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Avis critiques sur les Lettres de Guy Patin : Voltaire, Sainte-Beuve, Nisard, Pic, Mondor, Jestaz, Capron

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe. Avis critiques sur les Lettres de Guy Patin : Voltaire, Sainte-Beuve, Nisard, Pic, Mondor, Jestaz, Capron

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8037

(Consulté le 19/03/2024)

 

Voltaire [a][1][2]

  • « Patin (Guy), né à Houdan en 1601, médecin plus fameux par ses lettres médisantes que par sa médecine. Son recueil de lettres a été lu avec avidité, parce qu’elles contiennent des nouvelles et des anecdotes que tout le monde aime, et des satires qu’on aime davantage. Il sert à faire voir combien les auteurs contemporains qui écrivent précipitamment les nouvelles du jour sont des guides infidèles pour l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses, ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. Mort en 1672. »

  • « Patin (Charles), né à Paris en 1633, fils de Guy Patin. Ses ouvrages sont lus des savants et les lettres de son père le sont des gens oisifs. Charles Patin, très savant antiquaire, quitta la France, et mourut professeur en médecine à Padoue en 1693. » [1]

Sainte-Beuve [b][3][4]

  • Page 88

    « “ C’était le médecin le plus gaillard de son temps, ” a dit Ménage. “ Il était satirique depuis la tête jusqu’aux pieds, a dit un autre contemporain ; son chapeau, son collet, son manteau son pourpoint, ses chausses, ses bottines, tout cela faisait nargue à la mode, et le procès à la vanité. Il avait dans le visage l’air de Cicéron, et dans l’esprit le caractère de Rabelais. ” [2][5] Du Rabelais, [6] à la bonne heure ! quant au Cicéron, [7] j’ai quelque peine à en retrouver trace même dans son air ; laissons ces fausses ressemblances, et demandons plutôt à Guy Patin de se peindre à nous lui-même. Il l’a fait sans y viser, dans des Lettres pleines de naturel, de crudité, de passion, de grossièreté quelquefois, de bon sens bien souvent, d’humeur et de sel de toute sorte. »

  • Page 92

    « Tel il sera toute sa vie, à l’affût des nouvelles, des particularités et personnalités, en y appliquant sa nature d’esprit ; railleur, franc-parleur, franc-jugeur ; avide des on dit qui courent, les redisant non sans les colorer de son humeur et sans les redoubler de son accent ; un anecdotier, comme La Fontaine était un fablier. Voltaire le prenant sur l’ensemble de ses lettres, l’a jugé sévèrement et sans véritable justice : “ Il sert à faire voir, dit-il, combien les auteurs contemporains, qui écrivent précipitamment les nouvelles du jour, sont des guides infidèles pour l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. ” Petits esprits, je n’aime pas qu’on dise cela des autres, surtout quand ces autres composent toute une classe et un groupe naturel : c’est une manière trop abrégée et trop commode d’indiquer qu’on est soi-même d’un groupe différent. »

  • Page 109

    « J’ai à peine, dans tout ce qui précède, donné une idée de Guy Patin, qui n’est nullement un homme tout d’une pièce ni un esprit d’une seule venue. On a pu seulement comprendre que, tout en étant instruit et d’un sens commun vigoureux, il n’était pas un homme éclairé à proprement parler. Son humeur, ses rancunes, ses préventions, ses préjugés de corps, de classe, de pays et de quartier viennent à tout moment interrompre ses parties saines, et bigarrer, en quelque sorte, ses fortes et brusques qualités. Mais, tout en paraissant un grand original, il n’est pas seul de son espèce ; il n’est qu’un exemple plus saillant et plus en relief d’une inconséquence bourgeoise et de classe moyenne, qui est curieuse à étudier en lui. »

  • Pages 121‑122

    « Il détestait d’instinct les grands, la noblesse, les princes du sang même : il les raille, il les méprise, il les appelle anthropophages ; [3] il a, en s’exprimant, de ces hyperboles à la Juvénal [8] et à la d’Aubigné, [9] et qui font rire. Quand je parle de Juvénal, c’est toujours d’un Juvénal en belle humeur et qui a lu son Rabelais. Il a contre la cour et tout ce qu’elle renferme une horreur de classe et de race ; il distingue peu entre prince et prince, entre le grand Condé [10] ou le duc de Beaufort, [11] sinon qu’il a peut-être un faible pour ce dernier. Du reste, le meilleur, suivant lui, n’en vaut rien ; il ne voudrait pas être à leur service. Sont-ils malades, ils peuvent guérir ou ne pas guérir : “ au moins le pain est-il encore plus nécessaire ” qu’eux tous. [4] Mais ces grands débordements s’arrêtent tout d’un coup et tombent au seul nom du roi : [12] Bayle a déjà remarqué que, sur cet article, le respect de Guy Patin ne se dément jamais. Si le jeune roi est malade, il faut voir comme Guy Patin s’intéresse aux moindres circonstances de sa santé : il aime le roi de toute la haine qu’il porte au Mazarin [13] et à ses entours, et de quelque chose de plus encore, d’un vieux sentiment français héréditaire. »

