semblait ici les réduire, mais le sujet ne le passionnait guère.

9.

V. note [4], lettre 557, pour les « Lettres » de Thomas Reinesius (mort en février 1667, v. note [10], lettre 117) à Caspar Hofmann (Leipzig, 1660).

Notre édition ne contient aucune lettre échangée par Reinesius et Guy Patin.

10.

V. notes :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 229 ro.

Clarisimo viro D. Io. Theodoro Schenkio, Med. Doct. et Prof. Ienam.

Accepi tandem, Vir Cl. post penè tres annos, duos illos tomos vestrarum Disput. Ienens.
qui diu latuerunt Francofurti, expectando vectorem idoneum : postea v. Parisijs etiam
latuerunt, me inscio et in dies frustra expectante : tandem Amicus quidam eos detexit, per quem mihi
redditi sunt : nunc pro ijs gratias ago Tibi singulares, et pretium quale volueris et indicaveris
accipes per Amicum meum singularem, D. Volcamerum, Medicum Noribergensem : Physica illa
Meletemata non recuso : Scholam tuam Partium humani corporis, ut et humorum lætus
hîc habeo. Historiam seri sanguinis, ut et Methodum componendi medicamenta videbo quum prodierint.
Lugduni vivit Meissonnerius, sed admodum vilis et inglorius, nullius rei, nullius nominis :
nec est tanti cuiquam iste scriptor : quidquid tamen optaveris, evocabo Lugduno, et mittam
per Amicum mercatorem ad D. Volcamerum, Noribergam. Ex scriptis Cl. viri Casp. Hofmanni,
quæ vir optimus moriens ad editionem procurandam mihi reliquerat, tandem, (nec citius potui propter difficultatem
temporum) tandem inquam, obstetricante Laur. Anisson, Bibliopola Lugdunensi, viro cordato,
et accurato, Apologiam pro Galeno emisi in lucem, cujus aliquot exemplaria misi Noriberg.
ex quibus unum accipies, et alterum D. Io. Theodorus Schenkius Guernerus Rolfincius. Mersennum illum, novi olim :
obijt anno 1648 æt. 60. scripsit in Genesim, et quædam Mathematica, quibus supra modum
delectabatur : cætera non novi, sed inquiram : hîc tamen habeo librum ejus Gallicum contra impietatem Deistarum, ut et alterum de veritate scientiarum : in hoc enim totus erat ut semper
et ex omni occasione inquireret in veritatem, ideóq. sæpe scribebat in Angliam, ad quosdam
Mathematicos. De vasiis lymphaticis nihil vidi præter ea quæ scripsit Bartholinus,
Danus, et Riolanus noster in Opusculis : Novitates istæ parum probantur à nostris, qui
toti sunt in curatione morborum, ut faciant rem, si non rem, quocumque modo rem : et qui
lucrum magis sectantur quàm verum. Thomæ Renesij sublimem eruditionem suspicio
et amplector : et utinam viveret vir optimus : Ille olim ad me scripsit, et ego ad ipsum :
ejus Epistolas hîc habeo in 4. cum aliquot Casp. Hofmanni : ex vestris nihil tam opto quàm
Academicas illas Orationes, et Theses Medicas aut Physicas : sed undenam possem habere
quandam Thesim in Germania olim editam, de abusu Theriacæ ? in eam inquirendi
studium suum olim mihi promisit Elsnerus noster : sed ubinam hodie vivit optimus
ille virorum ? Utinam in urbe patria sanus et incolumis rem faciat, et Nestoris annos attin[get.]

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 229 vo.

Dij Te servent, eruditissime Schenkij : et firmam vegetámq. valetudinem tribuant,
in rei Medicæ decus et gloriam. Quæcumque optaveris ex hac nostra civitate, offero Tibi
paratus ad omne obsequium. Vale Vir Cl. et me ama. Parisijs, 28. Febr. 1669.
anno ætatis meæ 68. absque podagra et calculo.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Theodor Schenck, le 28 février 1669

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(Consulté le 26/04/2024)

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