  • Pages 123‑124

    « Indépendamment des deux procès qu’il plaida lui-même contre les apothicaires [14] et contre Renaudot, [15] et qu’il gagna, il en eut un troisième au sujet de l’antimoine, qu’il perdit (novembre 1653) ; [16][17] cela le refroidit un peu. À partir de ce jour, il déclara qu’il aimait mieux le repos, l’étude, ou visiter ses malades, que d’aller en justice. Il offrit même la paix et l’accommodement à certains de ses adversaires. Toutefois ses animosités contre l’antimoine et ceux qu’il appelait les chimistes ou les charlatans persistèrent, [18][19] et il ne contint jamais la liberté de ses propos : il en faisait une affaire d’honneur et de vertu. “ La chimie, dit-il, est la fausse monnaie de notre métier. ” [5] Il poursuit donc les faux monnayeurs ; [20] il veut décharlataniser la médecine. [6] Il croit qu’il y a un parti des honnêtes gens dont il est, et de l’autre il place ses adversaires. Guénault en tête, [21] les chimistes et empiriques, [22] médecins de Cour et “ enjôleurs de belles dames, ” [7] avides de lucre à tout prix. Il prétend leur opposer “ la résistance forte et généreuse des gens de bien, ” [8] absolument comme Pascal [23] opposait les principes d’un christianisme sévère à la morale relâchée des casuistes et directeurs complaisants. [24][25] Guy Patin se flattait de remplir un rôle analogue en médecine. De telles gens sont parfois des trouble-fêtes ; il en faut pourtant de cette trempe et de ce ton pour faire contre-poids aux mous, aux doucereux, aux âmes moutonnières[9] comme il les appelle, à tous ceux qui suivent la vogue et le succès, aux honnêtes gens prudents qui se ménagent, qui prennent leurs précautions de toutes parts, qui passent leur vie à côté du mal en se gardant bien de le voir et d’y croire, pour ne pas avoir à le dénoncer. Guy Patin, s’il en eut l’excès, eut du moins en lui de cette vertu. Il était ennemi sincère de la fourberie. »

  • Pages 126-127

    « Le premier président de Lamoignon, [26] qu’il connaissait d’auparavant, le prit en amitié particulière dès 1658 et le voulut voir souvent ; il l’aurait voulu même tous les jours. Ce grand magistrat n’avait guère alors plus de quarante ans ; il avait l’âme libérale et généreuse, et portée vers toutes les nobles idées de son siècle, en même temps qu’il tenait de la force du précédent. […]

    Cette amitié si particulière du président de Lamoignon pour Guy Patin prouve une chose : c’est que ce dernier, malgré ses sorties et ses saillies parfois excessives, était en effet “ agréable et charmant en conversation, ” [10] qu’il avait le bon sens dans le sel, et était de ceux qu’un esprit solide pouvait agréer dans l’habitude. Je dis cela parce que de loin, en pressant trop les traits et en voulant offrir nos personnages en raccourci, nous sommes tentés d’en faire encore moins des portraits que des caricatures. Évitons ce travers et ne présentons jamais comme burlesque un homme d’esprit original que goûta si constamment M. de Lamoignon. »

  • Page 133

    « Un corps bien rédigé des Lettres de Guy Patin n’offrirait pas seulement un tableau de l’histoire de la médecine durant cinquante ans : on y verrait un coin très étendu des mœurs et de la littérature avant Louis xiv. À mesure qu’on s’éloigne, le moment arrive où, par suite de l’encombrement historique croissant, la postérité est heureuse de rencontrer de ces représentants abrégés qui lui donnent jour sur toute une époque et qui lui font miroir pour tout ce qui a disparu. »

Charles Nisard [c][27][28]

« Plusieurs fois déjà j’ai parlé, dans cette Revue[11] de Guy Patin ; j’y ai surtout déchargé ma bile sur les éditions anciennes et modernes des Lettres, où ce croque-mitaine des chirurgiens-barbiers et des antimoniaux a si largement épanché la sienne, édition dont les sottes et innombrables fautes de toute nature en déshonorent le texte et en font quelque chose d’assez semblable aux petits livrets populaires imprimés à Troyes, au siècle dernier, par les Baudot et les Oudot. [12] À la curiosité qui m’avait guidé d’abord dans l’examen de ces monuments de l’impéritie tant des imprimeurs que des éditeurs, [29] se joignit bientôt un vif désir de venger l’auteur aussi maltraité. Mais comme je ne me sentais pas en mesure de le faire moi-même avec succès, j’en appelai à quelque réparateur armé, à cet effet, de toutes pièces, c’est-à-dire de toutes les connaissances nécessaires pour bien comprendre, éclaircir et annoter un auteur qui réclame à chaque page un pareil secours. Ce réparateur est encore à venir. Ce n’est pas que j’aie un culte pour Guy Patin, ni que je pousse les gens à venir à l’offrande ; l’homme en soi n’est pas adorable ; c’est à peine si, après avoir lu et relu ses lettres, on viendrait à bout seulement de l’aimer ; il y a autour de lui trop d’épines et en lui trop d’égoïsme ; mais c’est un écrivain original par excellence, dont la langue est pleine d’agréables surprises et surtout d’une clarté qu’on ne rencontre pas toujours, même dans les bons écrivains de ce grand siècle.

Un illustre auteur, illustre, dis-je, dans l’acception la plus rigoureuse du mot, et non dans le sens complimenteur et banal où on le prend aujourd’hui, a dit de Guy Patin “ qu’il donna, sans s’en douter, le premier modèle des lettres simples, naturelles, écrites non plus à des indifférents pour leur faire les honneurs de son esprit, mais à des amis pour le plaisir de s’épancher, par un auteur qui n’a souci ni du style, ni des ornements, et qui ne met dans ses lettres, comme il le dit lui-même (lettre clxxxiv), ni phébus ni Balzac. ” [13][30][31]

Il semblera téméraire, sans doute, d’ajouter quelque chose à un jugement si vrai et exprimé avec une si admirable concision ; toutefois, il resterait à faire voir avec quelque étendue ce que Guy Patin a mis dans son style, [32] autre que du phébus et du Balzac, et comment, avec toute sa simplicité, il abonde en images pleines de relief et de force, et en expressions véritablement de génie. J’en ai relevé quantité dans mes lectures réitérées de ses lettres, non sans admirer combien l’homme, sous l’empire de préjugés incurables, comme le fut Guy Patin, et dont tous les penchants sont à médire ou à maudire, peut trouver d’éloquence dans ces sources infectées, et, par cette éloquence, arriver quelquefois à nous rendre complices de sa malignité. » [14]

Pierre Pic [d][33][34]

  • Pages vii‑viii

    « Si j’avais entendu parler de Guy Patin ? Sans doute ; comme tout le monde. Mais mon bagage à son sujet n’était pas lourd. […]

    Son portrait à l’eau-forte, commun chez tous les marchands de gravures, aussi bien que celui peint à l’huile que possède la Faculté, [15] m’avait fait voir qu’avec son air de Picard futé il n’avait rien d’Antinoüs ou d’Adonis. Ajoutons, si vous voulez, quelques idées vagues sur les querelles virulentes qu’il avait soutenues d’une part au nom de la Faculté contre les médecins de Montpellier et en particulier contre Théophraste Renaudot, le fondateur qu’on s’est plu à trouver génial de la Presse quotidienne et des bureaux de prêts sur gage ; d’autre part, au nom de la sacro-sainte routine, contre les antimoniaux, la circulation du sang et autres nouveautés du siècle. C’était maigre pour bâtir un article, même de trois colonnes, du Passé para-médical. » [16]

  • Pages x‑xi

    « C’est après avoir parcouru ces cinq volumes de correspondance, lecture assez monotone quand on l’entreprend d’un trait, que j’ai l’audace d’exprimer ici une opinion qui pourra paraître outrecuidante, mais que je sais être partagée par de fort bons esprits. Elle se formule en peu de mots : Guy Patin a été abominablement surfait. C’est un raseur, dont la seule excuse (il est vrai qu’elle est d’importance dans le cas présent) consiste en ceci qu’il n’a pas écrit pour le public, et serait peut-être fondé à se plaindre qu’on l’ait édité malgré lui. […]

    Patin a de l’esprit, beaucoup d’esprit, d’accord ; mais c’est une peste. Qu’il n’appartienne pas à la catégorie classée des bêtes méchantes, cela n’est pas douteux ; mais combien il est facile de faire rire la galerie aux dépens de l’adversaire si l’on emploie des armes discourtoises, et si l’on n’hésite pas à user à tout propos de la calomnie. Dieu sait si Patin se prive des arguments de cette catégorie, et vraiment il se donne des allures un peu trop loyolitiques, suivant une de ses expressions favorites, quand, faisant le bon apôtre, il se défend d’avoir jamais recours à la médisance : “ J’aime mieux être offensé que d’offenser personne. Malo enim pati injuriam quam facere, écrit-il à Spon le 7 juillet 1654. ” [17] Oh ! la bonne pièce ! Tout le monde y passe, même ses plus chers amis. Il n’est pas un de ses collègues à la Faculté qui échappe à la malignité de ses traits, et l’on reste stupide de trouver sous sa plume cette profession de foi : “ Je ne dirai jamais d’injure à un docteur en médecine pour l’honneur que je porte à la profession. ” [18] Qu’il tînt sa langue rue de la Bûcherie, [19] c’est possible ; mais comme il se rattrapait avec délices dans sa correspondance ! »

  • Pages xii‑xiii

    « Le style des lettres de Patin est naturel ; mais a-t-il beaucoup d’autres qualités ? C’est simplement ce qu’au dix-septième siècle on appelait un style d’honnête homme, et vous croisez dans la rue cent individus, dont pas mal du sexe féminin, qui seraient, à mon avis, s’ils en avaient le goût et le loisir, capables d’entretenir une correspondance ayant à peu près la tenue de celle de Patin, surtout si on la laissait vieillir en rayons plus de deux siècles. Sainte-Beuve a été trop bienveillant quand il a écrit : “ On rencontre dans ces lettres les bons mots, [20] les nouvelles du jour, force détails curieux sur la littérature et les savants du temps, surtout un tour dégagé et naturel, des traits libres et hardis qui peignent au vif l’esprit et le génie de l’auteur ; c’est une conversation sans nul apprêt, sans prétention aucune, [21] enjouée souvent ; ce sont les confidences d’un ami à un ami ; elles sont pleines de crudité, de passion, de grossièreté quelquefois, de bon sens souvent, d’humeur et de sel de toute sorte. ” Émettre une appréciation contraire à celle de Sainte-Beuve pourra paraître à beaucoup mériter les verges ; néanmoins m’interdira-t-on de reprocher à cette appréciation du grand critique un excès d’indulgence ? Il ne semble pas avoir été frappé des deux principaux défauts de Patin, l’éternel radotage et la rosserie féroce pour tout ce qui n’est pas son opinion personnelle. Nul certes plus que Patin n’a contribué à mettre en valeur l’adage : Invidia medicorum pessima. » [22]

  • Pages xix‑xxxi

    « Au point de vue médical, la mentalité de Patin est navrante. Pour lui, le progrès n’existe pas ; il s’est collé sur le nombril une médaille de Galien, il s’hypnotise dans la contemplation de l’image du vieux maître de Pergame, et paraît s’être fait serment de ne jamais laisser traîner une idée médicale fausse sans la faire sienne. […]

    C’était chez Patin une véritable manie de ponctuer ses lettres de bribes de latin. Lorsqu’on parcourt certaines de ces lettres, on croirait être tombé sur une de ces épîtres farcies, chères aux pédants des siècles passés […]. S’il s’agissait chez Patin, comme chez Montaigne, de citations de bons auteurs, toujours correctes et judicieusement appliquées ; mais il n’en est pas toujours ainsi, loin de là. Patin est pris d’un coup de la fantaisie de dire bonjour en latin. Bonam diem[23] écrit-il, en plein milieu d’une phrase française, et le tour est joué. Est-ce extrêmement spirituel ? Y a-t-il dans cette manière personnelle matière à justifier l’enthousiasme de l’auteur anonyme de la préface de l’édition de 1707 ? “ Jamais homme n’a été si universel ; il a été le seul philosophe qui ait été savant dans la science du monde. ” [24] Quel ours, et quel pavé ! À ce jeu enfantin, tout autre que Patin eût peut-être acquis la réputation d’un pédant. Cette manière d’user, au hasard de la fourchette, du latin dit de cuisine, [25] est d’autant plus singulière chez Patin que, quand il s’en donnait la peine, il citait bien de bons auteurs, et notamment Martial, [35] son poète favori. […]

    Au point de vue politique, il s’en fallut de peu que Patin ne devînt un frondeur de marque […]. Au point de vue philosophique et religieux, la mentalité des Encyclopédistes du dix-huitième siècle nous paraît en puissance dans le cerveau de ce railleur, leur aïeul. Ses plaisanteries sont plus mordantes contre les superstitions et les abus des catholiques de son temps. Il en veut surtout aux jésuites, “ ces maîtres passefins, ces carabins sortis de la brayette du Père Ignace ”. [26] Il réserve toutes ses tendresses pour les jansénistes, [36] ne se sent pas de joie du succès que rencontrent les Provinciales et s’efforce de faire partager son enthousiasme à tous ses correspondants. »

Henri Mondor [e][37][38]

  • Page 48

    « La causticité de ses propos et leur crudité allant très souvent de pair, l’on ne doit accueillir ses jugements qu’avec défiance. Il est pointilleux à merveille, s’il veut accrocher l’attention, et les drôleries verbales, les grimaces d’estrade dénoncent, à son insu, le niveau de quelques-unes de ses prétentions. C’est un faux savant qui atteint parfois au bel esprit, mais qui sait s’orienter vite et pratiquement. Patin passe, dès ce temps, pour bavard, friand d’anecdotes, emporté, rageur, augural, mais méprisant de la fortune. C’est une intelligence barbelée ou tout entière réfugiée auprès des anciens. Il rit souvent avec colère et plaisante en blessant. L’on ne peut guère aller plus loin dans le persiflage hasardeux contre le progrès. Son cynisme lui semble sincérité et ses éclats grossiers franchise ; encore que sa bonne foi ne paraisse pas toujours sans reproche, d’aucuns le jugent honnête homme, “ d’âme droite et de cœur bien placé ”. » [2]

  • Pages 51‑52

    « Il se targue, en son art, de ne croire que ce qu’il voit. Par malheur, il ne voit rien des grandes découvertes. Un petit livre d’une centaine de pages, qui a paru à Francfort en 1628, dû à un physiologiste anglais, William Harvey, [39] ami de Bacon, [40] contient une démonstration sensationnelle qu’on a attendue depuis deux mille ans et dont le Collège des médecins de Londres a eu la primeur en 1619 : le cœur est une pompe qui entretient et rythme la circulation continue du sang dans l’organisme. [41] Soutenu par son ami Riolan [42] ou l’épaulant, Patin va se donner le durable ridicule de repousser, non pas les étranges spéculations philosophiques de W. Harvey, mais ses rigoureuses expériences. Il refuse d’admettre la circulation du sang et se range, avec émulation, parmi les contradicteurs les plus mal inspirés. La géniale théorie nouvelle lui paraît “ paradoxale, inutile, fausse, impossible, absurde et nuisible ”. [27] Chacun de ces adjectifs, bouffi d’incompréhension, va retomber lourdement en sottise sur son nez et sur sa mémoire. Que n’est-il dans l’erreur un peu moins redondant ? Parler le latin avec élégance, le français avec familiarité ou “ bigarrures ”, [28] porter le bonnet carré et la robe la plus longue, avoir une des plus belles bibliothèques de son temps et en avoir lu les livres, [43] l’autorise peut-être à se croire un maître ; mais cet homme disert, de conversation à la fois “ savante et enjouée ”, [2] n’est pas loin de représenter, au contraire, avec la fatuité d’une incontestable culture, ce que la désinvolture du pédantisme et le verbiage d’école opposent parfois, en science, de conventionnel, de périmé, de sentencieux, aux suggestions irrévérentes et irrésistibles du progrès, ou même, plus simplement, aux démonstrations modestes du bon sens. On peut le choisir et le retenir comme un assez bon exemple de cerveau encombré et prétentieusement retardataire. Les ressources de son intelligence si souvent effrontée ne le protègent pas contre les maladresses et la gaucherie. Brillant d’un vernis d’érudition peut-être plus partiale qu’approfondie, tour à tour agressif avec componction, sceptique avec nonchalance ou dédain ou grimaces, il laisse ses idolâtries et ses préjugés brouiller trop fréquemment sa vue. »

  • Pages 54‑56

    « Il ne cache pas plus ses sentiments que ses doctrines anachroniques. Son goût des scandales et des discordes, sa quête des nouvelles, la nomenclature qu’il tient des singularités de chacun, ne cesseront jamais. S’il consacrait, à vérifier les belles expériences de physiologie ou les acquisitions thérapeutiques qu’il conteste, un peu plus du temps qu’il donne, avec alacrité, à nourrir de ragots ses plaisanteries et d’impertinence ses indiscrétions, il apprendrait du même coup que, même en littérature, la saveur du vrai l’emporte sur toute fable. Il ferait voir aussi un esprit critique moins exclusivement tourné contre les autres, plus assidu et bien exercé contre soi-même. Il est, Sainte-Beuve le verra, “ anecdotier, comme La Fontaine est fablier ”. Il a les nobles en aversion et les “ glorieux barbiers ” [29][44] en horreur. Oubliant qu’un inculte sagace l’emporte quelquefois sur les érudits divagants, il tient les barbiers, chirurgiens primaires, il est vrai, pour de misérables ignorants que les médecins surpassent de façon magistrale et qu’il se glorifie de contribuer à abaisser. […]

    Ce ne sont pas que boutades faciles à négliger. Le divorce entre médecins pédants et chirurgiens humiliés, et l’arrêt de déchéance, en 1660, [45] qui ramènera au rang des manœuvres les chirurgiens de Saint-Côme [46] nuiront tant à l’art médical que le grand siècle, à ce point de vue, sera le plus solennellement nul. Guy Patin fait si bien, tranchant presque toujours avec humeur, niant trop souvent le vrai, jargonnant, sermonnant, préférant aux hommes les institutions, les livres anciens aux faits nouveaux, les harangues aux guérisons, un aphorisme à un remède, que Molière [47] semble parfois l’avoir choisi pour immortaliser les éternels ridicules de certaine médecine attardée mais infatuée et de quelques médecins dissertants et pernicieux. […] [30]

    Pour lui, le Siècle d’or [48] c’est le seizième. Il s’en tient aux vieux auteurs, à “ ceux de la grande bande ”. [31] Il regarde les modernes avec un effarement vite consterné, dès que tombe sa raillerie. Bien avant d’être podagre, au train qu’adopte sa sévérité, il risque, en s’autorisant des plus vénérables moralistes, de calfeutrer entre ses livres et ses estampes une irritabilité jusque-là sémillante et de bouder l’aurore et la neuve parure d’un siècle éclatant. »

  • Page 57

    « Les discours, les traits, les épigrammes ne suffisent pas à son désir de railler ou de grommeler. Il entretient, surtout avec des hommes, [32] une correspondance prolixe. Il écrit à Garnier, doyen du Collège de médecine de Lyon, à Falconet, médecin de l’archevêque, à Spon, agrégé, à Gontier, médecin de Roanne, Le Fèvre, professeur de Saumur…  [33] et à d’autres amis, beaucoup de lettres, rapides, pétillantes, doctes parfois, mais sans apprêt. »

  • Page 64

    « Quelque ferme et modeste application eût mieux valu, pour la science, que cette curiosité papillotante, qui avait entraîné, jusqu’à l’émiettement, son esprit un peu desséché. Mais avec ses réticences, ses stupeurs et ses répulsions, il avait nourri un bavardage irrité, qui empêchera son nom de tomber dans l’oubli. »

Laure Jestaz [f][49][50]

  • Pages 341‑344

    « S’il fallait définir et qualifier les lettres de Guy Patin, il faudrait alors relever la vivacité de l’écriture, véritable transcription sur le papier de la vivacité de sa pensée. Il est rare, en effet, que le médecin s’attarde longuement sur un sujet, et c’est bien souvent en vain que l’on chercherait la trace d’articles assez finement délimités dans sa correspondance. [34] Patin procède par association d’idées, un mot, un nom, lui en évoquant un autre sans jamais (ou si rarement !) lui laisser le temps de développer la première idée qu’il avait sous sa plume. [51] Ce sont de véritables sauts de puce, parfois malaisés à suivre pour qui ne connaît pas les liens entre les personnes, ou entre les choses. Aucune des lettres présentées dans ce corpus n’est construite de manière rationnelle, aucune ne suit un fil directeur, qui aurait été annoncé dès les premières lignes. Patin écrit comme il pense, comme il parle peut-être, à son ami le plus cher qui est aussi le plus lointain, dont il ne cesse de regretter l’absence et dont chaque jour il appelle à lui le souvenir. […]

    Parce qu’il écrit ce qu’il pense, à l’instant où il le pense et sans craindre aucun jugement de la part de son lecteur, Patin ne s’embarrasse pas des contradictions de sa pensée, de ses paroles encore moins. L’incroyable liberté de ton dont il use, sa très grande franchise, reposent sur l’absolue certitude que Spon ne se formalisera d’aucun de ses contredits et qu’il saura débrouiller l’écheveau de ses propos. Si, de cette absence totale de composition, de cette écriture au fil de la pensée, naissent des redites, Patin ne s’en soucie guère. Érasme, dont le De conscribendis epistolis [34][52] eut une grande influence au xviie siècle, faisait dépendre du dessein didactique de la lettre le choix des thèmes et du style, et tenait compte, dans sa rédaction, de la distance spatiale et temporelle d’avec son correspondant. À sa manière très personnelle, Guy Patin agit de même. Ses lettres au médecin de Troyes Claude <ii> Belin, ou les quelques lettres au jeune <Hugues de> Salins, paraissent bien plus convenues, bien moins libres que celles adressées à Lyon. [36] On ne saurait donc véritablement parler de négligence, ou d’éparpillement, en considérant la correspondance entretenue avec Spon, dans la mesure où l’épistolier avait conscience du jaillissement de sa plume ; bien davantage pourrait-on parler de vagabondage d’esprit mis au service d’un bavardage amical, à dessein de plaire et de distraire tout autant son correspondant que lui-même. Res tam multiplex propeque ad infinitum varia : [37] ce principe d’infinie diversité, décrit par Érasme pour un ensemble de lettres courant sur plusieurs années, paraît comme appliqué par Guy Patin dans le court espace d’une seule épître, tant les sujets y sont multiples, la matière riche, et les informations nombreuses. L’épistolier serait en fait plus proche de la conception lipsienne de la lettre, [53] présentée comme des petits riens (nugas), comme des jeux (jocos, lusus), au caractère inachevé, souvenirs brefs de la vie quotidienne (diales), énoncés sans grand souci d’ordonnance et dont les sujets prennent l’homme pour mesure, sans toujours viser l’éloquente grandeur ou la hauteur morale prônée par les écrivains antiques. [38] Juste Lipse, si cher au cœur de Patin, faisait ainsi de la lettre l’expression même de l’individualité, marquée du sceau de la spontanéité et propre à enregistrer fidèlement les variations d’humeur et les mouvements d’âme caractérisant telle personnalité. [39] De même, le savant humaniste recommandait aux épistoliers en herbe de se constituer proprio motu [40] des recueils de citations, d’ornements stylistiques, de tours de phrases et de vocabulaire, afin d’élaborer un répertoire personnel de loci communes empreint d’une solide culture philosophique et littéraire. [38] Cette élaboration reposait donc sur un projet longuement mûri et façonné, c’est-à-dire parfaitement conscient, qui permettait de parer ses lettres de pointes, de saillies, d’allusions érudites. Si Patin connut la proposition de Lipse, il est assez probable qu’il ne la suivit pas. On l’imagine mal se construire ainsi son propre recueil de citations à dessein d’éblouir ses correspondants. Il n’en aurait sans doute pas eu le loisir s’il l’avait voulu. [41] Mais il n’est pas impossible qu’il ait suivi ce procédé de manière tout à fait inconsciente. Ses classes d’humanités lui avaient vraisemblablement appris cet art de la collection, et c’est bien ainsi, en tout état de cause, qu’il use de ses lectures. Sa pensée, nourrie d’éclats antiques, a fait siennes les phrases les plus piquantes, elle a fait siennes ces tournures latines si éloquentes, ces vers si adroitement composés qu’il ne cesse de citer, avec plus ou moins d’exactitude d’ailleurs. Sa correspondance en est émaillée, et la diversité des sources étonne, même si on peut observer une prédominance des poètes et satiristes latins, et des historiens. [42] Sans doute ces citations lui venaient-elles tout naturellement sous la plume, sans qu’il ait besoin de les emprunter à un éventuel répertoire. Il s’agirait là, en quelque sorte, d’une improvisation en trompe-l’œil, empreinte forte et durable de ses classes d’humanités.

    D’autre part, en lisant les lettres qui suivent et en songeant à leur exceptionnel foisonnement de pensées, il importe de garder toujours présent à l’esprit le délassement que leur rédaction signifiait pour Guy Patin. Ces heures où il écrivait étaient toutes arrachées à la pratique quotidienne de la médecine, à ses cours et à ses courses dans Paris au chevet des malades, aux visites nombreuses que sa réputation amenait à son logis. Il est aisé d’imaginer le repos – et le plaisir – que le médecin devait trouver à se retrancher dans son cabinet de lecture pour y griffonner de sa petite écriture des feuillets destinés à son ami, qui lui raconteraient ses joies et ses colères, ses enthousiasmes et ses désillusions. Et réellement peut-on parler ici d’une “ conversation muette ”, menée à bâtons rompus car trop souvent entrecoupée de consultations ou d’entretiens. Les phrases y sont brèves, [43] comme écrites à la hâte par crainte de ne pouvoir être menées à leur terme. Patin écrit, parfois brièvement mais le plus souvent possible, désireux de recueillir pour Spon le plus d’informations sur la vie de la capitale et sur celle de la Faculté de médecine, sur ses propres découvertes dans le domaine éditorial, s’arrêtant rarement à un sujet mais ne craignant pas de le reprendre quelques lignes plus loin. Il est du reste patent que l’épistolier n’eut que rarement le temps de se relire. Ses repentirs, qu’il note en marge dans la majorité des cas, concernent le plus souvent des faits historiques qu’il a brièvement évoqués et dont il apprend plus tard la fausseté. Mais jamais il ne raye ce qu’il jugerait une répétition, de sorte qu’il lui arrive de demander deux ou trois fois dans une même lettre le même livre, la même information, renouvelant ses questions d’une page à l’autre, d’une missive à l’autre.

    Bien des érudits contemporains de Patin se firent un point d’honneur d’orner leurs propos d’un style qui se voulait naturel et spontané, afin de rendre la réception de leurs lettres aussi agréable qu’instructive. Séduire par la verve autant que par l’érudition était l’une des caractéristiques des échanges épistolaires du temps, mais Patin, dont les relations étaient pourtant fort nombreuses et qui devait, de ce fait, dépouiller chaque semaine une abondante correspondance, resta cependant fort loin de ce mouvement. Quand bien même, au reste, aurait-il voulu élaborer une lettre suivant un plan clair et rigoureux, qu’il n’en aurait pas eu le temps. À peine déjà trouvait-il celui de se mettre à sa table pour reprendre la lettre inachevée, toujours ouverte sur le pupitre ? Il s’en faut de beaucoup qu’il ait eu la disponibilité de la composer ! » [44]

  • Pages 354‑356

    « Le xviie siècle connut une véritable floraison du genre, au point que les libraires proposèrent non plus l’intégralité d’une correspondance, mais des recueils d’‑ana composés à partir de celle-ci, des volumes de Lettres choisies, des Extraits…, le tout dûment complété par des index et des tables. Et c’est ce qui explique les mésaventures arrivées aux lettres publiées, à commencer par celles de Guy Patin : pour en préserver le caractère personnel et privé, et à dessein de ne pas froisser la susceptibilité de contemporains encore vivants, les noms propres furent en effet remplacés par des astérisques, certains passages étaient éliminés, les termes les plus crus étaient supprimés ou adoucis. Les recueils pêchaient d’ailleurs souvent en raison du manque de discernement des éditeurs : les lettres y étaient mises sans distinction, souvent sans ordre ni cohérence, le seul nom de leur rédacteur suffisant à rendre le feuillet illustre. Pierre Bayle le remarqua non sans humour, qui écrivait ces mots à son frère Jacob, le 21 septembre 1671, après la lecture d’un volume de la correspondance entre Scaliger et Casaubon : [54][55]

    “ La plupart du temps les plus doctes écrivent avec beaucoup de négligence une lettre qu’ils croient ne devoir jamais sortir du cabinet de leurs amis, et qu’après leur mort, il se trouve toujours quelqu’un porté d’un zèle indiscret pour la mémoire du défunt, qui ramasse jusques aux moindres billets qu’il a écrit à son tailleur et en fait un présent au public dont on lui ferait grâce très volontiers. ” [45][56]

    De fait, Patin lui aussi souffrit à titre posthume, de l’indélicatesse des éditeurs ; [46][57] considérant le marché saturé d’écrits de ce genre, mais incapables de renoncer à de nouvelles publications, ces derniers n’hésitèrent pas à supprimer des pages entières, à fondre deux lettres en une seule, à remplacer les noms propres par les astérisques d’usage (lorsqu’ils ne les tronquaient pas du seul fait de leur incompétence), au point de rendre incompréhensibles certains propos ou d’en déformer d’autres, sans craindre de faire passer Guy Patin pour un menteur aux yeux de la postérité. Bayle en personne, qui consacra au médecin un long article dans son Dictionnaire historique et critique[45] s’il loua le naturel de ses lettres, lui reprocha toutes les faussetés qui s’y lisaient, et les erreurs d’appréciation. Mais si l’on se reporte au recueil qu’il eut à sa portée, c’est-à-dire aux toutes premières éditions de la correspondance de Patin, ce jugement est bien excusable. […] [47]

    On comprend dès lors mieux pourquoi les lettres au médecin Claude <ii> Belin de Troyes ont été plus respectées par les éditeurs des siècles précédents : plus professionnelles, moins libres de ton, plus respectables, elles devenaient moins dangereuses à publier, et donc plus attrayantes que les lettres adressées à Charles Spon, qui furent cruellement dépecées. [48] Et contre ceux qui reprocheraient encore l’inexactitude de certaines informations, qu’ils considèrent enfin que Guy Patin tenait ses renseignements des journaux, des rumeurs et des propos que lui rapportaient ses voisins ; qu’ils comprennent que s’il s’est trompé, c’est bien à son insu ; et qu’ils se remémorent enfin ces mots du critique anglais Packard, écrits en 1624 dans la dernière biographie du médecin, la plus récente à ce jour : These criticisms may be true as to the historic value of Patin’s letters, nevertheless, as picture of the life of the day they are invaluable and it must be remembered that Guy did not purpose writing when he penned them. » [49][58]

Épilogue : de l’exécrable médecin au mordant épistolier (Loïc Capron) [59]

Sans la prétention de rivaliser avec les six critiques dont je viens d’échantillonner les propos, j’ai l’avantage d’avoir passé bien plus de temps que chacun d’eux à labourer la Correspondance complète et les autres écrits de Guy Patin. Ayant plaisamment consacré dix-neuf années de mes loisirs à les transcrire et à les annoter pour comprendre son auteur, sa vie et sa pensée, je m’autorise quelques mots de commentaire.

Patin m’a souvent fait rire de fort bon cœur ; il m’a parfois ému ; je me suis régalé de son style ; mais il m’a aussi très souvent agacé et même consterné : sa myopie médicale, sa méchanceté, ses préjugés, ses médisances jalouses… Patinus degobillans[50] Par-dessus tout, son hypocrisie m’a le plus horripilé : hormis quelques traits superficiels, impossible de savoir qui est au fond le bonhomme et ce qu’il croit vraiment ; c’est un caméléon [60] qui ajuste constamment son propos aux idées de son correspondant, « qui se change en toutes sortes de couleurs, sous lesquelles il paraît travesti et joue divers personnages qu’il représente sur le théâtre de médecine » ; [51] il maudit papes, jésuites, purgatoire, grains bénits et carême quand il écrit à Charles Spon, le calviniste ; mais brocarde la rigueur et la bigoterie des huguenots de la « petite paroisse » [52] quand il écrit à André Falconet, le catholique. On ne peut jamais être certain que Patin est sincère ; il n’est pas honnête homme ; [53] je ne le voudrais pas pour ami. Il faut alors bien de la crédulité et bien de la partialité dans le tri de ses propos pour le ranger avec autorité parmi les libertins érudits. [54][61][62]

Reste une vaste énigme : de son vivant, le rayonnement médical de Patin fut incontestable, en France et par toute l’Europe (comme en atteste sa correspondance latine) ; qu’on adhérât ou non à ses idées, on écoutait ce qu’il disait et on en parlait beaucoup. Sa production imprimée a pourtant été fort minime : Traité de la Conservation de santé (1632), quelques thèses dont la retentissante Estne totus homo a natura morbus ? (1643), des éditions de Daniel Sennert (1641) ou de Caspar Hofmann (1646, 1647, 1668)… Très volontiers cité comme un oracle dans de nombreux ouvrages, Patin a été dédicataire d’une bonne vingtaine d’éditions, souvent prestigieuses. [55] Pourtant, tout professeur au Collège de France qu’il ait été, rien ne survit aujourd’hui des œuvres médicales de Patin : les scories qu’on peut en exhumer dans sa correspondance et dans ses autres écrits, n’inspirent guère la bienveillance à l’égard d’un des esprits médicaux les plus bornés de son siècle ; quand y brillèrent des flambeaux comme William Harvey, Jean Pecquet, [63] Thomas Bartholin, [64] ou Samuel Sorbière[65] Je vois deux pistes pour tenter de comprendre ce décalage entre le grand renom de jadis et son complet étiolement aujourd’hui ; ce fossé qui sépare Guy Patin de Thomas Diafoirus[66]

  1. Sa correspondance, notamment latine, en atteste abondamment : brillant enseignant, Patin avait séduit quantité de jeunes philiatres venus étudier de partout à Paris ; longtemps après, ceux-là pouvaient souvent éprouver cette nostalgie du premier professeur qui vous a enthousiasmé du haut de sa chaire ; très beau parleur, chaleureux et charmeur, quand il voulait l’être, Patin savait transformer cette admiration en sincère et fidèle amitié, et l’attiser par les saillies de sa plume familière, érudite et crépitante (tant en français qu’en latin).

  2. Fidèle aux préceptes rassurants des Anciens, Patin maintenait un semblant de cap dans les révolutions chimiques et anatomiques de son temps ; sa médecine pouvait séduire par son vernis de simplicité et de bon sens : régulière et saine hygiène de vie, peu de remèdes, simples et bien choisis, condamnation constante de la charlatanerie et de l’exploitation lucrative des malades, etc. Vieilles comme la médecine, ces recettes réconfortaient hier, comme elles font encore souvent aujourd’hui.

Patin avait l’ambition des humanistes, déjà vaine et fort dépassée au xviie s., de posséder tout ce qui avait été imprimé, d’avoir tout remisé dans sa bibliothèque et tout lu. Les mentions de livres, de thèses et de discours surabondent dans ses lettres ; à tel point que l’envie prend parfois au lecteur de sauter ces passages qui semblent d’indigestes longueurs. [56] C’est pourtant là que se trouve la meilleure part du festin : que de fois n’ai-je pas été émerveillé de découvrir les pépites que cachaient ses citations d’ouvrages ! [57] La Correspondance complète et autres écrits de Patin forme sans conteste l’encyclopédie médicale la plus complète et la plus distrayante des xvie et xviie s.

Au delà de son style pétillant et pittoresque, je pense que Patin vaut bien moins par sa personne que par les lucarnes sans nombre qu’il nous ouvre sur son temps, rejoignant volontiers en cela l’opinion de L. Jestaz et de F. Packard. [49] Ce fut un intarissable conteur d’histoires, mais avec le génie étriqué d’un atrabilaire recuit[58] Il singeait volontiers Joseph Scaliger ou Isaac Casaubon, [59] se contentant d’aduler de moins égalables modèles, tels Rabelais ou Érasme.

Une fois bien prévenu sur la personne de Guy Patin et sur l’immobilité de son dogmatisme, ses lettres et autres écrits méritent amplement d’être lus, pourvu que ce soit avec discernement : pour leur tournure singulière, pour leur curiosité historique et médicale, pour les multiples historiettes qui y fourmillent. Je n’y aurais sûrement pas consacré tant d’années s’ils ne m’avaient instruit, distrait et charmé, bien au-delà de tout ce qu’on peut justement leur reprocher.

Ami de Patin, Adrien de Valois était sûrement sincère et digne de foi quand il écrivait : [60][67]

« M. Patin le père était un bon homme et savant ; mais il n’était pas fort fidèle dans ce qu’il écrivait ; il allait un peu trop vite en besogne, et dès qu’une chose lui venait en pensée, fût-elle vraie ou non, il la mettait comme très certaine. Il y a dans ses lettres des sentiments un peu trop libres sur le fait de la religion : Sunt nonnulla, quæ Medicum nimis sapiunt ; [61] mais cela ne vient que de la précipitation qu’il avait à écrire, et non pas d’un méchant fonds qui fût en lui, car il était honnête homme. » [53]

N’allez pourtant pas croire ce que j’en dis, lisez donc Patin pour forger votre propre idée ; mais lisez-le beaucoup avant de la figer. [62][68]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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